Mars Science

Sojourner : un géologue sur Mars !

La sonde Pathfinder, par l'intermédiaire de son petit robot Sojourner et pour la première fois dans l'histoire de l'exploration de la planète rouge, a permis d'analyser de manière directe des roches martiennes. Les sondes Viking avaient en effet seulement pu ausculter le sol, les roches étant restées inaccessibles pour ses instruments et son bras robotique. Pathfinder était avant tout une mission d'ingénieur, avec des considérations scientifiques au second plan. L'engin était quand même équipé de quelques instruments pour étudier la structure interne de Mars, les conditions météorologiques régnant au niveau du site d'atterrissage ainsi que les roches et le sol. C'est ce dernier point qui va plus particulièrement nous intéresser.

Le petit robot Sojourner devait, grâce notamment à sa mobilité bien utile et à ses instruments d'observations et d'analyse, démêler écheveau que constitue le site d'Ares Vallis et caractériser les principaux phénomènes géologiques qui ont façonné cette région. Sojourner a donc gambadé dans son jardin de pierres, dont chacune a été affublée d'un surnom poétique ou comique : Wedge, Hassock, The Dice, Lamb, Casper, Jenkins ou encore Prince Charming ! Voici donc notre géologue au beau milieu de ces roches enchanteresses. Avec des instruments en excellent état et un site d'atterrissage prometteur jonché de cailloux, les résultats devaient être plus que prometteurs. Ce n'est pas l'état d'excitation des scientifiques lors des premiers jours de la mission qui allait démentir ce fait. Mais pourtant, après une période de recul, force est de constater que les informations recueillies sont plutôt ambiguës...

Un marteau et une loupe

Sur Terre, un géologue peut en apprendre beaucoup sur une roche sans pour autant avoir un matériel sophistiqué à sa disposition. Il lui suffit le plus souvent d'un bon coup d'oeil ! Effectivement, on peut en savoir long sur une roche rien qu'en la regardant. Sa texture, sa forme, sa taille, l'orientation des particules minérales la constituant constituent d'excellent indicateurs. Une roche volcanique aura une texture vitreuse, une roche sédimentaire montrera une stratification et aura tendance à se débiter dans un même plan, une roche granitique offrira au regard une belle mosaïque de minéraux, une brèche révélera une structure hétérogène et anguleuse. Sojourner avait à sa disposition de nombreux yeux, sous la forme de caméras. Il y avait d'abord la caméra de la station Pathfinder (IMP), mais le petit robot était également équipé de petites caméras miniatures montées à l'avant et à l'arrière.

Le mieux, bien entendu, est d'observer la roche à partir d'une surface fraîche. C'est pourquoi le marteau constitue l'outil n°1 du géologue. Sojourner n'avait malheureusement pas de marteau ni de ciseau à sa disposition. Le petit robot a du faire son travail en se contentant d'observer une surface vieille de plusieurs milliards d'années des roches, abîmée par l'érosion éolienne, recouverte de poussière et altérée chimiquement par les conditions éprouvantes qui règnent à la surface de Mars (flux d'ultraviolet, sol chimiquement oxydant).

A part le marteau, il existe un deuxième outil indispensable pour un géologue : la loupe. Ici aussi, ce sont les caméras qui jouent le rôle de loupe. La caméra IMP de Pathfinder avait une résolution insuffisance (1 à 5 millimètres par pixel) pour apercevoir les constituants minéraux des roches, d'autant plus qu'elle ne pouvait pas se déplacer. On peut alors penser que les caméras de Sojourner, avec leur mobilité et une résolution de 1 millimètre/pixel, aurait permis d'observer les grains individuels des minéraux qui constituent les roches. Hélas, ces caméras se sont révélées presque aveugles, fournissant des images ou rien de précis n'apparaissait, à part une surface grise et uniforme. Elles ont cependant permis dans quelques cas, de préciser les textures des roches.

Pathfinder et Sojourner étaient également équipé de deux appareils très utiles pour mener à bien une étude géologique. La caméra IMP de Pathfinder était capable d'effectuer une analyse spectrale, alors que Sojourner emportait avec lui un spectromètre capable de déterminer la composition chimique élémentaire des roches. Voyons maintenant les quelques observations menées par le géologue Sojourner.

