Depuis le début de la conquête spatiale, la Chine n'a pour l'instant encore joué aucun rôle dans l'exploration martienne. En 2011, elle avait bien effectué un premier pas timide avec la Russie comme partenaire, en embarquant sur la sonde Phobos-Grunt un petit orbiteur, Yinghuo-1. Hélas, lors de son lancement le 8 novembre 2011 depuis le cosmodrome de Baïkonour, le lanceur Zenit connut une défaillance critique, et fut incapable d'extraire le vaisseau du puit de gravité terrestre pour l'injecter vers Mars. Condamnée à rester prisonnière de l'orbite basse, Phobos-Grunt et son infortuné passager se mirent à perdre peu à peu de l'altitude, à cause des inévitables frottements avec l'atmosphère. Le 15 janvier, les deux engins se désintégrèrent de concert dans une boule de feu au-dessus de l'océan Pacifique, connaissant un destin semblable à la sonde russe Mars 96. La planète Mars étant par nature inaccessible à tous ceux n'étant pas susceptibles de redoubler de persévérance et d'audace, la Chine, fort de ses succès dans l'exploration lunaire, décida en 2016 de remettre le pied à l'étrier et de poser les bases d'une nouvelle mission martienne, Tianwen-1. Désireuse de réduire sa dépendance par rapport à d'autres nations, et de gagner en autonomie, il ne fut plus vraiment question de collaboration. Tianwen-1, un nom poétique qui signifie en français "questions au ciel", est une mission extrêmement ambitieuse. Si cette entreprise réussit, la Chine deviendra immédiatement un acteur majeur dans l'exploration martienne, et se placera en concurrent très sérieux de la NASA, qui depuis Mariner 4 en 1965, peut s'enorgueillir de posséder un monopole quasi total en ce qui concerne la planète rouge. Encore aujourd'hui, elle est la seule agence spatiale à savoir se poser en surface, un exploit réalisé il y a quarante ans, et du premier coup de surcroit, avec les légendaires sondes Viking. Et sur plusieurs aspects, Tianwen-1 fait un peu penser à Viking. La sonde a été lancée le 23 juillet 2020 par une fusée Longue Marche 5 (le plus puissant lanceur chinois) depuis le spatioport de Wenchang, situé sur l'île de Hainan. L'engin placé au sommet de la fusée chinoise est particulièrement imposant : d'un poids de 5 tonnes, il comporte un orbiteur, un atterrisseur et un rover. L'arrivée sur Mars est prévue entre le 11 et le 24 février 2021, date à laquelle l'orbiteur s'insérera en orbite martienne grâce à une manœuvre propulsive de freinage. Depuis cette position, Tianwen-1 étudiera la surface, l'atmosphère (y compris son inéluctable fuite dans l'espace) et l'ionosphère martienne, ainsi que le champ magnétique fossile de la planète. L'orbiteur est équipé de deux caméras (l'une à résolution moyenne, la seconde à plus haute résolution), d'un spectromètre infrarouge pour effectuer des mesures de composition minéralogique de la surface, d'un radar, d'un magnétomètre, et enfin d'un analyseur de particules et d'ions. Outre sa mission scientifique, il servira également de relais de communication radio avec l'atterrisseur et le rover, et transmettra les informations à la Terre via notamment la grande antenne parabolique de 70 mètres construite pour l'occasion à proximité de Pékin à Tianjin, dans le nord de la Chine. Des navires chinois de suivi seront également mis à contribution. Contrairement à la totalité des missions de l'agence spatiale américaine destinées à se poser en surface depuis 1997, et qui ont été lancées sur des trajectoires directes d'interception, l'atterrisseur de Tianwen-1 restera accroché à son vaisseau mère, le temps pour les scientifiques chinois de caractériser les deux sites d'atterrissage présélectionnés dans le secteur d'Utopia Planitia (un secteur déjà exploré par Viking 2). La Chine aurait sans doute très bien pu profiter de l'imagerie publique désormais très précise obtenues par les différentes missions américaines (en particulier celle de Mars Reconnaissance Orbiter) pour valider et certifier ses sites d'atterrissage, mais elle a apparemment préféré garder le contrôle dans ce domaine-là aussi. Comme dans le cas des Viking, l'atterrisseur n'effectuera donc sa manœuvre de désorbitation pour entamer une périlleuse descente vers Mars qu'une fois la reconnaissance orbitale de son site d'atterrissage terminée. Avec la Lune, la Chine a démontré avec brio qu'elle savait maitriser des techniques d'atterrissage avancées, comme la détection et l'évitement d'obstacles durant la phase finale de descente. Mars est cependant un astre bien différent, qui pose des challenges extrêmes pour l'atterrissage. La principale difficulté tient à l'existence d'une atmosphère, trop épaisse pour être ignorée, mais aussi trop fine pour permettre un freinage efficace sous parachute. Des corps planétaires sans atmosphère, ou entourés d'une atmosphère très épaisse, offrent en effet beaucoup plus de facilité que Mars. Pour son premier essai, l'agence spatiale chinoise se contentera d'essayer de se poser dans une ellipse d'incertitude relativement large (100 kilomètres de longueur sur 40 kilomètres de largueur), similaire à celle des missions Viking, Phoenix ou encore InSight (mais bien plus étendue que les ellipses de Curiosity