Sicile : la brûlure de Vulcain

Cette page relate un voyage effectué en Sicile, du 3 septembre au 10 septembre 2011, par le biais de l'agence Terres d'Aventure. Intitulé "Des Eoliennes aux terres volcaniques de l'Etna", ce petit circuit de 6 jours proposait d'approcher les fournaises que recèle la Sicile. Pour chaque journée, vous trouverez un petit récit qui s'attache à présenter les points que j'ai estimés marquants. Quelques photographies, prises dans leur grande majorité avec un appareil numérique Sony DSC-HX1 (plus rarement avec un DSC-W12), illustrent l'ensemble.

Particularité intéressante si vous désirez replacer ce voyage dans son contexte spatial, j'ai enregistré quotidiennement nos déplacements à l'aide d'un GPS Garmin Oregon 400T. Les traces ont été converties pour être exploitables par le fabuleux logiciel Google Earth. Lorsque vous ouvrirez un itinéraire sous ce dernier, vous serez automatiquement positionné au point de départ, à une altitude variant entre 5 et 47 kilomètres, le parcours suivi apparaissant sous la forme d'un ruban rouge (déplacement à pied), violet (déplacement motorisé), ou bleu clair (déplacement sur l'eau). De nombreux points remarquables (gîte, volcans, etc.) sont indiqués par de petites icônes. La plupart d'entre-elles sont cliquables, ce qui provoquera l'affichage d'une fenêtre comportant souvent une photographie, ainsi qu'une courte description de l'endroit.

Lors de l'ouverture d'une trace GPS sous Google Earth, une petite échelle fera son apparition en haut à droite, permettant de rejouer le circuit dans le temps. La position sera alors marquée par une icône verte, qui signalera également le mode de déplacement (à pied, en bus, en bateau). Il est possible d'ouvrir les traces les unes après les autres, de manière à suivre l'enchaînement des différentes randonnées jour après jour. L'échelle indique toujours l'heure locale (identique entre la France et l'Italie). Ces traces GPS constituent une excellente alternative aux photographies pour découvrir et suivre notre cheminement parmi les îles éoliennes, et sur les flancs de l'Etna.

Prologue : Le signe


En éruption quasi permanente depuis la haute antiquité, le Stromboli offre un spectacle inoubliable aux passionnés de volcans. Même lorsque son activité est timide, il permet d'assister au jaillissement de la lave rouge. La première vision de ces fragments incandescents reste imprimée à jamais dans l'esprit. Cliquez pour agrandir la photo

Le ciel était depuis longtemps plongé dans une obscurité impénétrable, mais penché vers le hublot, le nez pressé contre le verre, je continuais à écarquiller les yeux, avec l'espoir d'apercevoir quelque chose de la Sicile, cette île un peu mythique qui se dresse au-dessus des flots de la méditerranée. L'appareil avait amorcé sa descente vers Catane, et je parvenais parfois à surprendre, au travers de la trouée d'un nuage, les myriades d'éclats lumineux laissés par les habitations ou les villes. Les ténèbres s'étaient à nouveau refermées sur la terre quand un phénomène particulier attira soudainement mon attention. Loin en dessous de moi, une gerbe de rouge et d'orange s'est formée, parfaite et irréelle, éclairant les ombres de lignes de lumière surnaturelles. Une seconde explosion lumineuse l'a rejointe, puis une autre encore.

Mon esprit, déjà enfiévré par les promesses volcaniques de ma destination, a cru voir dans ces manifestations lumineuses les lueurs d'une éruption, jaillissant d'une bouche volcanique. Mais la perfection de l'embrassement démentait cette hypothèse audacieuse : ce n'était qu'un jeu d'artifice, tiré en l'honneur d'un événement ou d'une fête inconnue. L'appareil vira bientôt de bord, et l'aile droite, invisible dans l'obscurité, vint recouvrir de sa surface porteuse les petites sphères évanescentes de lumière, faisant disparaître le curieux spectacle. Quelques minutes après, alors que l'avion plongeait vers Catane, je me demandais si je n'avais pas rêvé.

Je m'intéresse aux volcans depuis plus longtemps que je ne peux m'en souvenir. C'est un phénomène, je crois, propre à fasciner tous les enfants, et il suffit de voir le nombre d'ouvrages sur la question adaptés à un jeune public pour s'en convaincre. Avec les minéraux, les volcans ont été le moteur de ma passion pour la géologie. Il y a sans doute eu une première fois, peut-être un documentaire passant à la télévision, et montrant le cratère d'une montagne conique, en train de cracher des blocs rougeoyants, avec les cris rauques d'une bête féroce. A moins que cela ne soit la couverture d'un livre aperçu dans une librairie, avec une drôle de silhouette revêtue d'un habit métallique de lumière, en train de marcher à quelques mètres d'un énorme serpent aux écailles rouges et noires, traçant son chemin parmi une terre calcinée et désolée, avec l'impétuosité de celui qui sait que rien ne peut l'arrêter.

Pendant des années, celui que les volcans fascinent peut lire de nombreux ouvrages sur le sujet. Regarder des films, et collecter des roches, et des minéraux volcaniques. Passer des mois et des années à les étudier dans des amphithéâtres et des salles de cours, compulser des tableaux listant la composition des magmas et étudier leur étrange répartition à la surface de la planète. On pense s'en rapprocher un peu plus en enfilant une blouse, et en broyant des laves pour alimenter un spectromètre, qui en donnera la composition chimique élémentaire. Ou encore découper en fines tranches des échantillons de roches, pour les observer au microscope pendant des heures, sous une lumière polarisée qui les fait ressembler à des vitraux de cathédrale. Pourtant, tout au long des années, le mystère du volcan demeure. Parce qu'un de ses aspects n'a pas encore été abordé. Parce que l'œil fasciné est hanté par une vision fantasmatique, qui définit et symbolise le volcan, et qui semble être inaccessible : celle du feu liquide, celle de la matière en fusion, celle de la lave rouge.

Décider d'aller sur un volcan, c'est prendre le risque d'être déçu, de ne pas pouvoir assister au spectacle dantesque auquel l'esprit aspire intérieurement. Je me considère comme une personne sensée et rationnelle, mais pourtant, lorsque j'ai aperçu les filaments pyrotechniques des feux d'artifice au travers du hublot, je n'ai pas m'empêcher d'y voir un signe, annonciateur d'un autre spectacle, peut-être le plus terrifiant, le plus fascinant, le plus envoûtant de la nature. Ce fut une certitude brûlante, la sensation qu'enfin, moi aussi, j'allais voir cet éclat rouge qui concentre toutes les énergies, et contient tout l'Univers.

Jour 1 (dimanche 4 septembre 2011) : Le feu du Stromboli Beau temps (soleil)Ascension d'un volcan

Vue sur l'allée du feu (Sciara del Fuoco), au moment du coucher du soleil. Un fin panache de fumée grise s'échappe des soupiraux, situés plus en hauteur. Une demi-lune, déjà visible, éclairera bientôt le spectacle magique des éruptions. Cliquez pour agrandir la photo


Tel la flamme infernale d'un chalumeau, propulsée par des gaz brûlants, le magma incandescent jailli d'une des bouches du Stromboli, avant de s'éparpiller en myriade de lambeaux rougeoyants.
. Cliquez pour agrandir la photo

Jour 1 : dénivelé
Randonnée sur les contreforts du Stromboli : 512 mètres de montée, pour autant de descente (-531 mètres).

Le Stromboli est un volcan, et le volcan est une île. Elle fait partie de l'archipel des îles éoliennes, un ensemble de petits îlots volcaniques qui percent les eaux limpides de la mer Tyrrhénienne, et dont sept sont actuellement habités. Vu de loin, le Stromboli semble tout droit sorti de l'imaginaire collectif : c'est un cône volcanique parfait, dont la base est joliment soulignée par des petites maisons peintes à la chaux, et dont les flancs, d'abord verdoyant puis brusquement dénudés, convergent vers un sommet tourmenté d'ou s'échappe par période un panache de fumée.

Comme c'est très souvent le cas, l'œil ne voit qu'une petite partie des choses, et l'essentiel demeure souvent masqué à la vue, ou aux autres sens. Le Stromboli, lui, cache ses véritables dimensions dans les flots bleutés de la mer. Le volcan prend effectivement assise sur le plancher océanique, par 2000 mètres de fond, et seul son sommet émerge des flots, pour culminer à 924 mètres de hauteur environ. Les 2/3 de la masse de l'édifice sont donc sous l'eau, ce qui explique d'ailleurs la vitesse à laquelle le fond dégringole en pente abrupte dès que l'on quitte le rivage. Cette configuration topographique explique en partie pourquoi l'île ne dispose pas d'un vrai port, et seuls de petits embarcadères permettent de venir temporairement s'y amarrer.

Depuis Catane, pour arriver à Stromboli, nous sommes partis en bus en direction de Milazzo, ville portuaire située à la pointe nord-ouest de la Sicile, et d'où s'élancent de nombreux bateaux vers les îles éoliennes. Le paysage urbain est occupé par une impressionnante raffinerie de pétrole, bien visible des quais. Pour plus de commodité, nous avons dormis dans un petit hôtel près du port, et tôt dans la matinée, à 08h00, nous avons pris place dans un aliscafi faisant la navette entre les principales îles des éoliennes. Le bateau a d'abord accosté à Vulcano, Lipari (qui donne son nom à l'archipel) et Salina au nord, avant d'obliquer en direction du nord-ouest pour desservir Panarea puis enfin Stromboli, l'île la plus septentrionale du groupe.

