Mars la Verte | |
Note :
Auteur : Kim Stanley Robinson Editeur : Presses de la Cité (*) Parution : 1993 (1995 pour cette édition) Epaisseur : 656 pages |
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Sur Mars, la rébellion de 2061 a été durement réprimée. La planète rouge a perdu sa plus grosse lune, l'ascenseur spatial est tombé en fouettant par deux fois les régions équatoriales de la planète, et les résistants, traqués, tentent d'échapper tant bien que mal aux satellites militaires de l'ONU et des transnationales. Hiroko et les siens ont creusé un immense dôme dans la masse de la calotte polaire sud, et ne s'aventurent que rarement à l'extérieur. Lorsqu'une sortie est nécessaire, ils utilisent des rovers furtifs camouflés en rochers, qui passent totalement inaperçus dans les paysages martiens. Pourtant, il leur faudra bientôt rompre cet isolement malsain pour tenter de reprendre le contrôle de la planète. Dans ce second tome de sa trilogie fleuve, Kim Stanley Robinson a conservé tous les éléments qui faisaient le succès de Mars la Rouge. Les lecteurs y retrouveront le cocktail détonant de science et de technologie, mêlé à des considérations politiques, économiques, sociales et psychologiques. Ralentie pendant les hostilités, la terraformation de Mars, sujet central de la trilogie, a repris de plus belle, et les moyens mis en oeuvre sont toujours plus sophistiqués et intimidants. Les transnationales n'hésitent maintenant plus à faire exploser des bombes à hydrogène pour liquéfier la glace du sous-sol. Des miroirs immenses et mobiles reflètent la lumière solaire vers un concentrateur, qui la renvoie à son tour vers la planète Mars. Le pinceau lumineux est si puissant qu'il peut être utilisé pour vitrifier la surface martienne et libérer des substances volatiles dans l'air. L'azote de Titan est importé sur Mars pour changer la composition de l'atmosphère, et un nouvel ascenseur a été érigé sur les ruines du premier. La transformation de la planète Mars en une seconde Terre déchire toujours les martiens, et les débats sur le terraformation culmineront lors de la conférence de Dorsa Brevia, et à ce titre, Mars la verte est absolument indispensable pour tous ceux qui s'intéressent à cette problématique. Toutes les gradations possibles et imaginables sont évoquées, depuis une version minimaliste de la terraformation qui laisserait les régions de hautes altitudes (comme le sommet des volcans géants) pratiquement inchangées jusqu'à l'écopoesis, ou la terraformation serait presque uniquement assurée par le développement d'organismes vivants. Les jouxtes enflammées entre scientifiques sont passionnantes à suivre, et Kim Stanley Robinson a capturé à merveille l'ambiance d'une grande convention scientifique. Ainsi, lentement mais inéluctablement, Mars change de visage, et Kim Stanley Robinson n'a pas son pareil pour faire vivre au lecteur cette mue planétaire. L'auteur a accordé dans ce second tome une très grande place (certains diront une trop grande place) aux descriptions, qui tout en étant longues, sont également particulièrement inspirées. Le texte de Kim Stanley Robinson est toujours aussi fluide, érudit et poétique, et certains passages sont des moments d'anthologie, comme la découverte par Sax Russell de petites fleurs alpines sur les bords d'un glacier. Si Mars la verte fait la belle part aux descriptions géologiques et aux progrès apportés par une science et une technologie débridée, ce second tome est avant tout tourné vers le facteur humain. Le lecteur retrouvera avec plaisir les cent premiers ayant survécu à la première révolution (moins de la moitié sont encore en vie ...) et découvrira de nouveaux personnages, des natifs de Mars (comme Nirgal) ou des indigènes terriens (comme Art). Le cas d'Art Randolph, transfuge de la transnationale Praxis, sera d'ailleurs l'occasion de faire un bref et unique passage sur Terre. Kim Stanley Robinson prend ici le temps de présenter des personnages qui n'avaient pas été développés jusqu'à présent, ou dont le caractère a profondément changé avec les années. Le personnage de Sax Russell prend ainsi beaucoup d'ampleur, et sa transformation en Stephen Lindholm constitue un des grands moments du livre. La partie sur Maya, perdue dans les affres de sa vieillesse, est également très