Le méthane martien

La recherche de traces de méthane sur la planète rouge, un gaz qui sur Terre est clairement d'origine biologique, est un sujet qui fascine les scientifiques depuis les débuts de la conquête spatiale. La sonde Mariner 7 fut la première à enflammer l'imagination des exobiologistes en 1969, suite à la détection d'une soudaine bouffée de gaz à proximité du pôle sud martien. Hélas, après des études supplémentaires, les responsables de la découverte durent admettre que l'interprétation des données était erronée : le signal enregistré par le spectromètre infrarouge IRS, d'abord attribué au méthane, provenait hélas d'une substance beaucoup plus commune, et sans doute moins excitante : de la glace de dioxyde de carbone.

Néanmoins, avec les avancées technologiques et la sophistication des instruments, qu'ils soient terrestres ou spatiaux, l'identification de ce gaz très simple, constitué d'un atome de carbone entouré de quatre atomes d'hydrogène, continua. Avant le début des années 2000, toutes les tentatives de détection furent négatives, ce qui suscitait en retour une grande indifférence quant à la question du méthane martien, et en particulier de son intérêt comme marqueur d'une activité biologique extraterrestre. Puis soudainement, tout changea. Un ensemble de découvertes eurent lieu pratiquement toutes au même moment, propulsant le méthane sur le devant la scène, et déclenchant dans les laboratoires du monde entier un grand nombre de travaux de recherche, qui, comme c'est pratiquement toujours le cas, soulevèrent rapidement plus de questions que de réponses.

Les premières détections

La première détection de traces de méthane dans l'atmosphère martienne eu lieu en 2003 par l'équipe de Michael Mumma du centre Goddard de la NASA dans le Maryland. En utilisant pas moins de trois télescopes terrestres couplés à des spectromètres infrarouges de dernière génération (l'instrument CSHELL de l'observatoire IRTF de la NASA installé sur le sommet du Mauna Kea à  Hawaii, le spectromètre NIRSPEC conçu pour le télescope Keck II, toujours à Hawaii, et enfin l'instrument Phoenix de l'observatoire Gemini Sud installé au sommet du Cerro Pachon au Chili), l'équipe de Mumma tente d'acquérir des spectres individuels du disque martien, avec le niveau de bruit le plus faible possible.

La technique phare qui est utilisée pour rechercher du méthane est la spectrométrie infrarouge. Comme toutes les molécules, le méthane possède la particularité d'absorber certaines longueurs d'ondes très précises de la lumière. Pour cette molécule, ces longueurs d'onde se situent dans la partie infrarouge du spectre électromagnétique, c'est à dire une bande située après la lumière visible rouge. Lorsqu'elle est frappée par des photons (grains de lumière) infrarouges possédant une certaine énergie, la molécule de méthane absorbe ces derniers, et se met à vibrer en retour.

Pour bien comprendre le principe de la mesure, imaginons que nous remplissons un aquarium d'air, et que d'un côté nous disposons d'une lampe infrarouge, et de l'autre un détecteur infrarouge. Si nous collectons le spectre de la lumière infrarouge qui traverse l'aquarium, que nous vaporisons ensuite un petit peu de méthane dans ce dernier, et que nous reprenons une nouvelle mesure, nous verrions une différence flagrante entre le spectre pris au départ et le spectre pris après l'incorporation du méthane. Cette différence prendrait la forme de bandes d'absorption, c'est à dire de secteurs où les photons infrarouges ont tout bonnement disparu du spectre. Dans le cas du méthane, ces bandes seraient situées précisément autour de 3,3 microns (en spectrométrie infrarouge, les longueurs d'onde, qui indiquent l'énergie des photons, sont mesurées en microns).

Voilà pour le principe de la mesure. Dans la réalité, les choses sont cependant plus compliquées. Lorsque l'objet à étudier est situé dans l'espace (comme c'est le cas pour Mars), et que les détecteurs sont sur Terre, se pose effectivement un problème de taille, qui apparaît clairement quand on retrace le parcours des rayons lumineux, depuis leur naissance au niveau du soleil jusqu'aux détecteurs des spectromètres infrarouges montés derrière les télescopes terrestres. La lumière solaire traverse une première fois l'atmosphère de Mars, avant d'être réfléchie par la surface de la planète, puis repart dans l'espace en traversant à nouveau les couches d'air martiennes, pour arriver à la Terre, ou elle franchit l'atmosphère terrestre, avant d'être finalement collectée par les miroirs des télescopes puis focalisée vers les spectromètres.

La double traversée de l'atmosphère martienne est une aubaine, car elle offre aux photons deux fois plus de chance d'interagir avec les petites molécules de méthane. Le souci est en fait posé par l'atmosphère terrestre, qui renferme en permanence d'infimes quantités du gaz recherché. Les instruments montrent donc toujours un signal pour le méthane, mais il s'agit de méthane terrestre, et non pas de méthane martien.

Pour éliminer l'influence parasite du méthane d'origine terrestre, qui vient inévitablement perturber des mesures effectuées depuis le plancher des vaches, l'étude du décalage doppler des bandes d'absorption du méthane est mise à profit. Comme nous l'avons vu, dans le domaine infrarouge du spectre de la lumière, le méthane absorbe à des longueurs d'onde bien spécifiques. Cependant, si l'objet sur lequel est effectué la mesure, par exemple une planète, se déplace (ce qui est le cas de Mars qui tourne sur elle-même, et qui se déplace également par rapport à la Terre lors de sa révolution autour du soleil), les longueurs d'ondes se décalent (par effet Doppler), et les bandes d'absorption finissent par occuper d'autres positions que les positions d'origine.

Selon ce principe, il semble donc aisé de distinguer les bandes d'absorption du méthane terrestre, qui sont fixes, des bandes d'absorption du méthane martien, qui elles subissent un décalage en longueur d'ondes. Malheureusement, en changeant de place, certaines bandes du méthane martien viennent occuper les mêmes lignes spectrales que la molécule d'eau, qui est aussi particulièrement abondante dans l'atmosphère de notre planète. Les spectroscopistes se trouvent alors confrontés à un autre problème, dont la résolution n'est guère simple : séparer les bandes d'absorption du méthane martien de celles de la molécule d'eau terrestre. L'exercice est possible, mais particulièrement délicat.

Toujours est-il qu'en janvier et mars 2003 à Hawaii (ainsi qu'en mai 2003 au Chili, mais les données obtenues seront moins fiables que celles collectées sur l'archipel volcanique, à cause d'un artefact de mesure), les spectres de la planète Mars enregistrés par l'équipe de Michael Mumma montrent quelque chose qu'aucun scientifique n'avait encore jamais vu : des lignes d'absorption très subtiles, qui indiquent clairement la présence d'infimes quantités de méthane dans l'atmosphère de la planète rouge. Pendant plus de 7 ans, l'équipe de la NASA va collecter et accumuler les données, avant de finalement publier les résultats en 2009. A ce moment, les observations ont non seulement permis de confirmer la détection de méthane sur Mars, mais, plus important encore, elles ont également autorisé les scientifiques à dresser une première carte, spatiale et temporelle, des émissions. Avant d'examiner plus en détails ces résultats, retournons cependant en arrière au début des années 2000, car à cette époque, l'équipe de la NASA ne sera pas la seule à apercevoir sur Mars des bouffées de méthane.

En 2004, une autre équipe concurrente (Krasnopolsky et al.) identifie effectivement du méthane dans l'atmosphère de Mars en utilisant un spectromètre infrarouge couplé au télescope CFHT (Canada-France-Hawaii Télescope) situé lui aussi au sommet du Mauna Kea, ce qui n'est pas une coïncidence puisque ce volcan hawaïen offre l'un des ciels les plus purs de la planète. Les concentrations mesurées avoisineront les 10 ppbv (soit dix molécules de méthane pour un milliard d'autres particules).

Comme si cela ne suffisait pas, au mois de mars 2004, l'Agence Spatiale Européenne (ESA) fait une annonce fracassante : le spectromètre infrarouge PFS qui équipe la sonde Mars Express aurait découvert des quantités très faibles (10 à 30 ppbv) de méthane dans l'atmosphère de Mars. De plus, selon les mesures, la concentration de méthane semble varier selon le temps ou la région observée, ce qui est assez inattendu. D'après les modèles de circulation atmosphériques, ainsi que les réactions photochimiques que l'on s'attend à trouver sur Mars, le gaz devrait effectivement être distribué de manière uniforme dans l'atmosphère. Enfin, les régions ou le gaz est détecté sont également riches en vapeur d'eau. La découverte est spectaculaire, mais, petit problème pour l'équipe de Mars Express, l'instrument PFS travaille aux limites de détection, et la raie d'absorption du méthane se distingue à peine du bruit de fond émis par l'instrument lui-même. La raie d'absorption est de plus très proche d'une autre grande raie, ce qui rend les interprétations délicates, et fait peser un doute légitime sur la validité des résultats.

Quoi qu'il en soit, malgré des valeurs mesurées très faibles et des instruments qui travaillent parfois aux limites de détection, en 2003 et 2004 l'identification de traces de méthane dans l'atmosphère martienne semble désormais une piste très sérieuse. Histoire d'avoir des résultats moins controversés que ceux du PFS de Mars Express, l'équipe du centre Goddard de la NASA va patienter plusieurs années avant de publier des résultats, mais lorsque ceux-ci sont rendus publics en 2009, le doute ne semble plus permis. Leurs travaux, les plus détaillés à ce jour (en attendant les données de l'orbiteur TGO appartenant au programme ExoMars de l'agence spatiale européenne), vont cependant plonger les scientifiques dans l'expectative.

Variabilité spatiale et temporelle du méthane martien

L'étude publié en 2009 par Michael Mumma montre que les zones enrichies en méthane sur le globe martien (jusqu'à 250 ppbv) sont distribuées à la fois dans l'espace, mais aussi dans le temps. Les bouffées de méthane apparaissent préférentiellement dans l'hémisphère nord au niveau de trois régions situées à l'ouest du grand bassin d'impact d'Isidis: Terra Sabae, Syrtis Major et Nili Fossae. L'activité gazière semble également saisonnière et se produire préférentiellement en été, les nuages de méthane se dissipant ensuite au fil des mois.