Analyse de la texture

La texture qui revient le plus souvent est une texture bulleuse. La surface des roches est marquée par de nombreuses vésicules, formées lors du dégazage des magma pour les roches d'origine volcanique. Les vésicules ont été mises en évidence par l'action du vent. D'autres vésicules ont peut être une autre origine : certains minéraux peuvent avoir subi une attaque chimique. En disparaissant, ils ont laissé derrière eux une cavité qui a ensuite été élargie par l'abrasion du vent chargé de particules sableuses. Certaines cavités sont allongées dans une certaine direction, ce qui indique que le vent soufflait dans une direction dominante.

Certaines roches présentes sur le site d'atterrissage de Pathfinder semblent être des conglomérats. Les conglomérats sont des roches hétérogènes, formées par l'accumulation de fragments rocheux de taille et de nature diverses. On distingue deux types de conglomérats : les poudingues et les brèches. Un poudingue est une roche sédimentaire constituée d'un grand nombre de galets assez gros cimentés entre eux par un matériel très fin (du sable par exemple). Si un galet disparaît, il laisse derrière lui une cavité identique à celles que l'on observe sur certaines photos. Si certaines roches du site d'atterrissage sont bien des conglomérats, cela prouverait que la région d'Ares Vallis a bien été le siège d'inondations voila plusieurs milliards d'années. Les brèches, à la différence des poudingues, sont constituées de l'assemblage d'éléments anguleux. Elles peuvent se former de plusieurs manières, en particulier par l'assemblage de fragments rocheux lors d'un impact météoritique. Il est assez facile de confondre des brèches d'impact avec des roches volcaniques.

Analyse spectrale

Pathfinder disposait d'une caméra capable de mesurer le spectre de la lumière du soleil réfléchie par les roches. Les atomes de certains minéraux absorbent en effet des longueurs d'onde bien spécifiques, qui disparaissent alors du spectre de la lumière réfléchie (bande d'absorption). La couleur rouge de la planète Mars s'explique par exemple par la présence en surface d'une grande quantité d'oxydes de fer qui absorbent les longueurs d'onde situées vers 440 nm, et certaines jusqu'à 750 nm. Les bandes d'absorption et le spectre de la lumière réfléchie par les roches sont donc d'excellents indicateurs de la composition minéralogique d'une roche. Les pyroxènes, des minéraux riches en fer et en magnésium très courants dans les roches volcaniques, montrent ainsi des bandes d'absorption entre 900 et 1050 nm.

Les roches du site d'atterrissage présentent plusieurs couleurs différentes sur les photographies prises dans le domaine du visible. Certaines roches possèdent une teinte grise (Shark), rougeâtre (Broken Wall), rose (Scooby Doo) ou marron (Lamb). La question qui se pose alors est de savoir si ces différences indiquent la présence de plusieurs types de roches ou si elles sont seulement le résultat d'une altération différentielle d'une seule et même roche. La poussière joue également un grand rôle dans la couleur des roches. Lorsqu'une roche est recouverte par endroit d'une pellicule de poussière, elle a tendance à apparaître rouge, alors que sa surface devient grise dans les régions exposées au vent, là ou la poussière n'a pas pu s'accumuler. En fait, les différentes variations de couleur des roches du site d'atterrissage pourraient s'expliquer uniquement par la plus ou moins grande importance de la couverture poussiéreuse.

Malheureusement, malgré différentes couleurs, le spectre de la lumière réfléchie par les roches ne montre pas de bandes d'absorption caractéristiques, empêchant ainsi la mise en évidence de tel ou tel minéral. La bande d'absorption du pyroxène est par exemple absente de nombreux spectres, alors que la plupart des roches semblent être d'origine volcanique. Il se peut cependant que certaines roches soient des verres volcaniques (comme de l'obsidienne). Dans ce cas le pyroxène n'est pas présent sous une forme cristalline et il absorbe à des longueurs d'onde supérieures à la longueur d'onde maximale de la caméra IMP (1100 nm). Si les pyroxènes sont très riche en calcium et en fer, les bandes d'absorption se décalent également vers la droite du spectre (au delà de 1050 nm) et tombent alors dans une région qui n'est plus couverte par la caméra de Pathfinder. Enfin, il existe certains minéraux opaques (comme la magnétite, un oxyde de fer aux propriétés magnétiques) qui peuvent masquer la présence de pyroxène en absorbant toute la lumière.

