Mehedjebat, initiation au désert

Cette page relate un voyage effectué en Algérie, du 28 mars au 5 avril 2009, par le biais de l'agence Terres d'Aventure. Intitulé "Erg Mehedjebat", ce circuit de 9 jours proposait un périple étonnamment varié dans le désert le plus mythique de notre planète, le Sahara. Pour chaque journée, vous trouverez un petit récit qui s'attache à présenter les points que j'ai estimé marquants. Quelques photographies, prises avec un appareil numérique Sony Cybershot DSC-W12 (5,1mégapixels, zoom optique 3x), illustrent l'ensemble. Particularité intéressante si vous désirez replacer ce voyage dans son contexte spatial, j'ai enregistré pratiquement quotidiennement nos déplacements à l'aide d'un GPS Garmin Oregon 400T. Les traces ont été converties pour être exploitables par le fabuleux logiciel Google Earth. Lorsque vous ouvrirez un itinéraire sous ce dernier, vous serez automatiquement positionné au point de départ, à une altitude variant entre 4,5 et 29 kilomètres, le parcours suivi apparaissant sous la forme d'un ruban rouge, violet ou blanc. De nombreux points remarquables (zone de bivouac, points d'eau, secteur d'intérêt géologique, etc.) sont indiqués par de petites icônes. La plupart d'entre elles sont cliquables, ce qui provoquera l'affichage d'une fenêtre comportant une photographie et une courte description de l'endroit. Une petite échelle fera son apparition en haut à droite, ce qui vous permettra de rejouer le circuit dans le temps. La position sera alors marquée par une icône verte, qui signalera également le mode de déplacement (à pied ou en 4x4). Il est possible d'ouvrir les traces les unes après les autres, de manière à suivre l'enchaînement des différentes randonnées jour après jour, mais le curseur risque alors de se déplacer de plus en plus rapidement. C'est pourquoi je vous recommande de fermer Google Earth avant d'ouvrir une nouvelle trace. Si la petite icône qui marque le déplacement apparaît et disparaît trop rapidement, il vous suffit d'augmenter l'intervalle de temps pendant lequel elle est affichée en écartant les deux petits curseurs. L'échelle indique toujours l'heure locale (le décalage horaire n'était d'ailleurs que d'une heure entre la France et l'Algérie). Ces traces GPS constituent une excellente alternative aux photographies pour découvrir et suivre notre cheminement dans le désert du Sahara Algérien.


Le petit village d'Arak est situé au sein de gorges spectaculaires, que nous ne pourrons admirer qu'au retour. Lors de notre arrivée, le ciel était effectivement obscurci par une tempête de poussière. Possédant une station essence, Arak constitue un point de passage obligé pour de nombreux véhicules, depuis les 4x4 touristiques jusqu'aux tankers ravitaillant les chantiers alentours. Cliquez pour agrandir la photo

Jour 1 (dimanche 29 mars 2009) : vers Arak, et au-delà

Notre aventure saharienne a débuté presque immédiatement après l'atterrissage à Tamanrasset, ville mythique adossée au massif du Hoggar, et que nous ne découvrirons très brièvement qu'à notre retour. Les formalités douanières étaient à peine derrière nous que déjà nous étions accueillis chaleureusement par nos accompagnateurs locaux, un petit groupe composé d'un guide, d'un cuisinier, et d'une poignée de chameliers et de chauffeurs. Á la sortie de l'aéroport, nous sommes montés dans d'imposants véhicules 4x4, pour prendre la direction du nord. Au moment de charger nos bagages à l'arrière, j'ai été étonné par l'empilement de nombreux matelas, qui me semblaient prendre beaucoup de place et dont je ne voyais guère l'utilité, au vu du volume qu'ils occupaient dans les coffres. Je n'allais cependant pas tarder à découvrir le pourquoi de leur présence...

Après 40 kilomètres, en pleine nuit, notre petit convoi a quitté brusquement la route, pour s'engager dans une plaine poussiéreuse. Si les chauffeurs semblaient prendre plaisir à patiner sur le sable, à anticiper les secousses et à s'attendre l'un l'autre en effectuant de larges virages, je me suis demandé, un peu inquiet, si nous ne nous étions pas déjà perdus. Habituellement, les véhicules que nous empruntons si souvent dans notre quotidien n'ont pas pour habitude d'abandonner les rubans goudronnés qui leur servent de guide pour rouler n'importe où, mais ici, dans le désert, le moindre terrain plat peut apparemment devenir une route.

Finalement, après s'être enfoncés dans une région déserte sous un ciel de plomb, les véhicules se sont garés dans le lit d'un oued, en face d'un muret d'alluvions sableux. Les touaregs ont disposé les matelas au sol, et sans plus de cérémonie, nous ont invités à y prendre quelques heures de repos, avant la venue de l'aurore et le petit déjeuner. Avec maladresse, j'ai fouillé dans mon sac pour trouver ma lampe frontale, en me maudissant intérieurement de n'avoir pas déjà installé les piles. Une fois pourvu d'une source de lumière, j'ai déroulé mon sac de couchage, ait ôté les affaires superflues, et me suis allongé pour tenter de trouver le sommeil, avec cette surprenante impression, étrange et pourtant bizarrement agréable, de dépouillement. En quelques heures, nous étions passés du statut de sédentaires s'agitant dans un aéroport parisien, traînant des sacs lourds, habillés des pieds à la tête par des vêtements convenables, bardés d'appareils électroniques et de gadgets, à celui de nomades dormant dans un couchage déjà poussiéreux, posé sur le sol d'un désert africain. Bienvenue au Sahara !

L'aube n'a pas tardé à poindre, et c'est sous un ciel gris, chargé de nuages, que nous avons découvert le lieu ou nous avions passé une bien courte nuit. Devant moi s'étalait une plaine sableuse, couverte ça et là par de petits buissons d'herbes vertes, ou, plus rarement encore, de petits arbustes rabougris que l'on devinait particulièrement résistants à la sécheresse. Deux petites collines de roches brulées barraient un horizon que le soleil, précédé d'un filament blanc, n'allait pas tarder à franchir. De leur côté, nos accompagnateurs avaient déjà dressé à même le sol une petite couverture, sur laquelle nous attendait un petit déjeuner constitué de café, de thé, de céréales et de biscuits secs. Une fois restaurés, nous sommes remontés dans les puissants 4x4 et vers 9 heures, nous sommes partis vers Arak, distant d'environ 300 kilomètres à vol d'oiseau.

Tandis que nos véhicules fonçaient sur la route goudronnée de la transsaharienne N1, nous avons pu prendre l'ampleur du désert algérien. Sur des centaines de kilomètres, nous n'avons rien longé d'autre que des roches et du sable. L'impression de s'avancer dans un néant devint particulièrement vive, d'autant que le soleil, lancé dans sa course vers le zénith, ne cessait d'échauffer l'air et le sol. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les conditions hostiles qui prévalent tout le long de cette route qui remonte vers Alger n'empêchent pas l'homme d'y travailler. Le gouvernement algérien s'est effectivement lancé dans la construction d'un gigantesque pipeline, destiné à apporter de l'eau jusqu'à la ville de Tamanrasset. Tout au long de la route, des pelleteuses creusent des tranchées destinées à accueillir des tuyaux, dont les tronçons sont soudés les uns aux autres par des engins spéciaux équipés de puissantes mâchoires métalliques. Nos guides nous apprennent que la plupart des manœuvres affectés à ce chantier pharaonique ne sont pas algériens, maliens ou nigériens mais ... chinois.

Depuis quelques années, la Chine a effectivement accru sa présence sur le continent africain, alors même que les puissances occidentales semblent l'avoir délaissé. La Chine présente ses relations avec de nombreux pays africains sous l'éclairage d'une amitié née entre des peuples unis, malgré l'éloignement géographique, par un destin commun. Bien entendu, ce n'est un secret pour personne que la Chine est attirée, comme d'ailleurs bien d'autres gouvernements avant elle, par les richesses de l'Afrique, que ce soit le bois, la bauxite (minerai d'aluminium), les oxydes d'uranium (yellow cake) dont la demande ne cesse d'ailleurs d'augmenter, et bien entendu le pétrole. Les entrepreneurs chinois sont également particulièrement intéressés par ces pays en voie de développement, qu'ils peuvent inonder de pacotilles à prix cassé, dont la population est friande. En contrepartie des concessions et des marches, la Chine s'est engagée à construire ou à moderniser les infrastructures souvent pauvres de nombreux pays africains : écoles, usines, routes et autoroutes, barrages, stations de télécommunication, autant d'éléments vitaux dont dépendent l'avenir des peuples d'Afrique. Le monde restant égal à lui-même, l'élite dirigeante est bien souvent la première, et la seule, à bénéficier directement des investissements chinois, mais il n'est pas possible d'ignorer l'ampleur des travaux que la Chine mène un peu partout sur le continent africain, et le rôle que ces derniers vont jouer pour l'Afrique du XXIe siècle. L'immense pipeline que nous apercevons au bord de la route, et dont les canalisations courent sur des centaines et des centaines de kilomètres, au beau milieu du désert, en est un exemple frappant. Quelque part, je ne peux pas m'empêcher de penser à la raison première de vouloir apporter autant d'eau à proximité du massif du Hoggar. N'y a-t-il pas là bas une ressource dont le traitement industriel nécessiterait des tonnes du précieux liquide ? Comme un complexe de traitement de l'uranium par exemple ? Pourtant, l'eau qui s'écoulera dans ce pipeline desservira également des populations qui, historiquement, en ont toujours cruellement manqué. Les seules victimes connues pour l'instant à ce chantier sont les dromadaires : les tranchées creusées pour enfouir les tubes du pipeline sont effectivement si profondes (plusieurs mètres) et longues qu'elles constituent une barrière infranchissable pour ces animaux. Ces derniers ne peuvent plus rejoindre les points d'eau situés de l'autre côté, et nous avons ainsi vu plusieurs dromadaires assoiffés serrés les uns contre les autres sous l'ombre d'un acacia, car bloqués par les excavations, et condamnés à la mort.