Ces observations sont intrigantes pour plusieurs raisons. La première, comme nous l'avons déjà évoqué, c'est que la variabilité géographique et temporelle des émissions de méthane est en pleine contradiction avec les réactions photochimiques auxquelles le méthane martien doit participer dans l'atmosphère martienne, ainsi que le brassage continuel de cette dernière autour du globe. Selon les spécialistes, les mécanismes de destruction photochimiques du méthane ne devraient pas être aussi efficaces, et la molécule devrait théoriquement survivre plusieurs centaines d'années, une période de temps suffisante pour que la circulation atmosphérique globale dilue le panache initial sur toute la planète, et uniformise la concentration dans l'air. Il est clair que des phénomènes fondamentaux ne sont pas encore compris par les spécialistes de la chimie atmosphérique de Mars.

Ensuite, il semble y avoir un lien assez fort entre les panaches de méthane et des bouffées de vapeur d'eau, comme si les deux molécules étaient émises en même temps, ou libérées par le même mécanisme. Sur ce sujet, les sites d'émission sont intéressants, car non seulement ils sont rapprochés les uns des autres, mais ils sont également tous riches en hydrogène et composés volatils (d'après les cartes effectuées par l'orbiteur Mars Odyssey), ou en minéraux hydroxylés (minéraux contenant des radicaux hydroxyles -OH). Dit autrement, et de manière un peu simplifiée, leur proche surface est riche en eau, que cette dernière soit libre dans le sol sous forme de glace, ou chimiquement lié à des minéraux.

Tout aussi remarquable, si Terra Sabae n'affiche aucune particularité géomorphologique notable (il s'agit de terrains très anciens datant du noachien), la région de Syrtis Major correspond à un volcan d'âge hespérien (3,6 à 3,1 milliard d'années), avec une surface recouverte de coulées de lave, et Nili Fossae est une région bordée de fossés tectoniques. Nili Fossae se caractérise également par une minéralogie très variée, avec plusieurs espèces d'argiles, mais aussi de l'olivine et de la serpentine, ainsi que des carbonates. Il pourrait donc y avoir une corrélation entre les dégagements de méthane, la présence d'eau, l'existence de certaines espèces minérales et une ancienne activité géologique ayant fracturé la croûte (volcanisme ou tectonique), les failles pouvant jouer à nouveau en provoquant l'émission.

Origine du méthane martien

La question la plus fondamentale que l'on peut se poser au sujet du méthane martien concerne bien entendu son origine, c'est à dire la nature de sa source. Pour mieux comprendre cette problématique, nous allons passer en revue les mécanismes, qui, sur Terre, sont responsables de la libération de méthane.

Le méthane est un gaz particulièrement important en exobiologie, car il est considéré comme un excellent marqueur du vivant. Sur Terre, ce gaz est effectivement majoritairement (à 90 %) issu de l'activité biologique. Il est relâché en permanence dans l'air par des micro-organismes méthanogènes, qui consomment du dioxyde de carbone (CO2) et libèrent en retour du méthane (CH4). Ces micro-organismes pullulent dans la panse des ruminants, dans le tube digestif des termites, et ils se trouvent également très à leur aise dans les zones marécageuses, les marais et les rizières, ainsi que dans tous les environnements méphitiques ou l'eau peut stagner (bassins de décantation, égouts, etc.). Tous ces milieux se caractérisent par une forte anoxie, c'est à dire une absence d'oxygène. Pour les microorganismes méthanogènes, cette molécule est effectivement un véritable poison.

Les germes méthanogènes se développent en général en compagnie d'autres espèces microbiennes, qui fournissent les composants nécessaires à la fabrication du méthane, ou au contraire qui se nourrissent en absorbant ce dernier. Dans ces associations microbiennes, il est donc possible de rencontrer des espèces qui, par fermentation, relâchent de l'hydrogène (H2), du dioxyde de carbone (CO2), de l'acétate et autres petites molécules organiques comme déchets. Les organismes méthanogènes utilisent alors ces produits du métabolisme pour obtenir de l'énergie et du carbone, les réactions impliquées aboutissant à la libération de méthane (CH4). Ce composé devient alors une aubaine pour les micro-organismes méthanotrophe, qui consomment avec avidité le méthane pour obtenir à leur tour de l'énergie et du carbone.

Les archées

La plupart des espèces pouvant synthétiser du méthane appartiennent au domaine singulier des Archées, un immense groupe d'êtres vivants qui renferme des microbes d'un genre un peu spécial, capables de réaliser des réactions chimiques inhabituelles et originales. Les Archées se distinguent également par une résistance à toute épreuve à la chaleur, au froid, à l'acidité ou à de fortes concentrations en sels, et on les retrouve fréquemment dans des milieux extrêmes, là ou d'autres formes de vie seraient incapables de survive.

Comme leurs cousins les procaryotes (qui forment un domaine au sein duquel se trouvent ce que l'on appelle couramment les bactéries), les archées possèdent une structure interne peu développée. Contrairement aux cellules eucaryotes plus évoluées que l'on rencontre chez les animaux ou les végétaux, les archées ne possèdent pas de noyaux où le matériel génétique est enfermé, ni de compartiments cellulaires spécialisés, ou encore de cytosquelette permettant une mobilité cellulaire. Cependant, par rapport aux bactéries "vraies", les cellules archéennes exhibent des différences significatives. Quand on les examine de près, et aussi étonnant et paradoxal que cela puisse paraître, les archées semblent plus proches des cellules sophistiquées du monde eucaryotes que des cellules simples des procaryotes. Le séquençage du génome de l'archée methanococcus janaschii a ainsi montré que 50 % des gènes ne pouvaient être retrouvés à la fois chez les procaryotes et les eucaryotes, ce qui confirme le fait que les archées sont vraiment des êtres à part. Si les archées sont des formes de vie fascinantes pour les biologistes, leur étude est rendue d'autant plus ardue que ce sont des organismes difficiles à cultiver en laboratoire.

Chez les archées, la méthanogenèse, c'est à dire la capacité à synthétiser du méthane, apparaît comme un caractère primitif. Il s'agit d'un métabolisme ancien quand on le replace dans l'arbre de l'évolution du vivant, comme si ce talent avait été vite jugé indispensable par la Nature il y a des milliards d'années, lorsque les premières formes de vie pouvaient se développer sur les surfaces planétaires tout jeunes des astres du système solaire. Les premières traces d'une activité méthanogène ont ainsi été identifiées dans des dépôts hydrothermaux datés de 3,46 milliard d'années et découverts dans la ceinture de roches vertes de Pilbara en Australie. L'analyse de fluides extraits d'inclusions dans des roches a permis la mise en évidence de méthane avec un delta 13C (δ13C) de -56 ‰ (rien de vraiment compliqué, voir ci-dessous), une valeur typique de celle trouvée pour du méthane synthétisé par des êtres vivants.

Le rôle du méthane dans l'histoire géologique de notre planète pourrait être fondamental. Le méthane est effectivement un gaz à effet de serre très puissant. Il est presque 4x plus efficace que le dioxyde de carbone (CO2), dont les rejets depuis le début de l'ère industrielle sont tenus pour responsable du réchauffement climatique de notre monde. Comme le dioxyde de carbone, le méthane s'avère donc très efficace pour retenir la chaleur émise par la surface terrestre, et l'empêcher de se dissiper dans l'espace. Son émission, par des micro-organismes, a sans doute permis à la Terre de conserver un climat chaud, propice à l'écoulement de l'eau liquide, au cours des immenses périodes des temps géologiques. Revers de la médaille, il est aussi tout à fait plausible que l'émission d'oxygène par les premiers micro-organismes photosynthétiques (à partir de 2,4 milliard d'années) ait conduit à une véritable catastrophe planétaire, transformant ce qui était un paradis en une boule de glace.

Effectivement, les micro-organismes méthanogènes ne tolèrent pas l'oxygène. Dès que ce gaz a commencé à être émis comme déchet de l'activité photosynthétique (qui consiste à utiliser du dioxyde de carbone et de l'eau pour fabriquer de la matière organique avec émission d'oxygène), les méthanogènes ont dû subir une extinction massive, et les rares survivants ont été forcés de migrer dans les rares environnements qui étaient encore anoxiques. Non seulement les sources de méthane se sont taries, mais en plus, tout le gaz qui était dans l'atmosphère terrestre a dû subir une oxydation quasi immédiate, pour se transformer en CO2. La baisse considérable du mécanisme d'effet de serre n'a pu qu'entrainer un refroidissement extrême de la planète, et d'immenses calottes glaciaires ont commencé à se développer depuis les pôles. Le pouvoir réflecteur de la glace d'eau (l'albédo) étant important, une plus grande quantité de rayons solaires ont été renvoyés vers l'espace, ce qui accentuait encore l'ampleur de la glaciation. C'est le scénario boule de neige, ou la Terre devient un monde englacé. Comme nous pouvons le voir, sur Terre le méthane n'est pas un composé anodin, mais une molécule qui peut à elle seule faire et défaire un monde.

Outre son rôle géologique, le méthane produit par les micro-organismes méthanogènes alimente également des écosystèmes étonnants dans les profondeurs de la croûte ou au fond des océans, qui n'ont été mis en évidence que très récemment, et dont l'importance semble chaque jour de plus en plus grande.

SLiME, ou la biosphère chaude des profondeurs

Plutôt que de proliférer dans l'humidité obscure de la panse d'une vache ou dans la vase noire d'un marais, certains microbes générateurs de méthane ont choisi de vivre dans les profondeurs de notre planète, dans les espaces chauds et reculés de la croûte terrestre ou océanique.

Les premiers germes spéléologues ont été mis en évidence au niveau du socle basaltique de la rivière Columbia dans l'Etat de Washington, au niveau de la zone dévastée des Scablands, qui servit d'ailleurs d'analogue martien durant la mission Pathfinder. Depuis, des micro-organismes méthanogènes ont été découverts jusqu'à 10 kilomètres sous la surface terrestre, dans des roches remontées par des forages. Qualifiés de chimiolithotrophes, ces microbes tirent leur énergie de substances inorganiques, comme l'hydrogène produit par l'altération de roches volcaniques par des fluides chauds, et utilisent le carbone présent dans le dioxyde de carbone (CO2) pour former du méthane.

Vivant dans des ténèbres permanentes, dans un milieu minéral très hostile ou les nutriments habituellement présents en surface sont très rares, ces germes possèdent un métabolisme très lent, et vivent au ralenti. Cependant, ils seraient tellement nombreux qu'ils formeraient une biomasse considérable. Regroupés sous l'acronyme amusant de SLiME (Sub-surface Lithoautotrophic Microbial Ecosystem), qui fait un peu penser aux fantômes gélatineux de Ghostbuster, ces micro-organismes, s'ils étaient tous subitement ramenés en surface, englueraient toutes les surfaces émergées de notre planète sous une couche visqueuse de 1,5 mètre d'épaisseur !