Certains rochers arrondis du site d'atterrissage, qui semblent être les plus vieux éléments présents, sont recouverts par endroits d'une pellicule de couleur marron. Le spectre de cette pellicule est bien différent des autres roches et montre une bande d'absorption due au fer dans la région des 900 nm. Deux types de minéraux ferriques peuvent être invoqués pour expliquer ce résultat : la présence de maghémite ou de ferrihydrite. Or il est important de savoir lequel de ces deux minéraux est actuellement présent. La ferrihydrite ne peut se former qu'en présence d'eau liquide. C'est également le cas pour la maghémite, mais celle ci peut aussi apparaître lors de l'altération de certains minéraux, sans la présence d'eau. Selon une théorie répandue, la région d'Ares Vallis a été le siège d'une importante inondation voila plusieurs milliards d'années. La découverte de ferrihydrite aurait constitué une preuve essentielle en faveur de cette théorie. Mais la caméra IMP n'a pas permis de réaliser de réaliser la discrimination entre maghémite et ferrihydrite. Pourtant, un seul filtre supplémentaire aurait permis de trancher.

Enfin, certains roches semblent être, nous l'avons déjà dit, des conglomérats (brèches d'impact ou poudingues d'origine sédimentaire). Les images multispectrales obtenues par la caméra IMP de Pathfinder auraient du permettre de s'en assurer définitivement. Les spectres de réflectance auraient été similaires pour une roche homogène (composée du même matériel) et différents dans le cas d'une roche hétérogène. Malheureusement, la résolution spatiale de la caméra n'est pas assez importante, et les roches apparaissent semblent toutes homogènes.

Analyse chimique

Sojourner emportait avec lui un petit spectromètre : l'APXS (alpha-proton-rayons X) Mais celui ci a connu de sévères limitations. Premièrement, il n'avait pas été calibré correctement. Deuxièmement, la présence d'une atmosphère martienne très riche en CO2 n'a pas permis d'effectuer des mesures fiables et utilisables dans les trois modes de fonctionnement de l'appareil, et seul les résultats du mode rayons X sont exploitables. Enfin, l'APXS ne pouvait mesurer la composition élémentaire qu'au niveau de la surface des roches, sur une épaisseur de quelques centaines de microns. La poussière a alors posé un problème sérieux.

Toutes les roches du site d'atterrissage sont en effet plus ou moins recouverte par une fine pellicule de poussière, celle la même qui est présente en suspension dans l'atmosphère et qui intervient de manière majeure lors des fameuses tempêtes de poussières. Mars est une planète poussiéreuse, et Sojourner n'avait malheureusement pas les talents d'une femme de ménage. La couche de poussière a perturbé les analyses. Quand le capteur du spectromètre AXPS se posait sur la surface d'une roche martienne pour en établir la composition, il mesurait à la fois la composition de la couche superficielle de poussière, en plus de celle du matériel rocheux sous-jacent (de la même manière, la poussière a caché les détails de la surface des roches à la caméra de Pathfinder et aux caméras de Sojourner). La couche de poussière a donc été prise en compte lors des analyses.

Les roches analysées par l'APXS contiennent de grande quantité de sulfures. Or, une bonne partie des roches semble être d'origine volcanique, et les magmas ne contiennent qu'une très petite quantité de sulfures (la solubilité des gaz sulfureux est très faible). Lorsque l'on porte le résultat des analyses sur un graphique (par exemple le pourcentage d'oxyde de titane TiO2 par rapport au pourcentage de sulfure), on s'aperçoit que toutes les roches se situent sur une seule ligne. Les différences observées s'expliqueraient alors par le fait que les différentes roches sont recouvertes par une épaisseur variable de poussière (qui contient les sulfures). Par extrapolation, il est cependant possible de connaître la véritable composition chimique des roches, en ramenant la quantité de sulfure à zéro (on suppose alors que les sulfures proviennent exclusivement de la couche de poussière qui recouvre les roches).

