Cette page relate un voyage effectué en Islande, du 1er au 14 août 2009, par le biais de l'agence Terres d'Aventure. Intitulé "Le Grand Rift et l´Oraefi", ce circuit de 14 jours proposait de découvrir à pied l'une des régions les plus isolées de l'Islande. Pour chaque journée, vous trouverez un petit récit qui s'attache à présenter les points que j'ai estimé marquants. Quelques photographies, prises avec un appareil numérique Sony DSC-W12 (qui s'est parfaitement acquitté de sa tache quand les conditions météorologiques étaient vraiment dégradées) et un Sony DSC-HX1 (quand il y avait beau temps), illustrent l'ensemble.
Particularité intéressante si vous désirez replacer ce voyage dans son contexte spatial, j'ai enregistré pratiquement quotidiennement nos déplacements à l'aide d'un GPS Garmin Oregon 400T. Les traces ont été converties pour être exploitables par le fabuleux logiciel Google Earth. Lorsque vous ouvrirez un itinéraire sous ce dernier, vous serez automatiquement positionné au point de départ, à une altitude variant entre 3,3 et 25,7 kilomètres, le parcours suivi apparaissant sous la forme d'un ruban rouge ou violet. De nombreux points remarquables (zone de bivouac, refuges, ponts, secteur d'intérêt géologique, etc.) sont indiqués par de petites icônes. La plupart d'entre-elles sont cliquables, ce qui provoquera l'affichage d'une fenêtre comportant une photographie et une courte description de l'endroit.
Une petite échelle fera son apparition en haut à droite, ce qui vous permettra de rejouer le circuit dans le temps. La position sera alors marquée par une icône verte, qui signalera également le mode de déplacement (à pied ou en 4x4). Il est possible d'ouvrir les traces les unes après les autres, de manière à suivre l'enchaînement des différentes randonnées jour après jour. Cependant, le curseur risque de se déplacer de plus en plus rapidement, et c'est pourquoi je vous recommande de fermer Google Earth avant d'ouvrir une nouvelle trace. Si la petite icône qui marque le déplacement apparaît et disparaît trop rapidement, il vous suffit d'augmenter l'intervalle de temps pendant lequel elle est affichée en écartant les deux petits curseurs. L'échelle indique toujours l'heure locale (le décalage horaire n'était d'ailleurs que de deux heures entre la France et l'Islande). Ces traces GPS constituent une excellente alternative aux photographies pour découvrir et suivre notre cheminement dans le désert de l'Oraefi.
Lors de la rédaction de ce texte, les dalles satellites utilisées par Google Earth et couvrant notre périple ne montraient bien souvent que ... des nuages ! Fin octobre, la couverture satellitaire de l'Islande fut heureusement mise à jour, et même si la résolution des nouvelles images SPOT est décevante, on peut au moins désormais se faire une idée des reliefs et de l'aspect du sol. Cela étant dit, à bon entendeur salut !
Classe Saga
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Malgré le soulagement de laisser derrière soi le quotidien, et l'excitation de s'embarquer pour une destination inconnue, je n'ai encore jamais réussi à apprécier le jour du départ. Avant de parvenir à s'installer dans le fauteuil d'un avion, il faut en général passer par toute une série d'obstacles, sorte de parcours du combattant du voyageur.
Une fois franchi le seuil de la porte de son appartement, ce lieu rassurant désormais plongé dans l'ombre, hanté par l'angoisse d'avoir commis quelques oublis dans les bagages pesants, il faut se hâter à la gare la plus proche, destination Paris. La traversée de cette ville gargantuesque, pour atteindre l'aéroport, est à chaque fois un vrai cauchemar. Alors que mes pensées vagabondent déjà au-dessus de contrées infinies, emplies de calme et de sérénité, voila qu'il faut débarquer sur le quai d'une gare cyclopéenne, ou s'agitent, tels des fourmis dans une fourmilière qui viendrait d'être dérangée par un coup de pied, des milliers de personnes chargées de malles et de sacs. A force de ruade et de bousculade, il faut ensuite se frayer un chemin parmi le labyrinthe souterrain des couloirs de métro et de RER, avant de s'entasser dans des rames bourrées de monde, sales, nauséabondes et surchauffées. Comme les grands espaces islandais semblent lointains, alors.
Une fois parvenu dans l'antre métallique de l'aéroport, il faut assister, impuissant, à la disparition de son grand bagage, emporté par un tapis roulant totalement indifférent à ce qu'il transporte, vers une petite porte obscure dont on ne sait sur quoi elle déboucle. Une fois le sac digéré, nous voici comme démuni, marchant à contre cœur vers les portiques de sécurité. Un couteau suisse oublié dans une poche de votre veste de montagne ? Un peu d'eau clapotant au fond d'une gourde ? Et voila un autre objet englouti sans espoir de retour, ou un sac mis sans dessus dessous alors même que le voyage n'est pas encore commencé. Pourtant, au beau milieu de ces désagréments, il arrive parfois de connaitre une agréable surprise.
Ce fut mon cas, lorsque, regardant l'emplacement de mon siège dans l'avion qui ralliait Londres à Keflavík, et déjà étonné par l'invitation à rejoindre un salon privé reçue lors du check-in, je me suis rendu compte que j'allais voyager en première classe. Baptisée classe Saga sur la compagnie Icelandair, en honneur à ces récits fleuves qui narrent les exploits des premiers explorateurs et colonisateurs de l'Islande, cette dernière offre un confort sans commune mesure avec les classes économiques. Confortable calé dans un volumineux fauteuil, sans même un voisin à ma gauche, sirotant d'une main un rafraîchissement et jouant avec l'écran tactile d'un monitor vidéo de l'autre, je me surpris à espérer que le vol dure plus longtemps. Depuis le hublot, j'avais une vue magnifique sur un ciel bleu nuit, alors que l'aéronef était lancé dans une course poursuite avec un soleil qui s'entêtait, sans y parvenir, à vouloir disparaître à l'horizon. Après un peu moins de 3 heures de vol, les côtes noires de l'Islande ont commencé à apparaître, et ma première vision du sol islandais fut une terre brune, tourmentée, comme brûlée par une terrible désolation.
Jour 1 (dimanche 2 août 2009) : Landmannalaugar
Après avoir rallié Reykjavik et s'être accordé une courte nuit de repos, nous avons embarqué dans un bus rustique, doté de roues impressionnantes, pour un trajet d'environ quatre heures, direction Landmannalaugar. Très rapidement, une fois les bâtiments de la capitale derrière nous, nous avons pu bénéficier d'un premier aperçu des paysages de l'Islande : plaines désolées, collines verdoyantes, avec, au détour d'un virage, les panaches blancs de fumerolles, la tuyauterie d'une usine géothermique, ou encore des serres humides et lumineuses, au sein desquelles poussent, loin des rigueurs du climat islandais, toute sorte de légumes.
Vers 13h00, notre bus nous a déposés à Landmannalaugar, au beau milieu d'une vaste plaine occupée par quelques bâtisses et plusieurs dizaines de tentes colorées, éparpillées dans un joyeux désordre. Deux bus, situés un peu à l'écart, servaient d'épicerie mobile et de bar, à côté d'un fourgon infirmerie. L'endroit, très encombré, contrastait violemment avec les montagnes alentours, dont les versants aux pentes douces et jaunes nous entouraient de toute part. Une fois notre tente mess et nos petites tentes canadiennes dressées, nous avons rapidement déjeuné de sandwichs, puis nous sommes partis pour une première excursion, à la découverte de ces étranges montagnes bariolées, uniques sur l'île.
La région de Landmannalaugar est située en plein cœur de la caldeira de Torfajökull. A l'origine, il s'agissait d'une bouche volcanique par laquelle se sont épanchés, depuis un million d'années, des torrents de laves acides. Après le vidage des chambres magmatiques, cette cheminée s'est effondrée sur elle-même (il y a environ 100 000 ans), formant un cratère géant plus ou moins circulaire (d'un diamètre d'environ 20 kilomètres) dont les contours sont encore visibles dans le paysage. Des éruptions plus récentes ont ensuite eu lieu, comme celles qui ont donné naissance aux dômes de Brennisteinsalda et Bláhnúkur.
Les roches émises par ce complexe volcanique portent le nom de rhyolites. Sous ce terme, les géologues désignent des laves acides (très riche en silice, celle-ci pouvant même former des grains de quartz), visqueuses, surtout constituées par une pate renfermant de rares cristaux (structure microlithique), ainsi que des vésicules (formées par des gaz). A cause de leur forte teneur en silice, les rhyolites ont beaucoup de mal à s'écouler, et elles forment alors des coulées épaisses et consistantes. Lorsqu'elles ne parviennent pas à se mouvoir, les laves construisent des dômes, qui peuvent obstruer, tel un bouchon, les cheminées volcaniques. Sous celui-ci, la pression des gaz libérés lors de la remonté du magma augmente. Lorsque cette dernière devient trop importante, une explosion cataclysmique se produit : le dôme est littéralement pulvérisé, tandis que d'immenses masses de gaz et de particules brûlantes s'élèvent du cratère. S'ils sont suffisamment légers, les fluides gazeux forment d'imposantes colonnes cendreuses (éruption pliniennes) qui peuvent monter jusqu'à plusieurs dizaines de kilomètres de hauteur. Au contraire, s'ils sont trop lourds, ils descendent telle une avalanche les flancs du volcan en formant une nuée ardente, qui va alors tout dévaster sur son passage (éruption de type peléen, dont l'archétype est celle de la montagne pelée en Martinique).
A Landmannalaugar, les dômes de rhyolites ont été soumis à une altération périglaciaire, responsable des couleurs spectaculaires des versants. Les éléments métalliques, en particulier le fer présent dans les minéraux accessoires, comme la pyrite (sulfure de fer) ou la magnétite (oxyde de fer aux propriétés magnétiques), s'est oxydé, d'ou les innombrables teintes qui hypnotisent le visiteur. L'endroit est effectivement un régal pour les yeux, et un paradis pour les photographes. Les montagnes se parent d'ocre, d'orange, de jaune, de rose, de rouge et de vert, de gris et de noir, comme si un artiste maladroit avait renversé sa palette, et que les peintures s'étaient mélangées en s'écoulant des versants.
Notre première randonnée au sein de ce site spectaculaire nous a conduits au sommet du dôme volcanique Brennisteinsalda (dont le nom signifie "la vague soufrée"), qui est sans nul doute le relief le plus emblématique de Landmannalaugar. Ses versants sont vivement colorés, et l'un d'entre eux présentent des stries rouges du plus bel effet. Par endroits, des dépôts de soufre blanc jaune salissent les pentes, tandis que de timides fumerolles déploient dans l'air leurs panaches de fumée blanche. Son sommet est percé par une corne rocheuse noire d'une hauteur de plusieurs mètres, qui, selon les Islandais, ne serait rien d'autre qu'un troll pétrifié par les rayons du soleil. Enfin, en 1477, une coulée impressionnante de lave a surgi de son flanc sud-est, pour former une langue noire à l'aspect torturé. Baptisée Laugahraun ("la coulée de Landmannalaugar), elle est constituée d'une rhyolite visqueuse dont la surface a été vitrifiée en obsidienne (roche volcanique entièrement vitreuse, noire, brillante, à cassure lisse, qui est donc ici de composition rhyolitique). Le Bláhnúkur ("cime bleue") est un autre relief remarquable de Landmannalaugar. Dominant le panorama qui s'étend au sommet du Brennisteinsalda, ses pentes bleu noir attirent immanquablement le regard. A proximité, nous avons pu admirer un joli lac aux eaux turquoise. Cette couleur envoûtante est généralement due à la dispersion de la lumière sur des particules de silice en suspension dans l'eau.
