Formation et évolution de Mars

Il y a quatre milliards d'années, la Terre était une boule ardente de roches en fusion,
et, aujourd'hui, elle peut chanter l'opéra (Brian Swimme)

L'histoire de la formation et de l'évolution de Mars est celle d'un astre né avec un potentiel inespéré, à l'image de celui de la Terre, mais dont le destin a été d'être frappé très tôt par un bouleversement majeur, qui a changé radicalement et sans doute à jamais le visage de la planète, pour en faire la sphère froide, désertique et morte que l'on connaît actuellement. Si l'on met de côté les scénarios de terraformation, ou d'ingénierie planétaire, qui pour l'instant et pour longtemps encore, appartiennent non pas au domaine de la science mais à celui de la science-fiction, rien n'arrachera désormais la planète rouge à sa lente agonie. Ce qui intéresse au plus haut point les planétologues, ce n'est cependant pas tant l'avenir de la planète, mais son lointain passé.

Malgré nos moyens d'observation sans cesse plus nombreux et plus puissants, nous ne comprenons toujours pas ce qui a frappé Mars dans sa course, tout au début de son histoire, pour la mettre à terre, et ce de façon définitive. Par contre, il est pratiquement acquis qu'avant ce traumatisme, la planète rouge partageait de nombreuses similitudes avec notre propre monde, la Terre. D'une certaine manière, la catastrophe subie par Mars est providentielle, car en désactivant les possibilités d'évolution de la planète, elle a aussi préservé sa jeunesse dans ses roches. La Terre, à cause de son intense activité géologique puis biologique, a perdu les traces les plus anciennes de son histoire. Et il se pourrait bien que les pages manquantes contant les débuts de la vie sur notre planète (y compris le démarrage moléculaire), ou plutôt des photocopies plus ou moins lisibles des événements qui se sont déroulés voilà des milliards d'années, soient présentes dans les strates les plus vieilles de la croûte martienne. N'ayant pas eu d'avenir, Mars est restée figée dans une sorte enfance éternelle, et c'est pourquoi l'exploration de cet astre enflamme autant l'imagination et les passions des scientifiques. Mais voyons en détail ce qui a bien pu se passer, pour que Mars devienne l'astre rouillé que l'on connaît aujourd'hui.

Formation de la planète Mars

Dans l'enfer du disque d'accrétion

Notre système solaire est né il y a un peu plus de 4,6 milliards d'années suite à l'effondrement sur lui-même d'un gigantesque nuage interstellaire de gaz et de poussière, peut-être suite à une déstabilisation causée par l'explosion d'une supernova toute proche. L'incommensurable volume de gaz, véritable béhémoth de composés primordiaux, possédait alors une masse tout juste supérieure à celle de notre soleil actuel, et était composé à 98% d'hydrogène et d'hélium, avec des traces de lithium. Le reste de la matière, qui comptait pour seulement 2 % de la masse totale,  renfermait des éléments chimiques plus lourds, forgés dans le cœur d'anciennes étoiles par le processus de nucléosynthèse, puis libérés dans le milieu cosmique lors de l'explosion de ces dernières. La planète rouge, comme la Terre (et tout ce qui y vivra ultérieurement) vont entièrement s'agréger à partir de ces 2% de poussières d'étoiles, en quelques dizaines de millions d'années seulement.

Sous les forces titanesques de la gravité qui oppresse et contracte de plus en plus la région de la formation du système solaire, le cœur du nuage atteint des températures et des pressions infernales, qui finissent par initier le démarrage de réactions nucléaires de fusion. Les noyaux des atomes d'hydrogène, lancés les uns contre les autres à des vitesses folles, fusionnent pour former un nouvel élément, l'hélium. Notre étoile, le Soleil, illumine pour la toute première fois l'obscurité insondable de l'espace. Tout autour de cette sphère de lumière en gestation, la matière résiduelle s'organise sous la forme d'un disque tournant sur lui-même, milieu chaotique et désorganisé ou une quantité invraisemblable de particules minérales, de poussières et de fragments glacés s'entrechoquent, se brisent ou s'agglutinent, dans un environnement gazeux chauffé par le rayonnement très énergétique de la jeune étoile. C'est un milieu très violent, principalement caractérisé par des collisions. Celles-ci, qui peuvent se produire encore maintenant (mais qui sont, heureusement pour nous, devenues très rares), vont jouer un rôle absolument central dans la formation des planètes.

A certains endroits du maelström turbulent qu'est le disque d'accrétion, des grumeaux de matière plus gros que la moyenne se mettent à émerger, par le plus grand des hasards. De taille importante par rapport au milieu environnant, ces amas attirent par gravité des particules plus petites, et continuent ainsi à voir leur taille augmenter, par accumulation de matière. Plus ils grossissent, plus leur pouvoir d'attraction se renforce, et plus ils attirent à eux de la matière. Les forces de destruction sont cependant également à l'œuvre, et plutôt que de s'accoler pour grandir, deux objets rentrant en collision se brisent parfois au contraire en une myriade de fragments. Au milieu de ce chaudron infernal, ou tourbillonne une quantité phénoménale de matière, à chaque seconde, des mondes en miniature se font et se défont. Ces briques de base à partir desquelles vont apparaître les planètes sont appelées des planétésimaux. La très grande majorité ne dure pas bien longtemps, mais certains commencent néanmoins à émerger au sein de la matrice en rotation et à sortir du lot. Plus ils grandissent, et plus ils forment un puits de gravité qui aspire inéluctablement ce qui passe autour.

A partir d'une certaine taille, les matériaux vont s'organiser naturellement sous la forme de sphères, alors qu'auparavant ils formaient plutôt des corps patatoïdes. Les planétologues estiment qu'au moment de sa formation, le système solaire comptait sans doute plusieurs centaines de mini-planètes (appelées protoplanètes ou planétoïdes) de la taille de Mars. Là encore, un processus implacable et aveugle de sélection a lieu, et bien peu parviendront à atteindre une taille adulte. La plupart seront consommées par les planètes qui forment notre système solaire aujourd'hui, et le reste dérive aujourd'hui dans l'espace sous la forme de débris au niveau de la ceinture d'astéroïdes. Un petit nombre de protoplanètes a peut-être aussi subi un sort différent, mais aussi peu enviable : une éjection définitive du système solaire, pour devenir des astres errants, lancés dans une course aveugle dans l'obscurité insondable de la galaxie. Celles qui vont survivre seront les futures planètes du système solaire, celle sur laquelle nous vivons, et les autres, que nous pouvons admirer la nuit vagabondant sur le ciel étoilé. Le processus d'accrétion est un phénomène étonnamment rapide : en quelques dizaines de millions d'années, la planète rouge, Mars, avait sans doute atteint la taille qu'elle possède toujours aujourd'hui.

Mais quels sont au juste les matériaux qui s'agglomèrent et qui se brisent dans le disque d'accrétion, berceau de la formation des planètes ? Eh bien, tout dépend principalement de la distance au jeune soleil. Tout près de lui ne peuvent subsister que des matériaux que l'on appelle réfractaires, c'est à dire des composés qui possèdent une température de fusion élevée. C'est le domaine des métaux, et de nombreux autres éléments que l'on retrouve dans les roches de la croûte terrestre, et les planètes qui s'assemblent dans ce secteur auront une surface solide, et seront qualifiées de telluriques : il s'agit de Mercure, de Vénus, de la Terre et enfin de Mars. Bien plus loin, les températures sont suffisamment basses pour permettre à des substances volatiles (composés solides ou liquides s'évaporant facilement en gaz sous l'effet de la chaleur) de se condenser, pour former des glaces. On pense bien sûr à la glace d'eau, mais dans cette zone froide du disque, d'autres molécules, comme le dioxyde de carbone (CO2), l'ammoniaque (NH3) ou le méthane (CH4) peuvent aussi se solidifier. Ils permettront à des astres étranges d'apparaître : les géantes gazeuses du système solaire externe, que sont Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune, accompagnées de leur cohorte de satellites glacés, comme Titan, Europe, ou Triton.

Quels étaient les éléments et molécules présents dans la zone de formation de Mars ? Grosso modo, il s'agissait à peu de chose près du même mélange, de la même soupe que celle qui a donné naissance à la Terre. Principalement des métaux et des éléments qui rentreront dans la composition des roches silicatées (oxygène, silicium, aluminium, calcium, magnésium et fer), le tout baignant dans divers gaz. Il y a cependant eu quelques différences notables. Ainsi, les cosmo-chimistes pensent que le secteur de formation de Mars aurait pu être enrichi en éléments volatils et en soufre, par rapport à la zone où la Terre s'est assemblée, si tant est que les deux planètes se soient formées à l'endroit où elles sont aujourd'hui (ce concept fascinant de migration est abordé plus loin).

Cette richesse en soufre, qui se marie assez bien avec l'image volcanique, sulfureuse de la planète rouge, explique sans doute l'abondance des sulfates à la surface de Mars. Ces composés de soufre et d'oxygène (SO42-), découverts par le rover Opportunity sur les étendues désolées de Terra Meridiani, ont ensuite été décelés depuis l'orbite en de nombreux autres endroits de la planète (en particulier par les satellites Mars Express et Mars Reconnaissance Orbiter), et semblent donc ubiquistes. Le sol martien est également riche en soufre, comme l'ont découvert les atterrisseurs Viking dès 1976. Une situation différente de celle de la Terre, ou les sulfates sont bien moins représentés, comparativement à d'autres minéraux et roches. Le soufre présente également une forte affinité avec certains métaux dits chalcophiles, en particulier ceux qui donnent naissance au noyau métallique. Il est donc possible que le noyau métallique de Mars soit plus soufré que celui de la Terre, avec les conséquences éventuelles que cela implique. Enrichi en soufre, le noyau de Mars aurait aussi pu se former plus vite que celui de la Terre. Certains spécialistes estiment qu'il n'a mis que 30 millions d'années à s'agglomérer, contre 50 millions pour la Terre. Le soufre pourrait également permettre au noyau martien, qui mesurerait environ 1700 kilomètres de diamètre, d'être encore en partie liquide, malgré le refroidissement conséquent de l'intérieur de la planète (le soufre possède effectivement la propriété de réduire le point de fusion des métaux, en agissant comme fondant).

Une autre dissimilitude entre la Terre et Mars concerne le fer : à cause de sa distance plus importante au soleil que la Terre, la planète rouge a accrété un peu plus d'éléments volatils, qui ont rendu le milieu planétaire plus oxydant. Ainsi, une fraction plus importante du fer serait restée sous forme oxydée, ce qui l'a empêché, à l'inverse du fer réduit, de descendre dans le noyau. Le noyau de Mars serait donc de plus petite taille que celui de la Terre, tandis que le manteau et la croûte seraient plus riches en oxydes ferreux, ce qui est parfaitement confirmé par les observations réalisées depuis la surface par les robots, ou l'étude en laboratoire des météorites martiennes. Il est à noter qu'un manteau plus riche en fer peut fondre à des températures plus basses, ce qui aurait permis à la planète de maintenir plus longtemps une activité volcanique. Mais voyons comment ces enveloppes qui constituent une planète, croûte, manteau et noyau, et que nous venons d'évoquer brièvement ci-dessus, parviennent initialement à se mettre en place.

Passage au haut-fourneau : la différentiation

Contrairement à ce que l'on pourrait penser de prime abord, les planètes telluriques ne sont pas simplement des sphères de plusieurs milliers de kilomètres de diamètre, composées d'un agglomérat homogène de roches silicatées et de métaux, le tout entouré par une atmosphère. La Nature adore organiser et mettre de l'ordre dans la matière, et il n'est pas surprenant que les planètes possèdent une structure interne. Les innombrables chocs qu'une protoplanète subit dans le disque d'accrétion, chocs qui contribuent à son expansion si ces derniers ne sont pas trop violents, dégagent une quantité infernale de chaleur, qui finit par provoquer la fusion partielle voire complète de l'astre. Ce dernier n'est alors plus qu'une boule de magma portée au rouge, un spectacle qui doit être soit-dit en passant sublime à observer, mais auquel aucun homme n'a jamais assisté.

Sous l'échauffement, la planète en fusion va alors subir une transformation radicale, tandis que s'amorce un mécanisme fondamental de la formation des corps planétaires, la différentiation. Les éléments métalliques contenus dans les matériaux accrétés, plus denses que d'autres substances, se séparent du reste, et, sous l'effet de la gravité, tombent vers le centre de la protoplanète pour former le noyau métallique que nous avons évoqué un peu plus haut. C'est en particulier le cas du fer et du nickel, un couple auquel s'invite un troisième élément, le soufre (les métaux sont fréquemment associés au soufre - sous la forme de sulfures - dans les météorites).  Les géophysiciens estiment que le noyau métallique de Mars en renfermerait une quantité non négligeable, entre 10 à 15 %. Le liquide métallique enrichi en soufre migre donc à travers les grains minéraux, coalesce en formant des poches et percole lentement mais inéluctablement vers le centre.

Tandis que nos trois compères chutent littéralement au centre de la sphère en fusion pour disparaître dans ses profondeurs, une quantité d'éléments plus légers, bien décidés quant à eux à rester en haut, s'assemblent à partir du manteau pour constituer une sorte d'écume de roches, qui en refroidissant donnera naissance à une croûte, cette couche assez mince qui recouvre la surface des planètes telluriques, et que les géologues appellent aussi écorce, par analogie avec la peau d'une orange. La croûte est principalement formée de silicates, composés résultant de l'union du silicium et de l'oxygène, et d'un cortège d'autres éléments comme l'aluminium, le sodium et le potassium.

Entre l'écorce silicatée et le noyau métallique dense s'installe une couche plus ou moins épaisse et complexe (homogène ou au contraire stratifiée) que l'on appelle le manteau. Ce dernier cristallise du bas vers le haut à partir d'un supposé océan de magma (similaire à celui qui s'est formé sur Terre ou sur la Lune), et est principalement constitué de minéraux silicatés riches en fer, en magnésium et en calcium. Pour Mars, l'océan de magma martien (dont la profondeur aurait été de 700 à 1300 km) aurait cristallisé sur une période de temps estimée à 50 millions d'années.

Notons ici que l'existence d'un océan de magma lors de la formation de la planète implique un apport d'eau tardif. L'eau renfermée dans les matériaux d'accrétion ne peut effectivement pas survivre à une fonte généralisée de la couche externe de la planète. Pour former ultérieurement des océans et des mers, la planète doit donc recevoir des quantités appréciables d'eau bien plus tard dans son histoire, lorsque les choses sont devenues stables, et que les tourments magmatiques intérieurs se sont tus.