Vers midi, nous quittons à nouveau la route pour pique-niquer. Comme pour le petit déjeuner, notre cuisinier a dressé une table rustique, en fait une simple toile posée à même le sol, sur laquelle il a disposé plusieurs plateaux débordant de crudités et de salades appétissantes. Malgré le manque d'effort physique, je mange de bon appétit. Après le traditionnel thé vert, nous repartons vers le nord pour attaquer les 4 heures de route qui nous séparent encore de notre campement. Le vent ne cesse de rugir, et l'atmosphère se voile de plus en plus, nous empêchant d'admirer des reliefs qui d'habitude sont visibles de très loin. Bientôt, des bourrasques sableuses réduisent la visibilité à quelques mètres, ce qui force tous les véhicules à ralentir pour progresser au pas, voir à s'arrêter. Etant donné que notre objectif n'est pas autre chose qu'une immense mer de sable, je commence à m'inquiéter un peu de cette météorologie saharienne. Par définition, le désert du Sahara est effectivement un endroit bien différent de nos régions tempérées, ou nul ne devrait avoir à se préoccuper de la pluie et des nuages. Pourtant, depuis notre arrivée, le ciel est particulièrement chargé, tandis que le vent redouble d'effort pour salir une atmosphère réputée pour sa pureté.

A 14h45, notre petit convoi marque un stop dans le petit village d'Arak, logé au fond de gorges rocheuses spectaculaires dont nous n'apercevons rien, le ciel jaunâtre masquant tout. Dans ces conditions, Arak m'apparaît comme un lieu désolé. Au beau milieu de nulle part s'élève des petites maisons basses, dont les murs oranges sont principalement constitues d'argiles. Sur un sol poussiéreux et ingrat déambulent quelques chèvres rachitiques, qui s'écartent parfois lors du passage d'hommes en djellaba, dont le visage est presque entièrement recouvert par les traditionnels chèches. Le seul lieu de vie semble être la station-service, où s'arrêtent de nombreux véhicules, que ce soit des 4x4 touristiques, des petites voitures conduites par des autochtones, ou des engins de terrassement, qui œuvrent probablement sur le chantier du pipeline. Nul doute que nous devons paraître incongrus dans ce lieu, peut-être autant que ces deux ouvriers chinois en bleu de travail, visages au vent, qui discutaient, hilares, devant les pompes à essence, lors de notre retour.

A 15h30, soit 20 minutes environ après avoir laissé Arak derrière nous, les véhicules tout-terrains quittent la route principale qui continue vers le nord-ouest, pour partir plein ouest. Nos accompagnateurs semblent ravis d'avoir enfin abandonné ce long ruban artificiel, et chantonnent, l'air joyeux, quelques airs locaux entêtants. Au début, j'ai de nouveau l'impression que les 4x4, comme au petit matin, progressent n'importe comment, sans la moindre orientation. Pourtant, à l'évidence, ces derniers suivent bel et bien des pistes, marquées sommairement par les traces laissées par le passage de véhicules précédents, et parfois, par des cairns. J'aurai maintes occasions de m'en rendre compte à nouveau, le désert fourmille de signes, qui n'attendent que d'être remarqués. Ainsi, notre guide, qui voyage dans notre véhicule, nous signale bientôt un petit nuage de poussière au loin. Il s'agit des traces laissées par une gazelle qui, surprise de notre présence, s'éloigne de nous au galop. Il me faut plusieurs minutes pour distinguer le nuage en question, tandis que notre 4x4 ballotte de tous côtés au gré des accidents de terrain. Quand, enfin, je l'aperçois, je dois faire un effort supplémentaire pour distinguer une petite tache blanche qui se déplace à vive allure en contrebas d'un versant montagneux.

Enfin, vers 17h00, nous parvenons à notre campement. Notre courte nuit à proximité de Tamanrasset nous a appris à quoi nous attendre, et c'est tout naturellement que nous prenons chacun un matelas pour le disposer à notre guise, sur le sol d'une grande vallée entourée par de jolies buttes rocheuses. Contrairement au déjeuner, le repas du soir est servi chaud : au menu, une soupe, un délicieux ragoût de légume, et comme dessert quelques dattes sucrées. Fatigué par le trajet depuis Tamanrasset, c'est avec un plaisir non dissimulé que nous nous glissons dans nos sacs de couchage. La plupart d'entre nous passeront une excellente nuit, ce qui fut également mon cas. Pendant quelques heures, le vent a continué à souffler, brassant du sable qui sautait à la figure des imprudents qui n'avaient pas pris la peine de m'emmitoufler correctement. A un moment, je me suis réveillé, avec, au-dessus de moi, le spectacle étourdissant de la Voie Lactée. La voûte céleste était d'une telle splendeur que m'est immédiatement venue l'envie de la contempler avec gourmandise. Pourtant, l'idée m'avait-elle à peine effleuré l'esprit que déjà j'étais rendormi. Quand je me suis à nouveau éveillé, le soleil était levé sur un ciel d'azur.


L'arrivée de nuit sur le lieu du premier bivouac ne nous avait pas permis d'apprécier les reliefs de la région. Le secteur est loin d'être plat, comme en témoignent ces deux petites collines rocheuses. Cliquez pour agrandir la photo


Notre premier bivouac avait été installé dans le lit d'un oued, donc on aperçoit ici l'une des berges sablonneuses. Un parking naturel pour les 4x4, et une protection toute trouvée contre le vent. Cliquez pour agrandir la photo


Vers midi, nos véhicules 4x4 quittent la route pour s'enfoncer d'un kilomètre à l'intérieur des terres. Nous déjeunons au fond d'une vallée, tandis que le vent ne cesse de forcir. L'horizon, barré de jaune, annonce une tempête de sable. Cliquez pour agrandir la photo


A 17h00, nous quittons enfin les véhicules 4x4 pour dresser le camp dans une petite vallée, entourée de montagnes. La tempête de sable a pris fin, et si le ciel est encore nuageux, il finira par se dégager durant la nuit. Cliquez pour agrandir la photo

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : premier bivouac, puis montée vers Arak. Début de la trace vers le premier bivouac : 05:15:06. Fin de la trace vers le premier bivouac : 06:03:25. Temps écoulé : 0h48. Longueur : 45,9 km. Vitesse moyenne : 13 km/h. Début de la trace vers Arak : 10:11:25. Fin de la trace vers Arak : 16:46:17. Temps écoulé : 6h34. Longueur : 322 km. Vitesse moyenne : 49 km/h.

Jour 2 (lundi 30 mars 2009) : Vers le plateau de Tin Meskis


Derrière la barrière verdoyante qui nous fait face, nous admirons pour la première fois, à l'horizon, les courbes suaves des dunes de l'erg Mehedjebat. Cliquez pour agrandir la photo


Dénivelé de la randonnée : 13,5 kilomètres à parcourir sur un terrain relativement plat.

A notre réveil, le chamelier avait déjà réuni les dromadaires de bât, et c'est avec circonspection que nous avons approché pour la première fois ces étranges animaux. Appartenant à la famille des camélidés, et au même genre que le chameau, le dromadaire est un animal dont l'adaptation au désert est toujours source de fascination. Herbivore, le dromadaire emmagasine des réserves nutritionnelles sous la forme de graisse blanchâtre dans son unique bosse, qui, contrairement à la croyance populaire, ne contient donc pas d'eau. Pouvant rester des jours voire des semaines sans boire, les dromadaires stockent en fait l'eau dans leur estomac, qui peut contenir jusqu'à plus de 200 litres. Possédant des pieds larges et élastiques, dépourvus de sabots, les dromadaires sont particulièrement à l'aise sur des terrains sableux. Pour éviter les pertes hydriques, l'animal peut fermer totalement ses naseaux, un sac sinusal permettant de plus de récupérer une bonne partie de l'eau qui aurait pu se perdre durant l'expiration. Le stockage de la graisse à un seul endroit du corps (la bosse) optimise le refroidissement des autres parties, moins grasses. Sa robe pâle limite l'échauffement, et l'animal marche naturellement face au soleil, exposant ainsi la surface la moins importante possible. Quand il broute ou qu'il se repose, il le fait préférentiellement sous l'ombre de fourrés. Il est capable de faire varier sa température interne en fonction de la température externe, et dispose de toute une panoplie d'astuces métaboliques pour résister à la sécheresse (oxydation des réserves adipeuses pour en extraire de l'eau, arrêt de la sudation, diminution de la diurèse et production d'une urine très concentrée). Depuis des milliers d'années, les dromadaires rendent de nombreux services à l'homme, que ce soit pour leur transport, ou celui de marchandises et de matériels, ainsi que pour la production de travail (travaux agricoles), de cuir, de viande et de lait. Les nôtres, qui forment un petit troupeau de 9 bêtes à la robe beige clair, vont assurer, pendant toute la durée du circuit, le transport de nos sacs et de l'eau.