Les suintements froids

La découverte dans les années 1970 de cheminées hydrothermales au niveau des dorsales océaniques par plusieurs milliers de mètres de fond provoqua un véritable bouleversement en biologie, en renversant un grand nombre d'idées reçues quant à la sacro-sainte dépendance de la vie avec la lumière solaire. Au niveau des dorsales, là ou deux plaques lithosphériques s'écartent l'une de l'autre pour laisser place à du magma remontant des profondeurs furent découvertes d'imposantes cheminées minérales. Ces constructions naturelles peuvent atteindre 20 mètres de hauteur, et comme la gueule d'un dragon tourmenté par une sombre colère, crachent des vapeurs noires à une température de 350°C. Autour de ces édifices tout droit sorti d'un film de science-fiction s'étendent de véritables écosystèmes, à la base desquels vivent de nombreuses espèces microbiennes, qui servent de pitance à une foule d'autres animaux, des vers et des palourdes, mais aussi des poissons et des crabes.

Si ces cheminées hydrothermales sont fascinantes, les biologistes étaient loin de se douter que d'autres environnements tout aussi extraterrestres attendaient d'être découverts sur le plancher océanique. Il faut attendre 1984 pour que soit mis en évidence le premier suintement de méthane dans le Golfe du Mexique, au large de la Floride. Depuis, ces sources froides (ainsi nommées par comparaison avec les sources chaudes hydrothermales) ont été observées dans tous les océans du monde, et pas seulement d'ailleurs dans les zones abyssales, mais aussi parfois à proximité presque immédiate de la surface.

Les sources froides ne sont rien d'autres que des résurgences de méthane (ou d'autres hydrocarbures plus complexes, comme de l'asphalte par exemple) qui se répandent au fond de l'océan, sous la forme de glace ou de films visqueux et collants. Comme dans le cas des cheminées hydrothermales, ces suintements donnent naissance à un foisonnement spectaculaire d'êtres vivants, des oasis colorés sortis de nulle part, et qui se développent dans un environnement tout droit sorti du film Alien, qui semblait à priori hostile à la moindre forme de vie. Ces écosystèmes particuliers possèdent une biodiversité élevée, et comprennent de nombreuses espèces microbiennes, mais aussi des vers tubicoles, des moules et des palourdes.

Contrairement aux cheminées hydrothermales, restreintes par définition aux dorsales océaniques ou à l'arrière des zones de subduction, les suintements froids sont beaucoup plus fréquents. Ce sont également des systèmes bien moins éphémères que les cheminées hydrothermales, qui, quand elles cessent de fonctionner, entraînent la disparition de tout l'écosystème qu'elle fédérait. Certains vers tubicoles observés autour des suintements froids, comme le pogonophore Lamellibranchia luymesi, auraient ainsi atteint l'âge respectable de 250 ans.

Comment se forme un suintement froid ? Sous les zones de production primaire (c'est à dire les secteurs de l'océan ou la vie prolifère avec intensité en surface), d'importantes quantités de matières organiques, formées essentiellement de cadavres d'organismes planctoniques, se déposent au fil des millions d'années en couche épaisses. Ensevelie sous des sédiments, dans un milieu sans oxygène, la matière organique se décompose sous l'action de micro-organismes, ou de la pression et de la température, pour former du méthane. Quand ce dernier remonte vers le haut et se met à suinter (suite à des mouvements tectoniques ou des glissements de terrains), il est consommé par des micro-organismes, qui servent ensuite eux-mêmes de nourriture à une faune très spécialisée. Si la prolifération est assez importante, des organismes plus conventionnels, comme des gastéropodes, des gorgones et des ophiures finissent par élire domicile sur place.

Les suintements froids prouvent un point fondamental concernant le méthane. Même si, sur Mars, ce dernier n'a pas une origine biologique, sa seule présence peut permettre le développement de formes de vie. Son étude est donc essentielle pour comprendre le potentiel d'habitabilité de la planète rouge.

Le méthane comme biomarqueur

Sur Terre, l'activité des micro-organismes méthanogènes a une conséquence étonnante sur la chimie atmosphérique. L'air que nous respirons contient effectivement en permanence des traces de méthane (environ 1750 ppmv, soit une concentration 7000 fois plus importante que les valeurs les plus élevées jamais enregistrées dans l'atmosphère martienne), alors que ce dernier ne devrait pas y exister, à cause de la présence d'oxygène.

Effectivement, en présence de fortes concentrations d'oxygène (un gaz lui-même relâché par le vivant), le méthane est très rapidement oxydé en dioxyde de carbone. L'existence, dans l'atmosphère de la Terre, de méthane et d'oxygène côte à côte, est en violation flagrante avec l'équilibre chimique qui devrait normalement prévaloir. Selon James Lovelock, auteur de l'hypothèse Gaia, la planète Terre devrait être considérée comme un super organisme autonome, capable de réguler en permanence son environnement, et ce avec des conséquences étonnantes, qui sont particulièrement visibles dans l'atmosphère. Le vivant provoque des instabilités qui sont par ailleurs stables. Effectivement, non seulement le méthane parvient à coexister avec l'oxygène, mais de plus et paradoxalement, les concentrations de ces gaz sont également étonnamment stables dans le temps. Ce profond déséquilibre stable, entièrement dû à la vie, serait l'un des marqueurs les plus précieux d'une activité biologique, et sera recherché avec obsession par tous les planétologues au niveau des exoplanètes que l'on ne cesse de découvrir autour des étoiles de notre Galaxie.

Au vu de ce qui vient d'être dit, il est donc tout à fait plausible de considérer que les panaches éphémères de méthane observés sur Mars, par l'intermédiaire des observatoires terrestres ou directement sur place, depuis l'orbite (Mars Express) ou plus récemment depuis la surface (Curiosity), soit d'origine biologique.

Origines possibles du méthane martien

Deux scénarios sont alors possible. Premièrement, le méthane pourrait provenir de l'activité de microbes ayant vécu il y a très longtemps sur la planète rouge, et qui ont aujourd'hui disparu. Stocké dans le sous-sol (dans des poches de gaz ou sous la forme d'hydrates de gaz, voir ci-dessous), ce gaz, après avoir été enfermé pendant des milliards ou des centaines de millions d'années, serait aujourd'hui rejeté dans l'atmosphère suite à des changements de pression ou de température (mécanisme envisageable dans le cas de la déstabilisation des hydrates), ou après l'ouverture de failles. Une seconde hypothèse, plus excitante encore, serait de considérer que le méthane est encore aujourd'hui émis par des êtres vivants, par exemple des microbes psychrophiles (aimant le froid), survivant tant bien que mal dans le sol gelé (permafrost) de la planète.

Le méthane martien peut cependant avoir bien d'autres origines que celle que nous avons détaillée jusqu'à présent (rejet par des micro-organismes méthanogènes). L'une d'elles est également liée au vivant, mais de manière indirecte : il s'agit du méthane produit par la décomposition thermique de matériaux organiques fossiles d'origine biologique (comme le pétrole). Si ce scénario est très peu probable sur Mars, d'autres, qui ne passent pas par l'intervention du vivant, le sont bien plus : c'est notamment le cas du volcanisme, de l'apport extérieur par des comètes, et surtout de l'interaction entre des roches et des fluides chauds. Nous allons rapidement passer en revue ces différentes hypothèses.

Crackage de la matière organique fossile

Au cours de son histoire, la Terre a traversé des périodes favorables à l'enfouissement de très grandes quantités de matière vivante, en particulier des végétaux (algues et plantes vertes), dans le sol. Ensevelie sous d'épaisses couches de sédiments, cette biomasse s'est décomposée puis transformée pour donner naissance à des composés très riches en carbone, une matière noire et collante que les spécialistes appellent kérogènes.

Sous l'effet de la pression et de la température, les kérogènes peuvent se transformer en pétrole, et si le phénomène de maturation se poursuit, des quantités très importantes de gaz sont à leur tour libérées, dont le fameux méthane. Ce dernier s'infiltre et progresse alors dans les anfractuosités de la croûte, pour finir par s'accumuler sous la forme de gigantesques poches de gaz, qui excitent la convoitise de bien des pays. Extraits par des compagnies pétrolières, ce gaz de ville sert entre autre à chauffer quantité de foyers de par le monde.

Bien entendu, contrairement à ce qui se passe sur Terre,  le méthane martien ne peut pas provenir de la maturation thermique d'une biomasse enfouie sous des sédiments, étant donné que la planète rouge n'a jamais connu des conditions permettant un développement luxuriant de formes de vie plus ou moins évoluées, que ce soit des concentrations d'algues planctoniques ou des forêts de fougères géantes. Etant donné que Mars n'a jamais permis à des écosystèmes complexes de fleurir, les planétologues ne s'attendent donc pas à trouver des carburants fossiles (que ce soit du pétrole, du charbon, ou du méthane).

Un stockage original du méthane : les clathrates

Si le méthane peut s'accumuler sur Terre dans d'immenses réservoirs souterrains, il peut également être stocké sous une forme inhabituelle dans des milieux à basse température et haute pression, que l'on nomme clathrates.

Les clathrates, appelés aussi hydrates de gaz naturel, constituent des sortes de prison moléculaire, ou les cachots sont formés par un réseau complexe de molécules d'eau, et où le prisonnier n'être autre que le méthane. Cette glace qui a la propriété de brûler existe en vastes quantités au fond des océans, mais peut également se trouver au niveau des sols gelés des zones boréales (permafrost). Si les conditions environnementales changent (par exemple élévation de la température ou diminution de la pression), les clathrates peuvent se déstabiliser et relâcher d'immenses quantités de méthane. On estime qu'un mètre cube de clathrates peut libérer jusqu'à 165 m3 de méthane.

Or, comme nous l'avons vu plus haut, il se trouve que le méthane est un puissant gaz à effet de serre. Certains géologues estiment qu'au cours des temps géologiques, des périodes de réchauffement climatique ayant conduit à des extinctions massives d'êtres vivants seraient dues à la brusque libération de formidables nuages de méthane, suite à la décompression de champs de clathrates sous-marins par le jeu de la tectonique de plaques. C'est peut-être ce qui s'est produit il y a 250 millions d'années, lors de l'extinction du Permien, la plus massive de toute l'histoire géologique de notre planète. Sur Terre, les réserves en méthane stockés sous la forme de clathrates contiendraient deux fois plus de carbone que la totalité des gisements de pétrole, de gaz naturel et de charbon connus !

