Chroniques martiennes

Un atterrissage et deux enterrements pour Mars Polar Lander

Samedi 19 février 2000
Antenne du DSN à Goldstone (Crédit photo : NASA/JPL)

La NASA vient d'annoncer l'arrêt, pour la deuxième fois consécutive, des tentatives désespérées de recherche de la sonde Mars Polar Lander. Le 17 janvier 2000, l'agence spatiale américaine avait reconnu officiellement la disparition de l'atterrisseur polaire. Mais la réception de faibles signaux par l'université de Stanford le 18 décembre 1999 et le 4 janvier 2000 avait ravivé l'espoir d'établir enfin un contact avec la sonde.

Malgré la participation des plus puissants radio-télescopes européens (comme le Westerbork Synthesis Radio Telescope aux Pays-Bas ou le Jodrell Bank Observatory en Angleterre) en complément de l'université de Stanford, la première session internationale d'écoute n'a produit aucun résultat. Pour expliquer ce piètre résultat, les scientifiques avaient émis l'hypothèse que l'atterrisseur soit dans une configuration différente de la configuration attendue, et qu'il avait très bien pu ne pas recevoir l'instruction d'émettre des signaux UHF. Pour lever le doute, une deuxième session avait été programmée le 8 février 2000. Cette fois ci le Bologna Radio Astronomy Institute en Italie était de la partie, prenant la place du radio-télescope Jodrell en Angleterre qui n'a pu fonctionner pour cause de grands vents. Mais ce nouvel effort n'a pas donné de meilleurs résultats que le premier et aucune des antennes à l'écoute n'a rien relevé d'autre qu'un silence permanent en provenance de la planète Mars.

Des analyses poussées sur les signaux reçus par l'université de Stanford ont donné le coup de grâce. Ces signaux seraient finalement d'origine terrestre et ne proviendraient pas de la planète Mars, comme on l'avait d'abord supposé. Il est donc peu probable que la NASA prolonge les recherches avec la gigantesque antenne de 300 mètres du radiotélescope d'Arecibo, basé dans l'île de Porto-Rico. De toute façon, la mission martienne va bientôt toucher à sa fin et Mars Polar Lander, si elle est encore en vie, est condamné à mourir de froid à cause de l'allongement de la durée des nuits polaires (l'atterrisseur ne peut en effet compter que sur ces panneaux solaires pour s'alimenter en énergie).

Avec la disparition de la principale preuve de la survie de Mars Polar Lander (les signaux de Stanford) est arrivée une autre nouvelle affligeante. La NASA avait mis en place au sein du Jet Propulsion Laboratory (JPL) une commission d'enquête, dont le rôle principal était de recenser la ou les causes ayant conduit à la perte de Mars Polar Lander le jour de son atterrissage. Cette commission vient de rendre publique un rapport préliminaire, dans lequel elle révèle l'existence d'un défaut majeur de conception. Force est de reconnaître que l'erreur commise parait aussi stupide qui celle qui a signé l'arrêt de mort de Mars Climate Orbiter le 23 septembre 1999.

L'accident s'est produit pendant la dernière phase de la séquence d'atterrissage. A environ 8 kilomètres au-dessus de la surface martienne, après avoir utilisé son bouclier thermique pour freiner dans les couches denses de l'atmosphère, Mars Polar Lander déploie un parachute de 8,5 mètres de diamètre. La vitesse de l'atterrisseur diminue alors de manière conséquente (elle passe de 500 m/s à 80 m/s), mais pas suffisamment pour lui permettre de toucher le sol martien en toute sécurité. Des rétrofusées doivent impérativement être allumées pour compléter le freinage.

7 secondes après le déploiement du parachute, le bouclier thermique est éjecté, ce qui expose pour la première fois la partie inférieure de la sonde à l'atmosphère martienne. 16 secondes plus tard, les trois pieds de la sonde, qui étaient repliés, se déploient vers l'extérieur.

Lorsque l'atterrisseur atteint l'altitude fatidique de 1800 mètres, le lien avec le parachute est rompu et une demi-seconde plus tard, les rétrofusées s'allument. La sonde est alors sous le contrôle d'un radar altimétrique, qui module la poussée des rétrofusées pour assurer un atterrissage relativement doux avec une vitesse finale de 2,4 m/s.