Les réserves d'eau que la planète Mars a possédé (et possède encore, dans une moindre mesure) ne se sont donc pas constituées à partir des premiers matériaux agglomérés, mais se sont lentement régénérées via les apports tardifs venants des secteurs externes plus froids du système solaire. La plupart des noyaux glacés pourvoyeur d'eau qui ont frappé Mars provenaient sans doute de la ceinture d'astéroïdes, avant leur éjection sous l'effet des déplacements erratiques de la géante gazeuse Jupiter (migration, voir plus loin). Une petite quantité d'eau (6 %) aurait également été apportée par les comètes circulant dans la ceinture de Kuiper, ou encore au niveau de régions encore plus éloignées, comme le nuage de Oort. Concernant la molécule d'eau, il est très intéressant de noter que si l'on suit son état en fonction de la distance au soleil, on s'aperçoit qu'elle est tout bonnement absente de la planète Mercure, qu'elle n'existe qu'à l'état de vapeur dans l'atmosphère sur Vénus, qu'elle parvient à être liquide sur Terre (que l'on place pour cette raison dans la zone d'habitabilité), pour devenir glace sur Mars. Sur Terre, la disponibilité de l'eau liquide a joué un rôle fondamental dans l'apparition et l'évolution de la vie, mais également dans un mécanisme géologique majeur, la tectonique de plaques.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, et bien que pouvant être animé de mouvements de convexion comme c'est le cas pour la Terre, le manteau n'existe pas à l'état liquide, mer de magma souterraine s'écoulant sous nos pieds, mais sous la forme d'une pâte solide, chaude et ductile plus ou moins visqueuse. Dans le cas de Mars, un refroidissement rapide de l'intérieur de la planète, ou une relative sécheresse des matériaux mantelliques pourrait avoir rapidement stoppé les cellules de convection qui auraient pu apparaître, avec deux conséquences importantes : une absence d'homogénéisation du manteau, qui pourrait donc être composé de la juxtaposition de plusieurs réservoirs de composition minéralogique ou isotopique différente (comme semblent l'indiquer les analyses effectuées sur les météorites martiennes), ainsi qu'une absence ou une désactivation très rapide de la tectonique de plaques, ce qui aura des conséquences dramatiques sur l'histoire géologique de l'astre, comme nous le ferons plus loin.

Pour en finir avec la différentiation, il nous faut encore aborder la couche la plus externe, et la plus vaporeuse, d'une planète, l'atmosphère. Sur la jeune Mars, les éléments les plus légers, les gaz tels que le dioxyde de carbone, s'échappent en sifflant par de nombreuses bouches volcaniques pour former une atmosphère, dont l'épaisseur est encore augmentée par les impacts de comètes, qui libèrent en s'écrasant de nombreux composés volatils. L'atmosphère primordiale martienne était sans doute principalement constituée de méthane (CH4), de dioxyde de carbone (CO2), de vapeur d'eau, d'azote (N2), et elle était également chargée en acide chlorhydrique (HCL) et acide sulfurique (H2SO4). Notons enfin qu'il n'y a absolument pas d'oxygène libre, cet élément ayant été injecté sur Terre dans l'air par l'activité métabolique de micro-organismes (cyanobactéries principalement).

Pour que l'atmosphère primordiale puisse subsister, deux grandes conditions doivent être respectées. Premièrement, comme cette couche d'air est composée de molécules très volatiles, qui n'ont qu'une envie, s'échapper dans l'espace pour continuer à vagabonder sans se soucier en aucune manière de rester groupés, il est impératif que la gravité de l'astre soit suffisante pour pouvoir les retenir. Ce dernier doit donc avoir agrégé suffisamment de matière, et être assez volumineux, sinon, il va se trouver incapable de garder une atmosphère, même si celle-ci s'est formée au début. Le second obstacle à la conservation d'une atmosphère, c'est notre propre étoile, qui ne cesse de libérer autour d'elle un flux particulièrement intense et violent de particules énergétiques, que l'on appelle le vent solaire. Ce dernier possède un pouvoir abrasif notable, et peut parfaitement décaper une planète de son atmosphère, si celle-ci n'est pas protégée par un bouclier déflecteur naturel. C'est précisément le rôle joué par le champ magnétique, champ qui trouve son origine dans le noyau métallique, et qui dévie les particules venant du soleil, ou d'autres régions de la Galaxie, en les empêchant de venir érafler la couche d'air entourant l'astre.

Les énigmes de la jeune Mars

Arrêtons-nous un peu pour faire le point. A l'issue de la phase d'accrétion et du mécanisme de différentiation, à quoi a abouti la Nature dans le cas de Mars ? Nous en avons désormais une petite idée, mais deux mystères demeurent : la structure interne précise de l'astre (à laquelle est liée l'histoire du champ magnétique et les conditions de son extinction), et l'énigme lancinante qui concerne un éventuel démarrage d'une tectonique de plaque. Nous allons tenter d'en savoir plus sur ces deux sujets.

Structure interne de Mars

Comme nous venons de le voir, à partir des matériaux primordiaux rassemblés en sphère par le biais de l'accrétion, le mécanisme de différentiation va organiser la matière en couches plus ou moins dense : au centre le noyau, surmonté par un manteau chaud, duquel va s'extraire une croûte, tandis qu'une atmosphère se forme à la périphérie de l'astre grâce aux gaz qui s'échappent des bouches et fissures volcaniques. Commençons notre voyage dans les profondeurs énigmatiques de Mars en commençant par son centre, le noyau.

Noyau

C'est un euphémisme, notre connaissance de la structure interne de la planète rouge est pour le moins parcellaire, en l'absence d'études sismiques dignes de ce nom. Effectivement, notre connaissance des profondeurs de la Terre a dû attendre la mise au point des premiers sismomètres pour faire un spectaculaire bond en avant (et aujourd'hui, notre planète est enserré dans un réseau à mailles serrées de plus de 20 000 stations de mesure). Jusqu'au 26 novembre 2018, date d'arrivée de la mission InSight, la mission Viking a été la seule à pouvoir déposer des sismomètres sur Mars en 1976. Hélas, ces derniers ne sont pas parvenus à renvoyer de données probantes. La masselotte mobile du premier instrument (Viking 1) n'a jamais pu être déverrouillée, et le sismomètre de Viking 2 n'a de son côté pas cessé d'être parasité par l'activité météorologique, qui a rendu impossible l'identification de tremblements martiens. A l'heure actuelle, tous les espoirs reposent sur la mission InSight. En attendant les premiers résultats du sismomètre SEIS déposé tout récemment avec succès sur la plaine d'Elysium Planitia par cette mission, les seules informations relatives à la structure interne de Mars proviennent de l'analyse des anomalies de déplacement des sondes en orbite, ainsi que de l'étude précise de la façon dont la planète tourne autour de son axe, grâce aux signaux radios des sondes déposées en surface (géodésie).

Sur cette base, les géophysiciens estiment que le noyau métallique mesurerait entre 1750 km et 1950 km, avec une partie interne solide (la graine) et une couche extérieur liquide, comme dans le cas de la Terre. L'estimation la plus précise réalisée actuellement donne pour le noyau un rayon de 1794 kilomètres ± 65 km, ce qui représente 53 % du rayon planétaire. La précision sans cesse affinée du coefficient h2 (appelé nombre de Love) grâce à l'accumulation des mesures des orbiteurs, toujours plus nombreux, qui tournent autour de Mars, laisse penser que la valeur la plus probable est la valeur haute. La planète rouge posséderait donc un noyau de taille importante, avec les conséquences associées sur la nature du manteau (voir ci-dessous).

Le noyau martien contiendrait surtout du fer et du nickel avec des éléments légers dans la partie liquide (silicium, hydrogène, oxygène et carbone). Comme nous l'avons vu, les analyses effectuées sur les météorites martiennes laissent penser que le noyau martien serait moins riche en fer que le noyau terrestre (cet élément se serait plutôt accumulé sous forme oxydée dans le manteau et la croûte), et enrichi en soufre, avec une teneur au moins équivalente à 10 %. Le soufre diluerait le mélange métallique de fer et de nickel et abaisserait sa température de fusion, permettant alors à une partie du noyau d'être encore, même aujourd'hui, à l'état liquide.

Dans l'histoire géologique d'une planète, et sa capacité à offrir des conditions clémentes pour l'apparition et l'évolution de la vie, le noyau joue un rôle fondamental, car c'est lui qui est le siège du champ magnétique. Dans les premiers moments de son histoire, un champ magnétique global s'est vraisemblablement déployé comme une fleur autour de Mars, suite à la présence de mouvements de convection dans la couche externe liquide du noyau, et/ou à la cristallisation de la graine. Celui-ci a subsisté pendant quelques centaines de millions d'années, avant de rendre l'âme vers 3,9 milliards d'années, pour une raison qui demeure incomprise. Pour Mars, cet événement fut une catastrophe majeure qui scella définitivement son destin. Nous y reviendrons.

Manteau

Le manteau martien s'est formé à partir de l'océan de magma qui existait juste après l'accrétion de la planète. Lorsque l'océan de magma a commencé à refroidir, une stratification instable, et importante pour son évolution, s'est mise en place à son niveau.

Les minéraux les plus réfractaires (riches en magnésium), possédant la température de fusion la plus élevée, ont commencé à cristalliser et à s'accumuler à la base de l'océan, pour former des agglomérations que les géologues appellent cumulats. Plus tardivement, dans la partie supérieure du manteau en formation, à faible profondeur donc, d'autres silicates cristallisent à leur tour à partir du liquide restant. La composition du liquide résiduel, à partir duquel ces minéraux tardifs se solidifient, n'est cependant plus la même que celle du liquide de départ. Elle a effectivement été modifiée par le retrait des éléments rentrant dans la composition des minéraux réfractaires (riches en magnésium), ce qui a augmenté d'autant la concentration des éléments restants, dont le fer. Par conséquent, les minéraux tardifs forment des masses superficielles plus denses que les premiers cumulats riches en magnésium. Cet échafaudage, aussi instable qu'un château de cartes, ne tarde pas à subir un bouleversement sous l'effet de la gravité : les fragments silicatés sombrent en profondeur, tandis que les cumulats primaires remontent. Le manteau est alors brassé : c'est le phénomène de chamboulement (mantle overturn en anglais), qui aboutit à un manteau stable.

Comme dans le cas du noyau, des incertitudes majeures pèsent sur le manteau martien, une fois passé le mécanisme de mantle overturn. Son épaisseur exacte, sa structuration en couches de densité et de composition différentes, sa composition générale et sa température nous échappent encore pour l'instant.

Comme la Terre, il est possible que le manteau martien soit découpé en un manteau supérieur et un manteau inférieur. Il est aussi envisageable qu'au contraire, la fameuse discontinuité qui sur Terre se situe à 670 km de profondeur et qui sépare le manteau supérieur du manteau inférieur, n'ait jamais pu se former sur Mars. L'existence de cette discontinuité est en lien direct avec le diamètre du noyau. Si ce dernier est trop gros, il ne reste plus assez de place (d'épaisseur) au manteau pour former la discontinuité en question (car les pressions ne peuvent pas être suffisantes), et il ne peut donc y avoir qu'un manteau homogène. Si à l'inverse le noyau est suffisamment petit (en dessous de 1400 kilomètres de rayon), la profondeur allouée au manteau permet à la discontinuité d'apparaître, et de séparer deux compartiments bien différents d'un point de vue minéralogique, un manteau supérieur et un manteau inférieur. Comme nous l'avons mentionné plus haut, il est de plus en plus probable que le noyau martien soit volumineux, ce qui empêcherait l'existence d'un manteau inférieur dans les profondeurs de Mars. Arrêtons-nous cependant un instant pour creuser le sujet, car le lien de ce sujet avec l'histoire magmatique d'une planète (activation d'une tectonique de plaques et naissance de panaches mantelliques) est particulièrement intéressant.

En qui consiste exactement la discontinuité mantellique terrestre à 670 km, très bien mise en évidence par les sismomètres, et pourquoi est-elle importante ? Sur Terre, et sans doute aussi sur Mars, le manteau est principalement formé du minéral olivine (mélangé avec d'autres minéraux présents en plus faibles quantités, comme les pyroxènes ou les grenats). Lorsque la profondeur augmente, les changements de température et de pression force l'olivine à changer de phase, c'est à dire à adopter une nouvelle structure cristalline.

Sur Terre, avec la profondeur et l'augmentation de la pression, l'olivine classique (qui forme une roche appelée péridotite) se transforme d'abord en spinelle béta (wadlsleyite), puis en spinelle gamma (ringwoodite), et ce jusqu'à 670 km. En dessous de cette limite fatidique, l'olivine (sous la forme de ringwoodite) se morphe en un mélange de haute pression appelé pérovskite et magnésiowustite. Or cette transition spécifique est endothermique, c'est à dire qu'elle absorbe de la chaleur. Certains géophysiciens pensent que cette absorption d'énergie joue un rôle central dans la mise en place d'une convection mantellique, et donc dans la vitalité d'une planète. En permettant un refroidissement efficace du noyau, la convection mantellique permettrait la mise en place d'un champ magnétique. Elle activerait également le mécanisme de tectonique de plaques, phénomène géologique essentiel auquel sont liés des éléments géologiques majeurs, comme le volcanisme, la formation de continents et d'océans, voire l'évolution du vivant.

Certains chercheurs ont estimé que, sur Mars, la zone de transition endothermique stabiliserait et réduirait le nombre de panaches mantelliques à 1 ou 2, expliquant ainsi le nombre très restreint de provinces volcaniques à la surface de la planète rouge (le dôme de Tharsis et le secteur d'Elysium). Il s'agit ici d'une notion importante, car les sources de magma, qui donnent naissance au volcanisme, sont localisées dans le manteau. Les planétologues estiment que les zones ou le manteau peut partiellement fondre (avec un degré de fusion partielle variant entre 5 et 15 %) seraient situées entre 80 et 150 kilomètres de profondeur. La profondeur (et donc la pression) ainsi que le degré de fusion partielle sont des paramètres fondamentaux pour comprendre la nature des sources de magma, et le type de volcanisme associé.

Aussi étrange que cela puisse paraître, une molécule très courante, l'eau, joue un rôle essentiel dans l'évolution du manteau. Celle-ci peut effectivement servir de fondant. Quelques dizaines de ppm (parties par million) peuvent fortement réduire la viscosité du matériel mantellique, et à partir de 100 ppm, la fonte devient plus facile. La teneur exacte en eau du manteau primordial ou actuel martien n'est pas connue avec précision, et les estimations varient de quelques parties par million (ppm) pour un manteau plus sec que celui de la Lune à plus de 200 ppm, soit une valeur similaire à celle du manteau terrestre. Si, comme nous l'avons déjà mentionné, le manteau martien diffère du manteau terrestre par sa teneur en fer, l'influence de cet élément reste cependant mineure quand on prend en considération les différences potentielles liées à la teneur en eau, et les conséquences associées pour l'histoire de la planète. Notons pour terminer qu'au cours de son histoire, le manteau martien aurait perdu environ 50 % de son eau primordiale par dégazage. L'avalanche de tous les éléments mentionnés ci-dessus complexifie fortement la situation, et peut rendre les choses confuses, mais elle a au moins l'avantage d'illustrer une vérité certes un peu désagréable : la mise en place d'une planète de type Mars est un phénomène compliqué, où de nombreux paramètres s'entrelacent et s'influencent entre eux pour finir par aboutir à une situation donnée, tirée par la Nature comme la carte d'un jeu parmi un grand nombre de solutions potentielles.