Au milieu du trajet, le vent a forci et la mer est devenue mauvaise. L'aliscafi a commencé à être ballotté par les flots, et c'est avec quelque inquiétude que je me suis enfoncé dans mon fauteuil, en suivant d'un air défait l'un des hommes d'équipage, en train de distribuer des sacs en papier à des passagers dont le visage avec soudain pris la blancheur de la pierre ponce. Le souvenir d'une petite campagne de sondage sismique, effectuée quand j'étais étudiant en géologie, m'est soudain revenu en mémoire. Le navire avait sitôt quitté Villefranche-sur-Mer que je m'étais senti mal à l'aise, et je n'ai pas touché à un seul instrument de tout le trajet, effondré sur ma couchette. Heureusement, la mer ne nous a pas beaucoup chahuté, mais cet épisode a eu le mérite de me rappeler que bien que paradisiaque, les îles éoliennes tirent leur nom du dieu Eole, qui peut parfois donner de la voix. Ainsi, il arrive parfois que les conditions en mer empêchent les aliscafi de naviguer (ou d'apponter), et si les conditions se dégradent, ce sont bientôt les ferry qui ne peuvent plus quitter les quais. L'accès à une île donnée n'est donc pas certain, et il est aussi parfois possible d'être coincé pendant quelques jours sur un îlot (ce qui est une chance ou une malchance, c'est selon !).

Après environ trois heures de trajet maritime, nous avons débarqué à Stromboli un peu en dessous de Scari, l'un des quartiers du village qui ceinture l'île. Nous avons ensuite gagné San Vincenzo pour manger une pizza (la chaleur et l'humidité de l'air m'ayant coupé l'appétit, je me rappelle surtout du tiramisu !), avant de gagner notre hôtel, situé entre les quartiers de Ficogrande et de Piscità. Là, je me suis écroulé dans mon lit, à cause de la fatigue accumulée depuis le départ de Paris (le vol n'ayant pas été de tout repos, avec un départ très tardif de l'avion). Le départ pour le maître des lieux était donné à 17h00.

Au cours du repas, le restaurateur est venu nous prévenir de la présence d'un nuage grisâtre au sommet du Stromboli. D'un bloc, tout le monde s'est levé et a commencer à mitrailler la montagne fumante. Pour ma part, j'étais enchanté, c'était la première fois que je voyais un panache de fumée s'échappant d'un volcan. Jusqu'à présent, j'avais surtout assisté à des manifestations hydrothermales, tels que des sources chaudes, des fumerolles, des geysers, en Islande, à la Réunion ou au Chili (El Tatio). J'étais très loin de m'imaginer à quoi j'allais bientôt assister.

A 17h00, comme convenu, nous avons quitté la fraîcheur de l'hôtel pour nous mettre en route dans les ruelles étroites et en pente du village de Stromboli. Nous sommes parti au sud-ouest vers Ficogrande, avant de commencer à grimper en direction du sud-est. Un agréable sentier de balcon nous a ensuite conduit, en un peu moins de deux heures, au bord de la "Sciara del Fuoco", un entonnoir naturel en forme de fer à cheval donnant sur la mer, et formé par l'effondrement d'un flanc du volcan, il y a environ 5000 ans. Nous étions alors à une altitude d'environ 250 mètres, et au-dessus de nous, à l'extrémité de la Sciara del Fuoco, se trouvaient les bouches actives du Stromboli. Le premier phénomène qui attire le regard, et qui témoigne d'une activité, est la présence d'une sorte de nuage de poussière, qui semble recouvrir la pente tel un brouillard grisâtre. Notre guide, Ugo, nous explique bientôt que les poussières en suspension dans l'air sont soulevées par les pierres qui ne cessent de dégringoler le long de ce toboggan naturel qu'est la Sciara del Fuoco. Pour l'instant, je ne vois aucun bloc en train de chuter, mais le nuage semble bien réel.

Il y eu soudain une sorte de grondement au sommet de la montagne, immédiatement suivi par l'apparition d'une petit nuage sale, sorte de bouffée de cendres comme sortie d'une lampe d'Aladin. Déstabilisée par le phénomène, des pierres se mettent en mouvement sur la grande pente, rebondissant sans cesse, en laissant un sillage de poussière derrière elles. Amusés, nous regardons les plus gros blocs parvenir en bas du toboggan. A pleine vitesse, les roches sont projetées dans l'air. Pendant une durée qui s'éternise, elles semblent comme flotter dans l'air, avant de frapper finalement l'eau, laissant à la surface des ondes concentriques, comme celles d'un jeu de ricochet. Je lève à nouveau les yeux vers le sommet de la pente. Décidément, quelque chose de spécial a lieu là haut ...


Chaque explosion est unique et il est impossible de s'en lasser ! Cliquez pour agrandir la photo

Je n'ai pas le souvenir du bruit, mais je revois très clairement le nuage. Une enveloppe de cendre, qui semble enfler dans l'air. Des fragments de roches noires, propulsées dans toutes les directions, comme si une poche de gaz venait de pulvériser une partie de la montagne. Et au milieu de ces matériaux en mouvement, du rouge. Une seconde plus tard, il a disparu, mais l'œil éblouit n'en revient pas. J'ai poussé malgré moi une exclamation. Le magma, la lave, le matériau incandescent, il était là, pendant une fraction de seconde, je l'ai vu, j'en suis sur.

Le problème, désormais, consiste à photographier la merveille. L'éruption est tellement rapide que l'on a à peine le temps de lever l'appareil, de viser et de mettre au point, qu'il ne reste plus que les pierres noircies et fumantes dévalant l'allée de feu. Une autre déflagration. Cette fois ci il s'agit carrément une flamme de magma qui semble percer l'un des cratères. Un jet puissant, sifflant, de lave jaune orangée s'épand dans l'air, projetant des fragments incandescents tout autour de lui. Chacune des éruptions semble plus puissante, plus impressionnante que la précédente, et fait immédiatement naître le désir d'en voir encore plus. L'esprit demande des chalumeaux encore plus rouges, plus vifs, plus hauts, plus bruyants. Les éruptions semblent s'enchaîner à un rythme assez rapide, peut-être une toutes les dix minutes. A force de patience, et grâce à la fonction de prise en rafale de mon appareil, je parviens, en jubilant, à immortaliser une des fontaines.

Le guide nous invite à prendre un peu plus de hauteur, et c'est sans aucune hésitation que je me remets en marche, en direction d'un promontoire situé à 390 mètres de hauteur. En temps normal, il est possible, sous la conduite d'un accompagnateur, de gagner le sommet du volcan, mais l'accès y est interdit depuis au moins une semaine, à cause de l'activité du volcan, qui ne cesse de forcir. Si l'accès au sommet est barré, je sais qu'en contrepartie, nous risquons d'avoir la chance d'assister à des explosions spectaculaires, ce qui atténue de beaucoup la déception de ne pas pouvoir fouler les hauteurs de l'île. Impatient de voir une autre expulsion de feu liquide, j'atteins la seconde plateforme. De nombreuses personnes sont déjà là, pour profiter du spectacle. Une équipe de télévision japonaise est aussi sur les lieux, le caméraman partageant ses prises de vue entre les feux de Bengale du volcan et les silhouettes des gens, regards visés vers le volcan, tenant à bout de bras appareils photos et caméscopes. Dans les rares moments de silence, il est possible d'entendre d'étranges chuintements et feulements. Les gens, cependant, chuchotent souvent, comme s'ils échangeaient avec fébrilité leur impression. Et lorsque le ciel s'emplit de rouge, une clameur s'élève depuis la petite plateforme, faite d'éblouissements et d'effarements typiquement humains.

Car le spectacle devient de plus en plus saisissant, grâce à un allié de taille : l'obscurité. Avec le coucher du soleil, absolument splendide dans les îles éoliennes, les soupiraux luisent littéralement dès la moindre activité. Le plus petit crachotement de lave devient observable. Au loin sur la surface liquide de la mer, des navires se sont approchés du volcan, leur feu vert de tribord brillant dans la nuit. Que ce soit des ferry, des voiliers ou de petites embarcations, à leur bord, il n'est pas difficile de devenir les visages levés vers le Stromboli, car tout le monde, sur mer comme sur terre, regarde désormais l'un des plus incroyables spectacles que la nature a à offrir.

La nuit est désormais totale, et seule la lune éclaire de sa lumière laiteuse les cratères sommitaux du Stromboli. Une détonation puissante retenti, et une bulle de magma explose avec colère. La collerette de matériau en fusion se déploie en montant très haut. Les fragments incandescents, lancés sur une trajectoire parabolique, semblent ne jamais devoir cesser de s'élever. Quand enfin ils cessent de lutter contre la gravité, les voici qui s'inclinent vers le bas le long de courbes élégantes, pour s'écraser par centaines sur les flancs du volcan, dont les contours, embrassés et fumants sortent soudain de l'obscurité, dévoilant le ventre rougi du monstre. Les fumées s'échappent de toute part, et viennent voiler la Lune, qui disparaît parfois presque totalement derrière les volutes toxiques. Inlassablement, avec une précision toute mécanique, le Stromboli va à nouveau dégueuler la lave rouge, et chacun espère en secret que la prochaine éruption sera encore plus belle que la précédente. Hypnotisé, l'esprit commence à produire d'étranges idées, comme celle de se rapprocher un peu plus de la fournaise (allons, l'amende si l'on se fait prendre au sommet n'est que de 500 euros !), ou d'encourager le volcan à bouillonner jusqu'à l'excès, quitte à ce que la totalité du sommet soit pulvérisé dans l'explosion !

Il est interdit de passer la nuit sur le volcan, et vers 21h00, nous redescendons vers l'hôtel, que nous atteignons une heure plus tard. Parfois, durant la descente, un grondement plus fort que les autres se fait entendre, et lorsque nous tournons la tête, c'est pour voir une pluie de feu monter de l'horizon, pour disparaître quelques instants plus tard. Cette nuit, c'est sûr, les rêves seront brûlants.


