7minutes de terreur. Cette expression, aussi laconique que marquante, est désormais passée dans le langage courant. Il faut avouer qu'elle résume parfaitement bien ce qui se joue, à la fois sur Terre et sur Mars, lorsqu'une sonde spatiale s'apprête à entamer sa descente implacable et sans retour vers la surface de la planète rouge. Durant ce plongeon, ou tout se déroule terriblement vite mais qui semble paradoxalement interminable pour les ingénieurs au sol, des milliers d'événements doivent s'enchaîner dans une chorégraphie parfaite et entièrement automatique, et ce sans la moindre erreur, déviation ou anomalie par rapport au profil de descente nominal, sous peine de perdre la mission en une fraction de seconde, pour un détail qui aurait pour le profane l'apparence de la plus insignifiante banalité. Perseverance à l'épreuve du cratère Jezero Le 18 février 2021 à 21h38 heure française, le rover Perseverance, l'une des machines d'exploration interplanétaire les plus complexes jamais sorties de l'esprit créatif de l'homme, s'est séparé de son vaisseau porteur pour se diriger vers son site d'atterrissage, un cratère d'impact de 50 kilomètres de diamètre nommé Jezero. Comme bien d'autres sondes avant lui, Perseverance a d'abord freiné violemment sous la protection d'un imposant bouclier thermique, en perdant grâce à la friction avec l'atmosphère plus de 90 % de sa vitesse. Une fois cette première phase (dite d'entrée) terminée, le déploiement d'un parachute lui a permis de continuer à diminuer sa vitesse, mais pas suffisamment toutefois pour qu'il puisse atteindre sain et sauf la surface. La troisième et dernière étape de sa séquence d'atterrissage, celle qui l'a conduit vers le sanctuaire de la surface, après des centaines de millions de kilomètres parcourus dans les abîmes de l'espace, était placée sous la responsabilité d'un étrange engin, une sorte de soucoupe volante aux angles saillants, la Skycrane. Cette grue spatiale qui a tout du jetpack avait pour seul objectif d'entamer une descente verticale contrôlée grâce à des grappes de rétrofusées, puis, dans la dernière dizaine de mètres, de se séparer du rover pour hélitreuiller ce dernier grâce à des filins au sol. La séquence d'atterrissage de Perseverance, que nous venons ici de décrire dans sa plus simple expression, est en fait d'une complexité vertigineuse. À cause de la nature interplanétaire des distances mises en jeu, aucune intervention humaine ne peut avoir lieu depuis les centres de contrôle terrestres, et la totalité des actions nécessaires pour rejoindre la surface martienne était donc programmée dans l'ordinateur de bord du rover. Seuls l'immense compétence des ingénieurs, la réalisation sur Terre d'une quantité intimidante de tests et de contrôles, et l'indispensable soupçon de chance ont permis à Perseverance de survivre à cette étape critique qu'est l'atterrissage.