Au terme de notre première après-midi de marche, enchanté par la vision de cette fresque naturelle haute en couleur qu'offre Landmannalaugar par beau temps, nous avons rejoint notre campement. Une fois revenu de randonnée, l'attraction n°1 consiste à aller se baigner dans une piscine naturelle à la surface fumante. L'eau, chauffée par son parcours au sein de la coulée de Laugahraun, se déverse brûlante dans une petite rivière d'eau glacée. Un petit ponton de bois a été dressé a proximité de la source chaude, pour permettre aux baigneurs de se dévêtir et de ranger leurs affaires. Un petit escalier conduit à la rivière proprement dite, dans une eau moyennement tiède. C'est alors un délice que de remonter en nageant (ou en rampant, car l'endroit est peu profond) le cours de la rivière, dont l'eau se réchauffe à chaque mètre. Ceux qui ne craignent pas de ressortir rouge comme une écrevisse pourront s'approcher au plus près du filet d'eau bouillante, don divin de la nature à des randonneurs fatigués ! L'ambiance est encore plus reposante quand les gouttes de pluie frappent en clapotant la surface fumante de la nappe, mais gare alors à la sortie du bain ! Une fois la baignade terminée, nous avons dîné de filets de poissons marinés et de pommes de terre parfumées, puis nous avons regagné nos tentes respectives, sous la clarté d'un soleil désireux de s'attarder un peu au dessus du ciel de Landmannalaugar.
Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Vers Landmannalaugar, puis découverte de Landmannalaugar. Début de la trace vers Landmannalaugar : 09:01:37. Fin de la trace vers Landmannalaugar : 13:09:43. Temps écoulé : 4h08. Longueur : 201 km. Vitesse moyenne : 49 km/h. Début de la trace "découverte de Landmannalaugar" : 15:28:19. Fin de la trace "découverte de Landmannalaugar" : 18:20:16. Temps écoulé : 2h52. Longueur : 7 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Jour 2 (lundi 3 août 2009) : La caldeira de Törfajökull
Après avoir rapidement petit-déjeuné et préparé nos sandwichs pour la pause de midi, nous sommes partis vers 9h00 en direction du sud-est, en évoluant au sein de décors somptueux. Des mousses jaune verte aux couleurs éclatantes, qui pour un peu auraient pu être suspectées de fluorescence, coloraient les plaines et les versants de dômes volcaniques, dont certaines pentes étaient encore enneigées. Une fois parvenu sur un haut plateau, qui permettait au curieux d'embrasser sur 360° des reliefs spectaculaires, nous avons bifurqué plein ouest avant de nous arrêter peu après pour avaler les victuailles que nous avions soigneusement emballé.
Une fois restauré, nous avons longé une belle vallée dont le fond était occupé par des gravières et les nombreux méandres d'un cours d'eau. Sur la crête opposée, une muraille noire profondément ravinée a attiré mon attention. Il s'agissait des arêtes de Barmur, qui marquent la limite de la caldeira de Törfajökull, au sein de laquelle nous évoluons. En continuant vers le sud, nous sommes arrivés dans un secteur étonnant de collines vertes, dont la couleur contrastait avec les petits névés résiduels. La coloration des roches est ici vraisemblablement due à une altération inhabituelle (chlorite ?) des roches rhyolitiques (probablement une oxydation du fer contenu dans les minéraux accessoires, comme la pyrite et la magnétite).
En continuant vers le sud est, nous avons ensuite atteint Storihver, une zone active d'un point de vue géothermique. Tout au long d'un sentier qui suivait un petit bras d'eau, des taches de couleurs trahissaient effectivement la présence de phénomènes hydrothermaux. Ces derniers, que les géologues qualifient de phénomènes "para-volcaniques" (car ils ne sont liés qu'indirectement à l'activité volcanique proprement dite) sont dus à l'existence, en profondeur, d'une poche de magma, autour de laquelle circule, par le jeu de fractures, de l'eau. Celle-ci, surchauffée par la chaleur dégagée par le magma, remonte en surface et donne naissance à plusieurs manifestations, qui peuvent être aussi spectaculaires qu'effrayantes. Notre guide, Thor, nous rappela d'ailleurs de nous tenir prudemment éloigné de toutes les zones étrangement colorés, sous peine d'y laisser une chaussure, voire un pied !
Les fumerolles constituent la manifestation géothermique la plus visible. Il s'agit d'émanations gazeuses qui s'échappent du sol à la faveur de fissures et de fractures, en formant un nuage blanchâtre, qui contient surtout de la vapeur d'eau, mais aussi d'autres gaz comme du dioxyde de carbone et du dioxyde de soufre. Autour de la fumerolle, des concrétions minérales peuvent apparaître, et le sol se colore alors en blanc (dépôt de silice) ou en jaune (dépôt de soufre). Les fumerolles crachant une forte quantité de soufre sont appelés solfatares, mais celles que nous avons observé n'entraient pas dans cette catégorie, et se caractérisaient surtout pas des dépôts blanchâtres. Si la plupart des fumerolles sont silencieuses, certaines crachent leur vapeur en sifflant vigoureusement, tel un train dont les chaudières auraient été portées à pleine puissance.
Deuxième manifestation évidente de la présence de chaleur dans le sous-sol, les sources chaudes. Ces dernières sont dues au réchauffement de la nappe phréatique par du magma, l'eau pouvant jaillir plus ou moins brûlante (de 30°c à 100°C). Nous avons ainsi pu admirer des petites vasques rougeâtres ou s'agitait une eau bouillonnante. A un autre endroit, l'eau surchauffée sortait par jet irrégulier d'un orifice percé à la base d'une pente dans un nuage de vapeur, comme si la montagne surchauffée hoquetait régulièrement. Les étranges colorations que l'on observe autour de ces sources sont généralement dues à la présence de bactéries et d'algues, qui forment alors en général un revêtement visqueux sur les pierres.
Enfin, nous avons également pu admirer des marmites de boue, des petites cuvettes dont le fond est rempli d'une boue gris pétrole visqueuse constamment agitée par un bouillonnement vigoureux. Ces marmites sont dues à l'attaque des roches volcaniques par des fluides corrosifs, et à leur décomposition en argiles. Le fluide, rendu visqueux par sa teneur en minéraux argileux, clapote à cause de l'éclatement continu de bulles de gaz.
Fasciné par ces manifestations que l'on ne rencontre que dans les zones volcaniques, nous sommes repartis vers le nord-est, en directement de notre campement. Histoire de rester dans l'ambiance, nous sommes allés nous délasser dans les eaux brûlantes de la piscine naturelle. Après avoir dîné d'une soupe d'agneau, nous avons regagné nos abris de toile, en jetant un œil inquiet à l'horizon. Au loin, des nuages noirs s'accumulaient, qui ne laissaient rien présager de bon.
Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : La caldeira de Törfajökull. Début de la trace : 09:12:27. Fin de la trace : 18:46:29. Temps écoulé : 9h34. Longueur : 20,6 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Jour 3 (mardi 4 août 2009) : Tungná et Jökuldalir
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Nous avons levé le camp de Landmannalaugar vers 9h00, sous un ciel bas et gris, en direction du nord. Après environ une heure de marche, nous sommes parvenus au bord d'un lac froid et désert, le Frostastadavatn, qui en islandais signifie "le lac de la ferme gelée". De courageux pionniers avaient effectivement tenté, il y a longtemps, de s'établir sur les berges de ce lac poissonneux, mais l'hostilité de l'endroit a finalement eu raison d'eux.
Après deux heures de marche en direction du nord-est, un autre lac, le Ljotipollur, s'est offert à nous dans toute sa splendeur. Contrairement au Frostastadavatn, il s'agit cette fois ci d'un lac de cratère, niché au sommet éventré d'un ancien volcan. Son nom, qui signifie "la mare moche", ne correspond pas à la réalité de l'endroit. La vasque formée par les pentes du cratère possède effectivement des couleurs typiquement volcaniques, un mélange de noir intense et de rouge profond, adoucies ça et la par le vert des mousses, et par le bleu clair et pâle des eaux retenues prisonnières.
Le Ljotipollur est un cratère d'explosion datant de 1480 qui s'est formé lors d'une unique éruption phréatomagmatique. Les géologues désignent sous ce terme la rencontre brutale d'un magma brulant en cours d'ascension vers la surface avec de l'eau, généralement une nappe phréatique, une rivière ou un lac. L'eau est instantanément vaporisée et un dégagement considérable de gaz sous pression a lieu, ce qui produit une explosion très violente, accompagnée de projections de magma et de fragments de roches préexistantes. Un cratère typique de ce genre de phénomène, un maar, s'ouvre alors à la surface. Très souvent, et c'est le cas pour le Ljotipollur, l'eau ayant participé à l'éruption s'accumule ensuite dans le cratère, pour y former un lac. La formation du Ljotipollur est en fait liée aux émissions de magma du volcan Bardabunga qui sommeille sous les glaces du Vatnajökull, situé à 100 kilomètres de là. L'éruption a vraisemblablement démarré de manière purement magmatique, avec des émissions fluides de laves basaltiques qui ont commencé à former des remparts. A un moment donné, la fissure par laquelle la lave s'épanchait a rencontré un aquifère ou un système hydrothermal, ce qui a transformé le dynamisme de l'éruption (passage à une phase phréato-magmatique très violente avec une destruction des matériaux rocheux sur une large zone, que ce soit les laves basaltiques déjà émises ou les roches préexistantes, hyaloclastites et pillows lavas résultats d'éruptions sous-glaciaires précédentes, ou encore sédiments déposés par des rivières), et émissions de nombreuses projections (tephra), depuis de gros blocs rocheux jusqu'à des cendres très fines, en passant par des lapillis (fragments millimétriques ou centimétriques). La jolie teinte rouge sombre des parois du cratère actuel est due à l'oxydation en hématite du fer contenu dans les produits volcaniques émis.
Protégé d'une pluie fine par la paroi verticale d'une coulée de lave, nous avons rapidement déjeuné, avant de rejoindre une plaine verdoyante, située au pied d'une large rivière glaciaire, la Tungná. Si le paysage des vallées de Jökuldalir contraste fortement avec les dômes orange de rhyolite de Landmannalaugar, il est aussi bien plus typique de l'Islande. Ravis comme des gamins qui viennent de découvrir un nouveau terrain de jeu, nous progressons bientôt sur une surface bosselée et chaotique recouverte d'une épaisse couche de mousses qui amortit chaque pas et donne l'impression de se mouvoir sur un gigantesque édredon. Il s'agit en fait d'une immense coulée de lave qu'une végétation pionnière, mousses et lichens principalement, a décidé de coloniser. L'endroit est absolument idéal pour une petite sieste, allongé sur ce matelas vivant aussi confortable que le meilleur des canapés, ou pour se lancer dans des figures acrobatiques, avec la certitude que l'atterrissage ne sera jamais douloureux. Devant nous, la coulée de lave cède la place à une petite zone de tourbières, puis, plus loin, à des bancs de graviers déposés par un lacis de cours d'eau.
Nous quittons bientôt le confort des mousses pour nous diriger le long d'une large vallée vers notre campement. Sous un ciel gris et pluvieux, nous franchissons une imposante crête, derrière laquelle nous attend un lac aux berges sinistres, le Kirkjufellsvatn (vatn signifiant lac en islandais). Nos tentes devant être plantés du côté opposé, nous suivons sa berge nord, puis sa rive ouest, avant de nous arrêter enfin. L'endroit est totalement désert, si ce n'est le puissant 4x4 Land Cruiser, qui, dans sa petite remorque, transporte la totalité de notre matériel. Si l'érection de la tente mess sous la pluie et le vent, suivi de l'installation de nos propres tentes n'a rien d'une partie de plaisir, le dîner promet quant à lui d'être mémorable. La veille, un pêcheur islandais nous a attrapé des truites, dont les filets vont être préparés en papillotes et cuit à la braise, à même le sol. Inutile de vous dire que ce fut délicieux ...
Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Tungná et Jökuldalir. Début de la trace : 09:11:18. Fin de la trace : 17:44:33. Temps écoulé : 8h33. Longueur : 20,9 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Jour 4 (mercredi 5 août 2009) : Vers la tempête
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Les gouttes de pluie qui frappaient sans relâche la toile des tentes au petit matin portaient un démenti flagrant à l'amélioration de la météo. Vers 10h00, notre guide, qui s'était enfermé dans l'habitacle du 4x4 pour prendre par radio le bulletin météo, nous indiqua que le temps n'était effectivement pas au beau, et que notre itinéraire allait devoir être modifié. La dégradation du temps, et les rafales de vent n'allaient sans doute pas permettre de dormir sous tente, et par précaution, mieux valait rejoindre un refuge au nord-est.