De manière rythmique, toutes les 15 minutes environ, le Stromboli crache des fragments de lave et des cendres. Ce type d'activité éruptive est qualifié à juste titre de strombolienne, et le Stromboli la partage avec de nombreux autres volcans actifs de notre planète. Cliquez pour agrandir la photo


Les blocs rejetés par le volcan, et dont la surface redevient très rapidement noire, cascadent avec furie le long du toboggan naturel de la Sciara del Fuoco. En arrivant à son extrémité, certains sont projetés en avant et, pendant une longue seconde, semblent comme figés dans l'air. Ils retombent enfin dans l'eau pour y disparaître dans un gros plouf ! tout à fait satisfaisant. Cliquez pour agrandir la photo


Le soleil se couche sur le Stromboli, et l'obscurité va bientôt mettre en lumière les feux du volcan d'une manière qui touche au magique. Le nuage de poussière laissé par les pierres chaudes qui dévalent la Sciara del Fuoco est visible à gauche. Cliquez pour agrandir la photo


Aucun pyrotechnicien, aucun feu d'artifice ne pourra jamais venir concurrencer la Nature. Dans un bruit de tonnerre, le Stromboli vient de rejeter une bulle de magma, aussitôt dilacérée par les gaz. Le feu liquide retombe en une pluie ardente sur les flancs du volcan, qui sortent alors de l'obscurité, comme drapés d'un manteau rouge fumant. Dans le ciel, mystifiée, la Lune admire le spectacle. Cliquez pour agrandir la photo


Panorama sur la mer Tyrrhénienne, lors de la montée vers le point d'observation de l'activité du Stromboli, au couchant. Au centre en bas, les bâtiments blancs de l'ancien observatoire, reconverti en restaurant.


Le cône parfait du Stromboli, vu depuis le sommet du neck volcanique du Strombollichio. Stromboli signifie "toupie" en grec. La base du volcan est soulignée par les habitations blanches du village de l'île.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Transfert depuis Catane : Début de la trace depuis Catane : 21:44:43. Fin de la trace à Milazzo : 00:04:55. Temps écoulé : 2h20. Longueur : 144 km. Vitesse moyenne : 62 km/h.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Transfert vers l'île du Stromboli : Début de la trace depuis Milazzo : 07:32:39. Fin de la trace à Stromboli (San Vincenzo) : 11:34:13. Temps écoulé : 4h02. Longueur : 111 km. Vitesse moyenne : 28 km/h.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Les éruptions du Stromboli. Début de la trace depuis San Vincenzo : 16:57:21. Fin de la trace à San Vincenzo : 21:59:14. Temps écoulé : 5h02. Longueur : 8,9 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Jour 2 (Lundi 5 septembre 2011) : Le soufre du Vulcano Beau temps (soleil)Ascension d'un volcan


Le neck du Strombolicchio (ancienne cheminée volcanique remplie par un bouchon de lave et mise à nu par l'érosion) vu depuis l'île du Stromboli. Cliquez pour agrandir la photo


Coucher de soleil depuis les hauteurs de Vulcano. Au loin, sur l'horizon, les cônes volcaniques des îles Filicudi et Alicudi. Cliquez pour agrandir la photo


Délicats sublimés laissés par les fumerolles du Vulcano. Cliquez pour agrandir la photo


La montée vers Vulcano est relativement facile, le volcan culminant à 391 mètres (406 mètres de dénivelé positif, 409 mètres en négatif).

Le lendemain, après la folle journée de la veille marquée par les feux nocturnes du Stromboli, nous avons embarqué dans un petit zodiac pour une heure et demie de navigation autour du volcan endormi. Notre premier objectif était le petit îlot volcanique du Strombolicchio, au nord. D'après notre guide, il est normalement interdit d'y accoster, mais nous avons cependant été invité à prendre pied sur le piton rocheux, qui sort des flots telle la dent noire cariée d'un géant. Sur le bord du Strombolicchio, l'eau est limpide comme du cristal, avec des reflets bleus céruléens tirant sur le vert, ce qui donne très rapidement l'envie de s'y plonger.

Depuis un petit embarcadère de fortune, une rampe métallique assez raide court le long de la falaise rocheuse et donne accès à une petite plateforme, située 43 mètres au-dessus des eaux. Cette dernière supporte un phare automatique, alimenté par des panneaux solaires, et dont la tour, peinte en blanc, se détache particulièrement bien de la masse rocheuse sombre qui la soutient. En haut, la vue sur l'île du Stromboli est spectaculaire, et la silhouette en forme de cône, typique des stratovolcans, se dessine particulièrement bien sur le fond azur.

Après avoir admiré le panorama, nous sommes repartis en direction de l'ouest, pour nous arrêter à environ 400 mètres, distance de sécurité, de la fameuse Sciara del Fuoco. C'est probablement de cet endroit que les petites embarcations que j'avais aperçus hier, feux de navigation allumés, avaient observé le spectacle magnifique des éruptions du Stromboli. Indifférent à l'activité des hommes, les bouches du Stromboli continuaient de fumer, et régulièrement, des blocs dévalaient les pentes en laissant derrière eux un sillage de cendres et de poussières. Une impressionnante coulée de lave noire, s'étalant sur la partie gauche de la Sciara del Fuoco, prouve que le Stromboli émet parfois des laves fluides.

Nous sommes ensuite repartis en direction de l'embarcadère, en longeant le rivage, ou les strates volcaniques ont rapidement fait place aux habitations blanches de Piscità. Notre zodiac a marqué un nouvel arrêt au-dessous du flanc ouest du volcan, ou cheminait l'ancien sentier conduisant au sommet. Des éruptions particulièrement violentes, avec projection de bombes, ont défiguré cette partie du volcan, en laissant des sinistres saignées dans la végétation, et rendant le chemin de randonnée dangereux et impraticable.

De retour sur l'île de Stromboli, nous avons flâné pendant une petite heure devant les terrasses et échoppes de souvenirs de l'île, avant d'embarquer à 11h00 sur un aliscafi qui nous a amené, après environ 1h45 de navigation, et deux escales à Panarea et Lipari, sur l'île de Vulcano.

L'île de Vulcano fait très forte impression sur le visiteur, qui, dès son arrivée sur le port du Levant, est assailli par des odeurs soufrées, et en particulier celle caractéristique de l'hydrogène sulfuré, qui sent l'œuf pourri. A proximité du port du Levant se trouve un bain de boue, dont l'eau grise nauséabonde attire de nombreuses personnes de part ses prétendues vertus thérapeutiques. Autour des routes et sentiers, les roches, dont la couleur varie du jaune sale à l'orange en passant par le blanc, semblent maladives, et se désagrègent facilement. Pas de doute, l'endroit est né sous le signe de Vulcain.

La star de l'île, c'est bien entendu le volcan lui-même, dont le cône surbaissé se dresse à l'horizon. Mais, tout comme le Stromboli, il ne dévoile ses atouts qu'au levant ou au couchant, comme s'il fallait que la lumière solaire disparaisse pour que les énergies des feux telluriques puissent s'exprimer pleinement. Pour l'heure, après un rapide déjeuner, je passe mon après midi à flotter paresseusement dans la piscine de notre résidence hôtelière, et à bouquiner allongé sur un transat, à l'ombre d'un parasol qu'il me faut souvent déplacer. Je n'ai habituellement pas une forte affinité avec les piscines (et d'une manière générale l'élément aquatique), mais la piscine en question a la particularité d'être à débordement. La vision qu'elle offre au regard, lorsque celui-ci se porte au loin, à quelque chose de fascinant. L'eau bleuté et limpide laisse place, comme par magie, à celle, plus agité et plus sombre, de la mer tyrrhénienne, sur laquelle se déplace continuellement kayaks, voiliers, hydrofoils et ferries. Au loin, l'œil rencontre le cône du volcan, dont le sommet est constellé de petits panaches blancs qui s'élèvent lentement dans le ciel azur, sous un soleil de plomb. Nul doute que certaines personnes, subjugués par l'endroit, aient décidé en leur fort intérieur qu'il s'agissait d'une incarnation du Paradis, et s'y soient installés. Et qu'importe si le Vulcano est l'un des volcans les plus dangereux de la planète ...

Vers 17h00 environ, nous sommes partis à pied vers ce volcan mythique, qui comme le Stromboli, est rentré dans l'histoire en donnant son nom à un type d'éruptions particulièrement violentes, les éruptions vulcaniennes. Depuis la résidence de Vulcano Blue, située sur le petit îlot de Vulcanello, nous avons pris la direction du sud, pour rejoindre le pied du volcan. De là, un sentier serpente le long du flanc de l'édifice, et permet de gagner le sommet. Le volcan culmine à 391 mètres, et le dénivelé n'est donc pas important. Le sentier, pour autant, n'est pas toujours facile, à cause du matériel cendreux noir (dont la granulométrie est proche de celle du sable) qui ceinture le bas du volcan, et qu'il faut traverser. Le sable rend la progression un peu fatigante, et chaque pas soulève de la poussière. Heureusement, à 200 mètres d'altitude, le sentier rejoint des dépôts de tufs orange, une roche friable constituée de cendres consolidées, et sur lesquelles la progression est bien plus facile. 50 mètres plus haut, le visiteur arrive au sommet, frappé par la beauté du cratère sommital de 500 mètres de diamètre du volcan. Lorsque l'on contemple cette superbe dépression, la première envie est d'y descendre. Malheureusement, le Vulcano est un volcan actif (le seul des îles éoliennes, avec le Stromboli), et il rejette une quantité très importante de gaz, sous la forme de fumerolles. Parmi ces gaz se trouve le dioxyde de carbone, qui, plus lourd que l'air, a tendance à s'accumuler près du sol, et d'une manière générale, dans toutes les zones basses. Le cratère peut donc s'être rempli de ce gaz inodore et invisible, et à moins d'être expérimenté et de posséder le matériel adéquat, il est recommandé de ne s'y aventurer sous aucun prétexte.