Croûte

Très rapidement après la formation de Mars, une croûte primaire d'une épaisseur de 20 à 30 kilomètres se serait formée à partir du manteau, par refroidissement de la partie la plus superficielle de l'océan de magma, ou par fusion partielle directe des roches mantelliques. Dans un second temps, la croûte aurait repris sa croissance, pour former sur des périodes de temps plus importantes une croûte secondaire d'une épaisseur de 45 à 75 kilomètres. Si ce mécanisme de formation est juste, la croûte martienne serait donc stratifiée.

Cependant, en l'absence de mesures sismiques, l'existence d'une telle stratification n'a jamais été prouvée. De plus, l'épaisseur moyenne de la croûte n'est pas connue avec précision, et entre les épaisseurs minimales et maximales proposées, il existe un facteur 2. Les différences d'épaisseur entre les hauts plateaux de l'hémisphère sud et les basses plaines du nord sont également un sujet de questionnement.  De nombreuses incertitudes pèsent également sur l'évolution du système croûte/manteau : elles sont principalement liées à la question de l'âge des shergottites (le groupe le plus commun des météorites martiennes), à la quantité d'eau primordiale présente dans le manteau (de quelques ppm à 200 ppm), et enfin à l'épaisseur moyenne de la croûte.

Le niveau de différentiation (c'est à dire de la formation de roches de plus en plus différentes les unes des autres, et généralement de plus en plus riche en silice) de la croûte martienne est un autre sujet fascinant, qui fait couler beaucoup d'encre. Il n'y a encore pas si longtemps, tous les experts de Mars considéraient que cette planète était majoritairement basaltique, et que sa surface était donc recouverte de laves de type basalte, directement formées par fusion partielle des péridotites du manteau en profondeur, avec une remontée du liquide, un épanchement et finalement une solidification des laves en surface. Dit autrement, Mars était une boule de basalte. Cette prédominance de roches mafiques et ultramafiques était la vision offerte par les sondes Viking, et cette dernière est restée inchangée durant des décennies.

Les premières évidences de différentiation magmatique ont été identifiées dans la caldera du volcan Nili Patera (région volcanique d'âge hespérien de Syrtis Major), grâce aux spectromètres infrarouges TES et THEMIS des sondes Mars Global Surveyor et Mars Odyssey. D'une manière générale, la silice et les minéraux riches en silice (comme les feldspaths) sont très difficilement détectables par spectrométrie infrarouge. Cependant, leur mise en évidence n'est pas impossible. C'est ainsi que l'étude d'une petite coulée de lave au niveau du plancher de la caldera a révélé la présence de dacite, une roche volcanique présentant un taux de silice plus important que les basaltes habituellement rencontrés sur Syrtis Major. Or le passage de laves basaltiques à des laves dacitiques ne peut s'expliquer que par le mécanisme de cristallisation fractionné au sein de chambres magmatiques.

Les deux spectromètres TES et THEMIS ont ensuite permis la détection des roches contenant des grains de quartz, cette fois dans des cratères de Syrtis Major, parfois en association avec des pics centraux. Les spectres collectées ressemblaient à ceux de granitoïdes (roches appartenant à la famille du granite), et suggéraient l'exhumation d'une masse intrusive formée en profondeur et très différenciée. Cependant, il n'était pas possible d'écarter l'hypothèse de la formation de quartz par des mécanismes secondaires.

En surface, la vision de Mars comme globe basaltique fut mise à l'épreuve au cours de la mission Pathfinder. En 1997, en explorant son site d'atterrissage, et grâce à son instrument APXS, le petit rover Sojourner découvrit des roches particulièrement riches en silice (57 %), et dont la composition élémentaire ressemblait à celles des andésites, un type de roche volcanique possédant une teneur en silice bien supérieure à celle des basaltes. Si les andésites sont des roches qui sur Terre, sont en particulier formées dans les zones dites de subduction (et donc liées à la tectonique de plaques), cette découverte ne provoqua cependant pas un choc au sein de la communauté de planétologues. Effectivement, la richesse en silice des roches analysées par Sojourner pouvait aussi s'expliquer par l'altération de laves basaltiques.

En 2004, le rover Opportunity, en action sur les plaines désolées de Terra Meridiani, mis en évidence les premières roches sédimentaires sur Mars : des dépôts sulfatés recouvert par un sable basaltique et contenant une multitude de concrétions sphériques grise d'hématite cristalline. Cette découverte majeure témoignait d'une diversité pétrologique bien plus grande que prévue (qui abîmait encore un peu plus la vision purement basaltique de Mars), ainsi que d'une présence passée d'eau liquide. Son frère jumeau, Spirit, eut moins de chance au niveau de son site d'atterrissage, le cratère d'impact Gusev, mais parmi les basaltes beaucoup trop nombreux au goût des géologues qui recherchaient avant tout des sédiments, il découvrit à plusieurs reprises au niveau des collines Columbia des roches volcaniques avec une composition alcaline (comme des trachybasaltes et des téphrites, le terme alcalin faisant référence à la richesse en sodium et potassium), qui indiquaient là encore l'existence d'une différentiation par cristallisation fractionnée d'un magma basaltique.

Il fallut cependant attendre l'arrivée triomphale de Curiosity à l'intérieur du cratère Gale en 2012 pour qu'une prise de conscience majeure ait lieu. Grâce à une charge instrumentale d'exception, le rover ultrasophistiqué de la NASA découvrit à la grande surprise des géologues des roches magmatiques différenciées : trachyte, trachyandésite, et granodiorite. Une autre confirmation est venue de l'analyse de fragments spécifiques (clasts) emprisonnés dans la météorite martienne NWA 7034 (Black Beauty) : ceux-ci renfermaient des minéraux (feldspaths alcalins) que l'on retrouve couramment dans les roches de type granite. Le doute n'était alors plus permis : les roches felsiques, riches en silicium, aluminium, sodium et potassium existent bel et bien sur Mars, qui n'est donc pas en surface qu'une sphère de basaltes refroidis. Toute la question est maintenant de connaître leur étendue.

Tectonique de plaques ou non, telle est la question

Abordons maintenant un autre sujet fondamental pour quiconque tente de comprendre le passé géologique de Mars, ou de comparer l'histoire de cette planète avec ce qui s'est passé sur Terre : la tectonique de plaques. Avant d'aborder le cas de Mars, passons rapidement en revue ce phénomène, qui joue un rôle si important sur Terre.

Le mécanisme de tectonique de plaques

La surface de notre planète est divisée en un certain nombre de plaques rocheuses qui n'ont de cesse de se déplacer les unes par rapport aux autres, soit en se séparant (au niveau des dorsales océaniques), soit en coulissant de manière plus ou moins douce (comme le système de failles de San Andreas), soit encore en entrant en collision (en formant des chaînes de montagne). Les géologues distinguent deux grands types de plaques lithosphériques : les plaques océaniques et les plaques continentales (sachant que certaines plaques peuvent comporter une portion océanique et une portion continentale).

Comme leur nom l'indique, les plaques océaniques constituent le fond des océans et sont constituées d'une croûte océanique assez fine (5 à 7 kilomètres d'épaisseur en moyenne) de nature basaltique, qui finit par se recouvrir de sédiments au fil du temps, et d'une lamelle de manteau supérieur. Lourdes et cassantes, ces plaques sont toujours très jeunes (la plus vielle croûte océanique terrestre est âgée de 220 millions d'années).

A l'inverse, les plaques lithosphériques continentales forment la surface des continents émergés. Elles sont constituées d'une croûte continentale de nature granitique, d'épaisseur variable (15 à 80 km sous certaines chaînes de montagnes), et d'une partie du manteau supérieur. Moins denses que les plaques océaniques, elles peuvent être très vieilles (jusqu'à 4 milliards d'années). La différence d'âge entre les plaques continentales et les plaques océaniques vient du fait que les continents sont apparus très tôt dans l'histoire de la Terre. Formés de l'assemblage de roches légères, ils sont par nature insubmersibles, et peuvent donc être vu comme des radeaux "flottants" au-dessus des roches du manteau plus dense.

Les plaques océaniques ont une toute autre origine : elles sont formées en permanence au niveau des dorsales, ces zones ou deux plaques océaniques s'écartent l'une de l'autre, la déchirure béante laissant alors s'échapper du magma qui se solidifie pour donner des roches basaltiques denses (phénomène d'expansion des fonds océaniques). Les dorsales sont particulièrement bien visibles sur les globes terrestres ou la couche d'eau des océans a été enlevée : elles forment comme un réseau de fermeture-éclairs qui parcourt la planète, en passant entre les continents. Des deux côtés de la dorsale, les plaques en formation, et qui s'éloignent l'une de l'autre comme des tapis roulants, sont des copies conformes. Ce fait est particulièrement visible lorsque l'on observe les structures en code-barres laissées par les variations du champ magnétique dans les roches basaltiques (qui, contenant des minéraux riches en fer, peuvent garder une trace de l'intensité et de la direction de ce dernier).

La magnifique symétrie induite par le fonctionnement des dorsales a cependant ses limites. La vitesse de formation des plaques n'est ainsi pas identique tout au long de la dorsale, et certains secteurs avancent plus vite que d'autres. Les tensions étant extrêmes, la plaque finit par craquer le long de failles dites transformantes, qui isolent alors des blocs avançant plus ou moins vite les uns par rapport aux autres.

La surface d'une planète étant par définition fixe, la formation perpétuelle de plaques océaniques au niveau des dorsales implique obligatoirement l'existence de zones de destruction. Ce sont les secteurs de subduction (passage d'une plaque sous une autre) ou de collision (affrontement de deux plaques qui s'interpénètrent). Lorsqu'une plaque océanique rencontre une plaque continentale légère, elle engage un combat perdu d'avance. Plus dense que le continent, qui est comme nous l'avons vu insubmersible, elle est obligée de plier et de s'enfoncer dans le manteau avec une courbure plus ou moins importante, où elle finira par être digérée. La même chose se produit lorsqu'une plaque océanique ancienne, froide et dense, rencontre une consœur plus jeune (donc plus chaude et plus légère).

Les secteurs de subduction sont le lieu de phénomènes géologiques très complexes, dont celui, paradoxal, de formation de la croûte continentale. En s'éloignant de leur lieu de genèse, les dorsales, les plaques océaniques se recouvrent de sédiments marins gorgés d'eau. Lorsqu'elles finissent par plier et entamer leur descente, les plaques exposent les sédiments qu'elles transportent à des températures de plus en plus élevées, qui finissent par relâcher l'eau qu'ils contiennent. Comme nous l'avons vu plus haut, l'eau possède la propriété de diminuer la température de fusion des roches du manteau. Le coin de manteau situé au-dessus de la plaque plongeante qui est en cours de déshydratation va alors se mettre à fondre partiellement, puis générer du magma hydraté. Ce dernier va alors tenter de se frayer un chemin vers le haut. Il peut s'accumuler dans d'immenses chambres magmatiques et refroidir sur place, ou atteindre la surface et donner naissance à des cônes volcaniques majestueux mais très dangereux. Dans les deux cas, les roches felsiques formées (andésites et diorites) riches en quartz et feldspaths sont identiques à celles que l'on rencontre sur les continents, ce qui implique donc que la croûte continentale est fabriquée principalement au niveau des zones de subduction.

Enfin, toujours pour les mécanismes de destruction de plaques, lorsque deux plaques continentales se percutent, aucune ne cède le passage ou la priorité à l'autre, et une formidable collision se produit, dans un fracas terrible de fractures et de plissements. C'est ainsi que se forment les chaînes de montagne (comme le massif de l'Himalaya).

Sur Terre, le jeu de la tectonique de plaques est actif depuis maintenant des milliards d'années. Sur cette immense période de temps, les plaques lithosphériques n'ont donc pas cessé de bouger les unes autour des autres, de s'écarter avant de se retrouver de l'autre côté de la planète pour rentrer en collision, formant une sorte de mosaïque géante en reconfiguration permanente. D'innombrables générations de croûte océanique se sont formées, pour être ensuite digérées dans le manteau. Des supercontinents ceinturant la planète se sont mis en place, avant de s'ouvrir et de se fragmenter en une myriade de plaques, qui se sont à nouveau entrechoquées pour former des étendues géantes de terres émergées. Au niveau des masses continentales, chaque nouvelle collision laissait des cicatrices profondes mais indélébiles, témoignages de traumatisme passés d'une ampleur impossible à concevoir. Après plusieurs milliards d'années d'évolution, les continents terrestres sont désormais d'une complexité invraisemblable d'un point de vue géologique et structurale. Décrypter leur histoire est une tâche particulièrement ardue, et de plus en plus impossible lorsque l'on veut remonter le temps. Tout se passe comme si on avait pressé puis séparé puis repétri les unes contre les autres des balles d'argiles colorées, dans tous les sens et pendant très longtemps, pour former finalement une masse unique et bariolée, dont on voudrait alors remonter l'histoire.

Mécanisme colossal, à la fois dans l'espace et dans le temps, aux conséquences innombrables (depuis la formation des chaînes de montagne en passant par l'activité volcanique, les tremblements de terre et la disparition d'une masse considérable de roches plus ou moins anciennes par recyclage dans le manteau, voire même apparition du vivant), la tectonique des plaques a laissé et continue de laisser sur Terre de nombreux indices de son existence même. Les plus évidents sont les zébrures du champ magnétique sur les croûtes océaniques, l'alignement de cônes volcaniques lorsqu'une plaque passe sous un panache mantellique (qui poinçonne alors tel un chalumeau la croûte en laissant des chapelets de volcans), les formations volcaniques (arc insulaires) qui signent la présence d'une zone de subduction, ou encore les ceintures orogéniques, ces longues bandes de reliefs liées au mécanisme d'orogénèse, c'est à dire la formation des chaînes de montagne.

Des traces de tectonique des plaques sur Mars ?

Que s'est-il donc passé dans le cas de Mars ? En fonction de ce qui vient d'être dit plus haut, existe-t-il à la surface de Mars des traces d'une tectonique de plaques passée ? Le sujet est un peu sensible, et l'idée majeure défendue par la communauté scientifique mondiale est que Mars n'a pas connu, comme la Terre, de tectonique de plaques, ou que ce mécanisme, s'il a démarré, a été rapidement enrayé, moins d'un milliard d'années après la formation de l'astre. Parmi les hypothèses avancées pour expliquer cet échec, on peut citer une absence de convection mantellique vigoureuse, peut-être due à l'absence d'une transition olivine / pérovskite dans le manteau (voir plus haut), qui n'aurait pas été suffisamment épais pour permettre sa formation, ou une croûte très épaisse, qui aurait joué le rôle d'isolant et désactivé les cellules de convexion mantelliques indispensables au déplacement des plaques.