Il fut donc décidé de démonter le campement, et de rejoindre le refuge par 4x4. Bien que puissant, le Land Cruiser ne disposait que d'un nombre de places limités, et plusieurs groupes allaient donc devoir être constitués. Le premier pris place à bord du véhicule, tandis que les personnes restantes pouvaient s'abriter à l'intérieur de la tente mess, encore solidement plantée, malgré les rafales, sur la berge du lac Kirkjufellsvatn. Vers 12h00, histoire de se dégourdir les jambes, Thor nous proposa une petite balade d'une heure sur les crêtes entourant le lac. Sous un ciel bas et menaçant, une petite caravane colorée progressa sur les flancs d'un gris cendreux d'un sommet avoisinant. En haut, la visibilité était fortement réduite par un voile atmosphérique, et c'est à peine si l'on pouvait distinguer les fonds de vallée. Les paysages étaient marqués par le volcanisme : le sol était constitué de dalles de lave, ou d'une multitude de lapillis, ces petits fragments noirs et durcis de quelques millimètres à quelques centimètres de diamètre. Des arêtes rocheuses (dykes), bien mises en évidence par l'érosion, occupaient le sommet de certaines crêtes.
Le 4x4 n'étant pas encore revenu de son premier voyage, les plus courageux purent repartir pour une seconde balade, plein nord. Ce n'est qu'une fois en hauteur que nous aperçûmes enfin la silhouette trapue du Land Cruiser. Sous un vent violent, la tente mess fut mise à terre tant bien que mal, et chargée dans la remorque du 4x4, qui embarqua une nouvelle fournée de passagers. Sur le sol détrempé du lac Kirkjufellsvatn, nous n'étions plus que trois : Thor, moi, et un autre membre du groupe, manifestement tenté par une dernière escapade sous la pluie.
Notre objectif était d'avancer à pied le plus possible vers le refuge, histoire de faire gagner du temps au 4x4, qui, au vu de la distance à parcourir, devait néanmoins impérativement venir nous chercher. Si notre vitesse de progression était bien entendu inférieure à celle de ce véhicule tout-terrain, parfaitement adapté au terrain islandais, nous avions cependant un avantage sur lui : celui de pouvoir couper au plus court à travers crêtes et gravières, sans être obligé de suivre une piste boueuse.
La pluie s'était remise à tomber sur les paysages marécageux. Rocailleux et noirs, le sol laissait parfois place à des étendues détrempées couvertes de mousses d'un vert intense. C'est au cours de cette randonnée que nous allions découvrir pour la première fois les cours d'eau islandais, qu'il faut très souvent, par manque de ponts, traverser à gué. La brochure qui décrivait notre voyage mentionnait bien que le passage de certaines rivières devait s'effectuer à pied, et qu'il valait donc mieux se munir d'une paire de sandales en caoutchouc. Jugeant l'imperméabilité de mes grosses chaussures de marche suffisantes, j'avais ignoré ce conseil, ne pouvant imaginer que les rigoles à franchir puissent dépasser les quelques centimètres de profondeur. Grossière erreur ...
L'Islande regorge effectivement de glaciers, qui donnent naissance à une multitude de torrents et de rivières. Ceux-ci, débouchant sur de magnifiques plaines, s'étalent alors avec satisfaction en un réseau labyrinthique de méandres et de bras, certains aussi peu profond qu'une flaque d'eau, d'autres aussi puissants qu'un fleuve en furie. Thor, qui semblait prendre un malin plaisir à s'enfoncer jusqu'à la taille dans l'eau glacée, détermina rapidement l'endroit où passer le premier bras, sans s'enfoncer dans un lit de vase trop profond, ou se faire emporter par le courant. Déjà effrayé par l'exercice qui m'attendait, il m'a fallu en plus faire preuve de dextérité pour rattraper les sandales que Thor balançait depuis l'autre rive, lointaine, bien trop lointaine ... A deux reprises, l'élégant arc de cercle dessinée par la chaussure au-dessus du torrent fut trop court, et un choix fut nécessaire : perdre le précieux soulier de plastique, ou s'enfoncer dans l'eau pour le rattraper y extremis ...
L'enchaînement des opérations était donc le suivant : regarder Thor traverser le cours d'eau (avec un sourire discret), rattraper les sandales (oups, raté !), enlever ses chaussures de randonnées (totalement trempées, à cause du rattrapage de sandales précédent) et les fourrer dans son sac à dos (histoire de ne pas les perdre), relever son pantalon à une hauteur suffisante, s'enfoncer dans l'eau glacée en serrant les dents, s'apercevoir que le pantalon est retombé ou que l'eau était bien plus haute que prévu, parvenir à l'autre rive, remettre les chaussures de randonnées toutes mouillées et se remettre à marcher vers ... le prochain cours d'eau, en espérant que ce soit le dernier (diable, encore un autre !).
Au bout du troisième gué, mes chaussures de randonnées transportaient chacune plus d'eau que ma gourde, et mon pantalon avait pris deux kilos. Trempé, et en ce qui me concerne fatigué, nous avons continué à progresser vers le refuge. Au bout d'un moment, je me suis surpris à regarder au loin avec l'espoir d'apercevoir les phares d'un 4x4. A une ou deux reprises, nous avons aperçu un véhicule, mais ce n'était pas le notre. Finalement, vers 17h45, la silhouette caractéristique du Land Cruiser déboula en haut d'une côte, et se gara à nos côtés. Le chauffeur était vraisemblablement très habitué à trimballer des gens mouillés : nos vestes humides furent promptement rangées dans des sacs poubelles, et la banquette arrière avait été très consciencieusement recouverte d'une feuille de plastique.
Le refuge était clairement hors de notre portée, car le trajet en 4x4 dura une bonne heure, pendant laquelle le véhicule parcouru 33 kilomètres de pistes, avant de nous déposer devant une charmante petite cabane, dont le toit rouge semblait posé à même le sol. Après s'être réchauffé, soulagé de pouvoir dormir au sec et de disposer d'un radiateur à pétrole pour pouvoir sécher les affaires, nous racontâmes notre petite aventure au reste du groupe, en engloutissant un savoureux jambon fumé. Dehors, la pluie continuait de tomber, mouillant le sol et grossissant les cours d'eau. Le lendemain, nous apprendrons que durant la nuit, le vent eut raison de plusieurs tentes à Landmannalaugar, et que les infortunés sans-abri furent rapatriés par dépit à Reykjavik. Le choix du refuge, par rapport à la tente, n'était donc pas seulement un choix de confort de la part de notre guide. Ce dernier avait lu dans le ciel avec la même aisance que dans les cours d'eau ...
Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Vers la tempête. Début de la trace : 11:19:07. Fin de la trace : 19:29:01. Temps écoulé : 8h10. Longueur : 47,5 km. Vitesse moyenne : 6 km/h.
Jour 5 (jeudi 6 août 2009) : Skafta
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Un seul regard vers le ciel suffisait pour deviner que le temps serait funeste, tout au long de la journée. La météorologie islandaise étant ce qu'elle est, il était bien sur possible d'espérer pouvoir bénéficier d'une ou deux petites éclaircies, tout en sachant confusément que cela ne serait sans doute aucunement le cas.
Entassé dans notre petite cabane de bois, nous avons laissé passer les premières heures de la matinée, le nez collé à la vitre d'une petite fenêtre, ou sur les pages d'un bouquin. Thor était parti s'enquérir de l'évolution du temps dans le 4x4, et ne donnait pas signe de vie. Finalement, peu avant midi, nous avons décidé de nous mettre en route. Les sandwichs confectionnés sur la table furent presque tous consommés sur place, puis nous nous sommes agités dans tous les sens pour préparer nos sacs, et sortir sur la pluie. Contrairement à la journée d'hier, il y avait plus de courageux, et nous étions presque tout au complet devant le refuge.
Prenant plein sud, nous n'avons pas tardé à rejoindre un agréable sentier qui serpentait sur une vaste étendue rocheuse de scories rouges, tout en longeant une rivière assez large, Skafta, dont les eaux glaciaires se mêlent à des eaux de source. Au bout d'une heure environ, les eaux grises du cours d'eau se frayaient avec force un passage au travers d'une coulée de laves basaltiques, tranchée presque comme du beurre par l'érosion fluviale. A peine nous étions nous arrêtés pour jouir du panorama que la pluie s'est remise à tomber, nous forçant à enfiler de nouveau nos capes de pluie.
La présence d'un cours d'eau aussi important sur notre itinéraire laissait présager la traversée de gravières, dont notre guide nous avait d'ailleurs mentionné la présence. Cependant, contrairement à la journée d'hier ou l'initiation à cet exercice avait été confidentielle, tout le monde allait cette fois pouvoir y goûter, avec plus ou moins de réticence. Ceux qui n'avaient pas de sandales purent en emprunter une paire à ceux qui avaient déjà traversé (Thor se chargeant de faire la navette entre les groupes), et, lentement mais sûrement, nous avons tracé notre chemin sur une vaste gravière ou les bras de rivière s'étalaient telles des tresses. Une fois arrivé à bon port, j'ai avalé mes sandwichs (que j'avais pour l'instant gardés dans leurs sacs, vu que mon appétit est principalement aiguisé par l'exercice physique), et nous nous sommes réchauffés en buvant du café ou du thé.
Vers 3 heures de l'après midi, guidé par un petit cours d'eau qu'il fallait régulièrement enjamber, nous avons pénétré dans une belle gorge, dont les versants verdis par les mousses nous protégeaient des éléments. La progression fut agréable et amusante, à tel point que personne ou presque ne devait s'attendre à ce qui allait nous tomber dessus à la sortie du défilé. A peine avions nous quitté l'abri tout relatif des pentes rocheuses qu'une pluie dense et froide s'abattit sans prévenir sur le sol, mouillant pratiquement tout en quelques minutes. Mon pantalon de randonnée ayant été quelque peu humidifié par la traversé des gués au cours de la journée précédente, j'avais commis l'erreur d'en revêtir un autre, certes sec mais aussi plus épais et plus perméable.
Très rapidement, le tissu alourdi par l'eau m'a collé aux jambes, tout en formant une gouttière naturelle qui canalisait la pluie droit vers mes chaussures de randonnées, qui ne tardèrent pas à se remplir comme une piscine. Mes gants, totalement détrempés, étaient devenus inutile contre le froid. Ma veste imperméable avait le plus grand mal à empêcher l'eau de traverser, tandis qu'autour de nous, un brouillard grisâtre se refermait sur les cimes que nous étions en train de gravir. Bientôt, il n'était plus possible de distinguer la nature du terrain à quelques mètres de distance. Ramollis par les eaux et fatigués, nous avons trouvé refuge contre une paroi rocheuse, tandis que notre guide appelait en renfort le 4x4 par radio. Une fois la liaison établie avec le chauffeur du véhicule, Thor nous a recommandé de rester bien groupé et de ne pas s'éloigner les uns des autres. Dans une atmosphère cotonneuse et inquiétante, nous nous sommes alors portés à la rencontre de notre moyen de transport.
Lorsque les phares jaunes de ce dernier ont percé le brouillard, je pouvais difficilement lutter contre l'envie de m'affaler sur la banquette arrière, couverte comme hier d'une feuille de plastique isolante. Bien que pouvant prétendre à cette dernière, tout comme le compagnon qui m'avait accompagné hier, quelque chose m'a poussé à refuser, et le 4x4 s'en est allé pour un premier aller et retour, en laissant derrière lui des marcheurs pour la plupart trempés jusqu'à l'os. Quand on se sent fatigué et que l'on rencontre une limite, il est toujours difficile de savoir comment se comporter. Accepter d'en rester là, et admettre ainsi l'existence de cette dernière, qui se matérialise alors en une barrière infranchissable, du moins pour cette fois ? Ou décider de continuer encore un peu, et repousser ainsi la limite en question, qui du coup n'en est plus une, même si elle va tenter de se reformer quelques dizaines ou centaines de mètres plus loin ?