Vers 9h00, après avoir déjeuné, rempli notre gourde et plié notre partie du campement (ce qui, grosso modo, consistait à ramener le matelas et le sac de couchage vers les dromadaires, qui manifestèrent bien souvent leur désapprobation en blatérant à tout va), nous nous sommes mis en route pour notre première journée de marche. Depuis le campement, nous sommes partis plein nord, en direction d'un col montagneux situé à 630 mètres d'altitude. Un peu avant d'arriver au sommet, nous avons croisé une ancienne tombe d'âge indéterminé. En nous retournant, nous avons pu bénéficier d'une vue spectaculaire sur la vallée où nous avions passé la nuit.

Une fois le col passé, nous avons entamé une lente descente dans un paysage particulièrement austère et minéral, formé de strates sédimentaires gréseuses brûlées par les éléments. Au premier abord, il semblait que la roche était d'origine volcanique. Il suffisait cependant de casser en deux le moindre morceau pour s'apercevoir qu'il ne s'agissait pas de laves basaltiques, mais d'une roche très blanche, composée de nombreux grains de sable très fins cimentés entre eux. Le fait que les affleurements apparaissent sombres s'explique par le fait que la surface des roches est noircie par une sorte de vernis minéral très fin (moins d'un millimètre) et résistant, dont la composition est bien différente de la pierre sous-jacente, et que l'on nomme patine du désert. L'origine de cette couche, composée d'un mélange d'argiles et d'oxydes métalliques (fer, manganèse), n'est pas connue avec certitude. S'il est certain que cet encroûtement puisse être en partie constitué par le dépôt d'éléments très fins transportés par les vents ou l'eau, sa formation semble être contrôlée par l'activité de micro-organismes, bactéries ou champignons microscopiques, qui se développent tant bien que mal à la surface de la roche, en piégeant des particules métalliques pour les oxyder. Ainsi, même si nous avons eu l'impression d'évoluer dans un environnement volcanique (comme c'est le cas pour le massif du Hoggar par exemple), la grande majorité des terrains sur lesquels nous nous sommes déplacés étaient d'origine sédimentaire.

Après 3 heures de marche sous un soleil de plomb, dans un paysage lunaire et minéral, nous nous sommes arrêtés au creux un petit renfoncement rocheux, dont le devers offrait une ombre bienvenue. Notre cuisinier a de nouveau dressé la table, sur laquelle était servie des crudités débordantes d'humidité, ainsi qu'un litre d'une boisson sucrée au goût citronné, qui m'est apparue comme infiniment désirable. D'habitude, sans doute par paresse, j'évite de manger des légumes au quotidien. Mais sur cette terre desséchée, cuite par un soleil implacable, les rondelles de concombre, les cubes de betterave, les feuilles de salade, les tranches de tomate, les grains de mais sont devenus soudain très attirants, car gorgés d'eau. Malgré sa simplicité, le repas fut donc succulent.

Pendant que nous engloutissions les victuailles déposées à notre attention par nos accompagnateurs touaregs, qui préparaient de leur côté le traditionnel thé vert sur une dalle rocheuse, un peu plus haut, un petit lézard s'est approché de notre groupe. Pas farouche, ce dernier s'est régalé de grains de mais, et sans doute en guise de remerciement, s'est laissé approché d'assez près par les objectifs de nos appareils photos. Malgré la chaleur caniculaire et le manque d'eau, l'endroit où nous avions élu domicile servait de refuge à de nombreux êtres vivants. Outre notre reptile, des fleurs jaunes semblables à des pissenlits poussaient à proximité d'une petite mare, dont le fond argileux se délitait en écailles poussiéreuses. Au loin, le sol était couvert par endroits de touffes de graminées, et de petits arbustes ligneux.

Vers 15 heures, nous sommes repartis droit vers le nord-est, en direction d'une ouverture rocheuse située de l'autre côté de la vaste plaine qui s'étendait devant nous. A cette distance, cela ne semblait être qu'une trouée basse, mais une fois sur place, nous nous sommes rendu compte qu'il s'agissait de l'entrée d'un superbe canyon rocheux. De vastes dalles lisses, qui constituent vraisemblablement un chemin d'écoulement préférentiel pour les eaux en cas de pluie, s'étalaient vers le nord, entourées de hautes falaises gréseuses. Sur la droite, notre guide a attiré notre attention sur des peintures rupestres d'un beau rouge sombre. En continuant la descente, nous nous sommes ensuite trouvés en présence, pour la première fois, d'eau liquide. Certaines fissures rocheuses, dans lesquelles du sable et de la poussière s'étaient accumulés, semblaient effectivement avoir formé de petits bassins naturels, que plusieurs animaux, mammifères ou oiseaux, avaient utilisés comme abreuvoir. De petites pousses verdoyantes sortaient également du sol comme par magie. Plus loin, nous sommes tombés sur un puits, utilisé à la fois par les hommes et les animaux. En utilisant un petit seau disposé à proximité, notre guide a tiré quelques litres d'une eau délicieusement fraîche. Après nous avoir rappelé sa rareté, nous nous en sommes aspergé le visage et la tête, dans de vastes soupirs de contentement.

En quittant le canyon, nous avons aperçu au sol les premières (et seules) véritables roches volcaniques de notre parcours, incongrues dans cet environnement dominé par des grès sédimentaires. Peut-être s'agissait-il d'une coulée de lave ? Ou de simples blocs charriés par les eaux, et déposés à cet endroit ? Au terme de notre journée de marche, nous avons atteint un beau reg, une vaste plaine dont le sol, balayé par les vents, est jonché de cailloux de toute taille. A l'horizon, comme dans un mirage, nous avons aperçu les premières dunes orange de notre destination, l'erg de Mehedjebat. Nos exclamations ont amusé notre guide, tant elles doivent se répéter à chaque circuit, mais la vision de cette barrière de sable aux formes douces n'en demeure pas moins un émerveillement, quand on l'admire pour la première fois.

Après avoir posé nos affaires à proximité du campement, déjà installé par nos chameliers, nous avons repris des forces en avalant un grand bol de thé chaud et quelques biscuits. Le soleil a décliné, les étoiles se sont levées, et nous avons dîné d'un couscous (arrosé de thé vert) dont l'arrivée a été saluée par des exclamations enthousiastes. Silencieusement, j'ai regagné ma chambre ouverte aux quatre vents. A cause de l'absence de nuage, la nuit fut plus fraîche que la précédente, et à plusieurs reprises je me suis réveillé, avec, à chaque fois, devant mes yeux embués de sommeil, le spectacle étourdissant de notre galaxie.


L'environnement dans lequel nous progressons est minéral et lunaire. Ecrasées par une chaleur implacable, des colonnes gréseuses ayant un peu mieux résisté à l'érosion que d'autres, se dressent encore vers un ciel de fournaise. Cliquez pour agrandir la photo


Superbe scène de chasse, ou des silhouettes graciles armées d'arc pourchassent une faune aujourd'hui totalement disparue, ici une girafe et des bovins. Cliquez pour agrandir la photo


Confortablement installé dans une petite caverne rocheuse, ce lézard se prélasse sous un rayon de soleil. Cliquez pour agrandir la photo


Vue générale d'un canyon, probablement formé par le passage de l'eau, et dont le fond, lisse et poli, constitue une remarquable allée au sein de laquelle il est aisé de déambuler. Cliquez pour agrandir la photo


Panorama réalisé juste après avoir quitté notre bivouac, au cours de la première journée de marche. Ce type de paysage, désolé et lunaire, prédominera tout au long de la randonnée, et contrastera fortement avec la douceur des dunes de l'erg Mehedjebat.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : vers le plateau de Tin Meskis. Début de la trace : 08:58:45. Fin de la trace : 17:30:57. Temps écoulé : 8h32. Longueur : 13,5 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Jour 3 (mardi 31 mars 2009) : Traversée du plateau de Tin Meskis


Fin près pour une nouvelle journée de bat, nos dromadaires se sont déjà placés en ordre, devant le chef de la caravane que nous avions surnommé "blanche neige". Les dromadaires marchent naturellement en file indienne en suivant le chef de troupe. Cliquez pour agrandir la photo


Dénivelé de la randonnée : 14 kilomètres à parcourir sur un terrain relativement plat, à l'exception de deux petites montées de 50 mètres.

Réveil difficile en plein milieu du désert, sur une plaine sableuse, flanquée de chaque côté par des versants rocheux. Tandis que je me déplace, encore somnolant, vers le coin du petit-déjeuner, j'aperçois nos dromadaires, apparemment tout à fait d'aplomb, qui attendent sagement en file indienne que la journée commence. Le chef de la petite troupe, que nous avons surnommé Blanche-Neige à cause de la jolie couleur de sa robe, indifférent à mon passage, regarde au loin, comme s'il était perdu dans ses pensées.