et de Mars 2020, la NASA étant désormais capable d'atterrir dans un cercle de seulement 10 kilomètres de diamètre). Malgré cela, si l'atterrisseur chinois parvient à rejoindre sain et sauf la surface martienne, ce sera un véritable exploit qui ne devra pas être sous-estimé, et qui rebattra les cartes au sein du petit cercle très fermé des pays capables de travailler via des robots à la surface de la planète rouge. Etant donné la taille de l'ellipse d'incertitude, Utopia Planitia est un choix très pertinent pour la Chine : cette très vaste plaine est située à basse altitude (ce qui favorise un freinage efficace sous parachute), et présente des reliefs peu marqués sur une grande surface, limitant ainsi les risques de casse. Ce n'est pas pour rien que ce secteur fut choisi pour l'atterrissage de Viking 2 le 3 septembre 1976. Même si l'atterrisseur ne dispose pas des technologies américaines permettant de réduire la taille de l'ellipse, il possède apparemment néanmoins un système d'évitement de dangers, et serait capable de se placer temporairement en vol stationnaire, de manière à pouvoir choisir durant les derniers instants le meilleur endroit où se poser. Comme Viking 1 l'a montré avec le rocher Big Joe, même si un large secteur très plat et très peu accidenté est choisi, ce n'est en aucun cas une garantie de ne pas s'écraser contre un rocher se trouvant au mauvais endroit à la dernière seconde. Pour rejoindre la surface martienne, le module d'atterrissage de Tianwen-1 réalisera d'abord un freinage sous bouclier thermique, avant d'entamer une descente sous parachute. L'allumage d'un unique moteur devrait ensuite lui permettre de se poser en douceur sur ses quatre pieds. L'engin serait également équipé d'un airbag de protection pour amortir le choc. Si tout s'est déroulé comme prévu, la plateforme d'atterrissage pourra alors dérouler une rampe qui ouvrira un passage vers le sol martien au rover. Alimenté par des panneaux solaires, celui-ci possède un nombre d'instruments globalement similaire à celui de l'orbiteur : une caméra technique servant à la navigation et l'étude de la topographie placée au sommet d'un mât, une caméra scientifique couleur multi-spectrale à filtres, une station météo, un spectromètre d'ablation laser (fonctionnant sur le principe des instruments ChemCam et SuperCam des rovers américains Curiosity et Mars 2020), un détecteur de champ magnétique et un radar à pénétration de terrain (là aussi comme le radar RIMFAX de Mars 2020). L'objectif du rover est de réaliser des analyses chimiques et minéralogiques du sol et des roches, et de rechercher la présence d'éventuelles biosignatures (sachant qu'étant donné sa nature géologique, Utopia Planitia se prête assez mal à ce genre d'investigations). Il y a fort à parier que Tianwen-1 ne sera que le premier pas de la Chine sur Mars. L'agence spatiale chinoise a déjà annoncé qu'elle préparait une mission de retour d'échantillons martiens qui rentra directement en concurrence avec celle planifiée par la NASA et l'Agence Spatiale Européenne pour 2030. Depuis la fin des années 1960, comme ils l'ont fait pour la Lune avec les astronautes Apollo ou des véhicules d'exploration robotiques (soviétiques, et bientôt chinois avec Chang'e 5), les planétologues rêvent de faire revenir des échantillons sélectionnés avec soin de roches martiennes, de sol et d'atmosphère sur Terre. Si une compétition s'enclenche sur ce terrain entre la NASA et ses partenaires d'un côté, et la Chine de l'autre, cela ne pourra qu'être bénéfique à une telle entreprise, tant celle-ci est complexe et risquée. |
Vision d'artiste de la chute dramatique de la sonde Russe Phobos-Grunt, et de son passager (le premier satellite martien chinois, Yinghuo-1), le 15 janvier 2012 au-dessus du Pacifique, après un échec du lancement. Signifiant "feu lumineux" (un nom prémonitoire), Yinghuo-1 était une petite sonde de 115 kg qui devait se placer en orbite autour de Mars pour une période de 2 ans, et étudier la surface, l'atmosphère, l'ionosphère et le champ magnétique fossile de la planète rouge (Crédit photo : Michael Carroll).
La mission Tianwen-1 (initialement appelée Huoxing-1) est composée d'un orbiteur, d'un atterrisseur et d'un rover. Elle quittera la Terre le 23 juillet 2020 à bord du plus puissant lanceur de la flotte chinoise, la fusée Longue Marche 5 (© CNSA).
L'atterrisseur de Tianwen-1 devrait se poser dans la vaste plaine d'Utopia Planitia. Après une traversée de l'atmosphère sous bouclier thermique et un freinage sous parachute, le module allumera un unique moteur d'une poussée de 7500 newtons pour se poser en douceur sur ses quatre pieds (une configuration étonnante, la NASA préférant un tripode pour ses sondes fixes). L'engin dispose d'un système d'évitement de dangers, et serait capable de réaliser un vol stationnaire, le temps de détecter la présence d'éventuels obstacles sous ses pieds (© CNSA).
Une fois posé, le module d'atterrissage livrera passage à un rover de 240 kg équipé d'un ensemble d'instruments, et dont le design est basé sur les rovers lunaires Yutu. Sa durée de vie serait de 3 mois (© CNSA). |
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