Ayant rêvé de l'habitacle chauffé, me voila en train de continuer de marcher sous une pluie qui tombait sans discontinuer. L'eau formait des rigoles dans les replis de mon sac à dos, mon pantalon semblait peser dix tonnes, et même sous la pluie patagonienne, je n'avais jamais été trempé comme ça. C'est donc avec soulagement que 30 minutes plus tard, j'aperçu sur la piste boueuse notre 4x4. Le refuge étant relativement proche, celui-ci n'avait mis que peu de temps à effectuer son circuit. Pourtant, une fois installé à l'intérieur, une partie de moi continuait à se demander si j'aurai pu parcourir à pied les 3,5 kilomètres (effectué en 8 minutes à la vitesse de 27 km/h grâce au 4x4) qui nous séparaient encore de notre abri.
A 17h45, nous avons retiré veste, pantalon et chaussures pour tenter de les faire sécher tant bien que mal sur des fils à linge. Le refuge était similaire au premier, sauf qu'il était cette fois occupé par un couple de suisses, qui ont du voir débarquer avec une certaine appréhension notre troupeau dégoulinant de pluie. Thor, aidé de quelques volontaires, s'activa comme si de rien n'était à la cuisine pour préparer des pâtes bolognaises, un met de choix quand il s'agit de reprendre des forces. Un petit livre d'or traînait sur une table, rempli de témoignages de randonneurs désabusés ou stoïques, tous ou presque ayant pour trait ... le temps. Le couple suisse nous expliqua qu'ils étaient déjà passés plusieurs fois dans le secteur au fil des ans, mais qu'ils n'avaient encore jamais eu la chance d'admirer les paysages de la région sous le soleil ! Contrairement au nord, le sud de l'Islande est effectivement soumis à un important régime de précipitations, environ 4000 millimètres par an. Pourtant ils revenaient chaque année, peut-être parce que l'Islande ne serait pas véritablement l'Islande si les éléments ne s'y déchaînaient pas ...
Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Skafta. Début de la trace : 12:26:32. Fin de la trace : 17:18:18. Temps écoulé : 4h52. Longueur : 13,9 km. Vitesse moyenne : 3 km/h.
Jour 6 (vendredi 7 août 2009) : La faille du feu
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Sous le claquement des capes de pluie, nous avons laissé derrière nous le petit refuge, pour nous diriger plein ouest vers l'une des plus remarquables particularités géologiques de l'Islande, Eldgjá, la faille du feu. Plus longue fissure éruptive de la planète, elle débute au niveau du glacier géant Vatnajökull pour finir par arriver, après plus de 40 kilomètres, jusqu'au Mýrdalsjökull.
L'Islande est une île fascinante d'un point de vue géologique, et elle possède sa place dans le moindre manuel de géologie. Et pour cause, puisqu'il s'agit du seul endroit de la Terre ou il est possible d'admirer une dorsale océanique à l'air libre, les pieds au sec (enfin, façon de parler). Comme vous l'avez peut-être appris sur les bancs d'écoliers, la surface de la Terre est divisée en un certain nombre de plaques rocheuses (le nombre total de ces plaques lithosphériques est toujours débattu, mais on en dénombre 14 majeures). Ces plaques ne cessent de se déplacer les unes par rapport aux autres, soit en se séparant, soit en coulissant de manière plus ou moins douce, soit encore en entrant en collision. Les géologues distinguent deux grands types de plaques lithosphériques : les plaques océaniques et les plaques continentales. Si certaines plaques peuvent être entièrement océaniques ou continentales, les plaques majeures sont en fait souvent composées d'un fragment de nature océanique, et d'un fragment de nature continentale.
Comme leur nom l'indique, les plaques lithosphériques océaniques constituent le fond des océans et sont constituées d'une croûte océanique de nature basaltique (5 à 7 kilomètres d'épaisseur en moyenne), qui finit par se recouvrir de sédiments au fil du temps, et d'une lamelle de manteau supérieur. Ces plaques sont souvent lourdes et cassantes et sont toujours très jeunes (la plus vielle croûte océanique est âgée de 220 millions d'années). A l'inverse, les plaques lithosphériques continentales forment la surface des continents émergés. Elles sont formées d'une croûte continentale de nature granitique, d'épaisseur variable (15 à 80 km sous certaines chaînes de montagnes), et d'une partie du manteau supérieur. Moins denses que les plaques océaniques, elles peuvent être très vieilles (jusqu'à 4 milliards d'années). D'ou vient cette différence d'âge ? Tout simplement du mécanisme de formation des plaques. Les plaques continentales sont vraisemblablement apparues très tôt lors de la formation de la Terre, même s'il est tout à fait possible que les continents continuent de croître aujourd'hui. Composés de minéraux relativement légers, ces plaques peuvent se comparer à une sorte d'écume rocheuse, qui s'est mise à flotter au-dessus des matériaux plus lourds du manteau, et qui, justement à cause de sa légèreté, s'est trouvée être insubmersible. A l'inverse, les plaques océaniques naissent en permanence dans des endroits particulièrement actifs de la Terre, les dorsales, à partir du refroidissement d'un magma provenant de la fusion partielle du manteau terrestre à grande profondeur. C'est peut-être surprenant, mais les dorsales constituent la plus grande chaîne de montagne au monde. Celle-ci, longue de 60 000 kilomètres, est néanmoins totalement invisible pour nous humains, et ce pour une raison évidente : elle est effectivement (presque) totalement immergée sous les océans.
L'Islande, par un heureux hasard, se trouve être située en plein milieu de la dorsale médio-atlantique. Cette dernière forme une immense chaîne de montagnes sous-marines, longue de 11300 kilomètres, qui s'étend comme une hideuse cicatrice au beau milieu de l'océan atlantique, séparant au sud l'Amérique du sud de l'Afrique, et au nord, l'Amérique du nord de l'Europe. L'Islande se trouve donc précisément au point de séparation de deux plaques lithosphériques : à l'ouest, la plaque nord-américaine, à l'est, la plaque eurasienne. Ainsi, si d'un point de vue géographique cette île fait partie de l'Europe, d'un point de vue géologique, elle est à la fois américaine et européenne. Il existe donc potentiellement des endroits en Islande ou l'on peut poser un pied sur le sol américain, et l'autre sur notre bonne vieille Europe.
Les montagnes sous-marines des dorsales s'élèvent plusieurs milliers de mètres au-dessus de vastes plaines abyssales, constituant ainsi des massifs imposants. Pourtant, malgré leur hauteur, elles sont néanmoins encore recouvertes par plusieurs milliers de mètres d'eau de mer. Le sommet de la dorsale est caractérisé par une zone d'effondrement, ou rift, dont les versants présentent des profils caractéristiques en marche d'escalier. Cette déchirure, provoquée par l'écartement des deux plaques situées de part et d'autre de la dorsale, constitue un passage privilégié pour le magma, qui remonte le long d'innombrables fissures jusqu'à rencontrer l'eau de mer. Brutalement refroidi, il forme des structures typiques (les plus célèbres étant les pillow-lavas) qui viennent s'ajouter, à gauche et à droite de la dorsale, aux deux plaques existantes, augmentant ainsi leur surface. Les lèvres béantes des dorsales océaniques sont donc l'endroit ou les plaques océaniques se forment, à partir de l'épanchement de magma. La vitesse d'accrétion des plaques est très faible, environ 2 à 3 centimètres par an pour la dorsale médio-atlantique (il existe des dorsales plus rapides, comme la dorsale pacifique, capable d'agrandir les plaques d'une longueur pouvant aller jusqu'à 18 centimètres par an).
Si les deux plaques s'éloignent l'une de l'autre comme deux tapis roulants, leur vitesse de formation n'est cependant pas identique tout au long de la dorsale, et certains secteurs avancent plus vite que d'autres. Ils constituent alors des blocs distincts, séparés par des failles que les géologues qualifient de transformantes. Il faut également noter que les vitesses d'écartement ne sont que des moyennes. En réalité, un secteur donné d'une dorsale ne fonctionne pas en permanence. Il peut se passer des dizaines d'années sans que rien ne se produise, jusqu'à ce que soudainement, un volume titanesque de lave ne s'écoule soudain, bouleversant un paysage, qui semblait, quelques instants encore auparavant, immuables. De la même manière, le coulissage des blocs le long des failles transformantes n'a pas lieu de manière régulière : des tensions peuvent s'accumuler pendant de très nombreuses années sans que rien ne bouge. Jusqu'à ce qu'un beau jour, les pressions mises en jeu soient telles que les blocs avancent d'un ou deux mètres en une fraction de seconde !
L'une des conséquences remarquables du mécanisme de formation des plaques océaniques est que plus on s'éloigne de la dorsale, plus les roches sont âgées. De plus, de part et d'autre de la dorsale, pour une distance identique, les roches ont exactement le même âge. Les deux plaques issues d'une même dorsale, bien que s'éloignant l'une de l'autre, sont bel et bien des sœurs jumelles, des copies conformes d'un point de vue géologique.
La formation, à plus ou moins grande vitesse, de croûte océanique devrait logiquement avoir pour conséquence d'augmenter la surface des océans, et donc de notre planète. Or, comme vous le savez, la Terre possède une surface donnée, et n'enfle pas comme un ballon de baudruche au fil des milliards d'années. Si les plaques se forment au niveau des dorsales, et que la surface de la Terre n'augmente pas, c'est qu'il existe des endroits ou les plaques se détruisent.
Imaginons que deux plaques océaniques se rencontrent : l'une est encore jeune, chaude et donc légère, l'autre plus vieille, plus froide et donc plus dense. De part son poids, la seconde va avoir tendance à s'enfoncer naturellement sous la première dans le manteau terrestre, qui finira par la digérer (c'est le phénomène de subduction). La courbure de la plaque plongeante va donner naissance à des fosses océaniques particulièrement impressionnantes, la plus célèbre d'entre-elles étant la fosse des Mariannes dans l'océan pacifique (environ 11 km de profondeur). Maintenant, prenons le cas d'une plaque océanique jeune, qui n'a donc pas tendance à s'enfoncer, et d'une plaque continentale, qui n'a aucunement l'intention de disparaître dans le manteau. Encore une fois, il y a subduction, mais cette fois ci forcé, la plaque océanique étant obligée de plier et de plonger dans le manteau (notons que parfois, des petits fragments de croûtes océaniques sont raclés par le coin de la plaque continentale et se retrouvent , de façon incongrue, à l'air libre). Enfin, que se passe-t-il quand deux plaques continentales rentrent en collision ? Les deux colosses refusant chacun de plier, les continents se fracturent et se plissent, tout en continuant lentement mais sûrement de s'enfoncer l'un dans l'autre (c'est le phénomène de collision, a qui l'on doit en particulier le massif de l'Himalaya).
Les énergies dégagées au niveau des zones de subduction et de collisions sont colossales. Selon le contexte, on observe l'apparition de différents types de volcanisme, des tremblements de terre (qui peuvent provoquent des tsunamis souvent dévastateurs quand ils sont sous-marins) ou encore de formidables chaînes de montagnes quand un continent est froissé comme du vulgaire papier (comme indiqué plus haut, le massif de l'Himalaya s'est ainsi formé suite à la collision de la plaque indienne avec la plaque eurasienne). Les dorsales sont également des lieux ou règne un volcanisme débridé, capable non seulement de former de formidables chaînes de montagne, mais également de créer de toute pièce des pans entiers de la surface d'une planète. Cependant, comme nous l'avons vu, tout se déroule à grande profondeur. Comme diable l'Islande, qui se situe exactement sur le trajet de la dorsale médio atlantique, a t-elle pu sortir des eaux ?