Notre seconde journée de marche va être consacrée à la traversée du plateau de Tin Meskis. Départ plein ouest, vers une montagne rocheuse, ou nous nous engouffrons dans le superbe canyon de l'oued In Anna. Avec ses abris sous roche, ses grandes dalles effritées jonchant le sol, et ses rochers suspendus, il dégageait quelque chose d'extra-terrestre, et l'endroit aurait tout à fait pu servir au tournage de certaines scènes de la Guerre des Etoiles, comme celle où Luc parcourt le désert à bord de son Lanspeeder, sous le regard sournois des hommes des sables. Vers 10h30, nous avons buté contre une grande barre rocheuse, à la faveur de laquelle s'était développée une petite mare. A en juger par les nombreuses traces imprimées sur la langue sableuse alentour, cette dernière était visitée par de nombreux animaux.

Le chemin nous étant coupé, nous sommes ensuite repartis droit vers le nord, en longeant le lit d'une ancienne rivière. Nous sommes rapidement parvenus à un superbe abri sous roche, dont les parois, protégées des éléments, avaient servi de toile à des hommes du passé. Ceux-ci y avaient effectivement peint des silhouettes graciles d'êtres humains, des girafes au long cou, ou encore des troupeaux de bovidés. Spectacle insolite que ces esquisses d'un autre temps, que l'on se surprend à admirer allongé sur une pierre, perdu dans la contemplation d'un environnement certainement luxuriant et humide, aujourd'hui disparu, et qui malgré l'austère aridité du lieu, semble encore néanmoins tangible.

Une fois ressortis du canyon par le nord, nous avons repris notre progression vers l'est sur un terrain sablonneux, ponctué ici et là par des touffes d'herbe à chameau. Notre objectif, l'ombre accueillante d'un bel acacia isolé, autour duquel nous avons déjeuné de crudités, pour ensuite faire une petite sieste, histoire de laisser filer quelques heures parmi les plus chaudes de la journée. Aux alentours de 15h00, nous avons repris notre progression vers le nord-ouest, en direction d'un versant rocailleux, que nous avons entrepris d'escalader, cheminant dans un dédale de roches brisées et de dalles éparses, jetées sur le sol dans le plus grand chaos, comme si un géant avait entaillé la montagne d'un doigt impérieux.

Une fois parvenus au sommet, nous avons été récompensés par la découverte d'une vasque de belle taille, remplie d'une eau trouble et verdâtre. Par l'intermédiaire d'un escalier naturel, les plus courageux ont encore gravi une dizaine de mètres, pour atteindre une guelta, certes plus petite que la précédente, mais doté d'une eau plus pure. Après nous être délicieusement arrosé le visage et le cou, nous avons perdu de l'altitude pour atteindre la plaine environnante située en contrebas, sur laquelle avait été dressé notre bivouac.

Après deux jours de marche, mes affaires étaient déjà bien sales, et je me suis donc décidé à faire un brin de toilette. L'eau étant extrêmement rare dans un tel environnement, impossible bien sûr de prendre une douche, ou de faire une lessive. Il faut se contenter du contact agréable d'un gant de toilette humidifié, ou d'une ou deux lingettes parfumées. Quant aux vêtements, rien d'autre à faire que d'aller en chercher des propres dans le grand sac de cuir noir qui m'accompagne, et que les dromadaires se fatiguent chaque jour à transporter. J'avais déjà ressenti cet effet auparavant, mais jamais avec cette force-là. En trouvant mon sac de ville posé en vrac, à peine déchargé des chameaux, recouvert de poussière et de sable, j'ai eu l'impression d'une lourde charge, un fardeau que l'on transporte avec soi et qui ne sert à rien. L'effet aurait-il été le même si j'avais emporté un cabas plus rustique, plus sale, plus fatigué ? Que venait donc faire ce sac en plein milieu du désert, au beau milieu de nulle part ? Pourquoi donc avais-je emporté ces chaussures de ville ? A quoi pouvait bien servir mon téléphone ? Le seul objet utile dans ce fatras n'était-il pas mon sac de couchage ? Au diable tous ces vêtements de rechange, qui attendent bien pliés dans de petits sacs en plastique. D'ailleurs, le sable s'est faufilé partout, même dans les endroits les plus improbables, rendant inutiles tous nos efforts de le tenir à distance.

Un simple sac, et c'est d'un seul coup tout notre vie de citadin affairé et pressé qui vient se fracasser contre le dénuement, le dépouillement, l'austère simplicité du désert. L'envie m'a pris d'abandonner là cette baudruche sale et triste, dont le simple contact avec le sable semblait lui avoir fait perdre, à elle et à son contenant, plus que son utilité, plus que sa fausse élégance, mais carrément tout son sens. Tout en gagnant le lieu du repas, je me suis promis, la prochaine fois, de venir plus simplement, avec moins de choses.


Sous un ciel turquoise, nous cheminons dans une superbe gorge, dont le fond plat est obstrué par endroits de dalles provenant du délitement de ses flancs. Cliquez pour agrandir la photo


De magnifiques peintures nous attendent sur les parois d'un abri naturel. Difficile de n'être pas fasciné par le côté artistique et l'intérêt historique de ces croquis intemporels. Cliquez pour agrandir la photo


La sortie du canyon, dont on devine la présence dans la masse rocheuse du second plan, s'effectue sur un terrain sablonneux d'où sortent des touffes de verdure. Cliquez pour agrandir la photo


En plein milieu du désert, un acacia providentiel dont l'ombre offre un peu de répit contre les coups de boutoir d'un soleil de fournaise. Cliquez pour agrandir la photo


Panorama réalisé vers 17h00, durant la dernière descente. Le paysage, encore écrasé de chaleur, dévoile la vaste plaine lumineuse sur laquelle notre bivouac a été installé, et au fond à droite, le massif dunaire de l'erg Mehedjebat.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : traversée du plateau de Tin Meskis. Début de la trace : 09:07:55. Fin de la trace : 18:18:19. Temps écoulé : 8h10. Longueur : 14,0 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Jour 4 (mercredi 1er avril 2009) : Découverte de l'erg Mehedjebat


La crête effilée et aérienne d'une dune, qui découpe au couteau l'azur d'un ciel parfait. Marcher au cœur des dunes, c'est comme errer sur la toile de maître d'un peintre ivre de beauté. Quelque que soit l'endroit ou porte le regard, tout n'est que courbe déliée, nuance subtile et délicate, perspective fuyante conduisant vers un horizon ou se répète à l'infini les mêmes motifs envoûtants. Cliquez pour agrandir la photo


Dénivelé de la randonnée : 16,9 kilomètres, parcourus dans un premier temps sur un terrain relativement plat. La deuxième partie comportait l'ascension de plusieurs dunes, dont une culminante à 658 mètres d'altitude (soit une montée de 220 mètres).

Nous y voilà enfin. Après deux journées de marche, nous allons enfin pouvoir admirer ce pour quoi nous sommes venus : les paysages évanescents et envoûtants de l'un des plus beaux ergs du Sahara, le champ de dune de Mehedjebat.

Après avoir plié le camp et pris un petit déjeuner, nous faisons d'abord un rapide crochet vers l'ouest, pour atteindre un puits, gardé par un petit acacia. Après avoir soulevé une tôle recouverte de sable, notre guide dévoile un cylindre de béton qui s'enfonce à grande profondeur dans l'écorce terrestre. Un caillou lâché depuis le haut mettra plusieurs secondes avant de produire le clapotement caractéristique qui indique sa rencontre avec une nappe d'eau, que j'imagine froide et lugubre. Un petit support en Y permet à un saut, relié à un long brin de corde usée, d'aller chercher la précieuse eau. Il n'empêche, l'œil noir du puits me donne des frissons, et je m'éloigne rapidement de l'endroit.

Passé cette première halte, notre petit groupe reprend sa progression en tirant vers le nord-ouest, droit vers les vagues de sable de cette mer minérale, qui barre l'horizon et dont le ressac a été figé par le temps. Après deux heures de marche, nous atteignons la première dune, un édifice constitué de grains très fins, haut d'une centaine de mètres, et dont le sol ne cesse de se dérober sous nos pas inexpérimentés. Comme je l'ai lu de nombreuses fois dans des romans, ou vu sur de nombreux écrans de cinéma, me voici en train de cheminer, tel un équilibriste, sur la crête effilée d'une dune de sable. Dans l'inconscient collectif, nulle image n'est plus forte, pour incarner le voyageur, qu'une silhouette progressant avec lenteur sur le fil d'une dune. Reste que transposé dans le monde réel, l'exercice demande des efforts que l'on ne soupçonnerait pas au premier abord. Transpirant à grosse goutte sous les rayons brûlants d'un soleil qui suit sa propre progression dans le ciel turquoise, dérapant plus que de nécessaire sur les deux versants de la crête, dont la cohésion change à chaque instant, regardant parfois avec inquiétude sur les côtés un sol qui s'éloigne de plus en plus, je gagne chaque mètre avec difficulté. Devant moi, notre cuisinier s'agite sur la crête tel un pantin désarticulé, battant l'air et le sable de grands mouvements de jambes, dans une caricature humoristique de notre caravane.