Pour une petite poignée de planétologues, un petit nombre d'indices laissent penser qu'une tectonique des plaques s'est peut-être activée sur Mars. Comme nous venons de le voir, sur Terre, la tectonique de plaques a eu une conséquence très importante : la mise en place de deux types de croûtes : une croûte basaltique dense, fine et jeune (car constamment recyclée) sous les océans, et une croûte granitique moins dense, épaisse et veille (car insubmersible) au niveau des continents. Or, l'une des caractéristiques géologiques les plus importantes de la planète rouge est de posséder un hémisphère nord aux altitudes basses, avec une croûte basaltique jeune, et un hémisphère sud formé de hauts plateaux, avec une croûte beaucoup plus ancienne et épaisse, et qui laisse apparaître ici et là des affleurements de roches de type granite. C'est la fameuse dichotomie martienne. De là à considérer que l'hémisphère nord est un bassin océanique qui a accueilli il y a des milliards d'années un océan (et dont la croûte résulterait du fonctionnement d'une dorsale), et que l'hémisphère sud est un continent géant, il n'y a qu'un pas, que l'on peut franchir plus ou moins allégrement.

D'autres signes troublants existent, comme l'alignement des trois volcans géants (Arsia, Pavonis et Ascraeus Mons), la découverte d'andésites par Sojourner, ou encore les zébrures laissées par l'ancien champ magnétique sur les secteurs les plus anciens de la croûte de l'hémisphère sud, et découvertes par la sonde Mars Global Surveyor. A ce sujet, au niveau des secteurs de Cerberus Rupes, Valles Marineris et Terra Meridiani, la découverte de réseaux de failles recoupant les contours du champ magnétique rémanent crustal, et ressemblant aux failles transformantes qui zèbrent les planchers océaniques terrestres, milite en faveur d'une amorce du mécanisme de tectonique de plaques sur Mars.

Des études tectoniques ont également montré la présence de plissements et de failles inverses (structures tectoniques qui résultent de l'effet de forces compressives) au niveau du plateau de Thaumasia, de Daedalia Planum et d'Aonia Terra. Certains géologues structuraux n'hésitent pas à y voir des ceintures orogéniques, longues bandes de terrains déformés résultant de la collision et de l'accrétion d'anciennes plaques convergentes, témoins d'une ancienne orogénèse, dite de Thaumasia–Aonia (rappelons que l'orogenèse est le processus géologique responsable de l'apparition de reliefs significatifs à l'échelle d'une planète, et induisant des déformations majeures de la croûte). De la même manière, des structures linéaires sur Terra Cimmeria ont été interprétées comme étant des sutures de la collision et de l'accrétion de fragments (terranes) qui se seraient détachés d'une plaque pour aller s'encastrer sur une autre.

Des chercheurs se sont également penchés sur le mécanisme ayant causé l'arrêt de la soi-disante tectonique de plaques martienne. Selon une hypothèse avancée, la croissance galopante de la surface des hauts plateaux de l'hémisphère sud serait parvenue à inhiber la subduction, entraînant le passage d'une convection mantellique de type tectonique de plaques à une convection mantellique sous un couvercle stagnant, c'est à dire une planète monoplaque. Effectivement, si sur un astre rocheux animé par la tectonique de plaques, un secteur de lithosphère "flottant" sur le manteau atteint une taille critique (50 % dans le cas de Mars), alors la tectonique des plaques ne peut que s'arrêter. Le transfert de chaleur au travers de la masse lithosphérique étant devenu inefficace, la température du manteau augmente, ce qui diminue la viscosité des roches mantelliques, et les contraintes de cisaillement. Le mouvement des plaques cesserait alors de lui-même.

A l'opposé, un nombre significatif de géologues planétaires défendent l'absence de tectonique de plaques, en avançant des arguments difficilement réfutables. Parmi ceux-ci, nous pouvons citer l'absence d'évidences flagrantes pour les zones de subduction, les dorsales océaniques et les chaînes de montagne. Il n'existe pas non plus de passages brusques entre la supposée croûte océanique du nord et la supposée croûte continentale du sud, contrairement à ce que l'on serait en droit d'attendre. La transition entre les hauts plateaux de l'hémisphère sud et les basses plaines du nord s'effectue effectivement de manière douce, graduelle, et non pas de façon marquée.

L'âge de la croûte pose également problème. Effectivement, la transition entre une planète fonctionnant sur le mode de la tectonique de plaques vers un mode à une seule plaque (formant un couvercle stagnant et isolant au-dessus du manteau) a pour conséquence d'augmenter de façon significative la température du manteau, ce qui déclenche en retour un pic de formation crustal. Si un tel scénario avait eu lieu, une partie substantielle de la croûte martienne devrait alors s'être formée aux alentours de 2 milliards d'années, ce qui ne correspond ni aux observations (détermination de l'âge par comptage des cratères d'impacts), ni aux datations effectuées sur les météorites martiennes.

D'autres arguments anti-tectonique de plaques sont encore avancés : sur Mars, les montagnes (qui comme nous l'avons vu résultent sur Terre de la collision entre des plaques lithosphériques) sont absentes au sens strict, les tremblements de terre semblent très rares, et les volcans atteignent des tailles colossales par l'empilement incessant des coulées de lave au même endroit, ce qui laisse penser que l'écorce est immobile (les archipels volcaniques ne pouvant alors pas se former). Le niveau d'hydratation du manteau martien primitif, sur lequel pèse de nombreuses incertitudes, est également à prendre en compte. L'eau a effectivement joué un rôle crucial sur Terre dans la mise en place de la tectonique de plaques. Notre planète possède ainsi 100 000 fois plus d'eau que Vénus, qui, malgré une taille comparable, n'a pas enclenché à notre connaissance de tectoniques de plaques.

Le débat sur l'existence ou l'absence d'une tectonique de plaques sur Mars est loin d'être clôt. En l'absence de données sismiques, capables de révéler des structures profondes, tout ce qu'il est possible de faire actuellement pour avancer sur le sujet est d'observer le plus finement possible la surface, pour cartographier les failles et déterminer les forces qui ont conduit à leur apparition. Un puzzle géant à reconstituer, travail de longue haleine, où il demeure impératif de rester objectif, et de ne pas céder aux sirènes de l'imagination.

A l'heure actuelle, il est donc plus raisonnable de penser que Mars n'a pas connu de tectonique de plaques. La vision la plus couramment partagée par la communauté de planétologues est de considérer que Mars est une planète monoplaque, avec une écorce rigide et épaisse qui forme une coquille isolante autour du manteau. Malgré tout, il n'est pas possible d'exclure que peu après sa formation, la planète ait possédé des plaques crustales mobiles et fines, qui cahotaient de manière erratique à sa surface grâce à la tectonique de plaques.

Les conséquences d'une absence de tectonique de plaques sur Mars sont multiples. Le premier concerne l'histoire thermique. La capacité d'une planète à conserver sa chaleur interne sur de longues périodes dépend initialement de sa richesse en éléments radioactifs. La façon dont ce pool de chaleur (qui peut donc être petit ou grand) va être utilisé dépend ensuite de l'histoire géologique de la planète en question. Dans le cas d'une tectonique de plaques, la planète parvient efficacement à évacuer sa chaleur interne, et va donc inexorablement se refroidir, tout en pouvant paradoxalement bénéficier d'une activité volcanique débridée (qui génère ou régénère l'atmosphère) et d'un champ magnétique généré par le noyau. La planète peut alors être considérée comme "vivante" d'un point de vue géologique.

Inversement, en absence de tectonique de plaques, la lithosphère isole le manteau de l'extérieur, ce qui permet à la planète de conserver sa chaleur plus longtemps. L'absence de refroidissement efficace finit cependant par désactiver les éventuelles cellules de convection brassant le manteau, puis, par ricochet, celles en action dans le noyau, empêchant alors le maintien d'un champ magnétique, absolument crucial pour le vivant (du moins en l'état de nos connaissances). Autre conséquence, en l'absence du mécanisme de tectonique de plaques et du recyclage de la croûte, la fusion partielle aurait donc été le principal mécanisme de différentiation (c'est à dire de création de roches différentes les unes des autres) en action sur la planète rouge.

L'exposé ci-dessus, qui portait pour l'instant principalement sur la structure interne de Mars et la tectonique de plaques, a le mérite de montrer que notre niveau d'ignorance de l'histoire magmatique de Mars est très important, et qu'à l'heure actuelle, aucune consensus majeur ne ressort clairement des études pétrologiques menées depuis l'orbite et à la surface de la planète, ou sur Terre, avec l'étude des météorites martiennes et les simulations numériques effectuées en laboratoire. Reste que cette importante zone d'ombre ne doit pas nous empêcher d'avancer, et de tenter de reconstituer l'histoire complète de la planète, depuis la fin de son assemblage dans la nébuleuse solaire jusqu'à aujourd'hui.

Une évolution en forme d'agonie (ou pourquoi la taille fait la différence)

Comme nous l'avons vu, dans le disque d'accrétion qui donnera naissance à notre système solaire, deux planètes en particulier se sont formées, Mars et la Terre. Elles sont apparues à une distance plus ou moins semblable de notre étoile, possèdent toutes les deux une croûte solide de roches silicatées, un manteau à olivine, un noyau métallique capable de générer un bouclier magnétique déflecteur, et une atmosphère primitive, principalement composée à ce stade de plusieurs dizaines de bars de pression de dioxyde de carbone (CO2).

Donc tout semble avoir bien débuté, ou presque ... Car si vous regardez sur un schéma ou une photographie les deux planètes mises côte à côte, vous ne pourrez pas ne pas voir une différence frappante : Mars, avec un diamètre de 6794 kilomètres, est deux fois plus petite que notre globe, qui possède lui un diamètre de 12 756 kilomètres. Pourquoi une disparité aussi importante ? La réponse, nous allons le voir plus loin, est étonnante. C'est elle qui permet de comprendre, en partie, l'énigme de l'évolution de la planète rouge. Mais gardons ce fait à l'esprit, et continuons notre histoire.

Après des débuts aussi violents, il aurait été assez logique de penser que la jeune planète Mars allait pouvoir connaître un certain apaisement. Hélas pour l'astre rouge, sa jeunesse va continuer à être marquée par des événements particulièrement brutaux, qui vont avoir des conséquences dramatiques, depuis des impacts géants jusqu'à un basculement de la croûte et du manteau autour du noyau.

La planète Mars se distingue des autres planètes du système solaire par deux formations géologiques uniques, qui lui donnent son identité : le gigantesque dôme volcanique de Tharsis, et la grande dichotomie, que nous avons déjà brièvement évoquée dans ce dossier. Le fait que ces deux caractéristiques soient assez proches l'une de l'autre est d'ailleurs en soi intriguant, et suggère un lien éventuel, qui n'est à l'heure actuelle pas bien compris.

Tharsis est un formidable bombement de la croûte martienne, une sorte d'immense pustule rocheuse qui porte sur son dos des édifices volcaniques géants. Quant à la grande dichotomie, elle est encore plus remarquable. Lorsque l'on mesure les altitudes et les reliefs de sa surface, Mars apparaît effectivement comme coupée en deux à la manière d'une orange qui aurait été tranchée pratiquement à l'horizontal. Dans l'hémisphère sud s'étendent des hauts plateaux à la surface très ancienne, portant les cicatrices innombrables de cratères d'impact. Au nord, les paysages sont tout à fait différents, avec des plaines basses à la surface apparemment très jeune.

Dans l'exercice audacieux qui consiste à reconstituer l'histoire géologique de la planète Mars, il est absolument indispensable d'expliquer la formation du dôme de Tharsis et de la grande dichotomie, et de comprendre les conséquences de la mise en place de structures aussi massives. Comme nous allons le voir, les phénomènes mis en œuvre dépassent l'entendement, et semblent tout droit sorti d'un livre de science-fiction.

Tharsis et la grande bascule

Tharsis est né il y 3,7 milliards d'années à environ 20° de latitude nord, et durant des centaines de millions d'années, des torrents furieux de laves se sont déversés pour former un immense dôme sur plus de 5000 kilomètres de large. Les coulées se sont empilées sur plus d'une dizaine de kilomètres de hauteur, une accumulation de masse équivalente à environ 1/70 du poids de notre Lune. L'origine d'une telle activité volcanique demeure inconnue, mais il semble logique de penser que dans les profondeurs de la planète, une anomalie thermique spectaculaire a entrainé la production de flots ininterrompus de matières en fusion, qui se sont épanchées en surface. Le dôme de Tharsis se serait formé suite à la mise en place d'un panache mantellique profond, à proximité de la base du manteau, et qui pour une raison inconnue serait resté stable pendant des milliards d'années (le même mécanisme serait impliqué dans la formation de la province volcanique plus modeste d'Elysium). Sur Terre, c'est effectivement à l'interface noyau/manteau que naissent les instabilités thermiques qui aboutiront à la formation de grands panaches. Ces chalumeaux qui partent du noyau sont capables de percer la lithosphère (formation de points chauds) voire de la séparer en deux.

Pour Mars, la conséquence de la mise en place du dôme de Tharsis fut dramatique. Le poids phénoménal que Mars avait à supporter a tout simplement entraîné un glissement d'environ 20° à 25° des enveloppes les plus externes de la planète (croûte et manteau) autour du noyau métallique ! Comprenons-nous bien, il ne s'agit pas ici d'une simple bascule de l'axe de rotation de la planète (obliquité), mais d'un décollement interne de la croûte et du manteau, qui ont pivoté autour du noyau central, comme si on faisait tourner la chair d'un abricot autour de son noyau. Il est possible que le basculement ait eu lieu progressivement en plusieurs étapes, ce qui permettrait d'expliquer l'alignement des 3 volcans géants Arsia, Pavonis et Ascraeus Mons.

Contrairement à ce que l'on pouvait penser, d'un point de vue géographique, la jeune Mars ne ressemblait donc pas à la planète actuelle. L'une des conséquences intéressantes de ce scénario concerne la position des pôles. Il y a des milliards d'années, ces derniers n'occupaient pas la place qu'ils ont à l'heure actuelle. Et effectivement, en calculant grâce à des simulations numériques leur position initiale, les planétologues ont découvert qu'ils se situaient au-dessus de régions dont le sol est, comme par hasard, très riche en glace. Coïncidence surprenante, l'ancienne position du pôle nord de Mars (paléo-pôle) est située tout près du site d'atterrissage de la sonde américaine Phoenix, qui avait été envoyé là sur la base de l'observation de vastes quantités de glace souterraine par la sonde Mars Odyssey.

Ce phénomène de migration des pôles d'une planète, suite à la rotation de la croûte et du manteau autour du noyau, porte un nom : en anglais les géologues parlent de "True Polar Wander". Le jeu d'un tel mécanisme sur Mars fut évoqué par le passé par certains chercheurs pour expliquer la présence de dépôts stratifiés (soit d'anciennes calottes polaires) à certains endroits inhabituels de la planète, mais il est malgré tout stupéfiant de considérer qu'il ne s'agit pas simplement d'une vue de l'esprit. L'idée qu'une planète peut coulisser toute entière sur elle-même à quelque chose de profondément perturbant.