Si la phase de pénétration de l'atmosphère martienne sous bouclier thermique et la descente sous parachute ont été employées avec succès dès 1976 par la NASA avec les légendaires atterrisseurs Viking, et si la Skycrane a prouvé sa redoutable efficacité durant l'atterrissage du rover Curiosity en 2012, Perseverance a permis le 21 février 2021 de tester des technologies d'avant-garde, qui n'avaient encore jamais été employées sur Mars. À cause de ses reliefs, le cratère Jezero offre effectivement des difficultés considérables pour l'atterrissage, à tel point que malgré son grand intérêt exobiologique, il avait dû être mis de côté pour la mission de Curiosity. Ce dernier avait finalement été dirigé vers un espace plus accueillant, le cratère d'impact Gale. Pour parvenir à rejoindre le cratère Jezero et son magnifique delta, riche en promesses de découvertes astrobiologiques, Perseverance devait absolument être capable d'atterrir dans un mouchoir de poche, une zone presque circulaire d'un diamètre de seulement 7 kilomètres environ. A titre de comparaison, les ellipses d'atterrissage des missions précédentes (c'est par ce terme un peu barbare que l'on désigne la zone elliptique au sein de laquelle les sondes ont 99% de chance d'atterrir, et qui doit donc être dévolue d'obstacles) étaient bien plus étendues : 200 km de longueur pour Pathfinder et son attachant petit rover Sojourner, 120 km pour les atterrisseurs Phoenix et InSight, et 20 km pour le frère jumeau de Perseverance, Curiosity (une réduction de taille rendue possible grâce à un guidage durant la phase d'entrée, comme nous allons le voir ci-dessous). Plus grande est l'ellipse, et plus le risque qu'elle recoupe des secteurs dangereux, pentus, caillouteux ou trop sableux devient important. La seule solution consiste alors à choisir de très grands terrains plats, comme les immenses plaines monotones d'Utopia, d'Elysium ou de Meridiani (des sites qui risquent alors du même coup d'être très ennuyeux et trop pauvres pour les investigations scientifiques), ou bien d'utiliser des technologies capables de réduire la taille des ellipses elles-mêmes. Pour viser de la façon la plus précise possible un site sur Mars, la première manière de procéder consiste à réaliser une entrée guidée, une technique testée avec succès pour la première fois par Curiosity en 2012. Plutôt que de traverser l'atmosphère sous la protection d'un bouclier thermique de manière passive, à la façon d'une balle de fusil lancée aveuglement sur sa trajectoire balistique, les ingénieurs avaient équipé Curiosity d'un bouclier thermique légèrement asymétrique. Après avoir décalé son centre de gravité grâce à l'éjection de masses de tungstène, le rover pouvait alors utiliser ce dernier un peu comme une aile d'avion, et surfer sur l'atmosphère martienne en gardant en permanence un œil vigilant sur sa destination finale. Si, en fonction de la densité de l'atmosphère - qui, bien que fine, est hélas très dynamique -, l'ordinateur de bord estimait que la sonde était en avance sur son plan de vol, il pouvait ordonner à cette dernière d'effectuer des séries de petits virages en S, de manière à prendre du retard. Au contraire, si aucune action ne se révélait nécessaire, la sonde pouvait continuer sur sa lancée en ligne droite.
Malgré sa sophistication (on touche ici à des technologies d'intérêt militaires), l'entrée guidée n'était pas suffisante pour permettre à Perseverance d'atterrir avec de bonnes chances de succès à l'intérieur de Jezero. Comme nous l'avons déjà signalé, ce dernier est trop accidenté pour cela. Les ingénieurs de la NASA ont donc eu recours à deux innovations supplémentaires, le Range Trigger et la navigation relative par rapport au terrain (TRN). La première innovation, le Range Trigger, concerne la phase de descente sous parachute. Elle permet de diviser par deux la taille de l'ellipse d'atterrissage, un gain non négligeable. Durant les missions précédentes, le parachute était déployé dès que la sonde atteignait une vitesse donnée, paramétrée du mieux possible et par avance dans les mémoires du calculateur. Perseverance a ouvert son parachute de 20 mètres d'une manière plus intelligente, en fonction de sa position relative par rapport au sol. Au cours de la séquence d'atterrissage, l'intelligence de bord, épaulée par des dispositifs spécifiques, calcule effectivement en permanence la position qu'il occupe par rapport à la cible qu'il est sensé atteindre en surface. Si le risque de dépasser la zone d'atterrissage devient significatif, il peut décider d'avancer l'ouverture de son parachute. Au contraire, s'il s'aperçoit que la trajectoire actuelle va conduire à un atterrissage trop court (comme un avion qui poserait ses roues avant le début d'une piste), il peut retarder le déploiement du parachute, de manière à voler sous bouclier thermique comme un bolide pendant encore un peu plus longtemps.