L'explication tient encore une fois au volcanisme. Nous avons passé en revue les deux endroits de la planète les plus actifs d'un point de vue volcanique : les dorsales océaniques, qui courent au fond des océans, et les zones de subduction, ou les plaques se rejoignent, parfois de manière douce, d'autre fois dans un grand fracas. Il suffit de regarder n'importe quelle carte indiquant la position des volcans sur Terre pour s'apercevoir que ces derniers épousent parfaitement les limites entre les plaques lithosphériques, que celles-ci s'écartent (dorsales) ou se rencontrent (zones de subduction ou de collisions). Pourtant, il existe quelques exceptions, qui défient toute relation avec la tectonique de plaques. Baptisés volcans de points chauds, ces édifices peuvent apparaître n'importe ou sur le globe, en plein milieu des mers ou des continents. Ils sont alimentés par un panache de matière en fusion qui prend naissance très en profondeur au sein du globe terrestre (certains volcanologues estiment ainsi que la source des points chauds se situe à l'interface du manteau et du noyau terrestre), et qui comme un chalumeau, perce la croûte terrestre en la soulevant. Les volcans d'Hawaii, ou de l'île de la Réunion, pour ne citer qu'eux, sont des volcans de ce type. Comme la plaque lithosphérique se déplace au-dessus du chalumeau qui est lui immobile, il se forme au fil du temps un chapelet de volcans, alignés dans la direction de déplacement de la plaque. Un premier édifice volcanique se forme, puis, la plaque progressant, celui-ci est coupé du filet de magma qui s'alimentait et s'éteint, tandis qu'un nouveau volcan se forme à son voisinage ...
La coïncidence est presque trop incroyable pour être réelle, mais c'est pourtant la vérité : L'Islande doit son existence à la superposition d'une dorsale océanique et d'un point chaud. Des relevés tomographiques ont en effet montré la présence sous l'île d'un panache de matière émis depuis une profondeur de 2900 kilomètres (soit la limite entre le manteau inférieur et le noyau terrestre), et dont la température est de 200°C supérieure à celle des matériaux environnants. La pointe de ce chalumeau géant déforme la lithosphère sur plus de 1000 kilomètres, provoquant un bombement qui est parvenu à faire sortir la dorsale océanique des eaux, donnant ainsi naissance à une île volcanique. Un hasard étonnant, qui donne aux géologues l'occasion d'étudier l'interaction d'un point chaud (qui émet généralement des basaltes alcalins pauvres en silice) avec une dorsale (caractérisée par des basaltes tholeitiques, plus riches en silice). Étant situé sur une limite de plaque, un secteur par définition immobile, l'Islande ne devrait pas faire partie d'un chapelet d'îles, comme c'est le cas par exemple pour la chaîne Hawaï empereur. Ce petit morceau de terre, âgé de 20 millions d'années, continue néanmoins de s'agrandir grâce à l'accumulation des laves et la sortie des eaux de petits îlots, le plus récent étant celui de Surtsey (qui a d'ailleurs permis de définir un nouveau type d'éruption volcanique, le type surtseyen, caractérisé par un épanchement de lave à très faible profondeur).
Au niveau de l'Islande, le rift a la forme d'un Y renversé. La branche ouest passe par Reykjanes et Thingvellir, tandis que la zone est, dans laquelle nous évoluons, englobe les volcans Katla (situé sous le glacier Mýrdalsjökull), Hekla (situé à l'ouest de Landmannalaugar), Grimsvötn (situé sous l'immense glacier Vatnajökull) et Laki. Les deux branches se rejoignent au milieu de l'île pour n'en former plus qu'une seule alignée dans la direction sud-nord. On y trouve en particulier le site volcanique de Myvatn, ainsi que les volcans Krafla et Askja.
Bien qu'éteinte depuis des siècles, la faille d'Eldgjá, située au beau milieu de la branche est du rift islandais, est typique du volcanisme de dorsale : celui-ci n'édifie pas en effet de cônes volcaniques, mais se manifeste sous la forme de fissures qui dégorgent des tonnes et des tonnes de laves en fusion. Dans de vieux manuels de sciences naturelles ou de géographie, il était courant de classer les volcans parmi quatre grands types : hawaiien (volcans boucliers aux pentes douces), strombolien, vulcanien et peléen. Cette classification est aujourd'hui plus ou moins obsolète, en partie parce que le volcanisme fissural, caractéristique des dorsales et qui est ainsi le plus répandu à l'échelle du globe, n'y figurait pas.
L'esprit rempli d'images de laves rougeoyantes et de roches brûlantes sortant à fleur d'eau dans un chuintement de vapeurs, je chemine avec prudence le long du flanc est de la faille du feu. Les pentes sont raides, et plongent brutalement en contrebas, vers le fond de la fissure, que l'on parvient parfois à distinguer, quand la brume s'évanouit pour quelques instants. Après avoir suivi l'étrange cicatrice pendant quelque temps, nous empruntons un petit sentier qui nous permet d'y descendre. Transi sous une pluie glacée, avec en face de nous la double cascade d'Ófærufoss, nous avalons rapidement nos sandwichs, sans doute plus pressé de nous remettre en mouvement pour nous réchauffer que de nous restaurer. Une fois franchi les 300 mètres qui nous séparait de l'autre versant d'Eldgjá et grimpé une petite butte, nous débouchons devant les eaux blanches et bouillonnantes d'Ófærufoss, en compagnie de touristes débarqués de bus garés sur un parc de stationnement situé à proximité, et que l'on imagine chauffés et douillets. Ceux-ci nous regardent d'ailleurs d'un drôle d'air, comme si la seule manière de visiter la faille du feu était de procéder rapidement, en sortant d'un véhicule muni d'un parapluie, pour le regagner dans la foulée 20 minutes plus tard ...
Un kilomètre plus loin, et il n'y a de nouveau plus de traces de vie humaine. Sous un ciel gris et des averses intermittentes, nous cheminons vers le sud. Après deux nuits en refuge, nous sommes nombreux à être convaincus que la nuit va se dérouler sous tente. Le petit sourire en coin que notre guide, harcelé par la question du couchage, pouvait cependant laisser penser que nous serions, encore une fois, logés au sec. Effectivement, après 3 heures de marche, nous parvenons à proximité d'une grande bâtisse entourée de plusieurs petits chalets de bois, et de quelques toiles de tentes.
Le refuge était occupé par plusieurs groupes, mais la salle dans laquelle nous étions était suffisamment grande pour que tout le monde soit logé à son aise. Les cuisiniers s'activèrent à la préparation de délicieuses croquettes de poisson aux pommes de terre, dont on ne finit qu'une bouchée. Nous avions demandé à notre chauffeur de nous ramener, en même temps que les vivres nécessaires au ravitaillement, une bouteille de Brennivín ("vin brulé"), que les islandais appellent la mort noire. Fabriquée par distillation de pulpes de pomme de terre et parfumée au carvi (une plante proche du fenouil, de l'anis et de l'aneth), cette liqueur titrée à 40° est servie dans une bouteille verte à l'étiquette noire. Cette dernière, par son aspect austère, était sensée décourager les gens de la consommer. Façonnée comme un drapeau de pirate flottant au vent, elle excita cependant plus l'âme humaine qu'elle ne l'apaisa, et le Brennivín rencontra bientôt un succès fou, à tel point qu'il s'agit désormais de la boisson islandaise officielle. Si elle constitua pour nous un excellent digestif après nos copieuses boulettes de poisson, elle est également consommée pour faire passer le goût de certains mets islandais, comme l'hákarl, de la viande de requin fermentée par un séjour de plusieurs mois dans le sol, puis séché au soleil ! Gageons qu'il s'agit d'un plat aussi vif que la géologie du pays !
Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : la faille du feu. Début de la trace : 10:01:26. Fin de la trace : 15:31:55. Temps écoulé : 5h30. Longueur : 17,7 km. Vitesse moyenne : 3 km/h.
Jour 7 (samedi 8 août 2009) : Álftavötn
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Départ plein ouest à 10h00 pour ce début de week-end Islandais, au cours duquel, si l'on en croit le centre météo de l'île, nous allons avoir droit à une belle éclaircie. Pourtant, ce matin là, le plafond nuageux est toujours très bas, et écrase de sa masse grisâtre les paysages.
A part quelques exceptions, comme le site de Landmannalaugar, l'Islande semble être une sorte de toile sur laquelle un peintre mélancolique aurait jeté son âme, peignant les décors grandioses de cette île sortie des flots en bichromie. Le vert, pour rendre la végétation rase des mousses ou des graminées, et le noir, pour représenter les roches et les sables volcaniques. Ça et là, il a égayé son œuvre de quelques taches de bleu et de blanc, mais il ne fait pratiquement aucun doute que la presque totalité de l'Islande s'appréhende en vert et noir.
Les reliefs d'Álftavötn, eux, sont majoritairement verts, l'âpre volcanisme ayant cédé devant les forces de l'érosion et de la vie. Après avoir laissé derrière nous le vaste refuge et surplombé une petite cascade, nous pénétrons bientôt dans un paysage constitué de collines dont les versants, disséqués par l'érosion, laissent le passage à une multitude de rigoles, ravines et torrents qui viennent grossir des rivières serpentant en contrebas. Le sol est presque entièrement recouvert par un tapis épais de mousses gorgées d'eau. Aucune crête effilée de lave, aucune étendue de sable noir, aucun cône volcanique arrogant ne vient troubler le paisible panorama qu'offre Álftavötn. Malgré le dépouillement des couleurs et la monotonie des reliefs, les paysages apaisent l'esprit en dégageant une impression de douceur, qui, grâce au climat nordique, ne peut heureusement pas se transformer en torpeur !
Abrité du vent par la gorge d'une petite rivière, nous avalons rapidement nos traditionnels sandwichs. Un peu de temps auparavant, au cours d'un instant, le ciel s'est ouvert et nous avons aperçu un petit fragment de ciel bleu. Était-ce un encouragement, ou au contraire un clin d'œil sournois des éléments ? Toujours est-il que la trouée s'est vite refermée, et que le vent et la pluie ont recommencé à déferler sur les collines émoussées d'Álftavötn. L'eau n'avait pas encore dit son dernier mot.
Après avoir obliqué vers le sud ouest, notre groupe a effectivement buté contre un cours d'eau vigoureux, dont les eaux agitées ne laissaient que peu de doute quand à nos chances de traverser à gué. Notre guide décida donc d'emprunter un autre chemin, et nous nous sommes alors engagés dans une vaste plaine inondée, ou les bras d'eau qui enserraient le sol, s'ils étaient plus nombreux et larges, étaient également dans le même temps moins profonds et furieux. Plusieurs d'entre nous n'étant pas équipés de sandalettes, nous nous sommes divisés en deux groupes. Le premier a du franchir à pied plusieurs cours d'eau avant de s'arrêter et de déchausser, notre guide revenant alors en arrière avec sa provision de sandales, pour permettre au second groupe de passer à son tour. Les distances à parcourir sont importantes, et le lacis dense des rigoles ralenti fortement la progression. Une fois la jonction établie avec le premier groupe, étant de toute manière impatient de nature, je décide de continuer sans chaussures. La majorité du sol est effectivement recouvert d'une épaisse couverture de mousse, et semble donc praticable. Me voila donc pieds nus, les jambes trempées jusqu'au genou, déambulant avec l'hésitation d'une personne qui ne sait pas sur quoi elle va marcher, au beau milieu d'une vaste plaine marécageuse, en plein cœur de l'Islande. Après quelques centaines de mètres, le plaisir de fouler les mousses et de randonner dans le plus simple appareil m'a donné confiance, et je trotte désormais d'un pas plus affirmé. Certes, à une ou deux reprises, il faudra traverser un cours d'eau dont on se rend compte que le fond, loin d'être argileux ou vaseux, est constitué de nombreux petits galets pas encore suffisamment émoussés, ou encore sauter de petites parcelles mousseuses en petites parcelles, pour éviter un passage trop rocailleux, mais l'exercice est dans son ensemble férocement amusant.
Une fois la plaine traversée, et après avoir effectué presque une boucle complète sur nous même (nous nous sommes effectivement pratiquement hissés à la hauteur du torrent qui nous avait refusé le passage), nous faisons halte à 15h00 dans un petit refuge à un étage. Le rez-de-chaussée, froid et obscur, laisse effectivement place en hauteur à une grande mezzanine en bois, éclairée et chauffée. Etant arrivé de bonne heure, notre guide avait prévu, pour les plus courageux, une petite randonnée dans les environs. Cependant, une fois étalé sur mon sac de couchage moelleux avec un bouquin dans les mains, l'idée de m'exposer à nouveau aux éléments m'a lentement quitté. La traversée des gués s'était effectivement révélée éprouvante, et personne n'osa sortir du petit refuge. Durant l'après midi, deux groupes à cheval passeront en trombe devant notre abri. Je n'ai jamais personnellement aimé l'idée de cheminer autrement qu'à pied, mais je dois avouer qu'à travers les petites lucarnes, la vision de ces puissantes montures galopant entre les collines vertes dans un nuage de vapeur m'a fasciné.