Une seconde conséquence porte sur les réseaux de vallées, ces réseaux hydrographiques fossiles dont on retrouve les nombreuses indentations sur les terrains les plus anciens de la planète rouge. Les rivières qui serpentaient et érodaient la surface martienne s'étendaient à l'origine sur une bande tropicale australe, où les conditions climatiques étaient propices à l'existence de l'eau liquide (sans doute grâce au réchauffement provoqué par Tharsis), et en suivant la pente naturelle offerte par la dichotomie (des hauts plateaux du sud vers les basses plaines du nord). Les modèles numériques climatiques prédisent effectivement qu'une accumulation de glace ou d'eau liquide a pu se produire au niveau d'une ceinture tropicale sud avant le basculement provoqué par le surpoids de Tharsis.

Le basculement de Mars a ensuite incliné cette bande irriguée, plongeant les planétologues dont une certaine perplexité. Il était effectivement difficile d'expliquer pourquoi les rivières étaient réparties de cette façon à la surface de Mars, et non pas comme les simulations le montraient. On sait aujourd'hui que les réseaux de vallées occupent aujourd'hui une latitude qui n'est pas celle où elles se sont formées, ce qui a résolu l'énigme de leur position.

La grande dichotomie et la naissance des lunes martiennes

Sur Mars, la croûte serait plus épaisse de 25 kilomètres au niveau de l'hémisphère sud que dans l'hémisphère nord. L'origine de cette fameuse dichotomie crustale, déjà abordée à plusieurs reprises dans ce document, reste aujourd'hui encore un mystère. Deux grandes hypothèses sont évoquées pour expliquer sa formation : soit une origine endogène (anomalie thermique, éventuellement liée à une tectonique de plaques), ou une origine exogène (un ou plusieurs impacts météoritiques ayant frappé l'hémisphère nord).

Régulièrement, des publications scientifiques sortent pour défendre l'une ou l'autre de ces deux hypothèses concurrentes. Rivés à leurs supercalculateurs, les théoriciens s'échinent à faire apparaître des transferts non symétrique de chaleur dans le manteau, pour couper la planète en deux et former une dichotomie en surface. Récemment, une hypothèse intéressante à vue le jour, pour expliquer à la fois la formation de la dichotomie, et l'apparition des deux petites lunes martiennes, Phobos et Deimos.

Entre 100 et 800 millions d'années après la formation de la planète, Mars aurait été frappé dans sa course autour du soleil par un impact cataclysmique, qui aurait projeté autour d'elle un immense disque de matière en fusion. Au sein de cette nébuleuse miniature, des lunes se seraient formées : une de grand diamètre (elle aurait été jusqu'à mille fois plus massive que Phobos) et une dizaine de plus petites. Cependant, au fil des millions d'années, les forces d'attraction gravitationnelles auraient rapproché les lunes de Mars, jusqu'à leur faire franchir la limite de Roche, qui marque l'endroit au-delà duquel le tiraillement de la gravité parvient à disloquer n'importe quel corps, aussi massif soit-il. Seules Phobos et Deimos, qui faisaient partie du cortège des petites lunes, auraient survécu à ce jeu de massacre.

Non content de conférer à Mars deux compagnons, l'impacteur aurait aussi marqué à jamais sa surface. Dans ce scénario, l'astre qui est rentré en collision avec la planète rouge aurait été d'une taille seulement trois fois plus petite qu'elle. Il est probable que l'impact a été tangentiel (expliquant la limite elliptique des basses plaines du nord), sinon Mars aurait tout simplement été pulvérisée sous le choc. La dichotomie serait le résultat de la collision avec cette protoplanète. Dans la conflagration, l'hémisphère nord aurait été enfoncé, décapé, et une croûte basaltique se serait reformée en surface, par refroidissement du magma suppurant de la blessure béante.

Le Noachien : un paradis réel ou fantasmé

La mise en place du dôme de Tharsis, le basculement des pôles associé ainsi que la mise en place de la dichotomie ont eu lieu durant la première partie de l'histoire géologique de Mars, le Noachien. Malgré les apparences, ce fut peut-être aussi la période la plus paisible, la plus terrestre, qu'ait connu la planète rouge.

Deux échelles sont utilisées par les planétologues pour le découpage des temps géologiques martiens. La première se base sur l'âge des surfaces planétaires, directement relié au taux de cratérisation, c'est à dire au nombre de cratères poinçonnant la croûte. Au début de la formation du système solaire, le nombre d'impacts d'astéroïdes et de comètes était beaucoup plus important qu'aujourd'hui, et en première approximation, plus une surface possède d'impacts, plus elle est ancienne. Ainsi, sur cette base du comptage des cratères d'impact, les planétologues ont défini trois périodes, ou éons, couvrant l'histoire géologique de Mars. La seconde échelle, plus ou moins superposée à la première, se base sur des minéraux, identifiées en surface par les sondes robotiques, et dont l'abondance caractérise les principaux événements géologiques ayant eu lieu au cours des périodes données.

La première période de l'histoire géologique martienne démarre juste après l'assemblage par accrétion de la planète, et s'étend de 4,5 milliards d'années à 4 milliards. Les planétologues l'appellent Noachien, d'après les étendues de Noachis Terra sur les hauts plateaux cratérisés de l'hémisphère sud. Les terrains du Noachien, principalement localisés dans l'hémisphère austral, sont très cratérisés, et montrent de nombreux signes d'érosion. Un cycle de l'eau existait sans doute sur Mars, avec des précipitations, des ruissèlements, et de l'évaporation. Les réseaux de vallées que l'on observe en surface se sont creusés à cette époque, tandis que l'eau s'accumulait dans les dépressions naturelles des nombreux cratères d'impact pour donner des lacs où se déposaient des sédiments argileux. Des torrents alimentaient des rivières et des fleuves, qui finissaient peut-être par se jeter dans des mers et pourquoi pas un vaste océan dont les eaux recouvraient une bonne partie de l'hémisphère nord.

Si cette vision est juste, alors au Noachien la planète ressemblait à s'y méprendre à la Terre. Des observations menées par la sonde américaine Mars Global Surveyor attestent qu'un champ magnétique global, généré par le noyau métallique, recouvrait la planète d'un dôme protecteur et invisible. Nous le savons, car ce dernier a laissé son empreinte dans les roches possédant des minéraux magnétiques, comme les basaltes, sous la forme d'une magnétisation fossile. Sous ce maillage de lignes de force, une épaisse atmosphère de CO2 subsistait, et permettait à la surface de connaître des températures clémentes, grâce au mécanisme d'effet de serre. La molécule de dioxyde de carbone possède effectivement la capacité de retenir le rayonnement infrarouge, c'est à dire la chaleur, provenant du sol chauffé le jour par le soleil, et d'empêcher ainsi sa dissipation dans l'espace la nuit, et donc le refroidissement de l'astre. Certes, une fraction de l'atmosphère parvenait sans doute à fuir dans l'espace à cause de la gravité réduite de Mars (un peu plus d'un tiers de celle de la Terre), mais les volumes de gaz perdus étaient vraisemblablement compensés par les émissions des volcans alors actifs.

Contrairement à ce que l'on pourrait penser, cette vision de la jeune Mars, chaude et humide, décrite abondamment dans les livres et les articles, mises si souvent en image dans des vues d'artistes aux couleurs stupéfiantes, n'est pas partagée par l'ensemble de la communauté scientifique, et même si elle est très crédible, il existe néanmoins d'autres scénarios, moins poétiques et plus décevants, qui sont décrits plus en détails dans le dossier consacré à l'eau liquide. Pour des raisons de clarté, nous allons cependant brièvement les expliciter ici.

Le courant d'opposition au scénario chaud et humide vient des théoriciens, qui demeurent impuissants à le reproduire dans des simulations numériques complexes réalisées sur des calculateurs surpuissants. La principale raison tient à ce que les théoriciens appellent le paradoxe du jeune soleil. Effectivement, il y a des milliards d'années, peu après sa formation et celle des planètes, notre étoile ne brillait qu'à environ 70 % de sa puissance actuelle. Dans ces conditions, le rayonnement reçu par la planète rouge, déjà plus éloignée que la Terre, était bien insuffisant pour chauffer correctement la surface, même avec une atmosphère de dioxyde de carbone bien plus épaisse que celle qui règne actuellement.

Ainsi, malgré toute la bonne volonté du monde, les théoriciens ne parviennent pas à faire couler numériquement de l'eau liquide sur la planète Mars primitive. Voilà pourquoi certains planétologues rejettent le modèle chaud et humide, en faveur de deux autres modèles, l'un mettant en scène une planète froide et humide, où l'eau n'est présente que sous la forme de glace, et un second impliquant un astre désespérément froid et aride, où l'eau n'a même pas le droit de cité, que ce soit sous forme liquide ou solide.

Toutes proportions gardées, et malgré les incertitudes qui l'entourent, pour Mars, le Noachien a quand même des allures de paradis perdu, une époque où tout était encore possible, un âge d'or qui attire comme un aimant tous les regards des exobiologistes, car c'est précisément dans les roches noachiennes que nous avons les plus grandes chances de trouver des indices chimiques qui permettraient de comprendre comment la vie est apparue, voire même des fossiles d'anciens micro-organismes martiens. A cette époque, l'abondance relative de l'eau liquide aurait favorisé une intense altération chimique des roches volcaniques, pour constituer des dépôts massifs d'argiles. Sur Mars, ces minéraux que l'on appelle également phyllosilicates n'ont été détectés que sur des terrains noachiens, d'où le nom de phyllosien (âge des argiles) que l'on donne également à cette période.

Période ou le potentiel de Mars était encore largement intact, le Noachien n'est cependant pas de tout repos. Il s'agit d'un temps ou Mars est inlassablement frappée, martelée par un bombardement massif astéroïdale. Les immenses basins d'impact d'Hellas, d'Argyre et d'Isidis, qui défigurent toujours la planète et dont la taille fait frémir, datent de cette époque. L'activité volcanique n'est pas en reste, avec, nous l'avons vu, la mise en place du dôme de Tharsis, qui exerce un tel bombement sur la croûte que celle-ci va finir par se déchirer sur des distances considérables pour donner naissance à des grabens et des fossés d'effondrement, dont le plus spectaculaire n'est autre que la balafre géante de Valles Marineris. Comme nous l'avons vu, sous son poids, l'ensemble de la croûte et du manteau finiront également par basculer de plus de 20°.

Le traumatisme du bombardement tardif

Pour les planétologues, la période noachienne prend fin à 4 milliards d'années, soit approximativement l'âge où les premières traces de vie apparaissent sur Terre. Hélas, c'est précisément le moment où une nouvelle catastrophe va se produire, qui entraînera Mars dans une spirale infernale, une descente aux enfers dont l'astre ne parviendra cette fois ci pas à se relever.

Nous avons vu qu'à ses débuts, le système solaire était un milieu d'une incroyable violence, un secteur où les planètes s'assemblent à la faveur d'une suite sans fin de chocs, de collisions et de télescopages de corps solides de toutes tailles, les planétésimaux. Une fois que les planètes ont atteint leur taille définitive, et que la surface a commencé à se refroidir, les coups continuent de pleuvoir, avec parfois des conséquences dévastatrices. A cause de leur champ de gravité, les planètes attirent effectivement astéroïdes, comètes, ou se trouvent carrément parfois sur la trajectoire d'une autre planète. La croûte est donc littéralement mitraillée par un flux constant de bolides, qui laissent des cicatrices en forme de bols que l'on appelle cratères d'impacts. A cause de son grand dynamisme géologique, la planète Terre est parvenue à effacer les traces des affronts qu'elle a subi durant des centaines de millions d'années après sa formation, mais il vous suffit de regarder combien la surface de Mercure ou de la Lune est grêlée et cabossée pour comprendre que les coups de butoirs étaient quotidiens au début de la formation du système solaire.

Pourtant, 500 millions d'années après l'apparition du soleil et la mise en place des planètes de notre système, soit la fin du Noachien sur Mars, une paix relative aurait pu enfin régner. Les impacts d'astéroïdes et de comètes auraient dû se faire plus discrets, moins nombreux, moins violents. L'espace interplanétaire, nettoyé naturellement de ce qu'il contenait de projectiles, était suffisamment vide pour que cette région stellaire retrouve le calme. Certes, les impacts n'ont pas disparu, et même maintenant, au moment où vous lisez ce texte, ils sont toujours une possibilité, comme l'atteste par exemple la chute spectaculaire de la comète Shoemaker-Levy sur Jupiter en mai 1994, il y a 25 ans.

Vers 4 milliards, après 500 millions de bombardement primordial, les choses étaient cependant sur le point de se calmer un peu dans la banlieue du soleil. Or en étudiant en détail la surface cratérisée de la Lune et des autres corps du système solaire comme Mercure, les planétologues ont découvert quelque chose de profondément troublant : les traces d'une reprise du bombardement, qui a été appelé grand bombardement tardif. Les pluies de roches, de métal et de glace étaient de retour, frappant indifféremment toutes les planètes, dont Mars, avec des conséquences dévastatrices.

Quel est le mécanisme à l'origine de la reprise du bombardement qui avait pourtant diminué d'intensité ? Un tel phénomène ne peut être que la signature de l'apparition d'une instabilité, là où tout était devenu calme. Il se trouve que les responsables s'appellent Jupiter et Saturne, et le processus dans lequel ces deux géantes gazeuses sont impliquées est tout bonnement fascinant.

De la perfection des cieux

Dans l'imaginaire des hommes, pendant très longtemps, les cieux ont été le domaine des Dieux, et tout ce qui se déroulait là-haut était donc forcément immuable, parfait, éternel. Les sphères célestes orbitaient autour de la Terre avec une précision remarquable, le long de cercles, tels les engrenages d'un gigantesque mouvement d'horlogerie cosmique. Petit à petit, avec les avancées de la science, l'homme a dû abandonner ses illusions : la Terre, bien loin d'être le centre de l'Univers, n'est qu'un globe rocheux orbitant autour d'une étoile anonyme, perdue parmi plusieurs centaines de milliards d'autres soleils plus ou moins semblables. Si de nombreux corps possèdent la forme de sphères, une quantité innombrable adopte des volumes irréguliers et sont pleins de difformités. De plus, les orbites décrites autour du soleil par nos astres errants sont des ellipses, et non des cercles parfaits. Derrière le calme apparent du ciel étoilé se cache un chaos dantesque, d'une violence énergétique terrifiante, à partir duquel naissent et disparaissent les planètes, les étoiles, et les galaxies. Malgré cela, il est difficile de ne pas continuer à adhérer encore en partie à une vision ou la mécanique céleste n'est que perfection immanente. Il était ainsi tout naturel, jusqu'à encore récemment, de penser que les planètes se sont matérialisées sur l'orbite exacte ou nous les voyons circuler aujourd'hui.

Les observations réalisées sur les exoplanètes que les astronomes ont découvert autour d'autres étoiles à partir de 1995 (le catalogue comporte environ 4000 exoplanètes au moment de la rédaction de ce document) montrent que cette hypothèse est fausse. L'existence de Jupiter chauds, c'est à dire de planètes gazeuses d'une taille comparable à Jupiter et évoluant sur des orbites très proches d'étoiles où il était impossible qu'elles puissent s'y être formées a mis la puce à l'oreille aux planétologues. Ceux-ci ont alors dû se rendre à l'évidence : aussi incroyable que cela puisse paraître, les planètes peuvent migrer dans un système solaire. Gigantesques vaisseaux spatiaux naturels qui ramènent l'étoile noire de Star Wars a une aimable plaisanterie, des corps de la taille de Jupiter ou de Saturne peuvent effectivement quitter leur orbite pour s'avancer ou reculer comme bon leur semble, avant de se stabiliser à nouveau.