Après avoir effectué cette correction, on s'est rendu compte avec surprise que les roches avaient une composition similaire, même si le nombre d'analyse est faible (seulement 5 roches et 6 sols ont été analysés). D'autres roches, non analysées, avaient peut être une origine et une composition différente, mais on était bien loin de la diversité pétrographique promise par le site d'atterrissage (qui avait été sélectionné pour cela)

Andésite, vous avez dit andésite ?

Le spectromètre APXS de Sojourner ne renseigne que sur la composition élémentaire des roches, il ne donne aucune indication sur la composition minéralogique. Pourtant, nous pouvons déduire de la composition élémentaire une composition minéralogique probable, grâce à un procédé que les géologues appellent "norme".

Les roches magmatiques sont composées d'un certain nombre de minéraux, et la norme est la proportion de ces minéraux qui reflètent le mieux la composition élémentaire. Cette composition minéralogique n'est pas la composition réelle qu'il faudrait déterminer de manière directe (étude au microscope polarisant, analyse spectrale IR), mais c'est la composition la plus plausible. Au début du siècle dernier, l'école américaine a proposé une classification fondée sur l'analyse chimique d'une roche en vue de déterminer sa composition minéralogique résultante. Cette méthode porte le nom de ses auteurs (CIPW, Cross, Iddings, Pirsson et Washington). On détermine à partir de l'analyse chimique globale de la roche exprimée en oxydes (SiO2, Al2O3, Fe2O3, Na2O, K2O, MgO, etc) les combinaisons plausibles entre les différents éléments pour obtenir des minéraux étalons, en tenant compte des affinités et des incompatibilités. Par exemple, on peut associer 6 molécules de SiO2 à une molécule d'Al2O3 et une autre d'Na2O pour obtenir un feldspath sodique, l'albite (Na2O - Al2O3 - 6SiO2). On obtient alors la composition minéralogique virtuelle de la roche, la norme. La norme s'oppose avec le mode, qui représente la composition minéralogique effective de la roche.

Une fois les sulfures extrait par le calcul, on a pu connaître la composition des roches martiennes : elles seraient principalement composées de pyroxènes, de feldspaths (silicate complexe d'aluminium, de sodium et de potassium) et d'une petite quantité de magnétite et d'ilménite (oxyde de fer et de titane). Cette composition minéralogique est courante parmi les roches magmatiques (bien sur, il se peut que les roches analysées ne soient pas magmatiques, mais au contraire sédimentaires ou issues d'un impact météoritique). Mais si l'on regarde de plus près la composition obtenue, on remarque une chose surprenante. les roches sont exceptionnellement riches en silice ! En se basant sur la classification chimique généralement utilisée pour les roches volcaniques, on s'aperçoit que les roches martiennes correspondent à des andésites. Sur Terre, la roche la plus courante n'est autre que le basalte. Les basaltes constituent 95 % des laves océaniques et continentales. Ils doivent être également courant sur Mars, comme l'indique les propriétés spectrales de certaines régions (Syrtis Major par exemple, avec une signature nette pour les pyroxènes), ou la composition chimique des météorites martiennes. Mais sur Ares Vallis, pas de basaltes, mais une autre roche volcanique, l'andésite ! Ce sont en général des roches gris clair qui contiennent des feldspaths calco-alcalin (oligoclase, andésine) et des minéraux férromagnésien (amphibole, pyroxènes et quelquefois des micas).