Pour les atterrisseurs que nous avons envoyé vers la Lune ou vers Mars (comme les atterrisseurs Viking), c'est le radar qui se charge de couper les rétrofusées quelques mètres avant que la sonde ne touche le sol. Mais dans le cas de Mars Polar Lander, la NASA avait décidé de simplifier encore davantage le système. Les pieds de l'atterrisseur étaient munis d'un senseur capable de détecter le choc de la rencontre avec le sol. Dès qu'il était actionné, il déclenchait en retour l'arrêt des rétrofusées.

Le problème, c'est que le déploiement des pieds pendant la descente vers la surface martienne était assez violent pour faire jouer ce contacteur. Et lorsque les rétrofusées se sont finalement allumées, l'ordinateur de bord les a immédiatement coupé. Pour lui, Mars Polar Lander avait déjà atteint la surface de Mars, comme le prouvait l'information renvoyé par le capteur des pieds.

L'atterrisseur a parcouru les 40 mètres restants en chute libre !

L'erreur n'a pas été relevée lors des tests pour une raison très simple : ce ne sont pas les mêmes équipes qui ont testé la procédure de déploiement des pieds et le reste de la séquence d'atterrissage. La première équipe n'a jamais noté que la libération des pieds provoquait une réaction de la part du capteur de contact. Et la deuxième équipe, au moment de prendre ces fonctions, a tout simplement réinitialisé l'ordinateur avant de commencer à étudier le reste de la séquence d'atterrissage, faisant disparaître de la mémoire électronique le bit fatidique.

Bien sur, nous l'avons déjà dit a de nombreuses reprises, on ne pourra jamais vraiment savoir ce qui est arrivée à Mars Polar Lander, par suite de l'absence de données de télémétrie. Après tout, le contacteur ne s'est peut être pas activé lorsque les pieds de l'atterrisseur se sont réellement déployés dans l'atmosphère martienne. Il est tout aussi possible que la sonde Mars Polar Lander soit arrivée sur une pente trop forte, qu'un dysfonctionnement ait affecté le système de communication radio ou que les nouveaux moteurs à pulse (voir les soucis de Mars Polar Lander) n'aient pas réagi comme prévu, tout en gardant bien à l'esprit que la liste n'est pas exhaustive ! D'ailleurs, dans une récente interview accordée à l'excellent site Space.com, San Thurman, le directeur des opérations pour la mission Mars Polar Lander, a indiqué qu'il fallait bien se retenir de désigner le défaut de conception comme le coupable parfait.

Comme dans le cas de la sonde Mars Observer, la commission d'enquête ne pourra que dresser la liste des causes probables de l'échec, en choisissant parmi elle un favori. Mais si le défaut de conception est confirmé, il est probable que la commission recommande toute une série de modifications pour les prochains atterrisseurs martiens, qui sont malheureusement basés sur le modèle de Mars Polar Lander. Les futurs atterrisseurs devront par exemple être munis d'un système assurant une liaison permanente pendant l'atterrissage. Notons déjà que l'atterrisseur de la mission Mars Surveyor 2001 n'emportera pas avec lui Marie Curie, le sosie de Sojourner (le célèbre robot de Pathfinder), pour faire de la place à un nouvel équipement de communication. Le concept des moteurs à pulse sera certainement abandonné en faveur de l'ancien modèle à poussée variable, qui avait fait ses preuves lors de la mission Viking. Chaque atterrisseur pourrait aussi être équipé d'un dispositif d'évitement des dangers, qui permettrait à la sonde de corriger sa trajectoire pour se tenir à l'écart d'éventuels dangers du site d'atterrissage (pente inclinée, rochers volumineux). Ce système prendra sans doute la forme d'un altimètre laser qui balayera le site d'atterrissage pour en construire une carte en 3 D, grâce à laquelle l'ordinateur de bord pourra ensuite choisir le secteur le plus judicieux pour poser la sonde.

Quelle que soit les conclusions du rapport d'enquête du JPL, aucune ne pourra jamais être confirmée par des données réelles. Dans l'espace, sans télémétrie, point de salut. Une leçon que l'agence spatiale américaine aura payé au plus haut prix.

Index des chroniques
Université de Stanford
Westerbork Synthesis Radio Telescope
Jodrell Bank Observatory
Bologna Radio Astronomy Institute
Le radiotélescope d'Arecibo

 

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