Il y a 4 milliards d'années, les planétologues estiment que Saturne a migré jusqu'à atteindre une distance héliocentrique qui était précisément le double de celle de Jupiter (dit autrement, lorsque Saturne effectuait un tour autour du soleil, Jupiter avait le temps d'en parcourir deux). L'existence d'un rapport 1/2 entre l'orbite de Saturne et celle de Jupiter a activé un phénomène que les physiciens nomment résonance, et qui a provoqué une véritable déstabilisation du système solaire externe. Une nuée de corps de toutes tailles se sont alors rués comme des sauterelles vers le système solaire interne, dévastant les surfaces solides des planètes, la Terre et Mars y compris. C'est le grand bombardement tardif.

Dans l'histoire du système solaire, les résonances orbitales de Jupiter et de Saturne vont jouer un grand rôle. La plupart du temps, ces résonances seront destructrices, et ne favoriseront pas l'accrétion. Tout au long de la formation du système solaire, Jupiter semble avoir joué le rôle de l'agitateur en verre que les chimistes utilisent lorsqu'il s'agit de mélanger le contenu d'un bécher. De par ses migrations et l'influence considérable de sa masse, elle n'a cessé de redistribuer la matière, de faire s'entrechoquer les objets, d'apporter du chaos là où régnait la paix, de nettoyer certains secteurs en faisant le ménage par le vide, tout en envoyant valser dans toutes les directions ce qui avait fini par trouver le repos.

Nous savons, puisque nous sommes là pour en attester et en parler, que la Terre est parvenue à passer entre les balles et à survivre au grand bombardement tardif. Mais Mars ? Tout ce que nous pouvons observer, c'est qu'à partir de 4 à 3,9 milliards d'années, quelque chose change de façon irrémédiable et définitive. Les relevés géophysiques montrent qu'il n'existe plus aucune trace de magnétisation dans les roches des grands bassins d'impacts d'Hellas, d'Argyre et d'Isidis, qui se sont vraisemblablement formés durant le grand bombardement tardif. C'est aussi le cas pour les reliefs plus récents, comme les plaines volcaniques du nord, les pentes de nombreux volcans, ou encore le dôme de Tharsis. Certes, l'étude du cratère africain de Vredeford Dome dans la ceinture de roches vertes de Barberton a montré que si une roche renfermant des minéraux magnétiques se refroidit trop rapidement, elle peut échouer à immortaliser le champ magnétique environnant. L'explication la plus plausible est cependant de considérer que si la magnétisation a disparu à de nombreux endroits de la surface martienne après 3,9 milliard d'années, c'est tout simplement parce qu'il n'y avait plus de champ magnétique à enregistrer.

La perte du champ magnétique martien

Les géophysiciens savent que le noyau métallique des planètes génère un champ magnétique par effet dynamo (ce dernier pouvant également néanmoins être produit par cristallisation de la graine). Pour que celui-ci puisse s'enclencher et perdurer dans le temps, des mouvements de convection sont nécessaires. Une partie du noyau doit donc être liquide. Au sein de la colonne métallique liquéfiée, les températures doivent être différentes entre sa base centrale et son sommet périphérique. Au niveau du plancher, des températures importantes chauffent le liquide, et provoquent sa remontée, et ce jusqu'au la limite extérieure, ou les températures baissent en intensité. Le métal plus froid retombe alors vers le centre, avant d'être entrainé à nouveau vers le haut.

Pour qu'un contraste de température puisse se maintenir entre le centre du noyau et sa périphérie, qui touche le manteau, il est nécessaire que la surface du noyau soit refroidie, par dissipation thermique au niveau du manteau lui-même. Si le manteau ne permet pas à la chaleur de s'évacuer vers la croûte et l'espace, le différentiel de température nécessaire à la convection du noyau ne peut se maintenir, ce qui provoque l'arrêt de la convection, et donc de la dynamo, et finalement la désactivation du champ magnétique. Or, le meilleur moyen pour le manteau de pouvoir refroidir la partie la plus externe du noyau est de posséder lui aussi des cellules de convection, phénomène qui sur Terre va de pair avec la tectonique de plaque, mais qui pourrait aussi exister pour une planète mono-plaque.

Toute la question, à ce niveau, revient donc à savoir pourquoi Mars, contrairement à la Terre, n'a pas pu développer une convection mantellique durable et homogénéisante, ce qui aurait permis à la planète d'enclencher non seulement une tectonique de plaques, mais surtout un bouclier magnétique global et permanent. L'une des explications les plus simples est de considérer que la planète était trop petite pour cela.

En planétologie, la taille vraiment fait la différence. Une planète tire sa chaleur de deux sources principales : l'énergie dégagée durant l'accrétion primordiale, et l'énergie libérée par la décomposition radioactive d'éléments rentrant dans sa composition : uranium 238 (238U), thorium 232 (232Th) et potassium 40 (40K). Une source de chaleur supplémentaire est apportée par la radioactivité d'éléments à courte période, comme l'aluminium 26 (26Al), et qui ont totalement disparu aujourd'hui (radioactivité éteinte).

Pour être tout à fait précis, il est important de noter que si les réserves de chaleur internes d'une planète tirent leur origine de l'énergie accumulée au cours de l'accrétion, ainsi que de celle libérée par la décomposition radioactive de l'uranium, du thorium et du potassium, en surface, c'est l'énergie solaire qui prédomine, en conditionnant en particulier l'évolution de l'atmosphère. Ainsi, l'intérieur de la Terre libère environ 40 térawatts d'énergie, tandis que durant le même temps, elle reçoit une quantité d'énergie mille fois plus élevée de la part du soleil.

A l'opposé des sources de chaleur, une planète parvient à se refroidir par le biais de trois mécanismes : des mouvements de convection du manteau, c'est à dire une déperdition de chaleur couplée à un transfert de matière, par conduction au travers de la croûte (transfert d'énergie sans déplacement de matière), et enfin par simple rayonnement dans l'espace (celui-là même qui peut être récupéré par effet de serre, pourvu que la planète dispose d'une atmosphère possédant la bonne composition). Le bilan énergétique interne d'une planète s'effectue donc en comparant la quantité de chaleur disponible d'un côté, et l'efficacité des processus de refroidissement de l'autre.

Plus la planète est grosse, plus son volume est important, et donc plus son stock d'éléments radioactifs, radiateurs naturels qui vont chauffer la planète au fil des désintégrations, est abondant. Au contraire, un astre de plus petite taille épuisera assez vite ses éléments chauffants, et finira alors inévitablement par se refroidir dans sa masse. A un moment donné, le mécanisme de convection mantellique s'arrêtera, avec les conséquences que l'on sait (arrêt de la convection du noyau, et donc de la dynamo génératrice du champ magnétique).

C'est le manteau qui détermine le taux de refroidissement d'une planète, et par voie de conséquence, si une planète possédera ou non un noyau métallique avec une activité convective et un mécanisme de dynamo générateur d'un champ magnétique. Si le noyau peut se refroidir suffisamment mais pas trop, alors il y aura une dynamo, mais s'il est trop chaud ou s'il ne parvient pas à se refroidir, alors il n'y aura pas de dynamo. Notons également qu'un refroidissement trop rapide du noyau (cristallisation de la plus grande partie de la sphère métallique) peut stopper la dynamo et désactiver le champ magnétique.

La clé de l'énigme : la taille de Mars ?

La taille faisant la différence, nous sommes maintenant en droit de nous demander pourquoi Mars, une fois la phase d'accrétion terminée, s'est-t-elle retrouvée avec un diamètre deux fois inférieur à celui de notre planète la Terre, et une masse dix fois plus petite ?

Plusieurs hypothèses ont été mises en avant par les planétologues, et parmi celles-ci, l'une est particulièrement troublante. Nous avons vu plus haut que les planètes ne se sont pas formées là où elles orbitent actuellement, suite au phénomène de migration. Or certains spécialistes estiment qu'au début de la mise en place du système solaire, à l'époque où les jeunes planètes croissaient par accrétion, la planète Jupiter, qui est apparue avant tout le monde, s'est aventurée l'air de rien jusqu'à une distance de 1,5 unité astronomique, soit la position exacte de l'orbite de Mars. Sa présence massive a éparpillé un très grand nombre de planétésimaux, appauvrissant en particulier le secteur ou l'embryon de Mars était en constitution. La planète rouge avait donc autour d'elle un stock moindre de briques à partir desquelles grossir, contrairement à la Terre. La migration de Saturne vers le soleil a ensuite eu pour effet d'agripper Jupiter, et de forcer cette dernière à revenir en arrière. C'est le scénario dit du "Grand Tack", qui explique également très bien la formation de la ceinture d'astéroïdes.

Le destin de la planète rouge tient donc peut-être tout entier dans ce malheureux hasard, qui a voulu que Jupiter parvienne jusqu'à son orbite, et appauvrisse ce secteur en briques de construction que sont les planétésimaux. Trop peu massive, elle n'a peut-être pas pu atteindre la taille critique qui permet à une planète d'activer une convection mantellique durable, et plus important encore, un phénomène de dynano au niveau du noyau métallique liquide.

D'autres planétologues ont proposé une explication alternative pour l'arrêt de la dynamo. Celui-ci aurait été dû à un choc extrêmement violent avec un impacteur durant la phase de bombardement tardif (à l'image de celui postulé pour expliquer la dichotomie martienne et les petites lunes, voir plus haut). Un corps massif aurait frappé Mars, en élevant sensiblement la température des couches supérieures du manteau, qui se sont alors retrouvées à une température similaire à celle des couches profondes. Le contraste de température étant annulé, la convection mantellique cesse d'elle-même. En profondeur, l'interface du noyau s'échauffe, ce qui désactive à son tour la convection du liquide métallique, et donc au final la dynamo magnétique.

L'énigme de la planète rouge est donc liée d'une manière ou d'une autre à Jupiter. La géante gazeuse, en empêchant la planète de grossir suffisamment, puis en provoquant le bombardement tardif, s'est véritablement acharnée sur Mars. Cela fait beaucoup pour un seul astre.

Ainsi, vers 4 milliards d'années, le champ magnétique martien s'éteint, et avec sa disparition, c'est tout le destin de l'atmosphère qui se joue. N'étant plus placée sous la protection de l'ombrelle magnétique, la fragile couche d'air qui entoure la planète rouge commence à s'échapper par l'espace, par le biais de différents mécanismes. L'un des plus puissants n'est autre qu'un épluchage par les particules très énergétiques émises par notre soleil. Un second, tout aussi efficace, est lié aux impacts eux-mêmes. L'effroyable quantité d'énergie dégagée par la collision frontale d'un astéroïde de grande taille avec la planète peut effectivement souffler dans l'espace un volume considérable d'air, que la planète ne parviendra plus à remplacer, malgré un volcanisme encore actif. A l'heure actuelle, sur la base de mesures isotopiques de l'hydrogène effectuées par le rover Curiosity en action dans le cratère d'impact Gale, les scientifiques estiment que Mars a perdu très tôt dans son histoire une grande partie de son atmosphère. Avec sa disparition, et l'arrêt du mécanisme d'effet de serre, les températures à la surface se sont mises à chuter, au point de finir par empêcher l'eau de couler à l'état liquide.

Lorsque la phase du bombardement tardif se termine, vers 3,8 milliards d'années, Mars n'est donc plus là même. Frappée au cœur, l'astre se dirige vers une lente agonie géologique. Il est assez remarquable de penser que l'âge à partir duquel une paix relative s'installe enfin dans le système solaire, suite à la fin du bombardement tardif, correspond précisément aux plus vieilles traces de vie trouvées dans les roches terrestres. L'arrêt du bombardement est donc peut-être l'événement qui donne le top départ au développement de la vie sur notre planète. Au même moment, le vivant a peut-être également fait son apparition sur Mars, sans savoir que la planète était déjà condamnée.

Le dernier baroud d'honneur : l'Hespérien

L'arrêt du bombardement tardif signale sur Mars la fin de la période noachienne, et le début d'une nouvelle ère géologique, que les planétologues ont nommé Hespérien, en référence aux terrains de la région d'Hesperia Planum, située à l'intérieur du gigantesque bassin d'impact d'Hellas.

L'étude, depuis l'orbite et au sol, de la minéralogie de la croûte martienne (par les orbiteurs Mars Express et Mars Reconnaissance Orbiter, et les rovers américains Spirit et Opportunity) ont permis d'affiner considérablement le visage de la période hespérienne. Le taux de cratérisation n'est pas nul, et les impacts continuent de se produire, mais à un rythme plus faible.

L'Hespérien est une époque de grande activité volcanique, et de nombreux édifices se mettent en place, peut-être suite aux chocs reçus durant la phase de bombardement tardif. Les bouches volcaniques libèrent dans l'atmosphère d'énormes volutes de gaz, qui ne parviendront cependant pas à compenser la fuite de l'atmosphère dans l'espace. Parmi les nombreuses composés crachés par les volcans se trouvent des molécules soufrées qui, en réagissant avec l'eau, vont retomber au sol sous forme de pluies acides. Celles-ci vont lessiver les roches volcaniques et les altérer chimiquement pour former des sulfates. Le même mécanisme a lieu dans la croûte, au niveau des nappes phréatiques. Devenues acides par suite de la rencontre avec des fluides soufrés émanant des chambres magmatiques, le front d'eau remonte sous l'effet de la hausse de température et vient baigner des roches qui s'altèrent bientôt en sulfates. L'importance du soufre explique pourquoi cette période de l'histoire géologique de Mars est aussi appelée l'âge sulfurique (Theiikien).

En surface, les températures ne sont plus suffisantes pour permettre à l'eau de s'écouler librement, et la formation des réseaux de vallées cesse, tandis que les réservoirs d'eau superficiels gèlent. Cependant, à la faveur d'impacts d'astéroïdes ou d'éruptions volcaniques, des poches de glace souterraine se liquéfient brutalement par endroit, en provoquant un effondrement sur lui-même du sol ainsi des écoulements cataclysmiques qui dévastent tout sur leur passage, en laissant des cicatrices marquantes dans le paysage. C'est ainsi que se sont formés les régions chaotiques et les vallées de débâcle, dont les plus impressionnantes sont situées dans le secteur de Chryse Planitia et à l'est du bassin d'Hellas.

L'Hespérien est donc une période marquée par un flux thermique important, une ère volcanique et acide qui se caractérise par la mise en place de dépôts massifs de sulfates. Il se termine à 3,5 milliard d'années.

Un monde de poussière rouge : l'Amazonien

A partir de 3,5 milliard d'années jusqu'à nos jours, soit une période de temps considérable, Mars rentre dans la dernière période de son histoire géologique, l'Amazonien, qui tire son nom des terrains plats et peu accidentés des plaines d'Amazonis, situées au nord de la planète. C'est une période calme sur le plan des impacts. Ceux-ci continuent toujours de se produire, mais les chocs sont de plus en plus rares, et les impacteurs de plus en plus petits.