La vue au sommet achèvera de me couper définitivement le souffle. Le panorama qui s'offre à nous est effectivement stupéfiant. Vers l'ouest, le regard porte sur une multitude de dunes plus belles les unes que les autres, qui se ressemblent toutes tout en étant chaque fois différentes, et dont les courbes douces et délicates courent jusqu'à l'horizon. Après avoir longuement profité du spectacle, et mitraillé depuis notre promontoire l'erg dans toutes les directions avec nos appareils photo, il nous faut maintenant redescendre ce qui a été grimpé. La hauteur à laquelle nous sommes parvenus est quelque peu intimidante, et même s'il s'agit de dévaler une pente de sable meuble, les premiers pas sont peu assurés. Bien vite cependant, je prends de la vitesse, mes deux pieds ne cessant de soulever des gerbes de sable à mesure qu'ils frappent en rythme la surface oblique de l'édifice dunaire. Pour une raison inconnue, je pressens l'existence d'un vague danger, que j'anticipe, enlevant peut-être à mes compagnons, qui suivent ma descente effrénée depuis le haut de la crête, le plaisir de me voir chuter. Sur les pentes des dunes, le sable est effectivement mou, et il est inévitable de s'y enfoncer un peu, ce qui ralentit d'autant la descente. Mais au pied de l'édifice lui-même, compacté par le poids formidable de la montagne de sable, le sol se durcit d'un seul coup. Lancé à toute allure, il devient alors très difficile d'y perdre de la vitesse. Instinctivement, je me suis mis à ralentir. Bien m'en a pris, car lorsque j'arrive sur la zone compactée, je parviens à rester debout, les bras tendus en balancier. Lorsque je m'arrête, l'immense pente de sable se dresse devant moi, avec, à son sommet, mes compagnons réduits à des points colorés. Plusieurs d'entre eux s'élancent à leur tour dans la pente, à des vitesses différentes suivant leur témérité. L'un d'eux n'échappera pas au piège du sable, et avant que j'aie pu le prévenir, le voici qui passe par-dessus bord, sans aucune gravité toutefois. Les dunes ont cela de remarquable qu'elles peuvent se descendre en se jetant littéralement dans la pente, que ce soit sur les pieds ou allongé par terre la tête la première, choses totalement impossibles en montagne. Elles constituent une version adulte d'un bac à sable, ou, en l'espace d'un instant, on se surprend à redevenir enfant.

Une fois l'émotion de la première descente passée, nous reprenons notre cheminement, cette fois-ci au cœur de l'erg. Désormais, les dunes nous entourent de partout. Le paysage n'est cependant pas entièrement coloré par l'orange des sables, et je remarque bientôt une, puis plusieurs taches d'un blanc éclatant au pied de certaines dunes. Notre guide nous ayant indiqué que nous passerions à côté de plusieurs d'entre elles, j'ai patienté. Une fois atteinte l'une de ces intrigantes formations, j'ai pu constater qu'il s'agissait d'une sorte de croûte calcaire salie par des matériaux argileux, un dépôt sédimentaire formé en présence d'eau. Il est possible que l'erg de Mehedjebat repose sur des sédiments calcaires, à moins que l'eau ne se soit jadis accumulée dans des cuvettes formées à la base de certaines dunes, dont le fond devait être suffisamment imperméable pour retenir le précieux liquide.

Tout relief rocheux et toute végétation étant absents, l'erg n'offrait aucune ombre pour le déjeuner. Vers midi, nous sommes donc partis vers l'est. Même en étant soulagé de trouver enfin un peu de répit face au soleil qui ne cessait de cogner, j'ai néanmoins éprouvé une pointe de regret à quitter le massif dunaire. Après avoir englouti le repas, nous avons laissé passer les heures les plus chaudes de la journée, et aux environs de 16 heures, nous sommes repartis vers le nord-ouest, en direction d'une superbe dune étoilée culminant à un peu moins de 600 mètres. Nous nous sommes ensuite enfoncés dans l'erg, toujours vers le nord-ouest, et à 17 heures, nous avons entrepris l'ascension de la dune la plus haute de notre circuit. Une fois franchie la crête de plusieurs dunes intermédiaires, nous avons marqué un arrêt pour nous reposer un peu, allongé sur le versant oriental. Les plus fatigués sont partis directement vers le bivouac, situé juste en contrebas, tandis que le groupe restant a obliqué vers le sud-ouest, le long d'une grande crête sinueuse. Le sable ne cessant de se dérober sous mes pieds, la montée devint vite fatigante, et quelques dizaines de mètres sous le sommet, j'ai dû faire une halte, les tibias en feu. C'est à quatre pattes, les mains encore plus enfoncées dans le sable que mes pieds, que je me suis hissé sur cette pyramide de sable, promontoire rêvé pour admirer le spectacle intemporel du coucher du soleil.

Une demi-heure après notre arrivée, l'astre de feu avait effectivement rendez-vous avec l'horizon. Allongés sur le versant faisant face à l'ouest, tels des guerriers du désert en embuscade, nous avons observé en silence son lent glissement vers le bas. Une fois le globe rougeoyant entièrement disparu, nous sommes redescendus en direction du campement, tandis que le ciel s'assombrissait de plus en plus en tirant sur le violet. Alors qu'une heure auparavant, les dunes étaient encore d'une blondeur éclatante, les voici qui devenaient de plus en plus orange, pour finir par brunir et disparaître dans la nuit. C'est dans une obscurité presque totale que nous avons atteint le bivouac, guidé uniquement par la lueur lointaine du feu qui y était allumé. Nous avons diné d'une soupe, puis d'un mélange de riz et de légumes, pour finir par une salade de fruits. Tandis qu'un touareg préparait le thé en suivant un cérémonial séculaire, nous étions plongés dans la résolution des petites énigmes dont notre cuisinier nous régalait chaque soir, sous les lueurs des milliers d'étoiles qui scintillaient au-dessus de nous. Juste avant d'aller me coucher, j'ai surpris une petite gerboise dans le faisceau de ma lampe frontale. Campée sur ses deux petites pattes frêles, elle est restée une seconde à fixer la lumière, avant de disparaître d'un bond dans l'obscurité.


Un puits d'une profondeur effrayante en plein désert. Le conduit obscur est protégé par une plaque de tôle. Un petit support en bois permet de descendre à la verticale un saut au bout d'une longue corde. Une telle zone confinée dans un environnement si ouvert à quelque chose de dérangeant. Cliquez pour agrandir la photo


Comme suspendue au creux d'une dune, telle une sentinelle, la silhouette bleue d'un touareg contemple un monde sans fin. Si le ciel étoilé donne toute la dimension de l'infini à celui qui cherche à l'appréhender, il ne fait aucun doute qu'en plein jour, une mer de dunes procure le même saisissement. Cliquez pour agrandir la photo


L'erg de Mehedjebat est fascinant par la gamme de couleurs qu'il déploie. Subtiles, et délicates à saisir, ses dunes varient de l'orange (à gauche) au rose (à droite), tout en changeant à chaque instant avec l'éclairage. Cliquez pour agrandir la photo


Vêtu d'une djellaba bleu clair et d'un chèche bleu foncé qui le fait se confondre avec le ciel, notre guide touareg semble nous intimer le silence. A moins qu'il n'ait repéré au loin en la désignant l'une de ces traces qu'il est le seul à percevoir, et par lesquelles se signale malgré elle tout une vie cachée. Cliquez pour agrandir la photo


Un panorama spectaculaire de l'erg Mehedjebat, pris au couchant. Même s'il peut sembler infini, ce champ dunaire s'étend seulement sur 25 kilomètres de hauteur pour 20 kilomètres de largueur environ. Il vient buter contre des massifs montagneux, que l'on devine à l'horizon.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : découverte de l'erg Mehedjebat. Début de la trace : 09:02:28. Fin de la trace : 20:19:09. Temps écoulé : 11h16. Longueur : 16.9 km. Vitesse moyenne : 1,5 km/h.

Jour 5 (jeudi 2 avril 2009) : Face au désert


Au premier plan, des traces de pas dérangent les rides sculptées par le vent. En arrière plan, une belle dune en étoile (que j'ai surnommé la dune du Ver), et plus loin les étendues plates arides de rocailles d'ou nous sommes venus. Cliquez pour agrandir la photo


Dénivelé de la randonnée : 16,2 kilomètres, avec trois ascensions (542 mètres, 584 mètres et 596 mètres).

Il était à peine 9 heures du matin, et pourtant le soleil me donnait déjà l'impression d'être suffisamment haut dans le ciel pour calciner tout ce que ses rayons touchaient. Peut-être était-ce le fait de s'être réveillé en plein milieu de la mer minérale de Mehedjebat, seulement entouré de vagues de sable, sans la moindre trace de végétation ou d'ombre ?