La technique dite de navigation relative au terrain (TRN) constitue le second atout essentiel de Perseverance. Grâce à une caméra de descente, et dès que le bouclier thermique a été éjecté, le rover est capable de réaliser de multiples prises de vue des terrains qui défilent sous son châssis. Enregistrées et traitées en temps réel par l'ordinateur de bord, ces images sont comparées à une base de données topographique interne, stockée dans les mémoires. Ce système dote le rover de la possibilité de se repérer très finement par rapport à la surface (bien plus précisément qu'avec les informations habituellement fournies durant l'entrée par l'analyse des ondes radios, et qui alimentent une centrale de navigation inertielle). Il permet également la détection à la dernière minute d'un obstacle sur la trajectoire, qui peut alors être évité grâce à une manœuvre de diversion. Dans les cas extrêmes, le système TRN peut aboutir à un décalage de 600 mètres de la zone d'atterrissage par rapport à la position initialement fixée.
D'après les premières données fournies par la NASA, la navigation relative au terrain semble avoir fonctionné à la perfection pour Perseverance. Une carte en couleurs rendue publique (ci-contre) montre le secteur d'atterrissage, ainsi que l'endroit où s'est posé le rover. Bien que l'échelle ne soit pas indiquée, que l'origine de la carte ne soit pas clairement indiquée (s'agit-il d'une carte calculée sur Terre et embarquée sur la sonde, ou du résultat du traitement effectué durant l'atterrissage d'après les images obtenues par la caméra de descente ?) et que les paramètres permettant de considérer un secteur comme sûr ou au contraire hostile ne soient pas mentionnés, le résultat est sans appel. Comme le montre la carte en question, Perseverance est effectivement parvenu à se glisser parmi tous les secteurs jugés dangereux (qui apparaissent codés en rouge) pour atteindre un refuge providentiel dans l'une des zones plates (colorées en bleu). Un atterrissage par procuration Par rapport à celui de Curiosity, l'atterrissage de Perseverance sur Mars comporte également un autre aspect exceptionnel. Depuis la retransmission sur Internet de l'arrivée aussi émouvante qu'inespérée du premier rover martien, Sojourner, en juillet 1997 (une date phare dans l'histoire du réseau mondial), le débarquement d'un nouvel engin à la surface de Mars enthousiasme à chaque fois des millions de personnes de par le monde. Dédié à la recherche de traces de vie fossiles dans les roches ancestrales qui sont exposées à la surface de Mars, embarquant un hélicoptère miniature, une usine capable de fabriquer de l'oxygène, et constituant la première étape concrète d'une vaste campagne de retour d'échantillons martiens attendue comme le Saint Graal depuis des décennies par les scientifiques, Perseverance était déjà une véritable star avant même d'avoir pu se poser. Mais son atterrissage lui-même s'est transformé en un véritable spectacle visuel, tout un chacun se retrouvant d'un seul coup propulsé aux premières loges. Perseverance est en effet littéralement bardé de caméras (plus d'une vingtaine), dont certaines ont été spécifiquement installées pour documenter visuellement certains moments clés de l'atterrissage, comme le déploiement de la coupole du parachute dans l'air raréfié martien, ou les derniers instants de la descente du véhicule, suspendu aux filins de sa plateforme volante Skycrane, vers le refuge tant espéré de la surface. Ces images ont permis de reconstituer une vidéo aussi étourdissante qu'évocatrice des fameuses 7 minutes de terreur et de l'arrivée triomphale de Perseverance à l'intérieur de Jezero. Un spectacle absolument inédit dans l'histoire de l'exploration spatiale, et qui risque de marquer fortement les esprits, en comblant non seulement l'avidité de notre société pour l'image et les frissons, mais aussi en déclenchant enthousiasme et passion auprès du public.