L'activité volcanique se poursuit avec une intensité moindre que celle qui caractérisait l'Hespérien, et est de plus en plus restreinte aux provinces de Tharsis et d'Elysium. Des éruptions se produisent sur Olympus Mons, et dans l'hémisphère nord, de très nombreuses fissures rejettent des flots de lave qui vont s'épancher dans les plaines, recouvrant les formations rocheuses sous-jacentes. Les dernières éruptions remonteraient à quelques centaines de millions d'années, voir quelques dizaines de millions d'années seulement pour des coulées émises par les plus petits édifices volcaniques. Autant dire que d'un point de vue géologique, la planète rouge est morte il y a très peu de temps.

Des changements climatiques cycliques à longues périodes, liés à des modifications chaotiques de l'obliquité (l'inclinaison de l'axe de rotation de la planète, qui bascule donc sans crier gare, d'autant qu'il n'est pas stabilisé par la présence d'une lune massive comme c'est le cas pour la Terre) ou de la distance entre la planète et le soleil laissent des traces prononcées dans les paysages sous la forme de dépôts stratifiés. Régulièrement au cours de l'Amazonien, sur des périodes de centaines de milliers d'années à plusieurs millions d'années, Mars a pu connaitre de brèves périodes de réchauffement, au cours desquelles l'eau a sans doute de nouveau eu l'occasion de s'écouler en surface pendant un court laps de temps. Ainsi, des simulations numériques montrent qu'il y a seulement quelques millions d'années, l'obliquité martienne est passée de 25° (valeur actuelle) à 45°, ce qui a dû entrainer un réchauffement massif des glaces polaires, et un refroidissement des zones équatoriales. Des traces d'activité glaciaire ont également été observées à certains endroits, le long de la dichotomie entre les basses plaines du nord et les hauts plateaux du sud, autour de monts volcaniques, et à l'intérieur des bassins d'impact d'Argyre et d'Hellas.

Mais l'Amazonien est d'abord et avant tout une période éolienne, dominée par des vents qui soufflent depuis des milliards d'années, redistribuant à l'échelle planétaire le sable et les particules minérales sur les étendues désolées et arides, recouvrant des territoires entiers sous un manteau de poussière, créant et déplaçant des champs dunaires d'une singulière beauté.

Enfin, lentement mais inéluctablement, les radiations en provenance du milieu galactique et du soleil vont exercer leur action débilitante sur la croûte, détruisant sournoisement la matière organique et les réseaux cristallins des minéraux. Sous une atmosphère ténue, la surface subit une altération très superficielle, caractérisée par une oxydation très lente qui forme des grains d'oxydes de fer anhydre de taille nanométrique. Cette oxydation n'a pas encore affectée toute la planète, et les planétologues estiment que près de la moitié de la surface n'a pas encore été réellement touchée par ce processus. Plusieurs milliards d'années supplémentaires seront encore nécessaire avant que ce rougissement n'ait affecté l'ensemble du globe martien. Reste que malgré cette oxydation incomplète, la distribution, par les vents et les tempêtes, de la poussière à l'échelle planétaire est parvenu à donner à Mars sa teinte si caractéristique. Alors que le Noachien se caractérisait d'un point de vue minéralogique par des dépôts argileux, et que l'Hespérien était défini par l'accumulation de roches sulfatées, l'Amazonien est une période colorée, au sens propre et au sens figuré, par la formation d'oxydes de fer anhydres (sans eau), qui vont donner à la planète sa couleur carmine caractéristique, d'où le nom d'âge du fer (sidérikien) donné également à cette période.

D'un point de vue géologique, Mars est vraisemblablement morte il y quelques millions d'années, et même s'il n'est pas exclu que l'on puisse un jour assister à une timide éruption volcanique, l'astre a désormais perdu sa force vitale. Les changements qui peuvent se produire suite au basculement de la planète sur son axe de rotation, ou à cause d'une modification de son orbite (variation de l'excentricité), peuvent continuer à enclencher des phénomènes climatiques qui n'ont rien de négligeable, comme la fonte des calottes ou une altération majeure de la circulation atmosphérique, mais ces sursauts d'activité ne sont en rien comparables au dynamisme géologique de la Terre.

Grâce au rayonnement solaire et aux différences de pression et de température que ce dernier fait naître dans l'atmosphère, le vent continue également de souffler sur Mars. Année après année, les champs dunaires se déplacent, des tempêtes de poussières recouvrent temporairement le globe d'un voile obscur et impénétrable, des avalanches de sable et de particules minérales dévalent des versants abruptes, et des coulées d'eau salée suintent le long de falaises rocheuses, en formant des trainées sombres semblables à des larmes.

Reste que cette agitation de surface n'est qu'un leurre, le brouillard trouble d'une illusion, car en profondeur, quelque chose a arrêté définitivement de battre. Le feu intérieur ne brûle plus. Contrairement à la Terre, dont les continents et les océans n'ont de cesse de modifier leur relation les uns avec les autres par l'intermédiaire de la tectonique des plaques, mécanisme central de la géologie qui fait bouger en permanence les fragments lithosphériques, Mars est une planète à jamais figée dans la poussière. Même si l'érosion éolienne continue de grignoter les reliefs, ceux-ci n'évolueront guère plus au cours des prochains milliards d'années.

La destinée cosmique de Mars

A l'heure actuelle, le destin de notre système solaire est entièrement gouverné par celui de notre soleil, et celui de Mars est donc totalement lié à ce dernier, sauf si l'on considère un facteur inattendu dans l'évolution planétaire: l'homme. Nous allons donc étudier deux grands scénarios : celui de la destinée probable, naturelle, de la planète rouge, et un second, plus grandiose, écrit avec la plume ardente de l'imagination.

Avec un âge honorable de 4,5 milliard d'années, le soleil a atteint le milieu de son existence, une vie calme et posée, comparée au destin de bien d'autres étoiles plus turbulentes, qui l'a amené à traverser tranquillement la séquence principale du diagramme d'Hertzsprung-Russel, qui n'est autre qu'une classification graphique et élégante des soleils de l'Univers. Avec le passage des milliards d'années, et tandis qu'il épuise ses réserves d'hydrogène, notre soleil va enfler comme un ballon de baudruche, tout en devenant de plus en plus chaud. Cette inflation va avoir pour effet de repousser la zone d'habitabilité, c'est à dire le secteur situé autour du soleil au sein duquel l'eau peut se maintenir à l'état liquide, et où les conditions sont globalement propices à la vie. L'inconvénient, c'est que les conditions climatiques vont se détériorer sur Terre, tandis qu'au contraire, elles vont s'améliorer sur Mars, la planète rouge bénéficiant alors de l'accroissement de l'énergie dégagée par le soleil.

Dans approximativement 1,5 milliard d'années, l'eau ne pourra déjà plus exister à l'état liquide sur notre globe, ce qui conduira à l'extinction généralisée de la très grande majorité des formes de vie. Les océans seront vaporisés, et l'injection de vapeur d'eau dans l'atmosphère, une molécule à effet de serre, accélérera encore la cuisson de la planète. La planète Mars, au contraire, subira une terraformation naturelle : le dioxyde de carbone stocké sous forme de glace sèche dans les calottes polaires ainsi que dans le sous-sol viendra densifier l'atmosphère, augmentant l'effet de serre, tandis que la glace d'eau se mettra à fondre, enclenchant un cycle de l'eau, avec des ruissèlements, de l'évaporation et des précipitations sous forme de pluie ou de neige.

Comme si cela ne suffisait pas, un milliard d'années plus tard (soit 2,5 milliard d'années à partir de maintenant), notre galaxie toute entière, la Voie Lactée, va entrer en collision avec la galaxie d'Andromède, que l'on peut apercevoir assez facilement aux jumelles dans la constellation du même nom, lorsque le ciel nocturne est dégagé. Les galaxies étant des regroupements de centaines de milliards de soleils, on a peine à imaginer l'ampleur d'un tel cataclysme. Durant le choc entre les deux disques galactiques, il est possible que notre système solaire entier, soleil et planètes, soit arraché à la Voie Lactée et capturé par Andromède. Les planètes continueront cependant à orbiter comme elles l'ont toujours fait autour de notre soleil, même si celui-ci change de domicile galactique.

Contrairement à ce qu'il fut au début, les modèles théoriques prédisent que le système solaire sera extrêmement stable sur le long terme, et sur des périodes de plusieurs milliards d'années, comme celle que nous venons de traverser, il n'existe pratiquement aucun risque de collision entre les planètes, ou d'éjection d'un astre hors de la sphère d'influence gravitationnelle du soleil. Cependant, à partir de 5 milliards d'années dans le futur, l'excentricité de Mars pourrait atteindre la valeur de 0,2, et son orbite croiserait alors celle de la Terre, avec une possibilité de collision entre les deux astres qu'il n'est pas possible de négliger.

Encore plus loin dans le futur, soit 5 à 7 milliards d'années à compter d'aujourd'hui, le soleil commencera à consumer l'hydrogène situé autour de son cœur chaud, ce qui le conduira à sortir de la séquence principale pour bifurquer vers le stade de géante rouge. Parvenu à ce stade critique de son évolution, notre étoile gonflera dans des proportions considérables, et engloutira Vénus et la Terre, qui finiront incinérées, tandis que Mars sera simplement calcinée. Il est cependant possible que repoussés sur des orbites plus éloignées par l'augmentation de taille du soleil, certains astres parviennent à échapper à la voracité de l'étoile. Au cours de cette période, Titan, satellite de Saturne, pourrait alors devenir habitable à son tour.

Finalement, après s'être transformée en géante rouge, notre étoile, ayant épuisé son hydrogène, se mettra à brûler de l'hélium en désespoir de cause, ce qui causera sa perte. Lors d'événements d'une violence inouïe, son enveloppe extérieur sera éjectée dans l'espace, en formant une nébuleuse planétaire, vaste nuage de gaz et de poussière entourant un objet petit, froid et très massif, reste du cœur autrefois vivant de l'étoile, que les astronomes appellent naine blanche.

Du système solaire, il ne restera donc rien d'autre qu'un cadavre d'étoile ayant libéré sa matière dans un dernier baroud d'honneur, et autour duquel tournoieront encore des astres esseulés et solitaires. Le temps s'écoulera pendant une éternité sans que plus rien ne se produise, à part la lente rotation du cortège funèbre autour du cœur galactique. Jusqu'au jour où le passage d'une étoile proche détachera l'une ou l'autre des planètes, qui finiront alors par errer à jamais dans le néant obscur et glacé du cosmos. Il est tout à fait possible que Mars termine ainsi sa vie, vagabond calciné lancé dans une course aveugle et sans fin au milieu des abîmes cosmiques.

Comme nous pouvons le voir, les étoiles et les planètes, à l'instar des hommes, possèdent également des destins quelque peu torturés et inquiétants. Et il est donc tout à fait possible que l'humanité se révolte contre cette condition qui peut sembler injuste et désespérante, et décide de sauver le berceau de vie qu'est la Terre, si celle-ci n'a pas été détruite avant par notre propre folie, ou Mars si nous sommes parvenus à établir des colonies sur ce monde, peut-être pour fuir la dégradation des conditions de vie sur notre planète mère, que ce soit par la faute de notre inconscience, ou suite au réchauffement progressif du soleil le long de la séquence principale du diagramme d'Hertzsprung-Russel.

Nous entrons ici de plein fouet dans le second scénario, celui où les hommes décident de lutter contre l'évolution inéluctable et naturelle du système solaire selon les lois de la Nature, et il nous faut alors quitter la science, pour le domaine de la science-fiction. En fonction de ce que nous venons de décrire, l'idée serait, pour lutter contre le gonflement du soleil et l'augmentation des températures, de déplacer la Terre ou Mars de leur orbite, pour suivre la zone d'habitabilité, tandis que celle-ci se déplacera vers le système solaire externe et les planètes gazeuses.

Quelles technologies pourrions-nous utiliser pour bouger des corps aussi massifs que des planètes ? Seuls les auteurs de science-fiction peuvent répondre à cette question, et sur le sujet, l'œuvre la plus marquante est sans doute celle de Greg Bear, qui, avec l'envol de Mars, nous a offert une œuvre d'anticipation magnifique, ou la très haute technologie se combine à la poésie. Je vous laisse découvrir par vous-même dans quelles conditions les hommes se mettent à rêver de pouvoir mouvoir à volonté la planète rouge, et par quel moyen fantastique ils vont y parvenir, tant il serait dommage de dévoiler ici le cœur de l'intrigue d'un aussi beau roman.

Vue d'artiste de la formation d'un système solaire

Selon l'hypothèse de la nébuleuse solaire, proposée pour la première fois par Pierre Simon Laplace en 1796, le système solaire se serait formé par la condensation d'un fragment d'un immense nuage de gaz et de poussière (d'une taille de plusieurs dizaines d'années lumières) en cours de dislocation. Le cœur du fragment se serait contracté pour donner naissance à une étoile (notre soleil), tandis que les différentes planètes seraient sorties du néant dans la périphérie tourbillonnante du maelström (Crédit photo : NASA).

Au sein du disque d'accrétion, des particules de roche, de métal ou de glace tourbillonnent dans du gaz et s'agglutinent pour former des fragments qui deviennent de plus en plus gros, et que l'on appelle planétésimaux. C'est à partir de ces briques de base que les planètes vont pouvoir apparaître. Dans le disque protoplanétaire, en fonction de la distance à l'étoile, les éléments chimiques et les molécules disponibles pour former les planètes ne seront pas les mêmes. C'est ce qui explique la grande différence entre les planètes à surface solide, que l'on appelle aussi telluriques, composées de roches (silicates) et de métaux, comme Mars, la Terre, Vénus et Mercure, et les planètes géantes du système solaire externe, entourées de leur cortège de satellites glacés, Jupiter, Saturne, Uranus et Neptune (Crédit photo : Don Dixon).

A sa naissance, le système solaire est un milieu d'une violence colossale. A chaque seconde, un nombre incalculable de collisions se produisent, avec des conséquences parfois dévastatrices. Par pur hasard, Mercure, Vénus, Mars et la Terre sont sorties vainqueurs d'une course à la masse. Dans un milieu extrêmement chaotique, fait de collisions destructrices et d'agglomérations fortuites, chaque planète luttait pour grossir, au détriment des autres corps en formation (Crédit photo : droits réservés).

Comme la Terre, la planète Mars est née il y a 4,6 milliards d'années, dans le nuage turbulent et chaotique de poussière qui entourait notre étoile, le soleil. La collision et l'agrégation d'un nombre considérable de fragments rocheux, les planétésimaux, ont donné naissance à une sphère de grande taille en fusion, un embryon planétaire, et dont la gravité ne cessait d'attirer d'autres objets, astéroïdes et comètes, qui venaient donc augmenter inéluctablement son diamètre (Crédit photo : droits réservés).