Vulcano offre de toute façon une attraction aux amateurs de sensations fortes (sans jeu de mot !) : les fumerolles. Les crêtes du volcan, et en particulier celle située au nord, relâchent en permanence dans l'air des panaches de vapeur blanchâtres, magnifiquement mis en valeur par la lumière du couchant. Les nombreux composés contenus dans les vapeurs se déposent sous la forme de dépôts près des évents, tapissant le sol de superbes revêtements cristallins. Le soufre offre ici un spectacle sans cesse renouvelé : lorsqu'il se présente en petites aiguilles (fleur de soufre), il est jaune clair. Si la température augmente, il devient jaune orangé, avant de virer au rouge cerise (200°C), et finalement au noir (250 °C). D'autres sublimés sont également présents, comme le chlorure d'ammonium (NH4Cl), ou l'acide borique, qui forme de grandes plaques blanches aux reflets nacrés.

Pour rejoindre le sommet du volcan, il est possible de suivre la lèvre nord, ce qui donne justement l'occasion d'admirer les évents fumerolliens et leurs sublimés de près. L'exercice peut cependant se compliquer selon les caprices du vent. Si ce dernier souffle continuellement dans une direction, il entraîne avec lui les colonnes de fumées, qui se courbent tels des roseaux, comme pour laisser le passage aux visiteurs. Eole peut cependant se montrer plus fantasque. Dans ce cas, les fumerolles ne cessent d'osciller au gré des bourrasques, et en une seconde, on se retrouve prisonnier d'un panache. Les gaz recrachés par le volcan sont irritants et suffocants, et provoquent très rapidement une toux, accompagnée d'une désagréable impression d'étouffement. Tel un épais brouillard, les fumées délétères masquent également le relief alentours, et en voulant chercher de l'air frais, il est tout à fait possible de mettre le pied sur un évent, et de se brûler sérieusement. Si la traversée des fumerolles est une activité amusante, et permet de réaliser de superbes clichés dans une ambiance de fin du monde, il faut l'aborder avec sérieux : garder son calme dès que l'on est pris dans un panache, ne pas hésitez à suspendre sa respiration pendant quelques secondes, et se forcer à regarder ou l'on met les pieds, en résistant à la tentation de courir dans n'importe quelle direction. Bien entendu, il est également possible de s'équiper avec un masque anti-gaz, qui permet non seulement d'éviter les quintes de toux, mais qui offre de plus la possibilité de faire des photos étonnantes !

Après m'être fait quelques frayeurs lors de la traversée des fumerolles, et avoir avalé mon quota de gaz volcaniques, j'atteins enfin le sommet du volcan. La vue sur le cratère en contrebas est magnifique, et Vulcano se dévoile dans toute sa splendeur. Pour profiter du panorama, je marche lentement sur le petit sentier qui fait le tour du cratère, et qui finit par rejoindre le chemin redescendant vers les zones habitées. Le soleil a disparu, avalé par la mer étale, mais le ciel s'est embrassé. Une barre orangée ceint l'horizon, tandis que les cieux virent au pourpre. Sous mes pieds, les terres ont disparu dans l'obscurité, et l'on ne distingue plus que les contours de l'île, avec ça et là les innombrables lucioles des éclairages. Au loin, par delà les brumes de la nuit, les cônes volcaniques de Filicudi et Alicudi sortent des eaux, îlots de mystère comme sortis d'un rêve. Je me précipite sur mon appareil photo, mais j'ai à peine le temps de compléter les réglages adaptés aux basses lumières que l'instant est déjà passé. La nuit est définitivement tombée sur Vulcano, et je sors ma frontale avant de m'engager sur le petit sentier, laissant derrière moi la gueule béante du cratère.


Le cône surbaissé, tout en arrondis, du Vulcano. Les langues de cendres noires qui ceinturent le bas de la pente laissent la place, plus haut, à des tufs orangés striés de barrancos (ravines creusées par la pluie). Tout comme le Stromboli, le Vulcano a donné son nom à un type d'éruptions (les éruptions vulcaniennes), qui se caractérisent par une grande violence, et l'émission de produits typiques des volcans gris : nuage de cendres en forme de pin parasol, scories, bombes en "croûte de pain". Cliquez pour agrandir la photo


Le cratère parfaitement circulaire du Vulcano fait penser à un chaudron du diable. Ses flancs fument continuellement, relâchant vapeur d'eau, dioxyde de carbone et gaz soufrés. Le CO2, plus lourd que l'air, a tendance à s'accumuler au fond du cratère, et il est donc fortement recommandé de ne pas y descendre, malgré l'attrait qu'il exerce sur l'esprit. Le cratère mesure 500 mètres de diamètre, et son fond, plat, 200 mètres de diamètre. Cliquez pour agrandir la photo


Les lumières du couchant révèlent toute la beauté évanescente des fumerolles du Vulcano. Il ne faut pourtant pas s'y tromper : les rideaux de vapeurs sont suffocants, et mieux ne vaut pas y demeurer trop longtemps. Selon les caprices du vent, les émanations plient comme des roseaux le long de la pente, ou au contraire se referment sur le pauvre voyageur, qui, toussant et pleurant, cherche alors à fuir désespérément vers l'air pur. Cliquez pour agrandir la photo


Le soleil s'est couché sur l'île du Stromboli, et le visiteur, hypnotisé par la vision paradisiaque des îles éoliennes, a bien du mal à trouver le courage de redescendre. Au premier plan les lumières du port du levant, et l'îlot de Vulcanello. A l'arrière plan, de droite à gauche, les îles de Panarea (au loin), Lipari (au centre), et Salina (à gauche). Cliquez pour agrandir la photo


Panorama du cratère sommital du Vulcano : la dépression circulaire mesure 500 mètres de diamètre. Les panaches de vapeurs empoisonnées des fumerolles montent des flancs du volcan, constitués de dépôts stratifiés aux couleurs vives (particulièrement bien visibles en haut à droite). La traînée jaune vif à gauche indique la présence de soufre, très abondant dans ce secteur.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Visite du Stromboliccio : Début de la trace depuis San Vincenzo (Stromboli) : 08:51:46. Fin de la trace à San Vincenzo (Stromboli) : 10:18:03. Temps écoulé : 1h26. Longueur : 13,9 km. Vitesse moyenne : 10 km/h.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Transfert vers l'île de Vulcano : Début de la trace depuis l'île du Stromboli : 11:07:38. Fin de la trace à Vulcano : 12:49:29. Temps écoulé : 1h42. Longueur : 53,9 km. Vitesse moyenne : 32 km/h.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Le cratère du Vulcano. Début de la trace depuis Vulcano Blue : 16:43:16. Fin de la trace à Vulcano : 20:24:59. Temps écoulé : 3h42. Longueur : 8,5 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Jour 3 (mardi 6 septembre 2011) : Les jumeaux de Salina Beau temps (soleil)


Un peu moins de mille mètres de dénivelé pour rejoindre le point culminant des îles Eoliennes, un stratovolcan au profil parfait (+975 mètres, - 944 mètres), le
Fossa del Felci.

Il est 9 heures du matin lorsque nous quittons l'île de Vulcano, et la journée s'annonce déjà très chaude. Après un bref arrêt à Lipari, le bateau fait route vers Salina, ou nous allons passer la journée. L'embarcation accoste du côté est de l'île, à Santa Marina. Notre guide s'échappe bien vite pour faire quelques courses dans une épicerie locale, et à 10h00, nous traversons les ruelles éclatantes de blancheur du village, pour rejoindre un sentier de randonnée conduisant au sommet du Fossa del Felci, qui, à une altitude de 962 mètres, domine les îles Eoliennes.

Dans l'antiquité, l'île de Salina s'appelait Didyme, ce qui signifie "les jumeaux". Le Fossa del Felci n'est effectivement pas le seul volcan de l'île. Un autre stratovolcan tout proche, seulement séparé du premier par un col, et lui ressemblant comme deux gouttes d'eau, s'élève également vers le ciel : Le Monte dei Porri, qui culmine à 860 mètres. Si les jumeaux offrent toujours un spectacle splendide aux voyageurs de passage, le nom de l'île fait aujourd'hui plutôt référence aux plantes halophiles (aimant le sel) qui poussent à certains endroits.

Le sentier monte le long d'une pente régulière, ou alterne de larges trouées exposant le randonneur à l'implacable chaleur du soleil, et zones boisées à l'ombre délicieusement accueillante. Nous nous élevons rapidement en direction de l'ouest, avant de rencontrer une route forestière qui conduit au sommet. Vers 13h30, sur le bord du grand cratère sommital, nous nous arrêtons pour déjeuner. Notre guide sort de son sac les victuailles achetées à Santa Marina, et voici bientôt étalées sur une table en bois des choses bien appétissantes, et très locales : miches de pains, charcuteries, tomates séchées trempant dans l'huile, raisins, fruits et gâteaux secs, sans oublier du fromage pour les amateurs, ainsi que les fameuses câpres, qui font la fierté de l'île et qui sont exportées dans le monde entier.

Après ce pique nique haut en couleur et en saveurs, nous nous remettons en route et gagnons rapidement le sommet du mont Fosa del Felci. Le panorama est à la hauteur de l'attente, et depuis ce point de vue privilégié, le regard embrasse l'immensité bleutée de la mer tyrrhénienne, d'ou surgissent les îles Alicudi et Filicudi. Vers le sud apparaît l'île de Lipari toute proche, aisément reconnaissable par ses falaises de ponce blanches. Derrière elle se trouve l'île de Vulcano, dont la silhouette tout en rondeurs est marquée par le magnifique cratère de la Fossa, à la symétrie parfaite.

Depuis le sommet, nous nous sommes remis en route le long d'un sentier facile qui ceinture le cratère sommital. D'un diamètre de 500 mètres environ, ce dernier est entièrement recouvert par une forêt de pins. Après avoir effectué presque les 3/4 de la boucle, nous avons commencé la descente, pratiquement à l'opposé de l'endroit ou nous étions arrivés, en direction du village de Leni, puis du port de Rinela, que nous avons atteint à 17h00. Notre bateau pour Vulcano n'appareillant qu'à 18h45, nous nous sommes installés à une petite terrasse qui donnait sur la jetée. Un granité citron, accompagné d'un granité coca, ne furent pas de trop pour me désaltérer après cette chaude journée. Accoudé à un petit muret, j'ai laissé mon regard courir sur les eaux bleues, jusqu'aux contreforts de l'île, puis, plus loin, vers les silhouettes surbaissées de Lipari et de Vulcano. Dans le ciel limpide, le demi croissant de lune était déjà visible.