Si les clathrates ne disent rien de l'origine du méthane lui-même (ce dernier peut-être biogénique ou abiogénique), ils sont particulièrement intéressants dans le cas de Mars. Les observations réalisées sur la planète rouge laissent penser que le méthane est souvent émis en même temps que de la vapeur d'eau, or la déstabilisation de clathrates (qui ne sont donc pas autre chose que des cages moléculaires d'eau enfermant du méthane) enfouis en profondeur dans la croûte martienne pourrait tout à fait expliquer le relargage de ces deux molécules. Le fait que certains sites d'émission soient parcourus par des réseaux de fractures et de failles, qui permettraient aux gaz de rejoindre la surface, semble renforcer ce scénario. Il est donc possible que le méthane que l'on observe aujourd'hui sur Mars ait été fabriqué il y a des centaines de millions d'années, voir des milliards d'années, et ce par un mécanisme qui reste à préciser. Stocké dans la cryosphère dans ces prisons moléculaires que sont les clathrates, ce gaz fossile rejoindrait seulement maintenant l'atmosphère de Mars.

Notons pour terminer que les clathrates sont des composés qui pourraient être impliqués dans plusieurs phénomènes importants sur Mars. Ces prisons moléculaires pourraient stocker non seulement du méthane, mais aussi de vastes quantités de dioxyde de carbone (CO2). Suite à une déstabilisation, des quantités faramineuses de dioxyde de carbone pourraient être libérées, provoquant des avalanches, des ravinements et des glissements de terrains. Certaines formations géologiques martiennes, comme les fameuses ravines (gullies), pourraient ainsi s'expliquer par la volatilisation de clathrates.

Apport extérieur par les comètes

Le méthane est un gaz très répandu dans le système solaire. Lorsque ce dernier s'est condensé il y a 4,65 milliard d'années à partir d'un immense nuage de gaz et de poussière en rotation, d'énormes quantités de méthane étaient déjà présentes dans le secteur extérieur du disque d'accrétion, là où les températures étaient compatibles avec sa formation et sa stabilité. Bien entendu, l'apparition de méthane dans l'espace interplanétaire n'impliquait aucun être vivant.

De multiples analyses spectrométriques ont détecté la présence de méthane dans la glace sale des comètes, et sur Titan, le plus gros satellite de Saturne, le méthane existe non seulement dans l'atmosphère, mais il tombe également en pluie à la surface et va même jusqu'à former des lacs. Il s'agit également un composé très courant et majoritaire sur Neptune et son satellite Triton.

Il est donc tout à fait logique de penser que les panaches de méthane détectés sur Mars pourraient n'être dus qu'à un apport externe, exogène. En tombant sur Mars, des micrométéorites, des astéroïdes et surtout des comètes pourraient y apporter du méthane. Cependant, en ce qui concerne les comètes, de tels impacts sont rares, et ils auraient dû avoir eu lieu récemment. Or les planétologues n'ont pas observé de traces d'impacts récents au niveau des secteurs émettant du méthane, et à moins de compter sur une volatilisation totale du noyau cométaire lors de la traversée de l'atmosphère, l'hypothèse exogène n'est donc que peu crédible. De la même manière, un réapprovisionnement de l'atmosphère martienne en méthane par des impacts de micrométéorites ou de météorites ne paraît pas possible, à cause du très faible volume de gaz libéré de cette façon.

Décharges électriques dans l'atmosphère

Les orages pourraient également être responsables de la production de méthane sur Mars. Un groupe de chercheurs a ainsi découvert que des bouffées de méthane pourraient être produites dans un mélange gazeux de composition similaire à celle de l'atmosphère martienne (dioxyde de carbone avec de petites traces d'azote et d'argon) quand des cristaux de glace sont foudroyés par des éclairs électriques. Lors des tempêtes de poussière, ou à l'intérieur des tourbillons de poussières, les particules de poussière s'entoureraient de charges électriques au point de pouvoir générer des éclairs, qui interagiraient alors avec des cristaux de glace présents dans les nuages.

En novembre 2016, le petit module d'atterrissage Schiaparelli de la sonde européenne TGO aurait dû effectuer pour la première fois des mesures électriques dans l'atmosphère de Mars grâce au capteur m-ARES (l'engin s'est malheureusement écrasé en surface après une chute libre de plusieurs kilomètres). Cependant, il est peu probable que les éclairs soient la source des panaches de méthane observés sur la planète rouge. Ce mécanisme de formation n'explique effectivement pas le lien observé entre les bouffées de méthane et les enrichissements en vapeur d'eau. La quantité générée de cette manière ne semble pas non plus suffisante pour justifier les concentrations mesurées par les spectromètres.

Volcanisme

Une autre source de méthane abiogénique pour Mars touche au volcanisme. Effectivement, le méthane est un gaz couramment recraché par des volcans ou au niveau de zones montrant une activité hydrothermale (circulation d'eau réchauffée par des poches de magma). Jusqu'à présent, aucune coulée de lave ou nuage de cendre n'a jamais été observé en surface, et les images thermiques acquises par les spectromètres infrarouges sensibles à la chaleur, comme le spectromètre TES de la sonde Mars Global Surveyor ou l'instrument THEMIS de la sonde Mars Odyssey n'ont jamais permis d'identifier des points chauds, y compris durant les observations de nuit, lorsque le sol est glacial. De surcroît, aucune molécule contenant du soufre généralement associée au volcanisme (comme l'hydrogène sulfuré ou le dioxyde de soufre) n'a pour l'instant été détecté dans l'atmosphère.

S'il semble donc bien que tous les volcans de la planète Mars soient inactifs, une activité volcanique pourrait cependant toujours subsister dans les profondeurs de la croûte. On peut imaginer qu'il existe encore des endroits où du magma se déplace, pour s'accumuler dans une chambre magmatique. La poche de chaleur ainsi créé pourrait mettre en mouvement des fluides riches en eau, générant une activité hydrothermale avec son cortège de manifestations chimiques. Par le biais de failles ou de fractures, des gaz pourraient se frayer un chemin à travers la croûte, et éventuellement parvenir en surface, ou ils se mélangeraient alors avec l'atmosphère. Reste que sur Terre, le méthane est un composant mineur du volcanisme, et que d'autres espèces, comme la vapeur d'eau, le dioxyde de carbone ou l'hydrogène sulfuré sont très largement majoritaires.

Au final, l'activité volcanique n'est donc sans doute pas l'explication des panaches éphémères de méthane observés sur Mars. Un autre phénomène, lui aussi d'origine géologique et n'impliquant pas la vie, est par contre beaucoup plus probable.

Serpentinisation de l'olivine

Dans l'étude du méthane martien, un mécanisme géologique peu connu a pris au fil des années une importance de plus en plus grande. Il s'agit de l'altération d'un minéral, l'olivine, par la percolation d'eau chaude. L'olivine se rencontre fréquemment dans les laves basaltiques mais aussi dans d'autres roches très riches en fer et magnésium, comme les péridotites. Au niveau de certains secteurs de la croute océanique terrestre, comme les dorsales océaniques, d'importants volumes de basaltes et de péridotites sont mis au contact avec une eau très chaude, portée à plusieurs centaines de degrés, ce qui produit du méthane.

La réaction impliquée dans ce phénomène, appelé serpentinisation (car il y a formation du minéral serpentine) est connue des chimistes sous le nom de synthèse de Fischer-Tropsch ou réaction de Sabatier. Elle fut découverte par le chimiste français Paul Sabatier, ce qui lui valut un prix Nobel à cause du rôle immense joué par cette réaction dans l'industrie chimique.

Le principe de cette réaction consiste à faire réagir de l'hydrogène (H2) avec du monoxyde de carbone (CO) ou du dioxyde de carbone (CO2) en présence d'un catalyseur (généralement des oxydes de fer), pour former du méthane. Or cette réaction peut tout à fait avoir lieu naturellement dans des environnements soumis à des hautes températures et pressions, pour peu qu'il y ait de l'eau, de l'olivine, et du CO2.

Tout commence avec le minéral olivine, un silicate assez simple de fer et de magnésium de couleur jaune/vert, très présent dans certaines roches volcaniques comme nous l'avons dit, et qui est aussi parfois utilisé en joaillerie. L'olivine est un minéral très sensible à l'eau, et lorsque cette espèce minérale est placée au contact d'eau surchauffée, elle donne naissance à de la serpentine et de l'hydrogène. Ce qui est très intéressant, c'est que simultanément, une partie du fer présent dans l'olivine se transforme en magnétite, un oxyde de fer de formule Fe3O4. Or la magnétite est justement un catalyseur de la réaction de Fischer-Tropsch. En sa présence, l'hydrogène libéré peut donc réagir avec du CO2 pour former du méthane.

En chimie prébiotique, domaine de la chimie qui s'intéresse à la formation des premières molécules biologiques ayant permis l'apparition de la vie, la réaction que nous venons de décrire est d'une importance fondamentale, car elle pourrait tout à fait avoir été il y a des milliards d'années la voie privilégiée suivie par la Nature pour synthétiser les molécules organiques indispensables à l'émergence du vivant. Effectivement, en plus du méthane, d'autres hydrocarbures plus gros et plus complexes peuvent être produits au fur et à mesure. D'un autre côté, cette réaction purement chimique pourrait aussi tout à fait expliquer le relargage de méthane dans l'atmosphère martienne. Ainsi, l'un des secteurs au-dessus duquel une plume de méthane a été observée, Nili Fossae, est comme par hasard riche en olivine et en serpentine. Des carbonates de magnésium affleurent également en surface.

Comment déterminer l'origine du méthane martien?

Signatures isotopiques

Au vu des différentes - et nombreuses - origines possibles du méthane sur Mars, il devient légitime de se poser la question de savoir s'il existe des moyens fiables de les séparer les unes des autres. Si l'on veut avancer sérieusement sur la question du méthane martien, il convient en particulier d'être capable de distinguer le méthane formé sans intervention du vivant, par des mécanismes purement physico-chimiques, d'un méthane synthétisé par des formes de vie.

Sur Terre, l'origine du méthane est historiquement déterminée grâce à la signature isotopique du carbone. Environ 99 % du carbone présent sur notre planète existe sous la forme de carbone 12, soit l'atome "classique" de carbone, composé de six protons et six neutrons. Le 1 % restant regroupe l'isotope de carbone 13, qui possède un neutron supplémentaire par rapport au carbone 12, ainsi que le carbone 14, qui se caractérise quant à lui par deux neutrons supplémentaires, toujours par rapport à la référence que constitue le carbone 12. Contrairement au carbone 13, le carbone 14 n'est pas un isotope stable : il est radioactif, et au bout d'une période de temps suffisamment longue, il finit par se décomposer spontanément. Si le carbone 14 est très utile pour effectuer des datations, il n'offre aucun intérêt pour le sujet qui nous intéresse, la détermination de l'origine du méthane.