Les andésites tirent leur nom des roches que l'on trouve au niveau des strato-volcans de la cordillère des Andes. Pour un géologue, le terme andésite est chargé de sens, et il est en relation directe avec un phénomène géologique majeur sur Terre, la tectonique des plaques. Les andésites sont des roches volcaniques qui abondent au niveau des zones de subduction. Dans ces régions, une plaque lithosphérique (par exemple une plaque océanique) rencontre une autre plaque et cède devant celle ci en s'incurvant pour plonger dans les profondeurs du manteau terrestre. Cette plaque porte sur son dos des sédiments qui ont eu le temps de se gorger d'eau pendant leur long séjour dans l'océan. Au fur et à mesure que la plaque s'enfonce, elle se réchauffe et l'eau se libère. Celle ci va diminuer le point de fusion du matériel mantellique qui va se mettre à fondre partiellement (mécanisme de la fusion partielle). Le magma produit, de composition basaltique, va commencer son ascension vers la surface. Mais avant d'en arriver là, il va subir une transformation chimique. Le magma ne va pas parcourir d'une traite la distance qui sépare son lieu de formation de son lieu d'épanchement en surface. Pendant sa montée, il va s'accorder des pauses et stationner dans des poches magmatiques. Dans ces zones, il va refroidir progressivement. A un moment donné, la température sera suffisamment basse pour que certains minéraux se mettent à cristalliser. Les cristaux vont alors tomber dans le fond de la chambre magmatique ou s'accoler aux parois, laissant derrière eux un liquide magmatique résiduel dont la composition chimique est différente de celle du liquide initial. Effectivement, les minéraux ont retiré du bain magmatique un certain nombre d'éléments comme le fer ou le magnésium. Le liquide restant est donc appauvri en fer et en magnésium, alors qu'il s'est enrichi de manière relative en d'autres éléments comme la silice. Ce processus porte le nom de cristallisation fractionnée. Notre magma a donc une composition chimique différente de sa composition chimique d'origine, il est plus siliceux. S'il continue sa montée, il va finir par atteindre les roches qui forment la croûte continentale. En se frayant un chemin vers l'air libre, le magma peut littéralement engloutir puis fondre des pants entiers de roches comme le granite. Ces roches sont très riches en silice, et voici notre magma qui change encore de composition, en s'enrichissant encore plus en silice. Enfin, lorsqu'il s'épanchera en surface, il donnera naissance en refroidissant à des roches plus siliceuses que les basaltes, nos fameuses andésites. S'il n'avait pas subi de cristallisation fractionné, il aurait formé des basaltes, le liquide initial étant de composition basaltique.

Les volcans qui crachent des andésites sont connus pour être particulièrement violents. Les éruptions seront fortement explosives, car les andésites sont des laves visqueuses (une faible augmentation de la teneur en silice produit une forte augmentation de la viscosité des roches). Le magma initial était de plus très riche en eau. Au fur et à mesure de sa montée vers la surface, il se charge de bulles de vapeur d'eau. Le liquide en fusion jaillira alors brutalement de la cheminée volcanique, à l'image du champagne riche en bulle qui s'écoule violemment lorsque l'on fait sauter le bouchon.

Remarque : Le concept de tectonique des plaques, les différents types d'éruptions, le dégazage des magmas, le mécanisme de la fusion partielle et celui de la cristallisation fractionnée seront bientôt présentés en détails dans le chapitre sur les volcans martiens.

Résumons nous. Les andésites terrestres sont très communes au niveau des zones de subduction, et celles ci font partie intégrante de la tectonique des plaques. De la à penser que les andésites martiennes ont la même origine, il n'y a qu'un pas, qu'il ne faudrait pas franchir trop vite ! Après les premiers analyses, beaucoup de personnes ont associé andésite avec l'eau (qui, nous venons de la voir, abaisse fortement le point de fusion) et la tectonique des plaques.

En fait, les andésites martiennes pourraient bien avoir une autre origine. La première hypothèse fait intervenir le mécanisme de la fusion partielle répété. Prenons une roche avec un faible taux en silice et commençons à la chauffer progressivement. Certains minéraux vont atteindre leur point de fusion, alors que d'autres resteront sous forme solide. Séparons maintenant le liquide obtenu du résidu solide. Cette séparation n'est pas une vue de l'esprit. Elle s'observe couramment dans la réalité, car le liquide magmatique produit à tendance à s'élever, du fait de sa faible densité par rapport aux roches encaissantes. Enfin, après une courte ascension, notre liquide atteint une zone plus froide et se solidifie. Nous obtenons une nouvelle roche, dont la composition chimique est différente de la première (elle est en particulier plus riche en silice). Si l'on répète ce mécanisme un certain nombre de fois (fusion partielle de la nouvelle roche, séparation, solidification, puis de nouveau fusion partielle, etc.), on peut obtenir une roche de composition andésitique. Ce mécanisme a sans doute été à l'origine de la formation des continents terrestres à partir des roches du manteau. Les roches continentales résultent en effet d'une écumage des roches du manteau et les continents ont effectivement une composition moyenne andésitique, même si la roche qui prédomine est le granite. Les andésites martiennes seraient donc des fragments de la croûte martienne qui se serait formée de manière analogue à la croûte continentale terrestre, par un processus global de fusion partielle répétée.