émouvante. Qu'ils soient attachants ou repoussants, aucun des personnages ne laisse indifférent, et Kim Stanley Robinson est l'un des rares auteurs de science-fiction à savoir peindre avec autant de justesse la nature humaine. Son talent, déjà perceptible dans Mars la rouge, explose dans Mars la verte. Ce roman n'est finalement rien d'autre que le récit de la transformation de Mars, vécue aux travers des yeux de différentes personnes. Confrontés à l'incompréhension grandissante des nouvelles générations de martiens, les cents premiers vont également devoir faire face à un problème totalement inattendu, conséquence directe du traitement de longévité qui leur permet de tenir à l'écart la faucheuse. Maya a ainsi de plus en plus de mal à se souvenir de son passé, et ne cesse d'être envahie par d'inquiétantes situations de déjà vu. Ce sujet - un cerveau qui semble inéluctablement vieillir alors que le corps ne bouge pratiquement pas - aurait pu à lui seul faire l'objet d'un roman tant il est riche en possibilités (Sax Russell peut ainsi démarrer une nouvelle carrière scientifique dans un domaine totalement différent, chose malheureusement impossible dans la réalité), et montre le soucis du détail qui a animé Kim Stanley Robinson lors de l'écriture de sa trilogie. Si Mars la verte foisonne d'idées et de situations, il est cependant plus difficile à aborder que Mars la Rouge. A quelques exceptions près, le rythme est très lent, et les personnages semblent comme engourdis, figées dans une sorte d'immobilité ou d'indécision. Certes, les cent premiers ont tiré les leçons de la débâcle de 2061. Ils ont compris qu'une révolution se marie mal avec l'anarchie. Toujours animés d'un profond désir humaniste (à l'image des personnages de Mars Blanche de Brian Aldiss) et d'une envie d'en découdre avec les transnationales, les résistants ne cessent de rêver à une seconde révolution. Malgré quelques coups d'éclats unilatéraux menés par des chiens fous contre Deimos ou la loupe aérienne, la plupart ont compris que le succès passe par une action concertée. Pourtant, tout au long du livre, les choses ne semblent guère évoluer, si l'on met de côté l'immense conférence de Dorsa Brevia. La volonté de frapper une nouvelle fois pour se libérer du joug des multinationales et acquérir une indépendance hante chaque esprit, mais aucun ne semble décider à franchir le pas. Le manque d'action, les descriptions parfois fastidieuses et l'impression de stase pourront ainsi rebuter certains lecteurs. Inutile de se voiler la face, le livre est long, et certains passages demanderont une certaine volonté pour être franchi. Nombreux sont ceux qui ont abandonné Mars la verte à mi chemin pour passer à un roman plus accessible, et le risque de décrochage est donc réel. Un lecteur pointilleux pourra également trouver ici et là des approximations ou idées fausses, ce qui pourra ajouter à l'agacement. Les petites erreurs qui émaillent le texte peuvent (et doivent) cependant être facilement pardonnées, tant les domaines abordés dans Mars la verte (et la trilogie en général) sont nombreux. A l'image du Parfum de Suskind, Mars la verte est un livre qui se ressent, et qui laisse une impression tenace dans l'esprit du lecteur. Dans ce second tome, Mars est un monde qui sort lentement de sa torpeur. Tout semble conté au travers d'un brouillard givrant, et pourtant la passion, l'ébahissement, la curiosité sont bien là sous la surface froide. Les martiens forment une humanité désenchantée par les erreurs de ses ancêtres, mais poussée par la vigueur inhérente à sa jeunesse. L'impression de contraste entre les conflits millénaires, intemporels, des humains (amour, jalousie) et la métamorphose complète et irréversible d'une planète est également frappante. Les humains ne cessent finalement de redécouvrir la condition humaine, alors que Mars change elle pour toujours ... Coincé entre Mars la rouge (qui avait pour lui l'effet de surprise) et Mars la Bleue (sur qui repose la tâche délicate de clore la trilogie), Mars la Verte offre au lecteur persévérant une véritable expérience de lecture, qu'il serait fort dommage de ne pas tenter. Quand on voit le plaisir qu'offre le second tome, on ne peut que frémir d'impatience en pensant au bouquet final ! |
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