Selon que le méthane est produit par des mécanismes biologiques ou au contraire abiogéniques (géologiques), le rapport entre le nombre de molécules de méthane comportant un carbone 12 et le nombre de molécules de méthane comportant un carbone 13 n'est pas le même. La vie, dont j'aime dire qu'elle recherche toujours à travailler avec le maximum d'économie, ne va pas s'embêter à utiliser le carbone 13, plus lourd que le carbone 12. Les êtres vivants favorisent donc plus la variété de carbone la plus légère, c'est à dire le carbone 12, au détriment de l'autre isotope stable du carbone, le carbone 13. Au contraire, les autres processus de fabrication du méthane, comme la maturation de la matière organique ou la serpentinisation de l'olivine, intègrent de plus grande quantité de carbone 13, dont le taux montre ainsi un enrichissement.

Pour faciliter la communication, les spécialistes du monde entier se sont mis d'accord pour définir une valeur appelée delta 13C (δ13C). Il s'agit simplement de la différence du rapport entre le carbone 13 et le carbone 12 dans un échantillon donné, calculé par rapport à un standard reconnu internationalement (la calcite, ou carbone de calcium, d'un rostre de bélemnite d'une formation géologique située au Etats-Unis). Les appareils capables de mesurer le delta 13C sont conçus pour soupeser avec une grande précision les molécules et atomes. Même si la différence entre un carbone 12 et un carbone 13 n'est que d'un neutron, les instruments dont nous parlons ici, des spectromètres de masse, sont suffisamment sensibles pour faire la différence, une prouesse qui reste impressionnante, même à notre époque. A titre d'exemple, par rapport aux carbonates qui servent de référence, le carbone présent dans de la matière organique fabriquée par photosynthèse se caractérise par un δ13C variant entre -15 ‰ et -30 ‰. Les valeurs sont encore plus importantes si le carbone incorporé dans la matière organique est issu de l'action d'organisme méthanogène : jusqu'à - 60 ‰.

Cependant, la méthode qui consiste à mesurer le rapport entre le carbone 12 (12C) et le carbone 13 (13C ) dans les molécules de méthane ne fournit pas toujours des résultats fiables, car entre un mécanisme biologique et un mécanisme abiogénique, il peut malheureusement y avoir des recouvrements. Pour résoudre les cas ambigus, les biologistes ont alors eu l'idée d'utiliser la même technique, mais cette fois ci pour l'hydrogène.

Comme le carbone, l'atome d'hydrogène possède plusieurs isotopes. Etant l'atome le plus simple de l'Univers (le noyau de sa variété majoritaire ne comporte qu'un seul proton), l'hydrogène peut toutefois aussi exister sous la forme de deutérium (un proton et un neutron), ou de tritium (un proton et deux neutrons). Mais là encore, même en couplant la mesure du delta 13C (δ13C) du carbone contenu dans le méthane avec celle du delta D (noté aussi δ2H, soit la différence entre le rapport Deutérium/Hydrogène de l'hydrogène du méthane et le rapport Deutérium/Hydrogène d'un standard international), il n'est pas toujours possible de définir l'origine de la molécule.

La partie est-t-elle perdue d'avance ? Non, car les chercheurs peuvent encore s'appuyer sur la combinaison des formes isotopiques du carbone et de l'hydrogène au sein de la même molécule de méthane (on nomme isotopologue toute molécule de méthane qui inclut dans sa structure un ou plusieurs isotopes, pour le carbone ou l'hydrogène). Si, dans un panache de méthane, une molécule de méthane sur 100 contient un carbone 13 à la place d'un carbone 12, et si, dans le même temps, une molécule de méthane sur 10 000 contient un deutérium à la place d'un hydrogène, il existe aussi des quantités infimes de molécules de méthane qui contiennent à la fois un carbone 13 et au moins un hydrogène remplacé par un deutérium. La quantité de ces molécules "multi-isotopes" pourraient être suffisamment éloquente pour permettre de distinguer à coup sûr une origine biologique d'une origine abiogénique, à condition bien sûr de pouvoir effectuer des mesures avec suffisamment de sensibilité.

Enfin, il existe également une autre possibilité pour identifier l'origine du méthane. Quel que soit le processus responsable de sa fabrication, ce gaz n'est effectivement pas relâché de manière isolé. Il est effectivement toujours environné par des gaz compagnons, dont la nature peut-être très parlante. Ainsi, au niveau du plancher océanique terrestre, le méthane produit biologiquement est souvent accompagné par de l'éthane, avec un rapport méthane/éthane particulier. L'éthane peut aussi être produit par la réaction de synthèse de Fischer-Tropsch (voir plus haut), mais le rapport méthane/éthane ne sera pas le même. De la même manière, le méthane recraché par les volcans se déplace dans l'air au milieu de molécules de dioxyde de soufre (SO2). La sonde TGO du programme ExoMars de l'Agence Spatiale Européenne (ESA) embarque une batterie de spectromètres qui sont chargés de traquer d'infimes quantités de ces gaz compagnons, et ses résultats sont d'ores et déjà attendus avec impatience, même si le premier bilan est pour le moins décevant (voir ci-dessous).

L'énigme des puits

Si la détermination de la nature des émissions de méthane sur Mars est essentielle, une autre question tout aussi centrale est liée à ce que les spécialistes appellent les puits, c'est à dire les mécanismes prenant place dans l'atmosphère ou en surface et conduisant à la destruction du méthane en question.

Comme nous l'avons déjà évoqué en introduction, d'après nos modèles actuels de l'atmosphère martienne, sous l'action des seuls rayons du soleil (en particulier des ultra-violets), la molécule de méthane (CH4) devrait subir une oxydation pour donner naissance à du dioxyde de carbone (CO2). Sur la planète Mars, ce mécanisme serait très lent, et prendrait environ 300 ans. Etant donné le brassage vigoureux auquel l'air martien est soumis, toute émission de méthane devrait donc donner naissance à un nuage qui se retrouverait assez vite dilué sur toute la planète, et ce bien avant que les réactions de destruction ne puissent aboutir à une disparition d'une partie du méthane.

Or, si l'on se réfère aux différentes observations effectuées, que ce soit depuis la Terre, l'orbite ou la surface de Mars, ce n'est pas ce que l'on observe. La concentration du méthane martien, bien loin d'être homogène, varie clairement selon les régions, et change dramatiquement dans le temps sur des périodes de quelques mois à peine. L'étude des réactions photochimiques ayant lieu au sein d'une atmosphère planétaire est très complexe, et il semble évident qu'en ce qui concerne Mars, certains aspects cruciaux échappent encore aux chercheurs.

Il semble donc logique de considérer qu'un autre processus de destruction, pour l'instant inconnu, doit être à l'œuvre sur Mars, et posséder une efficacité des centaines de fois supérieure à celle de la photodissociation par les UV. L'efficacité de ce processus implique également, en conséquence, l'existence de sources très actives, capables d'injecter régulièrement de fortes quantités de méthane dans l'air martien.

Quels sont les mécanismes qui pourraient expliquer une destruction aussi rapide du méthane ? Certains scientifiques pensent qu'au contact du sol martien, riche en molécules oxydantes comme l'eau oxygénée (H2O2) ou les perchlorates (découverts par la sonde Phoenix en 2008 et confirmés par Curiosity), le méthane pourrait s'oxyder en méthanol, puis en formaldéhyde (plus connu sous le nom de formol, et détecté par Mars Express).

D'autres pensent qu'une multitude de petits arcs électriques pourraient détruire le méthane dans l'atmosphère (un mécanisme aussi envisagé pour la formation de ce gaz). Sur Mars, le composant majoritaire de l'atmosphère, le dioxyde de carbone (CO2) est effectivement à une pression optimale pour permettre son ionisation par des champs électriques (ce qui pose d'ailleurs problème pour la conception de certains instruments). Le frottement incessant des innombrables particules de poussière en suspension dans l'air provoquerait l'apparition de charges positives et négatives, et donc la naissance de champs électriques, qui deviendraient suffisamment puissants pour permettre des décharges sous forme d'arcs électriques. Là encore, l'expérimentation m-Ares du module Schiaparelli de la mission ExoMars aurait dû nous permettre d'en apprendre plus sur les phénomènes d'électrification de l'atmosphère martienne. Enfin, certains scientifiques ont émis l'hypothèse que le méthane pourrait tout simplement, au bout d'un certain temps, se re-condenser en hydrates de gaz (clathrates).

Le méthane des météorites (martiennes ou autres)

La découverte du méthane dans l'atmosphère de Mars a donné lieu à des recherches tout azimut, et les météorites martiennes, ces roches martiennes éjectées de la surface de la planète rouge par des impacts puissants et récupérées sur Terre, n'ont pas échappées à la frénésie. Même dans ces précieux cailloux célestes, les chercheurs essayent de traquer le fameux méthane !

En broyant de petites quantités de matériaux prélevés à l'intérieur de six météorites martiennes (pour éviter tout problème de contamination par du méthane terrestre, la surface des roches est ignorée) et en mesurant les gaz émis, une équipe de scientifiques a effectivement observé des dégagements de méthane. Les météorites martiennes qui ont été étudiées sont les suivantes : il s'agit de quatre nakhlites (Nakhla, Yamato 000749, NWA 5790 et MIL 03346) et de deux shergottites (Zagami et Los Angeles 002).

Les mesures effectuées n'ont pas permis de mesurer le taux des isotopologues (ces molécules de méthane qui comprennent des isotopes de carbone et/ou d'hydrogène, voir plus haut). Les chercheurs ne se sont donc pas prononcés sur l'origine du méthane, même si ce dernier provient sans doute de l'altération en serpentine de cristaux d'olivine, un minéral rencontré très fréquemment dans les météorites martiennes, non seulement dans les shergottites (que l'on peut considérer en simplifiant à l'extrême comme des laves volcaniques), mais aussi et surtout dans les nakhlites.

Cependant, et c'est un point que nous avons déjà soulevé, le simple fait que du méthane soit disponible dans la croûte martienne (dont les météorites martiennes représentent des échantillons) est une très bonne nouvelle pour les exobiologistes. Comme nous l'avons vu avec l'exemple surprenant des suintements froids, cette molécule est une excellente source à la fois de carbone et d'énergie pour les êtres vivants, et dans les profondeurs de la croûte martienne  le méthane pourrait, comme au fond des océans terrestres ou des fractures des continents terrestres, constituer le socle d'écosystèmes microbiens spécialisés.