Depuis notre campement, nous sommes partis en direction du nord, au travers d'un paysage respirant la désolation et l'hostilité, parmi des collines de sable orangé. Comme au cours du jour précédent, nous avons rapidement remarqué la présence, au pied de certaines dunes, de dépôts blanchâtres, similaires à ceux qu'une étendue d'eau chargée en sels laisserait après sa totale évaporation. Le premier dépôt que nous avons approché était caractérisé par la présence d'étranges cheminées pierreuses, à la texture bulleuse, gris sale. Il semblait s'agir de concrétions calcaires, et notre guide nous expliqua bientôt que les minéraux avaient sans doute précipité autour de tiges végétales. Si, par endroits, des blocs rocheux affleuraient, le sol était majoritairement très meuble. Le matériau qui le constituait était bien différent de celui des dunes environnantes : il s'agissait d'une sorte de sable blanc, à grains très fins, sali selon la profondeur par des dépôts jaunâtres ou rougeâtres, dont rien ne permettait pour l'instant de deviner l'origine.

En continuant notre chemin, qui longeait par la gauche un impressionnant édifice dunaire dont nous allions faire le tour, nous sommes tombés nez à nez avec des strates sédimentaires inclinées d'une blancheur éclatante. La réverbération du soleil était tellement intense qu'il était difficile de se maintenir à leur hauteur sans reculer aussitôt devant la chaleur. La blancheur n'était pas la seule caractéristique intéressante de ce dépôt, qui contrastait de manière flagrante avec les majestueuses volutes sableuses environnantes. La roche contenait effectivement une multitude de petits cercles brun jaune, qui se sont révélés être des fourreaux fossiles vus en coupe. A cet endroit, une espèce d'animal aquatique a vraisemblablement proliféré, construisant autour de lui, pour se protéger, un petit tube minéral. Ce dernier, particulièrement résistant, s'est ensuite retrouvé fossilisé.

Tandis que le soleil continuait sa lente cuisson, nous avons finalement atteint le point de notre parcours situé le plus au nord. Ce dernier était marqué par un impressionnant bloc sédimentaire dont les flancs, hauts de plusieurs mètres, laissaient apercevoir de nombreuses strates rocheuses. Si certaines étaient, par leur couleur et leur aspect massif, des dépôts calcaires, d'autres, grises et plus fines, indiquaient la présence de matériaux argileux. Enfin, un regard un peu plus attentif révélait la présence de fines couches jaune pâle, qui laissaient immédiatement place à un dépôt rouge sombre, assez friable. Les matériaux colorés qui salissaient le sable blanc que nous avions aperçu précédemment provenaient très certainement de la désagrégation de ces couches sédimentaires. Nous avions également découvert du même coup l'origine du matériau que les hommes du néolithique utilisaient pour peindre à même la roche leurs superbes fresques. Ces derniers tiraient effectivement parti de la belle coloration sanguine des oxydes de fer d'origine sédimentaire, qui, mélangés à un sable très fin, formaient le liseré rouge sombre.

Au pied de la petite mesa, notre guide attira notre attention sur des restes osseux incrustés de calcaire : le squelette d'un infortuné dromadaire, qui s'est peut-être noyé sur place (à moins que son corps n'ait été charrié par les eaux) et dont le cadavre a fini par reposer au fond d'une étendue d'eau. Rongées par la décomposition, les parties molles disparurent, ne laissant plus que des ossements, qui furent à leur tour recouverts par des dépôts argilo-calcaires. Des milliers d'années plus tard, l'érosion exhuma l'animal de son tombeau de pierre, l'exposant à nouveau au regard indifférent d'un ciel bleu cobalt.

Vers 10h30, prisonniers des sables chauffés à blanc par les tisons du soleil, nous sommes repartis vers le sud, grimpant avec effort une pente sableuse haute de 150 mètres environ. Boire était devenu une obsession de tous les instants. A l'intérieur de ma gourde, l'eau avait depuis longtemps perdu toute fraîcheur, mais c'est pourtant avec délice que j'ai bu le liquide chaud, mêlé de relents chlorés du à la présence d'acide hypochloreux. Après une courte pause, occupés à avaler quelques délicieuses dattes et abricots secs, et à admirer le panorama qui s'offrait à nous, nous sommes repartis vers la bordure sud-est de l'erg, pour atteindre un bivouac installé à proximité d'un bel acacia, exposé aux dents voraces et coriaces de nos dromadaires.

Après avoir déjeuné, les différentes personnes se sont allongées sous l'ombre de l'arbre, pour une sieste bien méritée. Sous d'autres latitudes, les dix kilomètres que nous venions de parcourir n'auraient été qu'une simple formalité, mais effectués en plein cœur des dunes, sous un soleil de plomb, l'exercice avait fini par prélever un lourd tribut sur nos corps cuits par la chaleur. Néanmoins, rien ne me dérange plus que de rester immobile, alors qu'il y a tant à parcourir. Le circuit ne comportant qu'une seule chaussure sur le catalogue de Terres d'Aventure, c'est sans rancœur que je me suis installé sur mon matelas de mousse, avec un livre de circonstance, Dune de Frank Herbert. Hélas, ce chef-d'œuvre, que je relisais pour la troisième fois et qui se déroule sur Arrakis, une planète entièrement recouverte par les sables, a fait resurgir bien vite mon désir de mobilité. A 15h30, laissant mes compagnons sous l'acacia, avec pour tout portage mon GPS et ma gourde, je suis parti en direction d'une belle dune en étoile. A peine avais-je franchi quelques cordons dunaires que le campement d'où j'étais parti était déjà invisible.

Dans la plupart des régions montagneuses, chaque sommet à un nom, indiqué sur des cartes ou des panneaux. Mais ici, en plein désert, les dunes se dressent vers le ciel en tout anonymat. Désireux de donner un nom à mon objectif, je l'ai rapidement baptisé la dune du Ver, en hommage aux vers des sables qui hantent les déserts d'Arrakis. Parmi les crêtes qui menaient à son sommet, j'ai décidé de suivre celle qui me faisait directement face. La dune du Ver en elle-même n'était pas bien haute (584 mètres), mais ce qui m'intéressait le plus était de la gravir sous la brûlure du soleil. En haut, le panorama était spectaculaire, mais ne voulant pas inquiéter qui que ce soit, je suis rapidement redescendu vers le bivouac et son acacia.

Plus tard, alors que le jour commençait à décliner, ceux qui désiraient encore marcher sont repartis vers le nord, pour assister, comme au cours de la journée précédente, au coucher du soleil depuis le point de vue avantageux d'une dune. Une heure après notre départ, à 18h30, en haut d'une dune de 590 mètres d'altitude, nous étions en place pour le spectacle. Prévu par mon GPS à 19h03, le rendez-vous du soleil avec les courbes de l'horizon eut lieu à l'heure exacte. Sans la transition habituelle d'un crépuscule, le ciel se mit à s'assombrir, et quand nous sommes arrivés au bivouac, 40 minutes plus tard, il faisait nuit. L'obscurité aurait été totale, si la lune n'était pas déjà à demi pleine, illuminant le désert de sa lueur fantomatique, tel un lampadaire allumé par un géant dérangé par l'idée de ténèbres absolues.

S'il y a bien un seul objet que j'aurai aimé emporter avec moi, et dont j'ai regretté l'absence, ce sont bien des jumelles. Certains d'entre nous en avaient amené, mais il s'agit de petites jumelles bon marché, de faible grossissement et diamètre. Je me suis promis, pour la prochaine fois, de fourrer dans mon sac à dos des jumelles de qualité astronomique, dotées de lentilles taillées dans des verres d'une grande pureté, tout temps et stabilisée optiquement.

Parce qu'au Sahara, la voûte céleste est à tomber à la renverse. Cette nuit, comme chaque nuit, nos fidèles compagnons étaient de nouveau là. En premier lieu, la constellation de la Grande Ourse, reconnaissable entre mille grâce à sa forme de casserole. Véritable guide pour qui souhaite naviguer dans le dédale du ciel étoilé, celle-ci nous a permis d'identifier rapidement l'étoile Polaire dans la constellation de la Petite Ourse, l'étoile Arcturus dans le Bouvier, ou encore la constellation du Lion. L'autre grande star du ciel hivernal sous nos latitudes, la superbe constellation d'Orion, était également visible, avec ses super géantes (rouge pour Bételgeuse, bleu pour Rigel), et la nébuleuse M42, parfaitement visible aux jumelles. Autour d'elle, l'étoile Sirius dans le Grand Chien, l'amas ouvert des Pléiades, la supergéante rouge Aldébaran dans le Taureau, ou encore le rectangle des Gémeaux. D'autres constellations étaient également aisément observables, comme le W de Cassiopée, qu'il fallait chercher près de l'horizon, ou la figure plus diffuse d'Hercule. Les veilleurs ou les insomniaques avaient ensuite le privilège, plus tard dans la nuit, d'admirer la trace laiteuse de la Voie Lactée, dont le centre était marqué par la "théière" du Sagittaire. A ses côtés apparaissait Antarès, l'œil rouge vif du Scorpion, et vers l'est, le triangle d'été, formé par les trois étoiles les plus brillantes du Cygne (Deneb), de la Lyre (Véga) et de l'Aigle (Altaïr). Dans un silence absolu, qu'aucun souffle de vent ne venait perturber, les centaines de milliards de soleils de notre Galaxie pulsaient ainsi dans la nuit, éclairant très probablement, à des milliers et des milliers d'années-lumière de là, des déserts inconnus ou aucun homme ne voyagera jamais.