Pour documenter visuellement la séquence d'atterrissage, Perseverance était effectivement doté d'un ensemble de caméras, montées à quatre endroits stratégiques. Une première grappe de trois caméras de 1,3 mégapixels, dont les objectifs étaient tournés vers le ciel, était située au niveau du point de fixation du parachute, sur le bouclier arrière. Capables de réaliser des prises de vue à grande vitesse, elles ont servi à enregistrer l'éjection, l'ouverture et le fonctionnement du parachute. Une seconde caméra de 3,2 mégapixels était rivetée sous l'étage de descente Skycrane, et a permis de renvoyer des images spectaculaires de la séparation, puis de la dépose au sol de Perseverance. Le rover lui-même embarquait deux caméras de 1,3 mégapixels qui ont joué un rôle important durant l'atterrissage. L'une, dirigée vers le haut, pointait vers la Skycrane, tandis que la seconde avait pour objectif de renvoyer des images de la surface. Un microphone conçu pour l'EDL complétait l'équipement du rover (mais il n'a hélas pas pu renvoyer de sons). Du point de vue ingénierie, les caméras EDL devaient répondre à un critère majeur : ne jamais mettre en danger la séquence d'atterrissage elle-même durant leur fonctionnement (pour son atterrissage, la caméra de descente de Phoenix avait ainsi été désactivée par précaution, après l'apparition de doutes quant à sa fiabilité). L'absence d'images, ou l'enregistrement d'images d'une qualité dégradée ne remettant pas en cause la réussite de la mission, les ingénieurs se montrent également très tolérants quant au résultat final. Si l'absence de sons liés à l'atterrissage est un revers mineur, les caméras EDL de Perseverance ont fourni des images à couper le souffle. Diffusées au monde entier le 22 février 2021 durant une conférence de presse particulièrement suivie, elles ont offert un spectacle inoubliable sous la forme d'une vidéo qui permet de vivre l'atterrissage comme si on y était. Celle-ci commence par l'ouverture violente de la corolle, très colorée, du parachute (l'analyse détaillée, image par image, de cette seule séquence risque d'occuper de nombreux ingénieurs pendant des mois voire des années). Vient ensuite l'éjection du bouclier thermique, dont la surface interne laisse apparaître de nombreux détails, et qui, lourd et aérodynamique, s'éloigne tranquillement du rover en semblant désormais voler pour lui-même, sans tourner ni basculer. Le départ du bouclier thermique ayant dégagé le champ de vision du rover, la surface martienne est maintenant visible, et de nombreux reliefs, cratères d'impact, falaises, buttes témoins et champs de dune défilent de manière hypnotique dans le champ oscillant de la caméra. Un flash lumineux très bref annonce à un moment donné la séparation du bouclier arrière, et le début du vol libre de l'étage de descente, qui entame alors immédiatement une manœuvre de diversion, pour sortir de la trajectoire du bouclier arrière et du parachute situés au-dessus de lui.
Vient ensuite ce qui constitue probablement le moment le plus dramatique, la désolidarisation du rover de la Skycrane, et sa descente vers la surface. Lancé dans un véritable numéro d'équilibriste, voici Perseverance dans toute sa splendeur, suspendu à trois filins tendus à bloc, tandis que les rétrofusées de la Skycrane (dont les tuyères en fonctionnement ne montrent aucune flamme) provoquent la danse d'élégants filaments de poussière au sol. En plus des trois câbles porteurs, seul un ombilic plus lâche relie encore le rover (dont l'ordinateur de bord contrôle la totalité de la séquence d'atterrissage) à son vaisseau porteur. Si ce lien critique venait à rompre, un crash serait inévitable, la Skycrane n'ayant aucune intelligence. Presque au dernier moment, Perseverance déploie son train d'atterrissage, c'est à dire ses six roues, en provoquant un léger mouvement de bascule qui a été prévu et minimisé du mieux possible par les ingénieurs. Au sol, la poussière s'agite désormais de manière furieuse, et à l'instant ultime, Perseverance est englouti dans un véritable tourbillon minéral, tandis que des particules de toutes tailles volent devant l'objectif. Une fois le rover au sol, et après le sectionnement des filins et de l'ombilic par des guillotines pyrotechniques (un événement non visible à cause de la quantité de poussière alors en suspension dans l'air), la Skycrane entame une manœuvre d'évasion en remontant vers le ciel, dans un silence rendu surréel par l'absence de piste sonore. Difficile de n'être pas frappé par la beauté visuelle de ces derniers instants.