Montée vers le
Fossa del Felci, point culminant des îles Eoliennes, sur l'île de Salina. Au loin, les îles Panarea et Stromboli. Cliquez pour agrandir la photo


Vue sur les falaises striées de blanc de Lipari, depuis le sommet du
Fossa del Felci. L'île de Lipari est célèbre pour ses gisements de pierre ponce. Cliquez pour agrandir la photo


Le frère jumeau du Fossa del Felci, le
Monte dei Porri, à la silhouette très esthétique. Les deux stratovolcans sont séparés par le col de Valdechiesa. Cliquez pour agrandir la photo


Le village de Leni sur l'île de Salina. A droite, on distingue l'île de Filicudi, et, juste derrière à l'horizon, l'îlot d'Alicudi. Cliquez pour agrandir la photo


D'un diamètre de 500 mètres, le cratère sommital du Fossa del Felci est presque entièrement recouvert par une forêt de pins, Salina ayant la réputation d'être une île verte. L'endroit offre une vue splendide sur les îles éoliennes.


Panorama sur les îles éoliennes, depuis le sommet de Salina. Au premier plan, le quartier de Lingua. L'île de Lipari, puis l'île de Vulcano sont bien visibles au second plan.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Journée à Salina : Début de la trace depuis Vulcano : 07:25:46. Fin de la trace à Vulcano : 19:56:46. Temps écoulé : 12h31. Longueur : 72,7 km. Vitesse moyenne : 6 km/h.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Randonnée sur Salina : Début de la trace depuis Salina (Santa Marina) : 09:48:07. Fin de la trace à Salina (Rinela) : 17:07:57. Temps écoulé : 7h20. Longueur : 11,4 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Jour 4 (mercredi 7 septembre 2011) : Des fumerolles sous-marines de Vulcano aux pentes de l'Etna Beau temps (soleil)


Balade en kayak autour de Vulcano. En début de journée, le coup de rame est encore vigoureux, mais qu'une chose soit claire, loin de moi l'idée de concurrencer les ferries de la Siremar ! Cliquez pour agrandir la photo

L'île de Vulcano porte bien son nom : c'est un véritable petit paradis pour qui est passionné de volcanologie. L'air y est délicieusement soufré, le cratère de la Fossa est une merveille en termes de lignes et de couleurs, et le visiteur peut s'adonner à toutes sortes d'activités qui lui donneront de petits frissons, depuis l'immersion dans un bain de boue chaude jusqu'à la visite de la vallée des Monstres, où des formations laviques dessinent des silhouettes étranges et inquiétantes. La matinée étant libre, j'aurais pu opter pour l'une ou l'autre, mais la mention par notre guide de la présence de fumerolles sous-marines a retenu bien vite mon attention. Hélas, le moyen le plus aisé d'aller voir ces bouillonnements marins passait par la montée dans un ... kayak, que pour de multiples raisons je ne peux voir en peinture. Malgré tout, me voila à 9h00 sur une petite jetée de Vulcanello, en train de suivre un cours accéléré sur les mouvements de pagaie à donner pour faire avancer l'embarcation. J'en ai déjà mal aux bras. Une fois le gilet de sauvetage enfilé, je m'installe tant bien que mal dans cette coque de plastique dont la stabilité ne m'a jamais inspiré confiance. La mer est étonnamment calme, et j'avoue avoir secrètement compté sur une mauvaise météo pour m'éviter cette épreuve. Mais quand il faut y aller ...

Je n'aurai pas à attendre bien longtemps pour être récompensé, puisque nous allons marquer notre premier arrêt, à proximité du Port du Levant, au niveau des fameuses fumerolles. Contrairement aux fumerolles classiques, aériennes, comme celles que nous avons pu admirer autour du cratère de la Fossa il y a deux jours, les volutes de gaz émanant des profondeurs de l'île sortent ici sous les eaux salées, en provoquant un bouillonnement intense et en apportant un supplément de chaleur. On ne peut s'empêcher d'y mettre les mains, et l'envie est grande de se plonger dans ce jacuzzi naturel.

Après une pause photo réalisée par Eugenio, notre moniteur de kayak (avec un appareil étanche, cela va de soi), nous nous remettons à ramer pour dépasser le ponton du Port du Levant, et suivre la côte de l'île, que nous allons remonter d'un point de vue temporel. Le circuit prévu permet effectivement d'aborder différentes unités géologiques bien individualisées, des plus récentes aux plus anciennes. Nous sommes parti de la presqu'île de Vulcanello, qui, au moment de sa formation (datée entre 183 et 126 avant J.-C.) était isolée de l'île principale par un bras de mer, avant qu'une éruption récente (16e siècle) ne construise un isthme de cendres. La seconde formation n'est autre que le cratère de Fossa. Vient ensuite le complexe de Lentia, situé au nord-ouest de l'île, et datant de 15 500 ans environ. Enfin, la plus ancienne structure volcanique de l'île, la caldeira de Piano, est âgée de 120 000 ans.

Le long de la côte de l'île, l'éternel combat entre la mer et la terre a façonné de petites grottes, dans lesquelles il est facile de se faufiler en kayak, la seule précaution à prendre étant de se munir d'un casque, de manière à éviter de se cogner la tête contre les parois volcaniques suite à un remous soudain. Peu après avoir laissé derrière nous la limite géologique entre le complexe de Fossa et l'ancienne caldeira Piano, et dépassé une petite avancée rocheuse, nous faisons halte sur une petite plage de galets. J'avale quelques raisins et je repose un peu mes bras, mais au moment de remonter dans le kayak, la fatigue revient aussitôt. Eugenio, qui avait sans doute prévu de pagayer jusqu'à la pointe de l'île tout au sud, décide alors de faire demi-tour. Le vent s'est levé, et la mer est plus agitée. Chaque coup de rame demande plus d'effort. Mes bras ont de moins en moins de force, et le Port du Levant semble ne pas devoir se rapprocher. Au dernier moment, alors que nous allons mettre le cap droit vers Vulcanello, le moniteur nous propose de visiter un dernier lieu, qui, apparemment, vaut le détour. La jeune femme italienne qui pagaie avec moi (ou qui pagaie seule quand je n'en peux plus !) semble d'accord, et, pressentant une dernière découverte volcanique, malgré mes bras en feu, j'accepte à mon tour. Peu après, nous accostons à proximité d'une vaste trouée sur le flanc de l'île. Il s'agit d'une grotte à moitié inondée, dont les murs sont revêtus d'un drôle d'enduit brun orangé, typique de celui que l'on peut apercevoir au niveau de sources chaudes. L'eau, effectivement, ne cesse de se réchauffer lorsque l'on s'enfonce sous la voûte. C'est une grotte thermale, la seule de l'île, et après deux heures de kayak, c'est un pur ravissement de flotter dans cette eau brûlante et bourbeuse. Abrité des regards, isolé de la foule qui s'amasse à 500 mètres de là, j'aurai pu rester là longtemps. Il faut cependant repartir, et après 10 minutes d'efforts supplémentaires, c'est avec plaisir que j'abandonne définitivement le kayak sur la grève de la presqu'île de Vulcanello.

Le déjeuner avalé, il est temps de se mettre en route en direction du port. Nous quittons les îles éoliennes à bord d'un imposant ferry (le plus gros jamais emprunté depuis notre court séjour), pour regagner la ville sicilienne de Milazzo. De là, un bus nous a remonté vers Messine, avant de descendre au sud vers le seigneur des lieux, l'Etna. Nous voici bientôt sur la petite route en lacet de Mareneve qui chemine à travers une magnifique forêt ombragée de résineux. L'air est de plus en plus frais, et après la chaleur étouffante des îles éoliennes, cette fraîcheur est un vrai délice. Le bus s'arrête finalement à côté d'un petit refuge en bois, typiquement montagnard. L'endroit semble désert. Nous sommes sur le versant nord du volcan, et notre guide nous apprend que suite à des coulées de lave ayant détruits en 2002 une station de ski toute proche (Piano Provenzana), cette région s'est peu à peu vidée, tandis que l'activité touristique continue d'être intense au niveau du sud. Masqué par le couvert forestier, l'Etna est invisible. Si l'on m'avait indiqué quelle serait ma première vision du volcan le lendemain, je pense que je ne l'aurais pas cru ...


Le bouillonnement furieux d'une fumerolle sous-marine, qui constitue la seule et unique raison de ma présence dans cette embarcation frêle et au combien instable qu'est le kayak ! En arrière plan, le cratère Fossa. Cliquez pour agrandir la photo


Au travers du hublot de l'avion, mon iPhone a saisi l'imposante masse de l'Etna. Le décollage (ou l'atterrissage) à Catane offre également une vue superbe sur les îles éoliennes, très souvent survolées par l'appareil.


Les volcans ont pour eux cette dualité étonnante : dans leurs manifestations, ils combinent création et destruction. Cette coulée de lave noire de l'Etna a impitoyablement dévasté les fragiles habitats humains, ne laissant que ruine et désolation derrière elle. Cliquez pour agrandir la photo


Cet endroit, très couru par les randonneurs, s'appelait le village magique, probablement en raison de sa proximité avec les paysages somptueux de l'Etna. Désormais déserté, il ne reste aujourd'hui que des bâtisses sinistres d'un village fantôme, entre aperçu à travers les troncs noirs de la forêt.Cliquez pour agrandir la photo

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Autour de Vulcano en kayak : Début de la trace depuis Vulcano : 09:52:57. Fin de la trace à Vulcano : 12:31:10. Temps écoulé : 2h38. Longueur : 9,1 km. Vitesse moyenne : 3 km/h.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Vers l'Etna : Début de la trace depuis Milazzo : 17:12:55. Fin de la trace sur l'Etna : 19:48:55. Temps écoulé : 2h36. Longueur : 119 km. Vitesse moyenne : 46 km/h.