Les chondrites carbonées appartenant au groupe Ivuna (CI) représentent le matériau de référence en cosmo-chimie, et définissent l'abondance cosmique des éléments chimiques dans notre système solaire (pour les passionnés, la photo ci-dessus représente en fait une tranche polie de la météorite Allende, une CV3). Les chondrites carbonées CI sont les plus primitives de toutes les météorites. Leur composition chimique est pratiquement identique à celle du soleil (à l'exception de l'hydrogène et de l'hélium, gaz très volatils, et qui ont donc tendance à partir très rapidement). Ce matériel météoritique n'est autre que le matériel de base avec lequel les planètes du système solaire ont été fabriquées par la Nature. Or, si l'on regarde la composition de la croûte terrestre (océanique ou continentale), on s'aperçoit vite que sa composition n'a rien à voir avec celle des chondrites CI. C'est la même chose pour le manteau et le noyau. Un mécanisme bien particulier, ayant agi au niveau planétaire, a donc séparé de façon significative les éléments du matériel chondritique. C'est la différentiation (crédit photo : Matteo Chinellato/CC BY 3.0).

Le mécanisme de différentiation planétaire est similaire à celui des haut-fourneaux, dans lesquels on enfourne du minerai de fer (généralement des oxydes de fer) et de la coke (une sorte de charbon). Sous l'effet de la chaleur, le minerai de fer rentre en fusion tout en subissant une réduction. Le métal pur tombe au fond (c'est la fonte, qui rappelle ainsi le noyau métallique des planètes), tandis que les éléments plus légers, les silicates, surnagent pour former le laitier (analogue au manteau et à la croûte). Enfin, les gaz qui s'échappent simulent une atmosphère en formation (crédit photo : Larousse).

Mars émerge du disque d'accrétion à une distance du soleil supérieure par rapport à la Terre. La zone dans laquelle l'astre s'est assemblé est plus riche en soufre et en éléments volatils. La planète rouge possédera donc plus de soufre que la Terre (à la fois dans la croûte et dans le noyau), et le fer y sera plus oxydé. Véritable boule de magma, chauffée au rouge par l'énergie dégagée par l'accrétion ainsi que par la décomposition d'éléments radioactifs (uranium, thorium et potassium), l'astre va se différencier entre trois couches : un noyau métallique liquide, d'où émergera un champ magnétique, un manteau silicaté (en brun sombre sur le schéma) et une croûte extérieure rocheuse assez fine. C'est le processus de différentiation, mécanisme fondamental de la formation des corps planétaires (Crédit photo : droits réservés).

Comme toutes les planètes à surface solide du système solaire, Mars est organisée en couche. De nombreuses inconnues demeurent cependant quant à sa structure interne exacte. En l'absence de mesures sismiques (en cours d'acquisition par le sismomètre SEIS de la sonde InSight), essentielles pour lever les doutes, les géophysiciens ne peuvent pour l'instant qu'estimer grossièrement la taille du noyau, son état (entièrement liquide, ou avec une graine centrale solide et une couche extérieure liquide), l'épaisseur du manteau et la présence d'interfaces et d'hétérogénéités en son sein, ou encore l'épaisseur et la composition de la croûte (Crédit photo : CNES).

Au tout début de son histoire, Mars a probablement subi une collision avec une protoplanète d'une taille considérable. L'impact serait responsable de la fameuse dichotomie martienne, ainsi que de l'apparition des lunes Phobos et Deimos (Crédit photo : LABEX UnivEarths).

Sur les planètes à surface rocheuse comme Mars ou la Terre, l'eau n'est pas apportée par l'accrétion des planétésimaux, mais par la chute de certains astéroïdes et de comètes, qui sont constitués en grande partie de glace d'eau. L'image ci-dessous montre la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko, photographiée par la sonde européenne Rosetta (Crédit photo : ESA/Rosetta/NAVCAM).

Après leur formation, Mars et la Terre devaient partager de nombreux points communs : des continents et de l'eau liquide en surface, une atmosphère épaisse et chauffante de dioxyde de carbone générée par une activité volcanique intense, ainsi qu'un bouclier magnétique capable de faire front au vent solaire. Si l'on avait pu observer, comme sur cette vue d'artiste, ce à quoi ressemblait Mars à cette période, nul doute qu'elle aurait ressemblée de façon frappante à la Terre. Une différence cependant saute tout de suite aux yeux : la taille. Mars est en effet deux fois plus petite que notre planète. La tectonique de plaques, qui fracture et fait bouger des plaques de croûte, est aussi absente (Crédit photo : droits réservés).

Après 4,5 milliard d'années d'évolution, force est de constater que les deux astres ont connu des destins radicalement différents. Sur Terre, la vie est apparue vers 3,8 milliard d'années, et n'a cessé dès lors de se développer, pour aboutir à une diversité époustouflante. Mars, au contraire, n'est plus qu'un vaste désert froid, mélancolique et monotone, à la surface rouillée, recouverte par une couche de poussière rougeâtre et oxydée. Terrible destin que celui de cet astre, qui a bénéficié du même départ que la Terre, mais dont la vitalité et le potentiel ont été coupés net, laissant le corps planétaire à l'agonie. Que s'est-t-il donc passé pour que Mars suive un chemin aussi différent que notre planète, alors que les deux astres sont sortis de la même nébuleuse, à une distance similaire du jeune soleil ? (Crédit photo : droits réservés).

La première partie de l'histoire géologique de Mars s'appelle le Noachien, et s'étend de 4,5 à 4 milliards d'années environ. A cette époque, Mars dispose d'un champ magnétique, d'une atmosphère épaisse qui permet à l'eau liquide d'être stable, et de former des rivières (ci-dessus), des fleuves, des lacs et pourquoi pas des mers et des océans. De nombreux dépôts argileux se mettent en place, suite à l'altération de roches basaltiques. Le dôme volcanique de Tharsis bombe la croûte martienne, qui s'ouvre un peu plus loin sous le jeu des contraintes tectoniques pour donner naissance aux abîmes de Valles Marineris. Le bombardement météoritique et cométaire est intense, et laisse de nombreuses cicatrices sous la forme de cratères d'impact, qui subissent une érosion rapide. Aujourd'hui, il reste environ 50 % de la surface noachienne, ce qui est énorme si on compare ce chiffre à ce que la Terre a gardé de sa lointaine jeunesse, et ce qui explique l'attrait irrésistible qu'exerce Mars sur les planétologues. Le reste des terrains noachiens martiens a été érodé, remodelé ou enfoui sous des coulées de lave et des dépôts plus récents. L'importance du rôle de l'eau liquide au Noachien est un sujet toujours controversé, mais par rapport à ce qui va suivre, cette période est une sorte de paradis pour la planète rouge (Crédit photo : NASA/JPL).

Carte de la magnétisation de la croûte martienne réalisée par l'instrument MAG/ER de la sonde Mars Global Surveyor, prouvant l'existence d'un champ magnétique il y a des milliards d'années sur Mars, puis sa disparition brutale. La source du champ est confiné dans la partie la plus externe de la croûte (à quelques dizaines de kilomètres de profondeur tout au plus). Il s'agit d'une magnétisation fossile crustale de haute intensité, préservée par les minéraux magnétiques des roches volcaniques. Les linéations, dues à des inversions de la polarité du champ magnétique, sont étonnantes. Elles rappellent clairement les zébrures magnétiques que l'on retrouve sur le plancher océanique terrestre, et semblent témoigner de l'amorce d'un mécanisme de type tectonique de plaques sur la jeune Mars. D'autres explications peuvent cependant être avancées pour expliquer les bandes de polarité opposée. Notez l'absence de magnétisation au niveau des grands bassins d'impact d'Hellas, d'Isidis et d'Argyre, pourtant très vieux. La cause de la disparition du champ magnétique il y a 4 milliard d'années demeure un mystère, même si des indices permettent d'esquisser quelques hypothèses intéressantes. Cliquez sur l'image pour l'agrandir (crédit photo : Connerney et al, 2005).

A la fin du Noachien, entre 4 et 3,8 milliard d'années, Mars, comme les autres planètes du système solaire, est à nouveau bombardée par une nuée d'astéroïdes et de comètes. Cette phase, dite de grand bombardement tardif, est due à une instabilité massive provoquée par les géantes gazeuses Jupiter et Saturne, qui sont entrées en résonance orbitale. L'enfer s'abat à nouveau sur les mondes, mettant éventuellement fin aux premières formes de vie qui auraient pu apparaître. Affectée par le bombardement tardif, la Terre s'en sortira. Mars, au contraire, est blessé mortellement. La disparition du champ magnétique global semble en effet coïncider avec la phase de bombardement tardif. Simple hasard ou coïncidence troublante ? (crédit photo : droits réservés).

Le champ magnétique, généré par les mouvements de convection qui animent le noyau métallique liquide, est fondamental pour l'évolution d'une planète. Cette ombrelle invisible en forme de bouclier protège effectivement la surface et l'atmosphère d'un bombardement incessant de particules énergétiques, venant du fin fond du Cosmos, mais aussi et surtout de notre étoile, le Soleil. Ce dernier libère effectivement un vent solaire suffisamment puissant pour décaper les atmosphères planétaires, si rien ne vient s'y opposer. En perdant son champ magnétique très tôt dans son histoire, Mars a été livrée pieds et poings liés à cet ennemi sournois (Crédit photo : droits réservés)

Ne pouvant plus bénéficier d'un champ magnétique protecteur, la planète Mars est exposée de plein fouet au vent solaire, qui abrase l'atmosphère. Sans cette couche d'air providentielle, constituée en grande majorité par un gaz à effet de serre, le dioxyde de carbone, la surface martienne se refroidit et les températures deviennent glaciales, mettant un terme presque définitif à l'existence de l'eau liquide (Crédit photo : droits réservés).

En plus du décapage par le vent solaire, une partie de l'atmosphère martienne est également soufflée dans l'espace par les impacts, qui redeviennent abondants lors de la phase de bombardement tardif entre 4 et 3,8 milliard d'années (Crédit photo : droits réservés).

Durant l'Hespérien, qui fait suite au Noachien et qui s'étend de 3,9 à 3,5 milliard d'années, la planète Mars se refroidit, suite à la disparition de l'atmosphère. Malgré une activité volcanique exacerbée, celle-ci ne parvient pas à se reconstituer. Les températures chutent et l'eau prend en glace. Les éruptions volcaniques remodèlent une large partie de la surface par le biais de coulées, et libèrent d'immenses quantités de composés soufrés. L'un d'eux, l'acide sulfurique, provoque une altération chimique des roches, et la formation d'importants dépôts de sulfates. La chaleur dégagée par les volcans induit parfois la fonte massive de lentilles de glace, qui déclenchent des débâcles dévastatrices, et dont on retrouve encore aujourd'hui les traces spectaculaires en surface. Lentement mais surement, les conditions évoluent dramatiquement et la surface devient de plus en plus inhospitalière (crédit photo : Michael Carroll).

L'Amazonien, qui dure depuis 3,5 milliards d'années, est une période calme. L'atmosphère, très fine, a transformée la surface en un désert froid. Aride et desséchée, la planète est balayée par les vents et les tempêtes, qui soulèvent une poussière fine, oxydée, et riche en fer. Quelques changements climatiques, due à la bascule de l'axe de rotation de Mars (non stabilisé par la présence d'une lune massive, contrairement à la Terre), et à des modifications orbitales, peuvent provoquer par moment un bref retour de climats plus chauds et humides. Pourtant, force est de constater que, d'un point de vue géologique, Mars est à l'agonie (crédit photo : Chesley Bonestell).

Vue d'artiste de la planète rouge durant l'Amazonien : Mars n'est plus qu'un immense désert planétaire, un monde figé dans le froid et la poussière (crédit photo : droits réservés).

 

La destinée de la planète Mars en images (de nos jours à 7 milliards d'années dans le futur)

Comme nous venons de le voir, le destin de la planète rouge s'est vraisemblablement joué très tôt, il y a des milliards d'années, lorsque le noyau métallique a cessé de générer un champ magnétique protecteur. Livrée au vent solaire, l'atmosphère s'est volatilisée dans l'espace, ouvrant la porte à un refroidissement de la surface, et un arrêt définitif du cycle hydrologique. D'une taille trop petite, Mars n'avait sans doute pas assez de chaleur interne pour activer ou maintenir une tectonique de plaque, ou pour entretenir un champ magnétique permanent. Aujourd'hui, la planète est géologiquement morte, et son histoire est désormais entièrement sous le contrôle de celle du Soleil (Crédit photo : droits réservés)

Le diagramme de Hertzsprung-Russell est une classification graphique et ingénieuse des étoiles de notre galaxie, triées en fonction de leur température de surface (en abscisse) et de leur brillance (en ordonnées). Il permet également de suivre la vie d'une étoile. Ainsi, notre soleil, une banale naine jaune possédant une température de surface de 5770° kelvin, est né il y a environ 4,6 milliard d'années. Aujourd'hui, il est au milieu de sa vie, le long de la séquence principale du diagramme d'Hertzsprung-Russell (la diagonale qui part du coin supérieur gauche pour descendre dans le coin inférieur droit). Sa destinée, qui est d'enfler en géante rouge puis de finir en naine blanche, va conditionner celle de toutes les planètes qui orbitent autour de lui (Crédit photo : droits réservés).

Cycle de vie du soleil, depuis sa naissance il y a 4,5 milliards d'années (à gauche), jusqu'à sa transformation en géante rouge dans approximativement 5 milliards d'années, suivi de l'expulsion de l'enveloppe gazeuse extérieur pour former une nébuleuse planétaire, qui laissera derrière elle un cadavre d'étoile sous la forme d'une naine blanche froide. Le trait blanc indique la position actuelle du soleil dans son cycle de vie. (Crédit photo : droits réservés).

Dans environ 7 milliard d'années, notre soleil se mettra à brûler de l'hélium, ce qui augmentera sa taille et sa luminosité de façon considérable. Son diamètre pourrait alors être multiplié par 250, et il est tout à fait possible qu'il puisse ingérer Vénus ou la Terre, à moins que ces planètes, ainsi que Mars, ne soient repoussées sur des orbites plus éloignées. Dans tous les cas de figure, à moins que l'homme ne s'en mêle, le destin de Mars est intrinsèquement lié à celui de notre étoile (Crédit photo : Don Dixon).

La nébuleuse M57, située dans la constellation de la Lyre, est un très bon exemple de nébuleuse planétaire. Ce nuage multicolore s'est formé suite à l'expulsion dans l'espace des couches gazeuses superficielles d'une géante rouge, qui s'est alors transformée en naine blanche. Lorsque notre soleil aura atteint ce stade, il ne restera plus grand chose de la planète Mars, sinon un astre mort à la surface dévastée, cadavre planétaire orbitant autour d'une étoile morte (Crédit photo : Vanderbilt University/NASA/ESA). Dans environ 7 milliards d'années, notre galaxie rentrera en collision avec la galaxie d'Andromède. Lors du choc titanesque entre les deux disques, notre système solaire, tout en conservant son cortège de planètes, pourrait être arraché de la Voie Lactée et passer dans Andromède. A ce moment, le soleil sera sur le point de se transformer en géante rouge (Crédit photo : droits réservés).

 

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