D'autres expérimentations ont eu lieu avec la météorite de Murchison, une chondrite carbonée provenant de la ceinture d'astéroïdes située entre Mars et Jupiter. Placée dans des conditions simulant la surface de Mars et bombardée par un rayonnement ultraviolet, une fraction non négligeable de la matière organique fut convertie en méthane. Ce qu'il y a d'intéressant, c'est que la détermination du rapport isotopique de l'hydrogène du méthane (δ2H) prouve de manière certaine qu'il provient bien d'un matériau d'origine extraterrestre. Par contre, la mesure du delta 13C (δ13C) indique des valeurs équivalentes à celles obtenues pour une origine microbienne terrestre, ce qui est impossible ici, puisque la météorite de Murchison renferme une matière organique formée il y a 4,65 milliards d'années dans le disque d'accrétion du système solaire, en l'absence de toute forme de vie. L'étude montre donc les limites de la mesure du delta 13C pour la détermination de l'origine du méthane.

Mise en présence de perchlorates, une molécule très oxydante dont la présence a été détectée dans le sol martien par la sonde Phoenix au pôle nord puis par Curiosity à l'équateur, la même météorite de Murchison a émis du chlorométhane, une molécule de méthane ou l'un des atomes d'hydrogène est remplacé par un atome de chlore (provenant des perchlorates). Là encore, la détermination du δ13C et du δ2H confirme l'origine extraterrestre du chloro-méthane, formé à partir de matériaux organiques extraterrestres. Cette expérience prouve qu'un apport exogène de méthane sur Mars par des météorites carbonées exposées à l'action des perchlorates du sol est donc tout à fait possible. Si comme nous l'avons noté, les quantités libérées durant l'ablation atmosphérique ne permettent pas d'expliquer les volumes observés, celles fournies par la décomposition de la matière organique par les ultraviolets ou des molécules oxydantes sont déjà plus significatives.

Sur Mars, la recherche continue

Sur la planète rouge, la chasse au méthane est ouverte, et tout le monde essaye d'apporter sa contribution, avec l'espoir de réaliser une percée majeure. C'est ainsi que le spectromètre d'émission thermique (TES) de la sonde Mars Global Surveyor, qui a cessé de donner des signes de vie en novembre 2006, a rejoint tardivement, et à titre posthume, la partie. Sensible au rayonnement infrarouge, cet instrument a peut-être collecté des données passées inaperçues mais utilisables pour avancer sur la problématique de ce gaz élusif et énigmatique qu'est le méthane martien. Les scientifiques ont donc commencé à fouiller dans les bases de données spectrales de la mission, pour tenter d'y dénicher une pépite.

Curiosity

L'un des engins d'exploration martiens les mieux équipés pour étudier le méthane n'est autre que le laboratoire mobile Curiosity, actuellement en action dans le cratère d'impact Gale, qui a accueilli il y a des milliards d'années un ancien lac. Après les premières détections en 2003/2004 par les télescopes terrestres et le spectromètre PFS de la sonde Mars Express, les scientifiques n'attendaient plus qu'une chose : que de nouvelles mesures indépendantes de celles déjà réalisées aient lieu, pour lever définitivement le doute sur la détection, à l'époque élusive, de ce gaz. Tous les yeux se sont alors tournés vers Curiosity.

De nombreux espoirs reposaient effectivement sur l'instrument TLS (un spectromètre laser réglable) équipant le laboratoire d'analyse SAM du rover. Dans son principe, le TLS est bien adapté à la mesure de très petite quantité de méthane. L'instrument est en fait tellement sensible qu'il peut même théoriquement distinguer les isotopologues dont nous avons déjà parlé, c'est à dire des molécules de méthane formées non pas par l'union des variétés de carbone et d'hydrogène classiques, mais renfermant au contraire des isotopes du carbone (carbone 13) et/ou de l'hydrogène (deutérium).

L'instrument TLS est constitué d'une chambre, appelée cellule d'Herriott, dans laquelle un échantillon de gaz à analyser est introduit. Grâce à un jeu de miroir, un faisceau laser traverse la chambre à de multiples reprises, rebondissant de multiples fois (81 très exactement) sur les parois, avant d'être finalement envoyé vers un spectromètre. Grâce à cette astuce, le trajet optique, c'est à dire l'épaisseur du milieu traversé par le laser, peut être considérablement agrandi. Si la cellule d'Herriott ne mesure que quelques dizaines de centimètres de longueur, le laser va traverser au total une colonne d'air de plus de 16,8 mètres, ce qui a pour effet de renforcer toute absorption des photons du laser par les molécules de méthane recherchées. La longueur d'onde du laser peut de plus être modifiée de manière précise pour correspondre précisément à celle préférentiellement absorbée par telle ou telle espèce chimique.

Après l'atterrissage spectaculaire de Curiosity en août 2012 dans le cratère d'impact Gale, la NASA annonça tout d'abord une absence de méthane dans l'air martien. Les concentrations mesurées étaient nulles, ou en dessous du niveau de détection  (0,69 ± 0,25 ppbv). Il pouvait aussi s'agir d'un bruit de fond, facilement expliqué par les scientifiques, et il eut été très étonnant que l'atmosphère martienne soit totalement dépourvue de méthane. Effectivement, comme c'est le cas pour la Lune, la surface de Mars est ensemencée en permanence par une pluie de micrométéorites carbonées, dont la dissociation sous le rayonnement ultraviolet solaire (ou les perchlorates) libère des quantités infimes, mais bien réelles, de méthane.

Deux années plus tard, en 2014, l'agence spatiale américaine (NASA) finit cependant par se raviser, et déclara finalement que Curiosity avait mis en évidence une quantité très faible de méthane dans l'air martien : environ 7,2 parties par milliard (+/- 2,1 ppbv), soit une valeur dix fois supérieure au seuil de détection du TLS, et cohérente avec celles mesurées par le PFS de Mars Express ou les télescopes terrestres sur la période 2003/2004. Deux bouffées très claires de méthane furent en particulier observées autour des sols 300 et 500. L'importance du volume du gaz libéré lors de ces deux événements, ainsi que la faible durée de vie des panaches, suggère fortement une origine locale, autour ou à l'intérieur du cratère Gale. Cependant, la nature exacte du processus responsable des panaches demeure jusqu'à aujourd'hui inconnue.

Plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer la validité des mesures effectuées par le rover Curiosity. Pour certains, l'atmosphère régnant à l'intérieur de l'instrument SAM contient effectivement une concentration en méthane 1000 fois supérieure à celle mesurée dans l'atmosphère martienne, une situation due à une contamination inévitable par de l'air terrestre. Les responsables de l'instrument ont cependant répondu qu'il était nécessaire de regarder la quantité totale de méthane observé, et non pas seulement sa concentration. Si la concentration de méthane terrestre à l'intérieur du rover est importante, le volume contenu dans la cellule de mesure d'Herriott, et donc sa quantité, est très faible. Or, selon eux, pour expliquer la quantité détectée dans l'atmosphère martienne, il aurait fallu faire fuir à l'intérieur du rover une bouteille de méthane pur. Les mesures réalisées par le laboratoire robotique Curiosity semblaient donc solides.

Le 1er avril 2019, elles furent définitivement confirmées par la NASA et l'agence spatiale européenne (ESA). En ré-analysant les données collectées par Mars Express, l'équipe de l'instrument PFS a découvert la présence de 15 ppbv de méthane dans l'atmosphère martienne le 16 juin 2013. Un jour auparavant, Curiosity avait détecté du méthane à hauteur de 6 ppbv. C'est la première fois qu'une mesure in-situ, à la surface de Mars, est confirmée par une détermination orbitale. En réalisant des simulations, des chercheurs pensent avoir circonscrit la zone d'émission : il s'agirait du secteur d'Aeolis Mensae, situé à environ 500 kilomètres du cratère Gale où opère Curiosity. Ce secteur est notamment caractérisé par la présence de failles tectoniques, et par la présence de glace souterraine. Déstabilisée par une éventuelle secousse sismique issue du rejeu des failles, une petite bouffée de méthane s'est peut-être échappée de la glace ou d'un dépôt de clathrates.

Mangalyann et ExoMars (TGO)

Dans les années à venir, deux missions spatiales devraient jouer un rôle très important dans la quête du méthane martien. En novembre 2013, l'Inde a lancé sa première sonde martienne, Mangalyaan. L'engin, qui n'a couté qu'une fraction du prix des sondes américaines ou européennes, s'est placé avec succès en orbite autour de la planète rouge en septembre 2014, et a débuté sa phase d'observation scientifique. S'il s'agit d'abord et avant tout d'un démonstrateur technologique, le satellite indien est néanmoins équipé d'un instrument spécialement conçu pour détecter du méthane. Le MSM (Methane Sensor for Mars), un interféromètre Fabry-Pérot, possède une sensibilité de l'ordre de la partie par milliard (ppvb). Il collecte des données sans interruption depuis le mois de mai 2015, mais aucun résultat n'a encore été pour l'instant communiqué.

En mars 2016, l'agence spatiale européenne (ESA) a envoyé avec succès vers Mars un orbiteur (Trace Gas Orbiter) entièrement dédié à l'étude de composés gazeux présents à l'état de traces dans l'atmosphère martienne. Parmi les molécules ciblées par les nombreux spectromètres qui équipent TGO, le méthane figure en très bonne place.

L'objectif de ces nouvelles missions est non seulement de confirmer définitivement la présence de méthane, mais aussi et surtout de réaliser une cartographie précise, spatiale et temporelle, de sa répartition sur le globe martien. L'identification des secteurs d'émission (sources) et de disparition (puits) est hautement prioritaire.

Au-delà de mesures isotopiques précises, l'énigme du méthane martien ne pourra sans doute être pleinement résolue qu'au travers de la caractérisation du contexte géologique des zones d'émissions, et de la recherche de gaz compagnons présents à l'état de traces. L'idéal serait de pouvoir relier une zone d'émission avec des particularités visibles en surface, et de caractériser la cohorte de molécules gazeuses accompagnant les dégagements de méthane.