Au-delà de la mine d'informations qu'elles représentent pour les ingénieurs, les images EDL de Perseverance continuent d'affirmer l'importance générale des images acquises par les robots en action sur Mars, et ce depuis le premier cliché jamais obtenu de la planète rouge par la sonde américaine Mariner 4 en juillet 1965. Cette vue emblématique a d'ailleurs été citée et présentée durant la conférence de presse de la NASA du 22 février 2021, et pour cause. À l'époque, les ingénieurs avaient imprimé sur des bandes de papier les valeurs numériques codant les tons sombres et clairs des différentes parties de l'image, avant de les colorer à la main grâce à des pastels (aux tons judicieusement désertiques) achetés à une boutique située non loin du Jet Propulsion Laboratory. 55 années plus tard, alors que les technologies ont considérablement évolué, notre attrait pour les images transmises depuis les autres mondes est resté toujours aussi fort. Car, que l'on le veuille ou non, l'exploration martienne ne peut être vécue qu'à distance, par procuration. Ayant travaillé cinq années sur la mission NASA InSight, il m'est arrivé à de nombreuses reprises d'être frappé de voir à quel point les moments où l'on se sent en lien avec Mars sont finalement rares. Lorsque la sonde et les instruments sont encore en développement sur Terre, il y a certes le plaisir viscéral de pouvoir toucher, manipuler ou simplement voir des objets et des matériaux qui sont destinés à se retrouver un jour à la surface de la planète rouge, sur un autre monde, un monde extraterrestre que l'on ne visitera jamais nous-mêmes, et qui orbite, inaccessible, à des centaines de millions de kilomètres de la Terre. Le lancement est aussi un moment unique, hors du temps. Avoir la chance d'être présent à quelques centaines de mètres du lanceur, pouvoir lever les yeux vers la coiffe conique qui surmonte la fusée et qui masque la sonde, et faire l'effort d'apercevoir, par le jeu de l'esprit, celle-ci recroquevillée à l'intérieur, procure des sensations qui sont difficiles exprimables en mots. Il y a aussi cette impression marquante d'être arrivé à un moment aussi magique qu'illusoire, ou l'on va enfin pouvoir toucher du doigt quelques-uns des mystères les plus obsédants et les mieux gardés du cosmos. Le retour à la réalité est brutal, car la sonde s'envole soudain dans le feulement sidérant des réacteurs et disparaît à jamais. L'instant d'avant, elle était là, et il était toujours théoriquement possible de s'en approcher, de la voir, de la toucher. Le moment suivant, elle s'évanouit en un éclair dans le ciel, partie pour un voyage sans retour, nous laissant planté là au sol, désemparé et un peu sonné. C'est à cet instant précis que survient la prise de conscience cruelle que c'est la sonde qui va explorer Mars, et pas nous.
Dès le moment ou la sonde est engloutie par les cieux, la seule possibilité de contact qui subsiste passe par les ondes radios. C'est seulement par ce fil ténu, invisible, immatériel et insaisissable que nous sommes encore en liaison avec elle, et que nous pouvons nous tenir, par procuration, devant les gouffres sombres de l'inconnu. La vision étant un sens central chez l'être humain, nous ressentons très vite un besoin profond d'images, mais bien peu se montrent capables d'assouvir cette soif d'apercevoir quelque chose. Dans l'exploration spatiale plus que dans n'importe quel autre domaine, si les images sont absentes, c'est comme s'il n'y avait jamais rien eu. Et si elles peuvent être acquises et ensuite nous parvenir, alors elles sont accueillies avec soulagement et gratitude. Par leur intermédiaire, elles nous permettent de saisir de manière concrète quelque chose de la nature intangible de l'Univers. Certes, il faut avouer qu'une fois passé l'enthousiasme initial, avec le recul la plupart deviennent frustrantes, car la vision qu'elles procurent finit inéluctablement par se révéler partielle et étriquée. Les images mémorables qui marquent et ébranlent vraiment sont effectivement très rares, mais elles existent, et elles sont de plus en plus nombreuses à notre époque. Les exemples récents les plus frappants sont fournis par la sonde chinoise Tianwen-1, qui est parvenue à se prendre elle-même en photo durant son voyage entre la Terre et Mars grâce à un astucieux module photographique WIFI jetable, et le témoignage visuel que nous laisse Perseverance de sa descente effrénée vers le basin circulaire de Jezero. Grâce à ces témoignages, nous pouvons nous connecter, certes de manière imparfaite, avec le Cosmos, et imaginer, même l'espace dans l'instant, à quoi ressemble vraiment le vide de l'espace interplanétaire et l'atterrissage dans un cratère martien.