Les cavaliers ne s'arrêteront pas, et une nouvelle fois, nous n'aurons pas à partager notre gîte. L'intérieur de l'île est bel et bien un endroit sauvage et désert, ou peu de personnes s'aventurent sur un coup de tête, ou pour une randonnée d'une journée. Les distances à franchir pour retrouver la civilisation sont effectivement trop importantes, à moindre d'être à cheval, ou d'accepter les cahots d'un véhicule 4x4. Une soupe d'agneaux permettra de reconstituer nos forces, et c'est avec l'espoir d'apercevoir enfin un peu de soleil, annoncé pour dimanche, que nous nous endormons.
Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Álftavötn. Début de la trace : 09:49:35. Fin de la trace : 15:07:52. Temps écoulé : 5h18. Longueur : 13,1 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Jour 8 (dimanche 9 août 2009) : Dieu bénisse les sources d'eau chaude !
Comme hier, nous partons plein ouest en coupant au travers d'une vaste plaine, parsemée ça et là de petits monticules. Le sentier suit plus ou moins les courbes de niveau, tout en prenant progressivement de l'altitude. Après 3 heures de marche, nous faisons une halte pour nous restaurer, avant de repartir vers le sud-ouest.
Deux heures plus tard, notre groupe parvient devant une vaste plaine inondée, Holmsarbotnar, marquée à l'horizon par une montagne en forme de M, le Strutur, qui culmine à 968 mètres. Thor nous annonce que nous sommes désormais à proximité de la fameuse source d'eau chaude mentionnée dans notre programme, et dont je rêve depuis que j'en ai lu la présence (celle de Landmannalaugar, trop facile d'accès et donc trop fréquentée, ne comptant bien sûr pas !).
Hélas, un ultime obstacle se dresse encore sur notre chemin. La source tant convoitée est effectivement située de l'autre côté d'un bras de rivière équipé d'un pont en bois. Ce dernier a cependant été emporté par les intempéries des derniers jours, et il semble être impossible de traverser en gardant les pieds au sec. Qu'à cela ne tienne, la rivière sera traversée comme finalement presque toutes les autres, à gué, pantalon relevé et chaussures dans le sac.
La source du Strutslaug s'offre enfin à nous. Elle se présente sous la forme de deux petits bassins, accolés au versant mousseux d'une petite colline, et séparés par un petit muret de pierres. Juste à proximité, un randonneur solitaire a planté sa tente, mais les bassins eux-mêmes sont inoccupés. Tandis que nous enlevons un à un nos vêtements, des gouttes de pluie se mettent à tomber, et c'est accompagné par une pluie fine et froide que nous nous glissons dans les eaux fumantes et surchauffées du Strutslaug.
Outre le fait qu'elle soit déserte, contrairement à la source chaude de Landmannalaugar, bien souvent bondé de monde, Strutslaug est également beaucoup plus sauvage. Contrairement à la précédente, formée d'un bras d'eau réchauffé par une rigole sortant de la coulée de lave de Laugahraun, celle-ci est constituée d'eau stagnante. Une quantité phénoménale d'algues et de bactéries a pu se développer autour du premier bassin, recouvrant chaque pierre d'un biofilm épais et gluants de plusieurs centimètres d'épaisseur. Le superbe paysage nordique entourant l'endroit, la température élevée de l'eau, le clapotis des gouttelettes de pluie froides à sa surface , la présence de ces tapis microbiens verts, oranges et noirs, les dépôts noirs et vaseux que nos déplacements faisaient remonter des profondeurs, tous ces éléments concourraient à donner l'impression de se baigner dans une sorte de marmite du diable, rendant ainsi l'expérience inoubliable. La source chaude du Strutslaug était encore plus primitive et sulfureuse que ce que je m'étais imaginé !
Toutes les bonnes choses ont cependant une fin, et il faut bientôt se résigner à se remettre en route. Sortir du bassin bouillonnant n'est pas une mince affaire, car cela signifie s'exposer à nouveau à la pluie battante, enfiler les affaires mouillées posées en tas sur la mousse verte, sans compter qu'il faut se débarrasser de toutes les particules de vase noire et de fragments gélatineux qui collent à la peau. Une technique en plusieurs étapes est vite mise au point par notre groupe : dans un premier, rejoindre le bassin d'eau tiède situé un peu plus en aval, ou l'eau est plus limpide, et le fond recouvert d'une vase argileuse grisâtre moins salissante, puis sortir de l'eau et parfaire le rinçage avec le torrent tout proche, dont l'eau est cette fois ci glacée. L'essentiel est de serrer les dents pendant quelques secondes, et tout le reste, le séchage avec une serviette humide, la pluie et les tissus trempés ne sont plus qu'une formalité.
Alors que nous nous apprêtons à partir, un hélicoptère noir débouche de nulle part dans la vallée, accompagné d'un flap-flap caractéristique, et se met à décrire plusieurs cercles au-dessus de nous. Dans l'habitacle climatisé, j'imagine plus que je ne les distingue les visages collées aux portes vitrées des passagers, tout à la fois amusés et stupéfaits par notre groupe. Le pilote leur a-t-il indiqué qu'ils avaient joué de malchance, et que s'ils étaient arrivés quelques minutes plus tôt, ils auraient pu photographier les corps blancs d'une bande de joyeux dingues, à moitié immergé dans l'eau fumante de la source ? Dans l'avion qui nous ramènera en France, je trouverai dans la petite pochette de mon siège une brochure pour des vols en hélicoptère, l'un des parcours proposés passant effectivement à l'aplomb de la source du Strutslaug. D'après le descriptif, l'hélicoptère était capable de se poser pour décharger ses passagers et leur permettre de se baigner. Ceux présents dans notre hélicoptère n'ont-ils pas osé l'expérience à cause de notre présence ? Ont-ils jugé les conditions climatiques inadéquates ? Nul ne peut le savoir, mais une chose est certaine, bien que bénéficiant d'un moyen de transport réservé à une élite, bien que pouvant admirer les merveilles de l'Islande depuis les airs, ils ont ici manqué quelque chose !
A la fois détendu et empli d'une étrange fatigue, j'ai repris la marche le long d'un sentier de terre. Une fois franchi un petit col, nous sommes parvenus dans une belle vallée humide, et à l'horizon, nous avons pu distinguer le toit d'un petit refuge. Le temps semblant se dégager, nous avions le choix entre dormir à l'intérieur, puisque les places avaient été réservées, ou planter les tentes à proximité, dans une petite cuvette. Après plusieurs nuits à l'étroit, j'ai opté pour cette solution que je n'ai pas regretté, même si la nuit sera quelque peu humide. Une délicieuse odeur de viande grillée s'éleva bientôt d'un barbecue situé à l'extérieur de la bâtisse. Pas moins d'une cinquantaine de petites côtelettes d'agneaux étaient en train de griller au-dessus d'une braise rougeoyante. La journée m'ayant fortement mis en appétit, j'en ai dévoré six, servies avec du riz. Je ne sais pas si cette viande provenait d'animaux élevé en liberté, comme ceux que nous avions croisés à plusieurs reprises le long des sentiers, ou s'il s'agissait juste d'une faim aiguisée par l'exercice, mais je n'avais jamais mangé de côtelettes aussi délicieuses. Dans la lumière de fin de journée, le ciel s'était entrouvert, dévoilant au loin la pyramide presque parfaite de Maelifell, et laissant augurer le retour tant attendu du soleil.
Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : La source du Strutslaug. Début de la trace : 05:55:37. Fin de la trace : 18:49:10. Temps écoulé : 8h53. Longueur : 22,0 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Jour 9 (lundi 10 août 2009) : le désert de Maelifellssandur
La journée qui a suivi celle de la source chaude fut pour beaucoup la plus belle de tout le séjour. Peut-être parce que la pluie s'était fait moins présente, et que le soleil parvenait enfin à darder ses rayons au travers de la couverture nuageuse. Mais sans doute aussi parce que, après des journées à marcher dans des paysages de collines mousseuses et de laves noires, le désert de Maelifellssandur s'est imposé à nous dans sa singularité, comme l'avait fait avant lui les dômes rhyolitiques orange de Landmannalaugar.
Le séjour que j'ai passé en Islande ne m'a permis de découvrir qu'une toute petite partie de l'île. Dans tous les beaux livres que l'on consulte généralement avant ou après un voyage, on aime généralement retrouver ou revoir des lieux réellement foulés. Landmannalaugar est dans chacun d'eux, mais les photographies montrent aussi quantité d'endroits qui demeurent inconnus, soit parce qu'ils sont éloignés du circuit, soit parce qu'ils sont moins connus. Lorsque je me suis trouvé en face des paysages de Maelifellssandur, j'ai su que je les retrouverais en image. Et effectivement, dans le magnifique recueil intitulé "Le sublime et l'imaginaire", qui offre une vision intimiste de l'Islande (voir bibliographie ci dessous), l'un des clichés montre un petit volcan rouge qui semble tout droit sorti d'une autre planète et qui, pendant quelques heures, nous a attiré comme un aimant.
Une fois le refuge du Strutur derrière nous, après une courte montée, nous nous sommes effectivement trouvés face à une vaste plaine noire et dénudée, dont le sol était jonché d'une multitude de fragments volcaniques. Sur notre gauche, l'horizon était barré de blanc, mais bien audacieux celui qui aurait affirmé qu'il s'agissait de la couleur d'un glacier et non pas de celle des nuages.
Au loin, droit devant nous, un cône volcanique a progressivement surgi des cendres noires. Ses flancs étaient bariolés de taches brunes ou rouges, comme si un peintre y avait laissé trainer ses pinceaux. Sous le ciel changeant, le volcan semblait affirmer sa puissance en rouge cinabre, pour rapetisser l'instant d'après dans des tons de cendre. Tout en lui appelait à le gravir, et, après avoir essayé maintes fois de saisir toute sa présence sur pellicule numérique, nous nous élançâmes en file indienne vers son sommet.
Le cône volcanique n'était en lui-même pas bien haut, mais la combinaison de ce sol oxydé et rougeâtre avec l'immense masse brillante de la calotte glaciaire du Myrdalsjökull, ourlée de moraines sales et désormais pleinement visible au sud, m'a vraiment marqué. L'impression de se retrouver sur Mars, sur une autre planète, en un endroit irréel, ou les reliefs sont des mirages, les couleurs des illusions, et l'écoulement du temps un lointain souvenir.
Une fois redescendu le petit volcan, dont je n'ai toujours pas trouvé le nom, nous avons rejoint la plaine noire et continué notre progression en tirant vers le nord ouest. Petit à petit, les silhouettes élégantes des cônes disparaissaient dans les teintes bleu gris de la ligne d'horizon, et nous nous sommes retrouvés à nouveau face à une gravière, entourées de collines vertes et noires. Vers 17h00, nous avons atteint une charmante petite zone de camping près d'un ensemble de bâtiments, Hvanngil, ou nous avons érigé les tentes sous la lumière ambrée du soleil, qui avait décidément fait un retour triomphal.
Des blocs de charbon déversés dans une vieille brouette rouillée, et notre guide avait de quoi faire cuire deux superbes saumons à la braise. Avalés avec gourmandise, ils furent suivi d'une délicieuse crème au chocolat accompagné de chantilly, et c'est rassasié que nous avons rejoint nos tentes, sous une lumière qui teintait de rose les glaces du Myrdalsjökull. Pour ma part, j'ai dormi comme une marmotte, mais certains ont été ennuyés au cours de la nuit par de fortes émanations soufrées. Dans l'air nocturne paisible et froid, difficile d'imaginer que la calotte du quatrième plus grand glacier d'Islande cache un volcan redoutable, Katla, qui rentre en éruption une à deux fois par siècle, et qui, les volcanologues le savent, ne devrait désormais plus tarder à se réveiller.
Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : le désert de Maelifellssandur. Début de la trace : 09:23:33. Fin de la trace : 17:06:18. Temps écoulé : 7h43. Longueur : 18,4 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Jour 10 (mardi 11 août 2009) : Bienvenue en Mordor
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Au petit matin, nous avons quitté Hvanngil pour rejoindre un sentier relativement plat, sillonné par quelques randonneurs. Nous avions donc commencé à quitter le désert de l'Oraefi, au niveau duquel, durant plusieurs jours, nous n'avons pas croisé un chat (à l'exception des gens rencontrés dans quelques refuges), pour un secteur plus connu et arpenté.
En direction du sud-est, sous un beau soleil, nous avons paresseusement progressé sur un terrain plat et monotone, ou les rares cours d'eau pouvaient se traverser grâce à des ponts (un premier, étroit, pour les randonneurs puis un second, qui permettait cette fois ci le passage des véhicules). C'est seulement après le pique nique que nous avons débuté une large boucle pour nous rapprocher des moraines de l'une des langues de glace du glacier Mýrdalsjökull. Les paysages sont soudain devenus très sauvages et sombres. L'impression étrange qu'un géant a soudain éteint la lumière, la sensation de se jeter vers une désolation de sables noirs.
La glace du Mýrdalsjökull, loin d'être bleue ou d'un blanc immaculée, est ici salie par les matériaux volcaniques. Au loin, des nuages de vapeur, témoins silencieux de cascades furieuses tombant de falaises noires et menaçantes, montaient vers un ciel bleuâtre. Devant nous, les cours d'eau se rejoignaient et combinaient leur force en une rivière démontée, dont les eaux brunes et opaques s'agitent comme si elles étaient portées à ébullition.
Les moraines du Mýrdalsjökull étaient à l'échelle des reliefs environnants, géantes et intimidantes. J'eu à peine le temps de sortir une nouvelle fois l'appareil de sa housse pour tenter d'immortaliser le panorama que le reste du groupe a déjà disparu derrière des collines jaunâtres aussi hautes que des immeubles. L'idée m'est venue que si Peter Jackson n'avait pu tourner le Seigneur des Anneaux en Nouvelle Zélande, cette région de l'Islande aurait été parfaite pour accueillir le Mordor et ses ombres.
Notre descente est à peine terminée que nous tombons nez à nez avec une falaise infranchissable, constituée de l'accumulation de coulées de lave dont l'épaisseur laisse rêveur. Nous nous engageons bientôt dans un superbe canyon dont les parois semblent constituées de fragments volcaniques et de cendres compactées, élégamment découpés par l'érosion. L'endroit semblait être un véritable paradis pour un géologue, et en pianotant sur l'écran tactile de mon GPS pour enregistrer latitude et longitude, je me suis promis de rechercher une carte géologique du secteur.
Après avoir traversé des lieux aussi austères et inquiétants, empli de mélancolie et de tristesse, l'arrivée au campement d'Emstrur/Botnar fut un choc. Autour de trois petites maisons, sur des pentes herbeuses plongeant vers une vallée surplombée de l'autre côté par la calotte du Mýrdalsjökull, des dizaines et des dizaines de toiles de tente colorées se serraient les unes contre les autres. La densité était telle que nous avons d'abord craint de ne pas trouver de place pour les nôtres, mais une petite terrasse nous avait néanmoins était réservé.
Une fois la tente mess montée de l'autre côté des bâtiments, notre guide et notre chauffeur se sont activés en cuisine pour nous préparer des galettes de poissons dorées à la poêle. Constituées de différents poissons mélangées à des pommes de terre, elles constituaient un met des plus reconstituants, ce qui ne m'a cependant pas empêcher d'engloutir ensuite les délicieux pancake servis en désert. On a beau avoir passé une partie de la journée en Terre du Milieu, personne n'a envie de manger du lembas quand vient l'heure de souper !
Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Bienvenue en Mordor. Début de la trace : 9:51:42. Fin de la trace : 17:24:07. Temps écoulé : 7h32. Longueur : 19,2 km. Vitesse moyenne : 3 km/h.
Jour 11 (mercredi 12 août 2009) : Thórsmörk
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Au réveil, notre lieu de repos avait changé du tout au tout. De nombreux randonneurs avaient déjà plié la tente et les pentes autour du refuge d'Emstrur apparaissaient vides et désolées. Seules les empreintes rectangulaires d'herbe tassée indiquaient qu'une activité fébrile s'y était tenue la veille.
Devant nous s'étendaient les langues de glace du Mýrdalsjökull, forteresse blanche et imprenable habitée par un tumultueux volcan. Katla compte parmi les édifices volcaniques les plus dangereux d'Islande. Sa caldeira mesure 110 kilomètres de diamètre, et se situe sous plusieurs centaines de mètres de glace, entièrement masquée par l'immense calotte glaciaire du Myrdalsjökull. Nous avions déjà abordé ce vaste complexe volcanique lors de notre passage au niveau de la faille du feu d'Eldgjá, reliée à Katla, mais ici, devant ce glacier grandiose qui exhale du soufre, nous sommes directement en contact avec la bête.
Katla étant un volcan sous-glaciaire, on se doute que l'eau joue un rôle essentiel dans ses terribles éruptions, dont la dernière a eu lieu en 1918. L'énergie libérée par le volcan fait effectivement fondre une quantité faramineuse de glace, l'eau pouvant dans un premier temps s'accumuler sous le glacier, bloquée par des parois rocheuses ou des murs de glace. Au bout d'un certain temps, le réservoir sous glaciaire déborde, à moins que la pression n'ait raison des barrières de glace. Prennent alors naissance des lahars (jökulhlaup en islandais, ce qui signifie "course de glacier"), c'est à dire des écoulements catastrophiques de boue qui charrient des blocs de roche ou de glace de plusieurs dizaines voire centaines de tonnes. Denses et lourdes, ces coulées possèdent une force de destruction hallucinante, et dévastent absolument tout sur leur passage. Le volcan Katla possède plusieurs exutoires à ses colères, et ces régions sont des lieux emplis de désolation. Les coulées se ruent préférentiellement au sud (vers l'océan atlantique) et vers l'est, en formant des vallées de débâcle (comme la plaine de sables noirs de Mýrdalssandur).
Les jökulhlaup sont étudiés avec attention par les planétologues, car ces phénomènes se sont sans doute produits ailleurs dans le système solaire, en particulier sur Mars. De nombreuses vallées martiennes (outflow channel) pourraient en effet s'expliquer par le creusement du substratum rocheux par des crues catastrophiques, produites par exemple lors d'éruptions sous glaciaires. Le réveil du volcan Grímsvötn sous la calotte polaire du Vatnajökull en 1996 a ainsi constitué un cas d'école. Avec un débit de 45 000 m³/s, 3 km³ d'eau dégorgée par le glacier, cent millions de tonnes de matériaux charriés et une épaisseur de sédiments déposés au niveau de la plaine alluviale de Skeiðarásandur atteignant par endroit 10 mètres, cette crue fut l'une des plus formidables jamais observée sur notre planète.
C'est donc face à ce géant endormi que nous avons commencé notre randonnée. Après avoir redescendu le petit sentier que nous avions monté la veille, nous nous sommes engagés sur un ensemble spectaculaire de ponts tendus au-dessus des eaux sombres, agitées et menaçantes du canyon d'Syðri-Emstruá. Les nombreuses personnes croisées en chemin indiquaient que nous avions rejoint un tronçon très couru. Notre objectif est effectivement de rejoindre Thórsmörk en descendant vers le sud-ouest, le long de la bordure ouest du Mýrdalsjökull. Situé un peu à l'ouest de la zone de rencontre (longue de seulement quelques kilomètres) du Mýrdalsjökull avec un glacier plus modeste, l'Eyjafjallajökull, Thórsmörk est effectivement sur la route du Laugavegurinn, probablement l'un des plus beaux treks qu'il est possible de réaliser en Islande.
Un peu avant midi, nous avons fait halte devant les superbes gorges aux parois vertigineuses de Markarfljótsgljúfur. Au loin, un étrange sommet muni d'une corne rocheuse, et ressemblant à un rhinocéros de pierre (à moins qu'il ne s'agisse encore une fois du visage d'un troll pétrifié ?) se découpe à l'horizon. La marche est aisée, et, à l'exception d'une petite montée raide (suite à laquelle nous avons débouché au sommet d'une cuvette ou affleurait une magnifique coulée de basalte prismée lenticulaire), nous progressons principalement en descente.
En fin d'après midi, nous commençons à évoluer dans un secteur ou la végétation se fait plus arbustive, et bientôt, nous apercevons la lisière d'une forêt de bouleaux nains. A l'origine, l'Islande était recouverte par de superbes forêts, mais les éruptions volcaniques, les coups de hache des humains soucieux d'obtenir du bois de construction, ou encore la voracité des moutons ont eu raison de ce couvert végétal. Aujourd'hui, l'Islande est pratiquement dépourvue d'arbres, et seule 1 à 2 % de sa surface reste couverte par des forets, malgré les efforts de replantation menés par les islandais. Avec malice, certains islandais reconnaissent que c'est peut-être à cause de l'absence de forets qu'ils doivent leur passion de la généalogie et de ses arbres (sur ce sujet, on lira avec intérêt le roman "la cité des jarres" d'Arnaldur Indridason).
Thórsmörk possède un grand refuge dans lequel nous allons dormir, nos places ayant été réservées dès le début du voyage. Sur l'un des murs, un grand panneau prévient les randonneurs des dangers du volcan Katla, et des petits dépliants mis à disposition rappellent les consignes en cas d'éruption. L'heure est venue de commencer à ranger les sacs. En attendant que l'énorme gigot d'agneau préparé par notre guide ne soit cuit à point, nous regardons stupéfait un petit album photo réalisé par le propriétaire des lieux : sur des pages et des pages s'étalent des 4x4 tout terrain, des voitures et des bus, piégés en plein milieu de gués tout proche. Sur la plupart des clichés, les visages qui s'encadrent au niveau des vitres des véhicules sont souriants et amusés, tandis qu'à proximité, l'équipe de sauvetage s'affaire avec un gros tracteur, des cordes et des treuils.
Notre chauffeur nous ayant quitté au début de journée avec son 4x4 et les tentes, seul Thor nous accompagne encore. Durant le repas, il nous régale d'un conte islandais mettant en scène un couple de fermiers et une throllesse. Je ne sais pas si c'est l'économie de mots utilisée par notre guide pour la raconter, la tonalité bizarre de sa voix, son explication amusée sur le fait qu'il n'y a pas forcément de morale dans ces petites histoires étranges qui semblent sorties d'un autre temps, mais cela m'a irrésistiblement donné l'envie d'en savoir plus sur la mythologie nordique et ses créatures.
Alerté par quelqu'un, nous sommes sortis pour tenter d'apercevoir les deux petits renards apprivoisés par le gardien du refuge. Sous la lumière déclinante du soleil, qui perdait désormais jour après jour son combat contre la nuit, les glaces de l'Eyjafjallajökull brillaient d'un éclat sombre. En Islande, l'été était en train de se terminer.
Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Thórsmörk. Début de la trace : 09:50:35. Fin de la trace : 17:20:26. Temps écoulé : 7h30. Longueur : 17,1 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Jour 12 (jeudi 13 août 2009) : Reykjavík
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Notre dernier jour en Islande est arrivé. L'avion devant nous ramener à Paris ne décollant qu'en fin de journée, nous avons cependant le temps de réaliser une ultime randonnée, certes plus petite que les précédentes.
Vers 10h00, nous prenons donc la direction du sud ouest, avant de nous engager dans une large boucle autour d'un relief proéminent. Nous pataugeons bientôt dans une eau glacée, au beau milieu d'une gorge spectaculaire. Nous aurions du normalement rester au sec, si un bulldozer en plein travail d'excavation n'avait pas détruit la petite digue naturelle que nous comptions emprunter. Qu'importe cet imprévu, Thor est ici chez lui (Thórsmörk signifie en effet "les bois de Thor" !), et il ne met pas longtemps à nous trouver un chemin praticable.