Jour 5 (jeudi 8 septembre 2011) : L'Eruption Beau temps (soleil)Ascension d'un volcan


Le dôme blanc de l'observatoire de l'Etna, qui fait penser à une sorte d'avant poste extraterrestre. Cliquez pour agrandir la photo


La plus grande partie de la montée à l'Etna s'est déroulée en bus (+1008 mètres). Malgré 796 mètres de dénivelé positif, la partie parcourue à pied a d'abord été avant tout une grande descente (-1736 mètres).

Il était 8 heures du matin lorsque nous avons quitté le chalet, et nous nous sommes rapidement enfoncé dans le sous bois. Les résineux, très serrés, masquaient toute vue sur l'Etna. Des bâtiments abandonnés sont rapidement apparus sur la gauche du petit sentier. Pendant des années, ils avaient servi de refuge à des randonneurs ou des amoureux de la Nature, mais depuis la destruction de la station de ski de Piano Provenzana, en 2002, l'activité humaine a fortement ralenti sur le flanc nord du volcan, et les habitations sont désormais désertes et ouvertes aux vents. Premier aperçu des capacités de destruction de l'Etna, avant la découverte des ravages causés par les coulées de 2001 et 2002, plus en hauteur.

Notre programme va cependant être rapidement chamboulé quant, vers 8h30, notre guide Ugo reçoit un appel sur son téléphone cellulaire. L'Etna vient de rentrer en éruption. Un frisson me parcourt l'échine. Ugo décide rapidement de remettre à demain le programme de la journée, et de monter le plus rapidement possible vers le sommet. Comme de nombreux volcans, l'Etna, qui est l'un des volcans les plus actifs du monde, alterne des phases de repos et d'activité. Au 20e siècle, il est rentré 80 fois en éruption. Et toutes les 10 années en moyenne, il atteint une phase paroxysmique. Or la dernière a justement eu lieu en 2001 et 2002, et depuis une année environ, l'accès au sommet est interdit, le volcan donnant de plus en plus de voix. Alors que les reliefs alentours sont toujours masqués par les troncs et le feuillage de la forêt, nous commençons à entendre d'impressionnantes déflagrations.

Ne pouvant que difficilement contenir mon excitation, trépignant d'impatience, je presse le pas. Les détonations continuent, comme autant de coups de canon. Ugo m'indique que nous allons bientôt déboucher sur la station, dans une zone ouverte, offrant une vue parfaitement dégagée sur le volcan. Le groupe souhaite faire une pause, et, légèrement agacé, me voila en train d'attendre par politesse. J'avoue avoir un peu de mal à comprendre comment les gens peuvent continuer à agir comme si de rien n'était face à la perspective d'assister à l'une des plus étonnantes manifestations de la Nature. A travers les arbres, il est désormais possible de voir une immense colonne blanche, moutonnée et puissante, bien trop verticale pour n'être qu'un nuage. Le groupe a à peine amorcé son départ que je me précipite sur le sentier, vers la trouée.

Le spectacle qui s'offre alors à moi est tout à la fois fascinant et terrifiant. A mes pieds s'étale une zone bétonnée, un parking désert sur lequel repose une citerne grise. De l'autre côté de la route, des engins de terrassement, inoccupés, sont garés devant des tas de gravas et des habitations en construction. Plus loin, la lisière d'une forêt laisse place à des pelouses rases, qui s'effacent à leur tour devant les terres volcaniques noires, ravinées par la pluie. Des cônes volcaniques sont visibles par endroit. Et l'Etna est là, droit devant. Sa silhouette est typique des volcans boucliers, édifices généralement immenses aux pentes surbaissés. De son sommet s'échappe un pilier cendreux, alimenté sans cesse à sa base par des volutes en choux fleur. La composition du panache a clairement changé depuis le début de l'éruption : le volcan a d'abord craché des vapeurs blanches, très riches en vapeur d'eau, qui s'éloignent maintenant, emportées par les vents. Les matériaux cendreux ont ensuite fait leur apparition, et très délicatement, ont commencé à salir les gaz. Depuis les hauteurs ou elle a été propulsée, la cendre retombe sous la forme de rideaux fantomatiques qui prennent naissance sous le panache. Quant à la base de la colonne, elle est désormais d'un gris très sombre. Observée au téléobjectif, elle semble pratiquement sur le point d'engloutir les bâtiments blancs de l'observatoire, petits points blancs visibles sur la crête sommitale du volcan. A ce moment, le volcan est dans la phase paroxysmique.

De nombreuses personnes patientent déjà à la station de ski, et une certaine fébrilité règne. Intuitivement, il me semble que l'éruption à laquelle nous assistons va être brève, et qu'elle ne va sans doute durer que quelques heures (elle durera en fait deux heures). Plus vite nous serons au sommet, plus vite nous aurons la chance d'assister à des phénomènes encore plus spectaculaires, et qui sait, peut être des fontaines de lave ?

Les gérants de l'endroit ne semblent guère pressés de faire monter les gents dans les drôles de bus tout-terrain qui attendent sur un parking, ou qui redescendent vide du sommet. Même notre guide commence à montrer des signes d'énervement devant la lenteur un peu trop évidente pour n'être pas volontaire avec laquelle les chauffeurs se manifestent. Finalement, à 10h30, les véhicules s'ébrouent. Ils vont mettre une demi heure pour franchir les mille mètres de dénivelés qui séparent la station de ski, à 1800 mètres d'altitude, de l'observatoire du Groupe National de Volcanologie, situé à une hauteur d'environ 2800 mètres. Durant la montée sur une piste difficile, il est évident que l'éruption perd en intensité, et en arrivant au sommet, la déception est grande, celle-ci est terminée. Je ne verrais pas les fontaines de lave rouge. J'ai beau me dire que j'ai déjà eu beaucoup de chance de pouvoir assister à une véritable éruption volcanique (ce que m'indiquera d'ailleurs le guide d'un autre groupe), l'amertume restera forte pendant toute la montée vers le point d'observation à 3000 mètres, avant que les paysages splendides ne finissent par m'apaiser.

Depuis l'observatoire, nous partons pour une courte mais agréable marche sur le flanc nord du volcan, par delà des terres noires et scoriacées, pour atteindre un point d'observation 200 mètres plus haut. Depuis ce promontoire privilégié sur le sommet, nous nous installons pour pique-niquer. Je ne peux m'empêcher de jeter en permanence des coups d'œil vers le cratère du sud-est (l'Etna en compte quatre à son sommet), siège de l'éruption de ce 8 septembre 2011. Le site Internet du groupe de recherche en volcanologie de l'Université de Catane indique que cette éruption, la treizième depuis le début de l'année, a débutée à 8h30 par des explosions stromboliennes, accompagnées par des émissions de lave rhéomorphiques qui se sont épanchées dans la vallée del Bove. Le paroxysme de l'éruption, caractérisée par des fontaines de lave (j'en étais sur !), a été atteint à 9h30 (nous étions alors toujours dans les sous-bois, à environ un kilomètre de la station de ski), et a duré 45 minutes (soit jusqu'à 10h15). L'activité a alors progressivement diminué, pour prendre fin vers 10h30, soit le moment ou nous avons quitté la station de ski à bord des bus tout-terrain. (Petite) fierté d'avoir assisté à une éruption officiellement documentée par les volcanologues !

Le cratère du sud-est offre une vision dantesque. Ses lèvres fument comme s'il venait d'être éteint par des lances à incendie géantes, et l'ensemble évoque un champ de bataille. De temps à autre, une petite déflagration se fait entendre, et un nuage sale et menaçant s'échappe de la bouche, laissant espérer à chaque fois une reprise de l'activité. L'éruption a provoqué des effondrements à l'intérieur du cratère, et a donné naissance à une étrange aiguille de lave, que nous ne verrons pas, mais qui est visible sur de nombreuses photos prises par les vulcanologues. Après la fin de l'activité éruptive, la lave continuera de s'écouler jusqu'au début de l'après midi, à un rythme très lent (environ un mètre par heure). L'envie est bien entendu grande de s'approcher de la bouche éruptive pour aller voir se qui s'y cache, mais les règles de sécurité les plus élémentaires s'y opposeront.

Un peu après 13h00, nous nous remettons en route pour entamer une longue descente (un peu plus de 1700 mètres de dénivelé négatif). Jusqu'à l'observatoire, le terrain scoriacé est assez stable, mais une fois ce dernier dépassé, nous évoluons sur une pente de plus en plus sableuse, et il n'y a plus qu'à se laisser glisser, en contrôlant son évolution avec les bâtons de marche. En descendant sur ces champs noirs de lapillis, chaque randonneur laisse derrière lui une traînée cendreuse, et il faut prendre soin de garder ses distances, ou sinon gare au débarbouillage forcé à l'arrivée, les visages étant couvert d'une suie minérale certes facile à enlever, mais néanmoins repoussante ! Notre guide attirera notre attention sur un autre phénomène étonnant : sous les scories et les cendres, il n'est pas rare de trouver des névés, poches de neige dont l'éclat et la blancheur immaculé offre un contraste saisissant avec les laves noires ! Les matériaux volcaniques sont effectivement d'excellents isolants thermiques, et la neige est très abondante sur l'Etna, qui culmine à 3330 mètres d'altitude.