InSight est un bon exemple d'une mission ou les images sont rares (ou, quand elles sont présentes, répétitives), et des conséquences que cela peut avoir. Contrairement à Perseverance, conçu pour parcourir des dizaines de kilomètres à la surface de Mars et bardé de caméras, la sonde InSight est une station de géophysique fixe, et son instrument principal, le sismomètre SEIS, ne renvoie à la Terre que des données sismiques, c'est à dire des séries de chiffres qui sont ensuite interprétées et décodées grâce à des programmes complexes tournant sur des supercalculateurs. Pour sensibiliser le public aux objectifs d'InSight, la réalité virtuelle a beaucoup été utilisée avec un succès qui ne s'est jamais démenti, non seulement auprès du public, mais aussi avec les équipes internationales directement impliquées sur la mission. Voici une anecdote que j'ai trouvé marquante à ce sujet. Après une démonstration, une sismologue, qui analysait pourtant au quotidien les données sismiques transmises depuis la surface martienne, m'a fait part de son étonnement et de sa satisfaction. Elle m'a expliqué que le fait de pouvoir se retrouver sur Mars, aux côtés d'InSight, par le biais de la réalité virtuelle, lui avait rappelé ce sur quoi elle travaillait. Passant ses journées devant des écrans d'ordinateurs, à développer des codes informatiques et à manipuler des données arides, elle avait fini par perdre peu à peu le sentiment gratifiant de participer à l'effort d'exploration interplanétaire. L'exploration à haut risque de Jezero
On l'aura compris en savourant la vidéo de l'arrivée de Perseverance, l'atterrissage sur Mars est une entreprise très risquée. Pourtant, le plongeon que le rover a entrepris pour rejoindre son terrain de jeu, le plancher du cratère Jezero, n'était que l'un des défis majeurs auxquels la mission fait face. Désormais au sol, Perseverance va effectivement maintenant devoir explorer de nombreuses unités géologiques, depuis le plancher volcanique du cratère jusqu'aux matériaux bréchiques de son rempart, en passant par les nombreux affleurements sédimentaires de l'ancien delta aux côtés duquel il est parvenu à se poser. Il y a des milliards d'années, Jezero a effectivement accueilli un lac à l'histoire mouvementé, et il est tout à fait possible que des formes de vie microbiennes soient apparues dans ses eaux, pour s'y épanouir pendant des millions d'années, avant de disparaître à jamais. Enfouis dans les sédiments argileux et les dépôts carbonatés du delta se trouvent encore peut-être aujourd'hui des traces subtiles, évanescentes et fantomatiques de ces microscopiques martiens. Malgré l'instrumentation très sophistiquée du rover, et même dans le cas où ce dernier se retrouverait nez à nez avec d'indiscutables stromatolites - ces choux fleurs de pierre précipités par l'activité métabolique de certains microbes, et qui peuvent parfois atteindre des tailles de plusieurs mètres - aucune réponse définitive quant à l'existence éventuelle d'une ancienne vie sur Mars ne pourra être apportée tant que des échantillons n'auront pas été ramenés sur Terre pour être analysés dans les laboratoires terrestres les mieux équipés. Perseverance marque un moment véritablement charnière dans la longue histoire de l'exploration martienne menée par la NASA. L'agence spatiale américaine étudie en effet la planète rouge par sondes interposées depuis plus de 50 ans, et, comme nous l'avons déjà signalé en introduction, elle reste pour l'instant la seule à pouvoir évoluer à sa surface. En 1976, les atterrisseurs américains Viking furent les premiers à rejoindre sain et sauf le sol martien, et depuis, aucune autre puissance étrangère n'est parvenue à réitérer cet exploit technologique (après de nombreux échecs soviétiques et russes, et deux revers européens, la Chine va tenter dans quelques mois de mettre fin à cette hégémonie avec Tianwen-1). Grâce à une flottille d'atterrisseurs fixes puis de rovers toujours plus sophistiqués, adossés à une