Une étrange cheminée minérale (probablement une concrétion argilo-calcaire) sort du sable, au pied d'une dune. Notre guide nous indique que ces formations sont peut-être formées par la précipitation de sédiments autour de tiges de plantes aquatiques. Cliquez pour agrandir la photo


En plein milieu des dunes, des dépôts sédimentaires d'un blanc éclatant. Ceux-ci contiennent une multitude de fourreaux fossilisés, vraisemblablement construits par un petit animal pour se protéger. Cliquez pour agrandir la photo


Une table sédimentaire constituée d'une alternance de strates calcaires et argileuses. A son pied, nous trouverons le squelette pétrifié d'un dromadaire. Je ne peux pas m'empêcher de penser qu'il s'agit précisément du type de roche que les planétologues cherchent désespérément dans les sables de Mars. Cliquez pour agrandir la photo


Gros plan sur un échantillon provenant du dépôt précédent. Les différences de coloration sont vraisemblablement dues à des oxydes métalliques. La couche supérieure (ocre rouge), riche en hématite (un oxyde de fer), est le matériau qui a été utilisé par les hommes du néolithique pour peindre à même la roche. Cliquez pour agrandir la photo


Depuis les rides laissées dans le sable par le vent (au premier et au second plan à droite) jusqu'à l'horizon lointain, le regard embrasse des dizaines de kilomètres d'un spectacle à couper le souffle.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : face au désert. Début de la trace : 08:43:14. Fin de la trace : 19:45:49. Temps écoulé : 11h02. Longueur : 16.2 km. Vitesse moyenne : 1,5 km/h.

Jour 6 (vendredi 3 avril 2009) : Les sables du Temps


La crête en S d'une dune dans l'erg de Mehedjebat. Au loin, la trace blanchâtre d'un dépôt calcaire. Cliquez pour agrandir la photo


Dénivelé de la randonnée : 15,6 kilomètres, avec deux montées (534 mètres et 583 mètres).

Notre bivouac, planté à côté d'un bel acacia, était situé juste à la bordure de l'erg Mehedjebat. S'il constituait un point de départ idéal pour les incursions dans les dunes, il offrait également la possibilité de s'évader dans des paysages différents, dominés par la rocaille, ou, plus rarement, par des secteurs verdoyants. La dernière randonnée de notre circuit allait nous permettre d'approcher encore une fois l'étonnante variété de ce secteur du Sahara Algérien. A 9h00, nous sommes donc partis vers le sud pour entamer une large boucle de 4 heures, qui contournait deux massifs rocheux. Après deux jours à patiner dans les sables fins de l'erg, ce fut un véritable plaisir que de retrouver un sol ferme, ou chaque pas portait.

La première partie de l'itinéraire nous a fait rejoindre une vallée étroite, encaissée entre deux versants rocheux. Nous avons ensuite rapidement butté contre une pente noire et rocailleuse, que nous avons escaladée pour atteindre trois points d'eau, situés à différentes hauteurs. Le troisième portait le nom évocateur de "piscine", mais la sécheresse ayant déjà fait son œuvre, la majeure partie de l'eau s'était déjà évaporée. Le soleil cognait contre les rochers calcinés, sous un ciel d'un bleu parfait. Nous avons ménagé une halte à l'ombre d'un surplomb, avant de redescendre vers la plaine, et de bifurquer vers l'est.

L'environnement s'est progressivement ouvert, et une vaste plaine s'est déployée devant nous, parsemée ça et la de touffes de graminées ou de petits acacias. A quelques kilomètres de distance, la chaleur faisait danser l'atmosphère en vagues transparentes. Notre petit groupe s'est clairsemé, comme si les espaces qui venaient de se découvrir ne rendaient plus nécessaire le fait de marcher serrés les uns derrière les autres. Chacun s'est mis à suivre, à son rythme, sa propre trajectoire, pour rapidement, n'être plus que des petites silhouettes évoluant avec lenteur dans une immensité surchauffée et engourdie.

Après avoir dépassé sur notre droite une barre rocheuse, notre guide, petit point bleu marchant avec vigueur loin devant, a obliqué au nord, puis, plus tard, à l'ouest. A l'horizon, le vert délicieux et envoutant d'une barrière d'acacia a fait son apparition, indiquant la relative proximité de notre bivouac. Comme durant le jour précédemment, nous avons fait une longue pause à l'ombre, pour laisser passer les heures les plus chaudes de la journée.

Comme c'est souvent le cas en voyage, chacun était conscient de la proximité immédiate du retour, et, lui faisant écho, la motivation avait commencé à déserter les esprits. Vers 18h00, nous n'étions plus qu'une poignée à nous diriger vers la jolie dune que j'avais déjà gravie la veille, pour assister une nouvelle - et dernière fois - au coucher de soleil. Parvenu au sommet de l'élégante montagne mobile, j'ai posé mon sac et je n'ai pas pu m'empêcher, comme les jours précédents, d'enfouir mes mains dans ce sable fin et orange, impalpable, impossible à retenir entre ses doigts. Je me suis surpris à repenser que cet erg, comme tous les ergs du Monde, n'était rien d'autre qu'un bac à sable géant, rempli de jouets pour l'esprit des hommes.

La nature même du sable, qui résulte d'une lente et inéluctable désagrégation de roches qui furent un temps si saines et massives qu'il est pratiquement impossible d'imaginer qu'elles puissent finir en poussière minérale ? Un rappel poignant du caractère éphémère de l'existence. Le nombre de grains de sable composant l'erg ? Incontestablement un nombre astronomique, qui flirte avec le nombre d'étoiles de la Voie Lactée, ou le nombre de galaxies dans l'Univers connu. Et que dire de ses étonnantes propriétés physiques ? Ni solide, ni liquide, il est à la fois capable de former de somptueux tas coniques, et de s'écouler presque comme de l'eau dans les mains qui veulent le saisir ? Comme de nombreux autres matériaux granulaires, le sable, qui semble en soi tellement banal, peut effectivement adopter des comportements stupéfiants, magiques au premier abord.

En attendant que le soleil s'approche au plus près de l'horizon, je m'étais allongé sur le dos au niveau de la crête, les pieds d'un côté, la tête à l'envers de l'autre. Etrange vision que de contempler le monde ainsi inversé. Il me semblait être un parachutiste en train de tomber vers le sol, ou un astronaute admirant le globe terrestre depuis l'espace. Enhardi par l'expérience, notre guide, dont le visage sérieux était parfois traversé par un fugace mais intense sourire d'enfant, nous invita à dévaler les flancs de la dune en roulant sur nous-mêmes. Quel autre relief, haut de plusieurs centaines de mètres, offre la possibilité de réaliser un tel exercice en toute sécurité ? Car le sable, s'il peut former une pente inclinée raide à franchir, peut tout autant ralentir et amortir un objet qui la descendrait un peu trop rapidement.

Après avoir joué comme des gamins insouciants avec le sable orange de notre dune, nous avons assisté au lent écoulement du temps, matérialisé par cette sphère rougeoyante, qui, avec une précision digne d'une horloge suisse, fut avalé par l'horizon, à 19h03 précise. Le sable s'était infiltré partout, dans mes vêtements, mes chaussures, mon sac à dos. S'il est normalement interdit d'en ramener avec soi (une règle qui concerne aussi les pierres, les minéraux, les échantillons de faune et de flore), celui-là n'aura aucun mal à passer la douane. A mon retour, je n'aurai qu'à secouer les tissus et les sacs pour le récupérer et le glisser dans un petit sablier. Tant qu'il y aura une main pour le retourner, il continuera de faire ce qu'il sait si bien faire : nous amuser, nous étonner, tout en marquant le passage du temps...


Retour dans la rocaille, après deux jours à arpenter des dunes de sable. Enfin un sol ferme sous les pieds ! Cliquez pour agrandir la photo


Des blocs rocheux aux faces étrangement lisses parsèment une petite dune, juste avant la grande plaine. Cliquez pour agrandir la photo


Un acacia et son ombre providentielle, devant les dunes de l'erg Mehedjebat. Notre bivouac n'est pas loin. Cliquez pour agrandir la photo


Il est 18h30, et l'ombre gagne désormais sur les dunes. Dans une demi-heure, l'astre déclinant aura disparu, laissant la place aux étoiles. Cliquez pour agrandir la photo


Panorama illustrant le type de paysage que l'on trouve sur la bordure est de l'erg de Mehedjebat. Des petites collines rocailleuses qui surplombent une vaste plaine lumineuse et sableuse, ou pousse avec difficulté une maigre végétation.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : les sables du Temps. Début de la trace : 08:55:51. Fin de la trace : 19:55:08. Temps écoulé : 10h59. Longueur : 15.6 km. Vitesse moyenne : 1,4 km/h.

Désert(s)


Aucun repos pour Jean, ici photographié en train de faire le pitre à Arak (crédit photo : Eric Olejnik).