Plus nous descendions, et plus l'importance des dégâts causés par les coulées de 2001 et 2002 sur la végétation et les habitations devient évidente. Saignée brutale dans le couvert forestier, arbres blanchis par la chaleur, troncs desséchées et sans vie, gisant pelle mêle sur le sol ou resté debout par un ironique caprice du destin, toit d'une maison écrasé et enseveli par un flot visqueux et obscène de lave noire, images d'une destruction aveugle et toute-puissante. Sur le chantier de construction aperçu en début de journée, les ouvriers se sont sans doute remis au travail. Je me plais à penser qu'ils ont admiré le panache éruptif tout proche, avant de remonter dans les pelleteuses et bulldozers, bien plus conscients que d'autres sans doute du caractère oh combien dérisoire des activités humaines.


D'abord constitué de vapeurs blanches riches en eau, le panache craché par l'Etna a ensuite changé de composition. Notez les retombées cendreuses en rideau visibles au centre de l'image. Cliquez pour agrandir la photo


Une colonne cendreuse en choux fleurs monte avec férocité du sommet de l'Etna, et semble très proche d'avaler le bâtiment de l'observatoire, visible en bas à droite sur la crête. C'est la première fois que j'assiste à un tel phénomène, et c'est tout à la fois fascinant et terrifiant. Cliquez pour agrandir la photo


Malgré les efforts de notre guide pour parvenir au sommet le plus rapidement, l'éruption a pris fin au niveau du cratère n°2. Ne reste qu'une bouche volcanique aux tons sinistres, encore pleine d'une énergie contenue, qui fume comme si l'incendie venait à peine d'être éteint par des trombes d'eau. Au centre en bas, on distingue la ravine par laquelle la lave rouge s'est écoulée. Cliquez pour agrandir la photo


Les hautes terres volcaniques de l'Etna. A proximité du sommet du volcan, l'ambiance est similaire à celle du Piton de la Fournaise, sur l'île de la Réunion : le sol noir, composé de scories et de blocs de lave, semble conduire droit vers l'immensité du ciel. Cliquez pour agrandir la photo


Ambiance Pic de Dante au pied de l'Etna. Le sommet du volcan est percé par une affreuse (mais terriblement belle) colonne de gaz et de matériaux noirâtres, tandis que les premières émissions blanches, emportées par les vents, se confondent déjà avec les nuages. De vastes retombées de cendres saupoudrent le flanc gauche du volcan. A droite, des hommes reconstruisent des habitations détruites par une précédente coulée de lave. Sous les déflagrations de l'Etna, qui tonnent dans l'air comme autant de coups de canon, leur activité semble autant dérisoire qu'héroïque, et illustre l'éternel combat que l'homme livre depuis toujours contre les forces implacables de la Nature (éruption du 8 septembre 2011).

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : L'Etna : Début de la trace depuis le refuge : 08:05:36. Fin de la trace au refuge : 17:18:43. Temps écoulé : 9h37. Longueur : 29,1 km. Vitesse moyenne : 3 km/h.

Jour 6 (vendredi 9 septembre 2011) : A l'intérieur du volcan Beau temps (soleil)


Jeux de lumière à l'intérieur d'un tunnel de lave. L'ouverture est due à un effondrement du toit du tunnel. Cliquez pour agrandir la photo


Ce "faux" tunnel de lave (il en existe effectivement des petits) exposé sur la section d'une coulée de lave est du à un phénomène étonnant : il a été laissé par le tronc d'un arbre, couché par la coulée puis consumé par le matériau en fusion Cliquez pour agrandir la photo

Dénivelée de la journée : 672 mètres en positif et 282 mètres de descente.

Après la journée de la veille et le réveil du volcan, il semblait difficile de faire mieux. Pourtant, notre dernière journée en Sicile, sur les pentes de l'Etna, allait nous permettre de découvrir un phénomène qui compte selon moi parmi les plus étonnants, sans doute parce qu'il permet de s'aventurer à l'intérieur même de la montagne volcanique : un tunnel de lave.

Depuis le chalet, nous sommes partis de bon matin (7h00) en direction du nord, en suivant un agréable sentier en sous bois, qui a fini par déboucher après environ 45 minutes de marche sur une imposante coulée de lave à gros blocs, au sein de laquelle un chemin a été tracé, sans doute à l'aide d'un engin d'excavation. Les coulées de lave ont découpé de nombreux îlots de végétation, et défriché presque complètement de nombreux secteurs. Par endroit, la végétation tente de reprendre ses droits, mais la carapace lavique assomme et désertifie le paysage de sa lourde masse. Le ciel est dégagé, et par delà les contreforts rocheux, il est possible d'apercevoir le détroit de Messine, noyé dans la brume, puis plus loin encore, l'extrémité de la botte de l'Italie.

A 9h45, nous atteignons l'une des entrées de la grotte des Framboises, un splendide tunnel de lave, le premier que j'ai l'occasion de visiter. Les tunnels de lave se forment fréquemment au niveau des volcans rouge, c'est à dire des volcans effusifs, dont le dynamisme se caractérise par l'émission de coulées de lave fluide. Un tunnel de lave prend naissance lorsque la partie superficielle d'une coulée se refroidit, en formant une croûte solide. Sous ce toit naturel, la lave chaude va continuer à s'écouler librement, protégée par la voûte volcanique. La lave solidifiée étant un excellent isolant thermique, à l'intérieur du tunnel, les déperditions calorifiques sont minimes. Ainsi, la lave peut rentrer dans un tunnel de lave avec une température donnée, et ressortir plusieurs kilomètres en aval, en ayant perdu à peine une vingtaine de degrés.

Le débit du flot rouge dans le tunnel peut fluctuer au cours du temps, et les variations du niveau de la lave laissent souvent des traces sur les parois du tunnel, témoignages qui prennent la forme de traînées, de banquettes ou même de plancher suspendus. La voûte du tunnel est souvent constellé de petites stalactites de refusion, qui sont dues à une refonte de la lave solidifiée du toit sous la chaleur dégagée par la coulée. Certaines sections du plafond rocheux peuvent s'effondrer, ce qui augmenter le tirage, et donc la température à l'intérieur du tunnel, d'ou des stalactites plus grandes autour des ouvertures qui percent la voûte rocheuse.

Le tunnel de la grotte des Framboises est suffisamment important pour que l'on puisse s'y aventurer. Le contraire aurait été décevant, car c'est là l'aspect le plus fascinant des tunnels de lave. Simplement muni d'une lampe frontale (et éventuellement d'un casque), ils offrent la possibilité d'approcher un tout petit peu du frisson du spéléologue, lorsque celui-ci, par l'intermédiaire d'un étroit boyau, s'enfonce dans les profondeurs de la Terre. Ici, tout se passe comme si la Nature avait aménagé un passage vers les entrailles du volcan et son secret ultime, à la portée de l'aventurier capable de déjouer les pièges de ce labyrinthe rocheux. Car on peut facilement imaginer se perdre dans un pareil lieu : si l'on excepte les zones ou la lumière parvient à éclairer l'intérieur du tunnel, par le biais de soupiraux naturels que constituent les sections effondrées du plafond, l'obscurité est totale. Par endroit, un affaissement de la voûte, ou la chute de blocs de lave, obstruent le passage, formant un obstacle que la lave fluide a contourné, mais qui empêche néanmoins le passage. Plus loin, la galerie se scinde en deux, confrontant l'aventurier quant au choix du conduit à suivre. La visite de la grotte des Framboises rappelle bien vite à l'esprit le Voyage au Centre de la Terre, d'autant plus que le périple des explorateurs imaginés par Jules Verne commence en Islande et se termine au ... Stromboli !

La visite du tunnel terminée, nous nous remettons en route, direction la station de ski de Piano Provenzana. De nouveau, la dévastation causée par les coulées de lave en gratons choque le regard. Sur une pente, une immense lame noire trifide s'est avancée, laissant une hideuse béance dans le paysage. En fermant les yeux, on n'a guère de peine à imaginer la coulée visqueuse en train de s'épancher, un inquiétant rougeoiement apparaissant parfois sous les blocs noirs en mouvement, qui s'entrechoquent avec un horrible crissement de verre brisé. Inéluctablement, ces fleuves surchauffés ont suivi les courbes du relief, calcinant la végétation, raclant le sol tels des glaciers, ensevelissant les habitations. Tels des allumettes, les arbres situés sur le passage de la lave ont pris feu, avant d'être sectionné à la base par le brasier et d'être emportés par la masse en reptation. Comme pour protester devant une telle destruction aveugle, certains, blanchis jusqu'à l'os par la chaleur, sont parvenus à rester debout. Ceux qui n'ont pas été touchés par la lave, mais qui ont eu la malchance d'avoir poussé un peu trop près des coulées, ont vu une section de leur tronc décapée par le rayonnement thermique, l'écorce formant deux bourrelets de part et d'autre d'une affreuse cicatrice.

Pourtant, il suffit d'un seul regard alentour pour comprendre que la vie a déjà repris ses droits : une algue unicellulaire, l'hyphe d'un champignon, et c'est un lichen qui apparaît, bientôt rejoint par une mousse, puis une plante épineuse. Craquelées, digérées par les acides végétaux, entourées et colonisées, les roches volcaniques se transformeront en sol, et bientôt le paysage retrouvera son calme et sa sérénité, tandis que les insectes butineront des fleurs aux corolles éclatantes, et qu'un oiseau chantera sous l'ombre fraîche et bienveillante d'un pin. L'Etna, comme tous les volcans, est la manifestation la plus visible d'un cycle intemporel ou la création appelle la destruction, ou la mort rejoint la vie, et ou le noir donne naissance au rouge.