flotte de satellites cartographiques toujours plus puissants qui évoluent en orbite, la NASA a pu mener depuis des décennies un ambitieux programme d'exploration martien qui touche aujourd'hui à sa fin. Pour l'agence spatiale américaine, les limites des études in-situ, que ce soit depuis l'orbite ou la surface, sont aujourd'hui devenues trop handicapantes. Pour pouvoir continuer à percer ses secrets - si Mars est l'astre le plus étudié et le mieux connu du système solaire après la Terre, les zones d'ombre y sont encore très nombreuses -, il est désormais devenu nécessaire de se doter de la capacité de ramener des échantillons martiens. Roches, sols et atmosphère doivent désormais être collectés pour pouvoir procéder à des analyses très précises et poussées, permises uniquement par les meilleurs laboratoires terrestres. La stratégie actuelle de la NASA pour Mars est donc désormais clairement organisée autour d'une campagne de retour d'échantillons, dont la première brique n'est autre que Perseverance. L'objectif prioritaire du rover sera de parcourir le cratère Jezero pour identifier les affleurements rocheux les plus pertinents, et de réaliser à de nombreuses reprises des prélèvements qui seront conditionnés dans des petits tubes. D'abord gardés à l'intérieur du rover, ces derniers sont destinés à être abandonnés ensuite au sol à des endroits bien identifiés, et ce de manière à pouvoir être récupérés par la suite par un robot appartenant à une mission future. Une fois ramassés, les tubes seront chargés à bord d'une petite fusée, qui décollera en direction de l'orbite martienne, pour larguer une capsule. Celle-ci sera ensuite capturée par un orbiteur spécialisé, qui repartira vers la Terre pour délivrer sa précieuse cargaison.
Ce ballet hautement sophistiqué, qui va s'étaler sur au moins une décennie, impliquer des missions multiples, exiger la mise au point de technologies qui n'existent pas encore, et dont le budget global va, si on est réaliste, dépasser allégrement les 20 milliard de dollars, est une entreprise à haut risque, qui peut facilement être déstabilisée par un échec technique, un revers scientifique, ou des atermoiements politiques. Si, malgré un atterrissage impeccable, Perseverance échoue à identifier des roches suffisamment pertinentes pour justifier un retour sur Terre, ou s'il ne parvient pas à pouvoir collecter dans de bonnes conditions ces dernières, c'est tout le programme d'exploration martien américano européen qui sera menacé. En 1976, les atterrisseurs Viking avaient reçu pour mission principale de détecter des formes de vie actives sur Mars, grâce à un laboratoire miniaturisé de microbiologie. L'ambiguïté des résultats transmis, et la déception qui s'ensuivit, stoppa net l'exploration robotique de la planète rouge pendant une période de 20 ans. Même s'il va rechercher des traces d'une vie non pas active mais fossile, Perseverance va néanmoins se retrouver exactement dans la même position que les Viking. Si sa mission ne se déroule pas comme prévu, il y a fort à parier que la NASA se détourne de Mars (avec les conséquences associées pour la communauté scientifique et le complexe militaro-industriel américain) et recentre ses efforts sur d'autres cibles, comme la planète Vénus ou les satellites glacés qui orbitent autour des géantes gazeuses. Certes, l'arrivée de nouveaux acteurs dans le domaine de l'exploration spatiale, en particulier la Chine, qui ne cache pas ses ambitions sur la Lune et Mars, pourrait empêcher la NASA de lâcher complètement la planète rouge si Perseverance ne donne pas toute satisfaction durant son périple à l'intérieur (puis autour) du cratère Jezero. Cependant, il ne fait aucun doute que pour l'agence spatiale américaine, les enjeux entourant Perseverance sont extrêmement élevés, et qu'en ce qui concerne Mars en particulier, elle joue son va-tout. Pour en savoir plus :
La
vidéo de l'atterrissage de Perseverance. |
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