La détermination du contexte géologique de n'importe quelle région de Mars est en bonne voie, et ce à une échelle toujours plus petite. Grâce à une foule d'instruments comme les altimètres, les caméras visibles, les spectromètres infrarouge spécialisés dans la minéralogie, les spectromètres à neutrons adaptés à la recherche de la glace, et d'autres dispositifs comme les radars, nous pourrons bientôt aisément relier une source d'émission de méthane à la présence de bouches ou de fissures volcaniques, d'un affleurement nu de serpentine, ou bien encore à l'existence de lentilles de glace souterraines. L'activité sismique, qui pourrait provoquer des émissions de méthane, peut de plus être désormais caractérisée grâce à l'arrivée de la sonde InSight en novembre 2018 et au déploiement réussi de son sismomètre ultra-sensible, SEIS.

L'étude précise des gaz compagnons pose un challenge plus important. Ces derniers pourraient être aussi bien des marqueurs d'une activité biologique (c'est par exemple le cas de l'ammoniac ou du formaldéhyde, relâché par des bactéries méthanotropes capables de consommer du méthane, ou encore de l'éthane), d'une activité volcanique (composés soufrés comme l'hydrogène sulfuré à l'odeur d'œuf pourri, le dioxyde de carbone ou l'acide sulfurique), ou encore des produits de la dégradation du méthane par l'intermédiaire de réactions photochimiques ayant lieu dans l'atmosphère (l'exemple typique est encore le formaldéhyde, qui devrait apparaître dans les zones de destruction du méthane, ou le méthanol).

Dans ce domaine, toute la difficulté consiste alors à concevoir des appareils ou des techniques capables de distinguer sans ambigüité ces molécules, même lorsque ces dernières sont présentes en quantité infime. Le pouvoir de résolution des différents spectromètres, c'est à dire leur capacité à pouvoir séparer les raies d'absorption des molécules recherchées, qui souvent se chevauchent, fera toute la différence. De ce point de vue, les données de la sonde européenne Trace Gas Orbiter sont attendues avec une grande impatience, et il est possible que cet orbiteur du programme ExoMars devienne une pièce maitresse dans l'histoire de l'exploration martienne. Pourtant, les premiers résultats sont particulièrement vexants pour les planétologues impliqués dans la mission. Depuis le début de sa campagne d'observations scientifiques en avril 2018, le satellite n'a détecté aucune trace de méthane dans l'atmosphère martienne, et ce alors même que Curiosity a détecté en juin 2019 une émission particulièrement importante (21 ppbv), sans que l'on puisse savoir si ce méthane est d'origine biologique ou géologique, ou s'il est récent ou très ancien. Pourquoi TGO n'a-t-il rien vu ? Mystère ...

MOXIE en guise de conclusion

La quête aux molécules de méthane sur Mars est désormais lancée, et nous allons avoir le privilège de la suivre en direct dans les prochaines années. Rien ne permet de dire pour l'instant où l'avenir va nous conduire, même si une certitude demeure. Inéluctablement, même si le méthane martien ne s'avère être qu'un leurre, l'homme finira par en produire là-bas.

En 2020, la NASA lancera vers la planète rouge le frère jumeau de Curiosity. Ce nouveau rover embarquera une expérimentation inédite baptisée MOXIE, sensée préparer le débarquement de l'homme sur Mars, et basée sur l'expérience MIP de la mission Mars Surveyor 2001, annulée à la suite de la perte désastreuse de la sonde Mars Polar Lander en 1999 au-dessus du pôle sud martien.

MOXIE (Mars OXygen In situ resource utilization Experiment) va permettre de tester la fabrication d'oxygène à partir du CO2 présent dans l'atmosphère. En combinant une dissociation thermique à haute température (800°C) et une électro-catalyse, MOXIE va extirper de la molécule de dioxyde de carbone les atomes d'oxygène, pour produire du dioxygène (O2). Ce dernier servira non seulement pour les systèmes de support de vie, mais aussi comme comburant pour les fusées. Si l'expérience va s'arrêter là, le monoxyde de carbone rejeté comme déchet pourrait théoriquement servir à fabriquer ensuite du méthane, qui pourrait alors être utilisé comme carburant pour alimenter des moteurs fusées.

D'une manière ou d'une autre, que ce soit en fournissant des indices essentiels à la découverte de formes de vie martiennes, ou en alimentant nos fusées, pour des missions de retour d'échantillons ou des missions habitées, le méthane jouera à coup sûr un rôle clé dans l'histoire passionnante et mouvementée de l'exploration de la planète rouge. Comme quoi, quand il s'agit de molécules, la taille ne fait pas la différence.

Pour en savoir plus :

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Dès le début de l'exploration spatiale martienne, avec le survol de la sonde Mariner 4 en juillet 1965, le méthane était dans le viseur des exobiologistes. En 1969, le spectromètre IRS de la sonde Mariner 7 suscite une bouffée d'espoir : les données semblent montrer la présence de traces de méthane dans l'atmosphère de Mars. Le résultat sera cependant rapidement remis en question, et il faudra attendre 2003 avant que le gaz ne soit détecté de manière presque définitive (Crédit photo : © NASA).

Le méthane est une molécule très simple, constituée d'un atome de carbone central entouré de quatre atomes d'hydrogène. Incolore, hautement volatil et inflammable, c'est l'hydrocarbure le plus simple existant sur Terre. Constituant majoritaire du gaz naturel, il est aussi parfaitement inodore. Pour des raisons de sécurité, on l'additionne de petites quantités de molécules soufrées malodorantes (comme des mercaptans), responsables de l'odeur si caractéristique que l'on sent à la moindre fuite de gaz. Sur Terre, plus de 90 % du méthane présent naturellement dans l'atmosphère est produit par des êtres vivants, en particulier des micro-organismes qui prolifèrent dans la panse des ruminants, le tube digestif des termites, ainsi que dans les eaux croupissantes des marécages et zones inondées (Crédit photo : © droits réservés).

Si avec un atome de carbone central et quatre atomes d'hydrogène, la molécule de méthane est simple, les choses sont un peu plus compliquées en réalité. Le carbone central peut effectivement être un atome de carbone classique 12C (6 protons et 6 neutrons), mais aussi l'isotope 13C, avec toujours six protons mais un neutron supplémentaire (soit 7 neutrons). De la même manière, l'hydrogène, qui est l'élément chimique le plus simple de l'Univers, est très souvent l'atome classique H (avec un seul proton au niveau du noyau), mais peut aussi, dans de très rares cas, être du deutérium, noté D ou 2H (un proton et un neutron). Les molécules de méthane qui contiennent un ou plusieurs isotopes du carbone et/ou de l'hydrogène sont appelées des isotopologues. L'étude de ces cas particuliers peut fournir des informations essentielles sur le processus à l'origine du méthane (biologique, géologique, etc.) ou la nature, terrestre ou extraterrestre, des matériaux à partir duquel il s'est formé (Crédit photo : © droits réservés).

La spectrométrie infrarouge est la technique clé permettant d'identifier des traces de méthane dans l'atmosphère martienne, soit directement depuis la Terre, ou par le biais des sondes orbitant autour de Mars ou évoluant en surface. La détection a lieu en recherchant, dans le spectre de la lumière solaire, la présence de bandes noires à des positions très précises, qui indiquent l'absorption sélective de certaines longueurs d'onde par la molécule de méthane. Le scénario est le suivant : la lumière, émise par notre étoile, frappe la surface de Mars en traversant l'atmosphère martienne, puis est réfléchie en direction d'un instrument de mesure, en repassant une nouvelle fois à travers la fine couche de gaz qui entoure la planète. Au niveau de l'instrument, la lumière est dispersée par un dispositif (ici par un prisme de verre) qui sépare le faisceau lumineux en ses différentes longueurs d'onde (dans le domaine du visible, nous obtenons ainsi les couleurs allant du violet au rouge, en passant par le bleu, le vert, le jaune et l'orange, soit les tons de l'arc-en-ciel). Dans le spectre obtenu (à droite), les spécialistes localisent alors des bandes noires très fines, qui correspondent à l'absorption sélective de longueurs d'onde précises par la molécule de méthane (Crédit photo : d'après une vidéo NASA/Goddard Space Flight Center).

En 2003, la première détection de méthane dans l'atmosphère de Mars a lieu non pas depuis l'orbite martienne, mais depuis le plancher des vaches. Les données les plus significatives furent fournis par deux télescopes infrarouges très puissants situés sur le Mauna Kea à Hawaï, un cône volcanique qui culmine à plus de 4200 mètres d'altitude : le NASA Infrared Telescope Facility (IRTF) et le Keck II (ci-dessus). De par sa pureté, le ciel d'Hawaï offre des conditions d'observation exceptionnelles aux astronomes. La recherche de méthane dans l'atmosphère de Mars depuis la surface terrestre bute cependant contre une difficulté majeure : l'atmosphère de notre planète contient effectivement du méthane, dans des concentrations bien supérieures à celle de Mars, ce qui parasite énormément les mesures (Crédit photo : © Laurie Hatch).

En 2004, la sonde européenne Mars Express sera la première à détecter du méthane dans l'atmosphère martienne depuis l'orbite. L'intensité du signal étant cependant situé aux limites de détection du spectromètre PFS, les conclusions de l'équipe en charge de l'instrument demeurèrent controversées pendant un certain temps. Le petit module Beagle 2 (ci-dessus, perdu à l'atterrissage) devait également traquer le gaz en surface (Crédit photo : © Corby Waste).

Carte du méthane sur le globe martien établie par l'équipe du centre Goddard de la NASA grâce à trois télescopes infrarouges terrestres situés à Hawaï et au Chili. La concentration moyenne est de 30 ppbv (soit 30 molécules de méthane pour un milliard d'autres molécules). La carte montre clairement que les panaches de méthane sont situés dans des régions particulières du globe martien (ici les secteurs de Terra Sabae, Syrtis Major et Nili Fossae dans l'hémisphère nord). La concentration de méthane dans l'air dépend également des saisons, et évolue au cours du temps : les nuages de méthane subsistent quelques mois, avant de s'évanouir complètement (Crédit photo : © NASA).

Une péridotite, roche composée presque exclusivement du minéral olivine (dont on aperçoit ici les grains vert-jaune). En présence d'eau surchauffée, l'olivine peut se décomposer en serpentine en libérant de l'hydrogène (H2). L'hydrogène peut ensuite réagir avec du dioxyde de carbone (CO2) pour donner du méthane. Cette réaction, que les chimistes qualifient de synthèse de Fischer-Tropsch, peut avoir lieu naturellement au niveau d'environnements très particuliers de notre planète, comme les sources hydrothermales qui existent au niveau des dorsales océaniques (Crédit photo : © Philippe Labrot).