Les paysages de l'Etna sont étonnamment variés, depuis des forêts de conifères jusqu'aux terres noires volcaniques, en passant par cette étrange steppe, qui semble tout droit sortie de la Terre de Feu en Patagonie. Ici, une végétation rase tente de coloniser une coulée de lave. Cliquez pour agrandir la photo


Le boyau souterrain du tunnel de lave. Les traces laissées par le niveau de l'écoulement (qui varie dans le temps) sont bien visibles sur le flanc gauche. Notez également sur la voûte du tunnel les nombreuses stalactites de refusion (refonte de la carapace de lave sous la chaleur dégagée par la coulée, qui dégouline alors du plafond). Cliquez pour agrandir la photo


Ugo, notre guide, nous explique la formation d'un tunnel de lave. Ceux-ci sont souvent associés à des volcans effusifs. Ils apparaissent lorsqu'une coulée de lave fluide se refroidit très rapidement en surface (constituant une voûte solide), alors que son cœur reste chaud. Lorsqu'ils se vident, ils laissent derrière eux une galerie que l'on peut parfois visiter. Cliquez pour agrandir la photo


Une coulée de lave visqueuse de type Aa (en gratons) a entièrement recouvert une forêt de conifères, remplaçant un paysage bucolique par une hideuse saignée noire. A droite, un arbre desséché par la chaleur infernale de la coulée est parvenu à rester debout. Cliquez pour agrandir la photo


Coulée de lave scoriacée au pied de l'Etna. Une piste conduisant au sommet y a été tracée par les hommes. Au loin, des forêts verdoyantes, épargnées, pour un temps, par la colère du volcan.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : A l'intérieur du volcan : Début de la trace depuis le refuge : 08:11:21. Fin de la trace à la station de ski : 14:07:42. Temps écoulé : 5h56. Longueur : 13,5 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Volcans


Un dessin d'artiste, photographié sur un bâtiment au pied de l'Etna. Le volcan est ici représentée par une femme : ses cheveux évoquent les colonnes de cendres, tandis que son vêtement carmin rappelle les coulées de lave rougeoyante dévalant les flancs. Ses bras, ouverts, protègent les forêts et les habitations, tandis que le sommet enneigé semble sortir de son ventre. Le côté créateur est ici mis en avant, mais il est également possible d'y voir l'autre face de la médaille : la tête de la femme est effectivement inclinée vers de lourds nuages d'orage, plutôt que vers le soleil. Création et destruction. L'insondable secret des volcans est-il lié au mystère féminin ? Cliquez pour agrandir la photo

Il m'est difficile de me rappeler quand cela a commencé. A chaque fois que j'y pense, je revois une coulée plissée, noire et figée, sur le flanc du Piton de la Fournaise. Mais peut-être avais-je déjà eu ce sentiment lorsque mes pieds s'enfonçaient jusqu'à disparaître dans une pente instable de lapillis en Islande, pestant contre les innombrables petits fragments scoriacés, bruissant comme du verre pilé, aux arêtes acérées et tranchantes, qui s'accumulaient dans les chaussures. La Sicile, en tout cas, l'a porté en pleine lumière, là ou il n'est plus possible de l'ignorer. J'en suis désormais convaincu, l'expérience de fouler les flancs d'un volcan actif vaut tous les livres et tous les cours de géologie du Monde.

J'ai passé je ne sais combien de temps, l'œil rivé sous un microscope, à admirer les reflets et les couleurs de roches taillées en lame mince, qui sous la lumière polarisante se transforment en vitraux. Des centaines d'heures, plongés dans des ouvrages de géologie, minéralogie, volcanologie, à tenter de comprendre le phénomène que l'on appelle volcans. Et bien d'autres encore, assis sur un banc dans un amphithéâtre obscur, à écouter des cours magistraux, à regarder des diagrammes, graphiques, diapositives et films, là encore, pour tenter de percer leurs mystères. J'étais certain, de part l'énergie fournie, d'être capable de m'approcher au plus près d'eux. Pourtant, comme de très nombreux étudiants, je n'avais jamais foulé un volcan actif. Bien entendu, nous avions eus des sorties sur le terrain, et, à un moment ou un autre, tout étudiant en géologie se voit confronter aux volcans d'Auvergne. Marteau en main, les voici en train de casser du roc, et d'égratigner une strate de matériaux cendreux de la pointe d'un pic pour effectuer des prélèvements. Le travail sur le terrain se finit en général par une visite de Vulcania, qui offre une autre vision des volcans de la chaîne des Puys.

Une discussion avec un professeur de géologie m'est revenue en mémoire. Une anecdote toute simple, sur un géochimiste passant sa vie à analyser des roches concassées et réduites en poudre au spectromètre et à la sonde électronique, mais qui n'était jamais sorti pour effectuer lui même des prélèvements. Un géophysicien, qui déterminait les forces qui s'étaient exercées sur des strates sédimentaires alpines, mais qui aurait été incapable de reconnaître l'endroit ou les mesures d'axes de plissement et de vecteurs de déformation sur lesquelles il travaillait avaient été effectuées. Peut-on vraiment connaître un phénomène sans l'expérimenter viscéralement ? Que loupons nous à n'aborder une problématique que par une seule de ses facettes ?

Lors de notre courte visite sur l'île du Stromboli, il m'est rapidement apparu que parmi le petit groupe de gens qui s'extasiaient à chaque nouvelle explosion lavique du volcan, certains étaient d'abord venu dans les îles éoliennes pour les îles elles-mêmes, le soleil et la mer, et ne s'attendaient pas à assister au spectacle d'un volcan crachant des blocs de lave rouge et fumante ! Or, ces éruptions, qui sont d'une certaine manière la raison d'être des volcans, leur nature profonde, combien d'étudiants ont-ils eu l'occasion d'en voir une seule en vrai ? Bien entendu, on pourra toujours objecter qu'au vu des budgets de l'éducation nationale, il paraît invraisemblable d'imaginer envoyer des classes entières en Indonésie ou à Hawaii. Certes. D'un autre côté, les îles éoliennes et l'Etna sont à portée de la main. Elles sont même plus faciles d'accès que l'Islande, sans compter que le Stromboli offre des éruptions quasi-permanentes. Si la mer n'est pas trop forte (ce qui peut interdire l'accès à l'île) et que la météo est de la partie, le spectacle est assuré. Et je parle bien ici de spectacle, parce que c'est exactement ça : au delà de la profondeur de la chambre magmatisme, du déterminisme des éruptions, de la composition des laves et des gaz, c'est avant tout un spectacle pyrotechnique, un son et lumière grandiose, une violence tellurique qui s'exprime à cœur ouvert, et qui en dit bien plus sur les volcans qu'on ne serait d'abord tenté de le croire. La vocation de Maurice Kraft n'est elle pas née au Stromboli, ou, enfant, il a été subjugué par l'une de ses éruptions ?


Carte satellitaire de la Sicile montrant la zone couverte durant le séjour (traces GPS mises bout à bout, le bleu indiquant les déplacements sur l'eau, le violet les trajets motorisés, et enfin le rouge les distances parcourues à pied).

Intérieurement, la vision des éruptions du Stromboli a fait jaillir en moi une colère sourde. Peut-être me suis-je reproché d'avoir attendu si longtemps avant de mettre les pieds sur cette île mythique ? Peut-être aies-je finalement admis que je ne savais en réalité pas grand chose des volcans. Les lueurs rouges du sommet dans la nuit m'ont remué, d'une manière inattendue et désagréable. Stupéfait, mon esprit a commencé à fabriquer d'étranges visions, d'inquiétants désirs. Que pouvait-il bien y avoir à l'intérieur des bouches volcaniques ? Comment ne pas avoir envie de se tenir au bord de l'abîme fumant et de se pencher, le visage desséché puis brûlé par les colonnes surchauffées d'air empoisonné qui monte des soupiraux, pour apercevoir quelque chose de ce rougeoiement, de cette énergie, de ce feu ardent et liquide. Comment ne pas rêver que le rythme des explosions s'accélère, que les déflagrations tonnent jusqu'à rendre sourd, et que finalement, le sommet entier de la montagne soit pulvérisé dans une formidable explosion de cendres et de roches calcinées. La vue d'un volcan en éruption semble réveiller quelque chose d'indicible, tapi dans les mondes obscurs de l'esprit humain, ou le regard ne va jamais. La raison essaye de mettre des mots sur le ressenti, tente de se raccrocher à des concepts ou un savoir, mais échoue à traduire ce frisson qui déferle.

Qu'est ce qu'un volcan ? Je n'ai pas la réponse. Je suis revenu de Sicile avec l'impression d'en savoir moins qu'avant. Mais j'ai cependant appris quelque chose. Il y a, à l'intérieur du volcan, un élément, qui ne se manifeste pas dans la température des gaz, ni la chimie des laves. Une force, un aspect, qui se love au fond comme un serpent, et qui semble résonner sur les sombres voûtes de l'esprit humain. Un mystère qui n'est pas enseigné dans les universités, et qui constitue sans doute la motivation profonde des aventuriers du roman de Jules Verne, Voyage au centre de la Terre. La réponse n'est pas dans un livre, que ce soit un traité de volcanologie ou un récit de fiction. C'est pourtant là, dans le soupirail rougeoyant, dans ce cratère qui fume et qui gronde. L'une des légendes qui entourent l'Etna est celle d'Empédocle, ce philosophe et médecin grec, qui, fasciné et obsédé par le brasier, y tomba. Le volcan, paraît-il, ne recracha que sa chaussure. Qu'a-t-il voulu voir ? Quelque chose d'intemporel et d'indicible, que le réalisateur Danny Boyle a mis en image dans le film de science-fiction Sunshine, dans une scène magistrale : celle ou le capitaine Kaneda, après avoir effectué une réparation dans l'ombre de l'immense bouclier thermique du vaisseau, flotte dans le vide spatial jusqu'à la bordure de la coupole, et, habité par un désir sans nom, pivote lentement sur lui même et se redresse dans son scaphandre pour tenter d'apercevoir, sans aucune protection ni filtre, à l'œil nu, la surface brûlante du Soleil. A bord de l'Icarus II, le psychologue de la mission, contrairement à tous les autres membres de la mission qui hurlent à Kaneda de rentrer, sans comprendre pourquoi il se comporte ainsi, lui murmure simplement cette question : what do you see ?

Bibliographie

. Dernière mise à jour : 10 mai 2012. Des commentaires, corrections ou remarques ? N'hésitez pas, écrivez-moi!