La deuxième hypothèse pour expliquer ces andésites martiennes fait appel au mécanisme que nous avons déjà présenté, la cristallisation fractionnée. Ce mécanisme n'est pas propre aux zones de subduction, mais on le rencontre en fait partout ou un magma séjourne assez longtemps sous la surface. Cependant, si cette cristallisation fractionnée a lieu dans des conditions différentes de celle qui règnent au niveau des zones de subduction, la composition chimique du liquide résiduel change. Par exemple, si la chambre magmatique est plus proche de la surface, la pression sera moindre, ce qui va influencer la composition du fluide magmatique. Le magma sera par exemple plus riche en fer et appauvri en aluminium. En se solidifiant, il donnera naissance à des basaltes andésitiques, comme des islandites, roches que l'on a découvert pour la première fois en Islande. Or les roches du site d'atterrissage de Pathfinder sont enrichies en fer et appauvries en aluminium. Ces roches pourraient donc être des islandites, des roches volcaniques un peu inhabituelle mais toujours intéressantes, formées localement par cristallisation fractionnée. Le magma qui en est à l'origine a pu aussi s'épancher par endroit pour donner naissance à des basaltes que nous n'avons pas trouvé sur Ares Vallis, mais qui doivent être la ! Si cette hypothèse est la bonne, la croûte martienne pourrait avoir non pas une composition andésitique comme sur Terre, mais une composition basaltique (le magma qui a donné naissance aux islandites à du se former à faible profondeur au dépend d'une croûte basaltique).

Conclusion

On peut tirer une rapide conclusion de l'aventure passionnante de Sojourner. Premièrement, il est évident que les analyses géologiques menées par Pathfinder ont été sérieusement compliquées par la présence de poussière, qui a empêcher les caméras d'obtenir des images nettes de la surface et de la texture des roches, tout en perturbant fortement les analyses chimiques et spectrales. Dans l'avenir, les robots devront être équipé d'un plumeau ou d'un dispositif projetant de l'air comprimé pour faire le ménage. Il sera peut être même nécessaire d'utiliser une meule pour dégager des zones saines au sein des roches ou un dispositif de forage. Deuxièmement, nous avons vu que la résolution spatiale et spectrale des caméras de Pathfinder et de Sojourner n'ont pas été suffisantes pour nous permettre de distinguer des grains individuels à la surface des roches ou de reconnaître de manière définitive certains minéraux.

Au final, nous ne savons pas grand chose des roches d'Ares Vallis. C'est vrai, il y a de fortes probabilités que certaines soient des roches volcaniques de composition andésitiques. Mais d'autres pourraient être sédimentaires (roches formées par la cimentation de sédiments éventuellement transportés par l'eau ou le vent), métamorphiques (roches ayant été soumises à de fortes températures et pression) ou encore issues d'un impact météoritique.

Enfin, reste la question de l'eau. Ares Vallis a sans doute été le siége d'une importante inondation. Les premières images du site transmises par Pathfinder n'ont-elles pas montrées des rochers alignés dans une même direction, comme s'ils avaient été soumis à un courant violent ? Il est vrai que l'ensemble ressemble fortement à ce que l'on peut observer sur Terre au niveau de certains deltas. La présence d'eau liquide permet aussi d'expliquer  les angles arrondis de certaines roches (lors de leur transport par les courants, les angles vifs des rochers s'émoussent) ainsi que les conglomérats que l'on pense avoir découvert. Mais aucune preuve définitive n'a été recueillie. Ares Vallis, malgré la visite spectaculaire de Pathfinder, garde encore une partie de ses secrets ...

Pour en savoir plus :

Go ! Les autres résultats scientifiques de Mars Pathfinder.
Go ! Une tectonique des plaques sur Mars ?
Go ! Une présentation de la volcanologie martienne.
Go ! Mars Pathfinder : la sonde et la mission, les instruments scientifiques.
Go ! Ares Vallis, site d'atterrissage de Pathfinder.