Le secteur de Nili Fossae (vu ici en fausses couleurs sur une image de la caméra thermique THEMIS de la sonde américaine Mars Odyssey) est très accidenté. Situé au nord-ouest du grand basin d'impact d'Isidis, sa surface est fracturée par un vaste système de failles et de fossés d'effondrement. D'un point de vue minéralogique, il s'agit également d'une sorte de paradis pour les géologues. On y trouve de nombreux minéraux, comme de l'olivine (transformée parfois en serpentine), des carbonates de magnésium, ainsi que plusieurs types d'argiles (smectite, kaolinite, illite, muscovite). La présence d'olivine, de serpentine et de carbonates de magnésium est très intéressante, car il s'agit de minéraux que l'on rencontre sur Terre dans des environnements ou le méthane est produit par l'interaction de l'eau avec un socle rocheux, sans aucune intervention de la vie. Ces réactions, ou l'olivine présente dans des laves volcaniques est altérée en serpentine en produisant des carbonates et surtout de l'hydrogène, pourraient expliquer les panaches de méthane observés au-dessus de Nili Fossae. L'hydrogène produit réagit effectivement avec le dioxyde de carbone (composant majoritaire de l'atmosphère martienne) pour donner du méthane et de l'eau. De par son intérêt, Nili Fossa faisait partie des sites d'atterrissage potentiels pour le rover Curiosity (Crédit photo : © NASA).

En Turquie, le site du Mont Chimère est connu pour ses étranges feux. Là-bas, des flammes sortent à même le sol, et ce de manière totalement naturelle. Il s'agit en fait de dégagement de méthane, qui, après avoir rejoint la surface par le jeu de failles, brûle spontanément dans l'air. On peut évidemment se demander quelle est l'origine de ce méthane, et une réponse possible est apportée par la nature de la roche nue qui constitue la surface : il s'agit d'une serpentinite (roche constituée majoritairement du minéral serpentine), parcourue par des filons de carbonates de magnésium et de calcium (dolomite). Le méthane provient donc sans doute d'une réaction de type Fischer-Tropsch, sans intervention du vivant. Toute ressemblance avec le secteur martien de Nili Fossae (ci-dessus) n'est sans doute pas fortuite (Crédit photo : © Romuald le Peru BY-NC-2.0).

Vue au microscope optique (contraste de phase) à fort grossissement du micro-organisme Methanosarcina, producteur de méthane. Ce microbe n'est pas une bactérie à proprement parler, mais une archée (ou archéobactérie). Les archées forment l'un des trois grands domaines du vivant, avec les procaryotes et les eucaryotes. Comme le domaine des procaryotes (où sont rangées les bactéries), les archées possèdent une organisation cellulaire assez simple, sans structure interne élaborée. Ils se distinguent cependant des bactéries classiques par des différences intrigantes, qui les rapprochent bizarrement plus du domaine des eucaryotes (auquel appartiennent les cellules constituant les plantes et les animaux). Difficilement cultivables, capables de survivre dans des milieux très hostiles (très chaud ou très froid, hyper salé ou saturé en acide), les archées sont des germes très particuliers, à la fois primitifs et en même temps sophistiqués, qui suscitent à la fois l'intérêt et l'étonnement. La plus grande partie du méthane présent dans l'atmosphère terrestre est due à leur activité au niveau d'environnements sans oxygène, que ce soit la panse d'une vache ou la vase noire d'un marais (Crédit photo : © Frank Dazzo).

Outre l'activité biologique des archéobactéries, le méthane peut être produit sur Terre par d'autres phénomènes. L'un d'eux est la décomposition, par maturation thermique, de matières organiques enfouies dans les sédiments. Le méthane accompagne donc souvent le pétrole. Dans ce cas de figure, le méthane possède toujours une origine biologique (il a effectivement fallu la mort d'êtres vivants, généralement des algues et des plantes, pour constituer les dépôts de matière organique qui donneront ensuite naissance aux hydrocarbures, que ce soit du pétrole, du bitume ou du méthane), mais elle est indirecte. Quand un gisement de pétrole est exploité et que le méthane produit ne peut pas être récupéré pour être stocké (parce que les installations n'ont pas été conçues pour cela ou qu'il y en a trop peu), il est généralement brûlé comme déchet au niveau de torchères (Crédit photo : © droits réservés).

Si par définition, dans les conditions qui règnent à la surface du globe terrestre, le méthane est un gaz, il peut aussi exister dans des états bien plus étranges. Au fond des océans, à des températures glaciales et sous des pressions considérables, il peut ainsi s'accumuler sous la forme d'un solide glacé. Appelé hydrates de gaz ou clathrates, cette glace est en fait composée d'eau et de méthane. Les molécules d'eau forment des sortes de cages, ou le méthane est retenu prisonnier. Lorsqu'elle est brûlée, un litre de ce matériel peut libérer jusqu'à 165 litres de méthane. Les clathrates constituent donc une forme de stockage très concentrée du méthane, indépendante de son origine, biologique ou non, ou de la période de sa création (récent ou datant de millions ou milliard d'années) (Crédit photo : © Conseil national de recherches Canada).

Les clathrates sont des composés ou l'eau forme des cages moléculaires, capables d'emprisonner d'autres petites molécules, comme le méthane (Crédit photo : © droits réservés).

Au fond des océans, par plusieurs milliers de mètres de fond, les hydrates de gaz sont généralement de couleur blanche, mais ils peuvent aussi être recouverts de films d'hydrocarbures plus complexes de couleur orange. Des bulles de gaz tentent parfois de s'échapper en traversant les pellicules de matières visqueuses. Les vers visibles en haut de cette image ne sont pas le résultat d'une hallucination. Les suintements de méthane qui s'étendent sur le plancher océanique sont effectivement des oasis de vie perdus au milieu d'une immense désolation. Des écosystèmes d'une richesse surprenante profitent de l'énergie stockée dans les molécules d'hydrocarbures. Celle-ci, d'abord utilisée par des micro-organismes, sert ensuite à nourrir des formes de vie plus évoluées, comme des moules et des vers. Les premiers suintements froids ont été découverts en 1984 dans le Golfe du Mexique. Ces écosystèmes prouvent un point fondamental : même si le méthane présent sur Mars ne provient pas d'une activité biologique, il peut servir de source de carbone et d'énergie à une foule d'êtres vivants (Crédit photo : © Abysses/Claire Nouvian/Fayard).

Le méthane est une molécule très répandue dans le système solaire. Sur Titan, le plus gros satellite de Saturne, il existe non seulement dans l'atmosphère, mais tombe également en pluie à la surface, où il peut former des lacs (Crédit photo : © droits réservés).

Séquence d'atterrissage de la sonde européenne Huygens sur Titan. Cette lune de Saturne possède d'immenses lacs de méthane, représentés ici en arrière-plan (Crédit photo : © ESA/David Ducros).

Sources et puits possibles du méthane sur Mars. Cliquez sur l'image pour l'agrandir (Crédit photo : © NASA/JPL/SAM-GSFC/U. Michigan).

Le méthane a été identifié dans six météorites martiennes. Des échantillons de 250 mg, pris à l'intérieur des roches pour éviter toute contamination terrestre, ont été pulvérisés, et les gaz émis analysés. Malgré la puissance des instruments présents dans les laboratoires terrestres, les données obtenues n'ont pas encore permis de se prononcer sur son origine (Crédit photo : © droits réservés).

L'étude du méthane contenu dans l'atmosphère martienne est désormais un sujet hautement prioritaire, et la cible de nombreuses missions. Dans le cratère d'impact Gale, le rover Curiosity s'est lancé sur les traces du fameux gaz grâce à son instrument SAM. Des panaches très ténus de méthane (jusqu'à 21 ppbv) ont ainsi été mesurés, mais aucun enseignement n'a pu être tiré quant à leurs origines (Crédit photo : © droits réservés).

En octobre 2016, le satellite TGO du programme ExoMars de l'Agence Spatiale Européenne s'est placé en orbite autour de Mars dans le but de cartographier les émissions de méthane et de déterminer son origine, grâce à des spectromètres infrarouges de dernière génération. Les gaz compagnons sont aussi traqués. Après une année environ d'aérofreinage, la campagne d'observations scientifiques a débuté en avril 2018. Pour l'instant, aucune trace de méthane n'a été détecté par le satellite (Crédit photo : © ESA).

La sonde indienne Mangalyaan est équipé d'un instrument sensible au méthane, le MSM, qui n'a hélas pour l'instant détecté aucune émission de méthane (Crédit photo : © droits réservés).

Selon le concept cher aux américains de vivre de la terre, le frère jumeau de Curiosity dont le lancement est prévu pour 2020 embarquera une expérience inédite en vue de préparer de futures missions habitées. Baptisée MOXIE, celle-ci va consister à extraire le dioxyde de carbone atmosphérique (CO2) pour en extraire de l'oxygène. Si cette première usine martienne miniaturisée va s'arrêter là, il serait théoriquement possible d'aller un peu plus loin et de produire, à partir du monoxyde de carbone relâché comme déchet, du méthane. Dans quelques décennies, il est envisageable que l'on puisse produire sur Mars de l'oxygène en quantités suffisantes pour alimenter les systèmes de support de vie, ou pour remplir des réservoirs de fusées (Crédit photo : © NASA).

Dans le domaine spatial, le poids représente un coût majeur. Certaines missions, comme le retour d'échantillons (ci-dessus) ou le débarquement de l'homme, vont nécessiter d'envoyer sur Mars des engins capables de décoller de la surface martienne et de revenir sur Terre. L'envoi de plateforme avec des réservoirs pré-remplis aurait un coût prohibitif. Les ingénieurs réfléchissent donc à des moyens de fabriquer directement sur place du carburant, qui n'aurait donc pas à être acheminé de la Terre jusqu'à Mars. Le dioxyde de carbone (CO2) étant le composant majoritaire de l'atmosphère martienne, l'une des solutions les plus abordables consisterait à utiliser ce dernier pour produire à la fois de l'oxygène et du méthane. Dans les prochaines décennies, nous assisterons donc peut-être au spectacle merveilleux de fusées décollant de la surface rouillée de Mars à destination de la Terre en brûlant du méthane (Crédit photo : © Manchu/Ciel & Espace).

Le projet StarShade du Jet Propulsion Laboratory (JPL) est destiné à l'étude des exoplanètes. La forme particulière de la corolle, qui sert à masquer la lumière de l'étoile autour de laquelle tourne l'exoplanète, est dictée par les lois physiques de la diffraction de la lumière. Le méthane est l'une des espèces chimiques qui sera recherchée en priorité dans l'atmosphère des exoplanètes de type terrestre (Crédit photo : © NASA/JPL/Caltech).

 

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