Laissant derrière nous les mâchoires métalliques de l'engin en prise avec des tonnes de sédiments et de matériaux rocheux, nous nous enfonçons dans le canyon, totalement déserté par les randonneurs qui sont pourtant très présents à Thórsmörk. Sous un ciel bas et gris, nous profitons pour la dernière fois des paysages d'Islande, tout en gris et vert. L'érosion a profondément entaillée la roche, qui comble désormais sous la forme d'alluvions le fond des canyons.
Après avoir contourné la montagne, nous finissons par déboucher sur un charmant petit village qui sert visiblement à accueillir les randonneurs. Thórsmörk possède plusieurs îlots de ce genre, et notre refuge, distant d'environ 2 kilomètres, n'est donc pas le seul lieu de résidence possible dans ce secteur. Une fois rallié notre propre hutte, nous déjeunons rapidement avant d'empaqueter nos bagages. Le bus qui doit nous conduire à Reykjavik part aux alentours de 13 heures, mais notre guide nous indique qu'il est encore possible de parcourir un tronçon à pied.
Certes, l'idée d'embarquer dans le véhicule qui va devoir s'aventurer dans les gravières est tentante (peut-être même restera-t-il bloqué, comme sur les photos de l'album ?), mais l'envie de continuer à marcher est la plus forte. C'est donc en effectif réduit que nous entreprenons de monter le long d'un beau sentier sur une crête montagneuse, pour parvenir après 250 mètres de dénivelé au sommet du Valahnukur. Le panorama est superbe, et malgré les nuages qui s'amoncellent dans le ciel, la visibilité est particulièrement bonne. Au sud, une falaise plonge vers les chenaux anastomosés de la rivière Krossa, tandis qu'à l'ouest, des pentes plus douces conduisent à des plaines qui vont mourir dans l'océan atlantique. J'essaye de distinguer tant bien que mal la ligne de rivage, d'abord à l'œil nu, puis grâce au zoom de mon appareil photo, sans jamais savoir si le mince liseré que j'aperçois au loin correspond bien à l'océan.
Après s'être enivré une dernière fois de ces paysages austères et brutaux, nous redescendons vers le nord par un sentier raide pour déboucher sur une esplanade au niveau de laquelle sont parqués plusieurs bus. Bénéficiant d'un peu de répit avant le départ, j'ai le temps d'avaler avec gourmandise une gaufre chaude au chocolat, servie dans un bâtiment annexe. Quand vient le moment d'embarquer, une certaine fébrilité règne parmi la petite foule de randonneurs. Apparemment les places sont limitées, et certains craignent d'être laissés sur place. La destination des différents bus n'étant pas non plus indiquées de manière claire, d'autres s'inquiètent de s'embarquer vers une mauvaise direction, et de rater ainsi leur avion. Finalement les véhicules s'ébrouent, et c'est avec stupéfaction que nous regardons, de l'intérieur, notre vieux bus rouillé s'enfoncer jusqu'à la garde dans l'eau sombre et grise des gués. Inutile de dire que nous sommes à mille lieux de la grande majorité des moyens de transport qui desservent le territoire français !
Le voyage retour va durer environ 3 heures, et nous pénétrons dans Reykjavik à 18h20. Le temps de faire nos adieux à Thor et d'être déposé au centre ville, et il est déjà 19h00. Nous avons donc juste le temps de faire un peu de shopping et de manger un morceau au restaurant, avant d'être obligé de rallier l'aéroport de Keflavik, situé sur une avancée de terre à 50 kilomètres au sud-ouest de la capitale. Ce fut mon seul regret, n'avoir pas le temps de flâner à Reykjavik et de fureter dans les boutiques de vêtements de montagne pendant plusieurs heures pour dénicher le meilleur pantalon imperméable. Mais l'Islande est tellement fascinante qu'il faudra de toute façon y revenir. Que ce soit pour tous les autres geysers, volcans, lacs, glaciers et chutes d'eaux que nous n'avons pas vu de jour, sous le soleil ou les nuages. Et surtout, quand l'île est plongée dans les rigueurs nocturnes de l'hiver, pour le spectacle enchanteur des aurores boréales ...
Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : randonnée matinale, puis retour à Reykjavík. Début de la trace de la randonnée matinale : 09:03:18. Fin de la trace de la randonnée matinale : 15:49:28. Temps écoulé : 6h46. Longueur : 10 km. Vitesse moyenne : 1,5 km/h. Début de la trace "retour à Reykjavík" : 15:28:19. Fin de la trace "retour à Reykjavík" : 18:20:16. Temps écoulé : 2h52. Longueur : 7 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.
Pour moi, l'Islande a d'abord été une tache sur une carte géologique, projetée dans la pénombre d'un amphithéâtre. Cette île possède effectivement la particularité unique de se trouver à la fois au-dessus d'une dorsale océanique et d'un point chaud. Elle offre donc aux géologues la possibilité d'étudier à ciel ouvert l'interaction de deux volcanismes bien différents, une opportunité extrêmement rare sur notre planète (le lecteur qui sera parvenu jusqu'ici me pardonnera donc les quelques digressions géologiques du texte).
L'Islande symbolise d'abord et avant tout la Terre, et ce n'est pas un hasard si Jules Verne y place, dans son roman "Voyage au centre de la Terre", le lieu de passage vers les entrailles de notre globe. Combien d'entre nous se sont rendus là bas en emportant dans ses bagages une édition de poche de ce livre ? La force du lien qui unit l'Islande et le centre de notre planète est fascinante.
Voyage au centre de la Terre raconte l'histoire d'un jeune homme, Axel, entraîné malgré lui par son oncle, Otto Lidenbrock, dans une aventure extraordinaire. Lidenbrock, éminent minéralogiste reconnu par ses pairs, est dépeint par Jules Verne sous les traits d'un vieil homme acariâtre, possédé jusqu'à l'extrême par sa passion, sorte d'archétype du scientifique poussiéreux aussi intelligent qu'inconscient.
Dans un ancien manuscrit intitulé "Heims-Kringla" et écrit par un obscur chroniqueur de la vie des princes norvégiens qui régnèrent en Islande, Snorre Turleson, Lidenbrock découvre un parchemin codé, qui ne tarde pas, sous l'acharnement du vieil homme et de son jeune disciple, à livrer ses secrets, et en particulier celui de son auteur. Quand Lidenbrock comprend que l'énigmatique message vient de la main d'Arne Saknussemm, un célèbre alchimiste, il devient obsédé par le déchiffrement du cryptogramme, qui ne peut que renfermer un secret d'une importance majeure. Effectivement, voici ce que révèle le parchemin : "Descends dans le cratère du Yocul de Sneffels que l'ombre du Scartaris vient caresser avant les calendes de Juillet, voyageur audacieux, et tu parviendras au centre de la terre".
Ainsi donc, il existe un passage vers le centre de notre planète, et celui-ci s'ouvre en Islande. Outre la nécessaire existence de tout un réseau de grottes et de galeries sous la surface, jusqu'à des profondeurs infernales, le principal obstacle à une telle expédition tient à l'augmentation croissante des températures à mesure que l'on s'enfonce sous la croûte. Jules Verne, très au fait des dernières théories scientifiques de son époque, ne pouvait bien sûr l'ignorer. Ainsi fait-il s'interroger ses personnages sur la véracité de cette information : "Pourquoi, à une certaine profondeur, n'atteindrait-elle pas une limite infranchissable, au lieu de l'élever jusqu'au degré de fusion des minéraux les plus réfractaires. Ce qui est curieux dans cette terre d'Islande n'est pas dessus, mais dessous ?".
Une fois cette hypothèse posée, nos héros peuvent commencer leur lente et éprouvante descente dans les entrailles de notre globe. Voyage au centre de la Terre est un roman savoureux, tant pour les descriptions à la fois surannées et détaillées des différentes roches et environnements que les aventuriers vont rencontrer, mais aussi à cause de la nature exceptionnelle de l'aventure qu'ils vont vivre. Si la littérature n'a cessé d'envoyer des personnages fictifs à l'assaut des océans, des montagnes, du ciel et des étoiles, très peu ont choisi comme objet de fantasme les profondeurs obscures du sous-sol et le centre du globe.
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Tout voyageur en route pour l'Islande ne peut réellement ignorer que le passage fictif vers le centre du monde a été placé ici. Le rôle de l'imaginaire dans le choix d'une destination ne peut être sous-estimé, et les publicitaires, les voyagistes, les compagnies aériennes l'ont bien compris. L'Islande est indissociable du roman de Jules Verne. Bien entendu, tous les gens qui prévoient au cours de leur séjour d'approcher le volcan englacé du Snaeffel (visible par beau temps depuis Reykjavik) savent à quelle légende est mêlé l'endroit, sans pour autant être totalement conscient de la symbolique qui s'y cache. Cela va cependant plus loin que cela. En discutant avec un jeune couple qui effectuait avec moi le circuit, j'ai ainsi appris qu'un petit camping local s'était également approprié le droit d'ouvrir un passage vers le noyau du globe. Sur ce lieu, un petit panneau de bois, planté à côté d'un trou sombre et inquiétant, marquait fièrement l'entrée du centre de la Terre, en indiquant avec une rigueur toute scientifique, la profondeur de ce dernier (soit quelques 6300 kilomètres). Que le puits s'arrête en réalité à quelques mètres sous la surface et qu'il soit situé bien à l'écart du Snaeffel importait peu, impossible de passer à côté du panneau sans le mitrailler copieusement, pour pouvoir dire ensuite, j'y étais, je me suis penché au-dessus du centre de la Terre ! Ce qui m'a le plus surpris cependant, c'est de découvrir la silhouette bien reconnaissable du Snaeffel jusque sur l'emballage des tranches de jambon avec lesquelles nous confectionnions nos sandwichs ! Comme vous le voyez, même au fond du plus lugubre des supermarchés, impossible d'échapper au mythe !
Des galeries surchauffées et tortueuses de Jules Verne aux images de volcans en éruption crachant des fontaines de lave, en passant par les volutes de vapeur s'échappant des sources chaudes couleur turquoise, l'Islande apparaît comme le pays du feu. Or, si ce dernier couve bien en profondeur, le voyageur en vadrouille sur cette île va devoir bien plus imaginer ces brasiers ardents qu'il n'aura l'occasion de les voir réellement. Bien sûr, il est possible d'admirer les fameux geysers, les solfatares et les marmites du diable, et de plonger avec délice dans les eaux fumantes des sources géothermiques. Pourtant, ce qui m'a le plus marqué là bas, c'est non pas la prédominance des forces telluriques, mais la puissante de celles de l'eau.
Car cette dernière est partout. L'île ne se contente pas d'être entourée par les eaux froides de l'océan Atlantique. L'eau marque également sa présence dans des glaciers somptueux (le Vatnajökull est ainsi le plus grand d'Europe), des chutes d'eau archétypales, des rivières et des torrents glaciaires qui serpentent dans d'innombrables plaines alluviales, des lacs superbes et inquiétants, sans oublier les brouillards qui s'étendent au-dessus des landes, et la pluie, qui semble sur les plateaux du sud ne jamais devoir cesser. Là bas, le randonneur doit être équipé pour traverser les gués, et c'est parfois enfoncé dans une eau glacée jusqu'aux genoux, voire la taille, qu'il faut progresser. N'importe quel chauffeur désireux de s'aventurer à l'intérieur des terres doit savoir manœuvrer son 4x4 dans les bras de rivière ou les berges des lacs ...
Avec autant d'eau en surface, et tellement de feu en bas, la rencontre des deux éléments est inévitable. La synthèse de l'eau et du feu s'effectue de manière terriblement violente lors des éruptions sous-glaciaires, lorsque les glaces, rendues liquides par la chaleur du magma, déferlent en vagues vengeresses sur les versants, en dévastant tout sur leur passage. Si le visiteur n'aura que très rarement (et c'est une chance) l'occasion d'assister à un jökulhlaup, il pourra néanmoins profiter d'autres mariages plus heureux et paisibles de l'eau et du feu. En prenant en ville une douche dont les premières gouttes dégageront de suite une odeur soufrée, ou, au milieu des lacs, montagnes et rivières, en plongeant dans les eaux turbides et régénératrices d'une source chaude ...
Bibliographie
. Dernière mise à jour : 1er mai 2012. Des commentaires, corrections ou remarques ? N'hésitez pas, écrivez-moi! |