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Une vue spectaculaire du site d'atterrissage de Pathfinder. Au premier plan, on découvre l'un des pétales de l'atterrisseur avec ces panneaux solaires et à gauche, on aperçoit l'une des rampes de descente que Sojourner a emprunté pour gagner la surface martienne. Sojourner travaille actuellement parmi les roches du site. Au lieu, sous un ciel brun, se découpe le sommet d'une colline (Twin Peaks). Les analyses physiques, chimiques et minéralogiques effectuées sur le site d'atterrissage montrent que la plupart des roches pourraient bien avoir une origine volcanique. Certaines attestent d'un séjour prolongé sous les eaux, voila plusieurs milliards d'années. Après cet événement, quelques cratères d'impact ont du remuer la surface, en laissant derrière eux des brèches anguleuses. Mais, mis à part le vent qui redistribue peut être de manière régulière la poussière martienne, le site d'atterrissage de Pathfinder est resté inchangé depuis des milliards d'années (Crédit photo : NASA/JPL).

Le rocher Moe

Cette vue rapprochée du rocher "Moe" a été prise par l'une des caméras avant de Sojourner. Des traces de corrasion (phénomène d'érosion ou les grains de sable transportés par le vent agissent comme des "micro burins" sur la pierre) sont nettement visibles. L'activité éolienne est très importante sur Mars (Crédit photo : NASA/JPL).

Half Dome

Le rocher Half Dome visible sur cette photographie montre clairement des petites cavités. La surface du rocher est littéralement burinée, sans doute sous l'effet de la corrasion (Crédit photo : NASA/JPL).

Cette image a été prise par la caméra frontale de Sojourner. Elle montre une zone non visible depuis la station Pathfinder. Les Twin Peaks sont visibles à droite. On voit clairement des dunes. La présence de sable à la surface de Mars est importante. Cela indique que l'érosion, le vent et l'eau liquide ont contribué à la formation des paysages martiens actuels. L'eau a été un agent important, mais elle est aujourd'hui absente. Maintenant, le vent est le principal facteur d'érosion sur Mars (Crédit photo : NASA/JPL).

Différents types de rochers

Le paysage nord-est du site d'atterrissage de la sonde Mars Pathfinder montre plusieurs types de rochers. La flèche rouge indique un rocher aux angles arrondis, qui a peut être été transporté par l'eau. Le rocher pointé par la flèche bleu présente au contraire des angles vifs, et il a probablement été éjecté soit par un impact météoritique, soit par un volcan. La zone blanche (flèche blanche) représente peut être un dépôt formé par évaporation (un peu comme les déserts de sel sur Terre) ou une croûte durcie formé par l'action de l'eau (Crédit photo : NASA/JPL).

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Flat Top, une roche tabulaire qui ressemble vraiment à une roche sédimentaire. Mais la résolution des caméras de Pathfinder et de Sojourner n'a pas permis d'y découvrir une stratification confirmant cette hypothèse (Crédit photo : NASA/JPL).

Mars science

Classification couramment utilisée pour les roches volcaniques. En abscisse, on trouve la teneur en sodium et en potassium (exprimée en oxyde de sodium NA2O et en oxyde de potassium K2O) et en ordonnée, la teneur en silicium (exprimée en oxyde de silicium, SiO2). Les roches analysées par Sojourner (flèches bleues) semblent être des andésites, alors que les prétendues météorites martiennes affichent une composition basaltique (points rouges). On voit sur le diagramme la position de Yogi avant et après le retrait artificiel de la couche de poussière (Crédit photo : NASA/JPL).

Mars science

Norme de deux roches du site d'atterrissage de Pathfinder, Yogi et Barnacle Bill. Si ces deux roches sont des roches cristallines magmatiques (comme des granites), elles sont composées d'orthopyroxène (un silicate de magnésium et de fer), de feldspaths (alumino silicate de potassium, de sodium et de calcium), de quartz (oxyde de silicium) et d'autres minéraux comme la magnétite (oxyde de fer Fe3O4, l'ilménite (oxyde de titane et de fer, FeTiO3), le phosphate de calcium et le sulfure de fer (Crédit photo : NASA/JPL).

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Yogi, une roche martienne désormais célèbre. Les roches d'Ares Vallis ont une composition andésitique. Il n'est pas nécessaire d'invoquer le rôle de l'eau ou d'une tectonique des plaques pour expliquer leur origine. Elles peuvent soit provenir de la cristallisation fractionnée d'un liquide basaltique, ou être des représentants d'une croûte martienne différenciée (Crédit photo : NASA/JPL).

 

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