Désert. Un mot qu'il suffit de prononcer pour qu'immédiatement se bouscule dans notre esprit des images de plaines ocres brûlées par le soleil, de chameaux en file indienne gravissant des dunes dorées, d'os de créatures préhistoriques blanchis et patinés par les vents, et d'oasis verdoyantes aperçues au détour d'une piste poussiéreuse. Pour ma part, j'ai découvert le désert avec le cycle de Dune de Frank Herbert, qui reste l'une des plus grandes fresques de science-fiction jamais écrites. Je n'ai jamais oublié ma première rencontre avec les sables d'Arrakis, et pour moi le désert ne cessera jamais de se confondre avec le distille des fremens, le vol d'un ornythoptère Atréide au dessus de la barrière du Bouclier, l'appel des vers au son des battements saccadés des marteleurs, et la fureur du Baron Vladimir Harkonnen devant la destruction de ces chenilles moissonneuses. Dès que j'entends le mot désert, je suis de nouveau en compagnie de Paul Atréides, de l'Empereur Dieu de Dune, des révérendes mères du Bene Gesserit, des Sardaukars de Salusa Secundus. Les images du chef-d'œuvre de David Lynch me reviennent en mémoire, tout comme les heures que j'ai passé à explorer les sables pour trouver des Sietch dans le jeu Dune I, ou les innombrables nuits employées à amasser de l'épice, à combattre les harkonnens et à éviter les vers de sable dans Dune II.

Le désert, c'est aussi une série TV qui m'avait beaucoup marqué il y a de nombreuses années. Sortie en 1987, intitulée le secret du Sahara, et bénéficiant d'un casting de qualité (Ben Kingsley, David Soul, Mathilda May, Jean-Pierre Cassel, Andie MacDowell), elle racontait l'histoire d'un archéologue parti en quête d'une "montagne qui parle", gardienne d'un ancien et fabuleux trésor, sur fond de touaregs chevauchant des chevaux rapides comme l'éclair, d'une princesse prisonnière d'un Khalif possessif, de légionnaires cupides et cruels, et de vieux sages détenant des vérités intemporelles. Magnifiée par les paysages du Sahara marocain et par la musique Ennio Morricone, elle est particulièrement difficile à oublier pour ceux qui ont eu le plaisir de la suivre sur le petit écran. Est-ce que les noms d'Anthea, de Ryker, d'el Hallem, de Desmond Jordan ou encore de Sholomon vous disent quelque chose ? Si oui, il est pratiquement certain que vous avez dû, vous aussi, être envoûté par le secret du Sahara, et l'aventure des hommes lancés à sa recherche.

Pour peu que l'on soit un peu rêveur, le désert occupe donc une place de choix dans l'imaginaire. C'est également un lieu très symbolique, qui revêt de multiples facettes. Le premier aspect qui vient à l'esprit est lié à l'hostilité, l'aridité. Qu'il soit de sable, de roche ou même de glace, le désert est une terre stérile, où chaque forme de vie est confrontée à des éléments implacables, et ou son objectif premier n'est pas de vivre, mais de tenter de survivre. En voyageant dans le désert, on ne peut qu'être fasciné par la pugnacité avec laquelle la vie s'accroche, refusant partout de céder du terrain. En observant un tant soit peu son environnement, on ne tarde pas à découvrir des traces d'insectes, des petites pousses vertes qui sortent comme par miracle des sables ou d'une anfractuosité rocheuse, l'ombre furtive d'un lézard, ou les empreintes d'un chacal ou d'un dromadaire. Rares sont en fait les places ou la vie s'est avouée vaincue, et même les sables d'Atacama, l'un des secteurs les plus arides de notre planète, hébergent des formes de vie bactériennes. Malgré tout, le désert reste un enfer de désolation pour la vie, principalement à cause de la rareté de l'eau, cet élément essentiel à n'importe quel être vivant.

Car s'il y a bien un manque à ressentir face au désert, c'est celui de l'eau. Et donc, immédiatement derrière, le désir impérieux d'en avaler à grandes gorgées. Aussi étonnant que cela puisse paraître, le plus grand plaisir, dans le désert, n'est pas d'admirer ou de contempler des espaces infinis et désolés, car ces derniers, au-delà de leur austère beauté, peuvent devenir effrayants, terrifiants. On s'imagine volontiers que les explorateurs les plus aguerris, ou les peuples du désert, prennent naturellement plaisir à évoluer dans des environnements brulés et stériles. Pourtant, même eux fuient comme la peste certaines zones délétères, et ne rêvent que de l'arrivée au puits, de la fraîcheur de l'eau, du confort de la tente et de l'apaisement ombragé de l'acacia.

Le désert est ainsi un lieu à deux facettes : ce qu'il donne d'une main, il le reprend de l'autre. La démesure des paysages, l'immensité des espaces appellent au recueillement, à la contemplation. Sur ces territoires vierges et silencieux, tout semble à nouveau possible. Si l'être humain s'y sent devenir insignifiant et terriblement fragile, il est également étourdi par cette beauté immuable qui caractérise l'Univers quand il est mis à nu. Pourtant, la traversée de ces espaces est dans le même temps une épreuve (ne parle-t on pas de traversée du désert ?), où le voyageur est exposé à de multiples dangers, errance sans but, déshydratation ou morsure du scorpion. Les mirages et les hallucinations guettent l'esprit déjà affolé par tant de vide, et sur l'écran translucide d'une atmosphère surchauffée, l'être humain en perdition projette ses fantasmes les plus désespérés, dans un dernier soubresaut d'humanité.

Le désert déborde ainsi d'imaginaire et de symbolique. Il possède cependant aussi une composante bien réelle, qu'il est possible d'appréhender en de multiples lieux de la planète. Pour moi l'initiation au désert ne pouvait se dérouler qu'à un seul endroit : le Sahara. La place est mythique, assurément. Mais à quoi peut-on bien s'attendre quand on décide d'y débouler une semaine, en voyage organisé ? Ne doit-on pas redouter une grande déception ? Tous les éléments négatifs que l'on associe habituellement à l'activité touristique de masse ne risquent-ils pas de frelater douloureusement l'expérience ?

En fait, la dureté de la vie nomade (relative bien sûr au niveau de confort auquel vous êtes quotidiennement habitué) frappe très vite le voyageur. Le désert n'est sans doute pas pour tout le monde. Quelle que soit l'agence avec laquelle vous voyagerez, quel que soit le prix que vous aurez payé, il vous faudra bientôt affronter tout un tas de désagréments, qui peuvent s'avérer rebutants. Un soleil implacable, qui vous rappellera trop souvent la définition du mot soif. Votre esprit se mettra alors à fantasmer furieusement sur un immense verre rempli d'une boisson gazeuse et pétillante, et s'ingéniera à vous en faire remarquer les moindres détails, comme la fraîcheur de la paroi, sur laquelle s'est condensée une fine couche d'eau, ou encore la tranche de citron acidulée, plantée en son sommet et qui n'attend que d'être croquée. Au lieu de ça, vous ouvrez votre gourde déjà à moitié vide pour avaler un fond d'eau chaude et chlorée. Des heures et des heures à marcher sur les regs, à suer à grosses gouttes sur les dunes, sans la moindre zone d'ombre à l'horizon. Des nuages de mouches qui vous sauteront dessus dès que vous approcherez d'une zone ou la végétation est développée, et qui feront ensuite preuve d'une incroyable détermination à vous suivre partout, même à des kilomètres du secteur où elles vous ont abordées. Au niveau des bivouacs, le sol est bien souvent constellé de centaines de crottes desséchées de dromadaires, de chèvres ou de mouflons. L'absence d'eau empêche bien sûr de prendre des douches. Au petit matin, seul le café aidera au réveil. Et le soir, après avoir ôté chemise et pantalon qui n'ont plus rien de blanc, c'est sale, puant, avec du sable partout, qu'il faut se coucher. Pas de commodités bien sûr, ce qui oblige parfois à marcher fort longtemps avant de trouver un endroit suffisamment isolé du groupe. Devant un tel régime, on entend très rapidement telle ou telle personne s'écrier "Et il faut payer pour ça ?" Bien sûr. Le plus étonnant, c'est que certains en redemandent.

Pour moi, ma première approche du désert fut une expérience toute particulière, caractérisée d'abord et avant tout par la sensation de dépouillement. Très rapidement, les sacs et affaires que je trimballais m'ont semblé inutiles. Les bagages deviennent poussiéreux et anormalement lourds, et je n'ai bientôt plus eu qu'une envie, m'en débarrasser pour évoluer plus librement. Le plus fascinant, c'est de voir avec quelle rapidité on s'habitue à ce dépouillement, cette austérité, comme si, derrière les apparences, derrière nos sempiternelles demandes de confort, on attendait en secret cette rigueur, cette sévérité. Comme si le corps se délectait d'être fatigué, sale, cuit par le soleil, sur ces terres désolées et arides. Une vie au combien simple, où l'on ne se lève jamais au même endroit, où l'on passe ces journées à marcher et où, le soir, on s'endort devant le plus grand spectacle que l'Univers a à offrir. Il paraît qu'avant d'être sous nos pas, le désert est d'abord et avant tout en nous. Qu'un voyage dans ces contrées est quelque part, un voyage intérieur, un parcours initiatique. Après tout, n'est-il pas mis en scène dans tant d'histoires et de contes, depuis le Petit Prince de Saint-Exupéry jusqu'à l'Alchimiste de Paulo Coelho, depuis le Rendez-vous d'Essendilène de Roger Frison-Roche jusqu'au Dune de Frank Herbert ? C'est peut-être pour cela que le désert frappe tant l'âme humaine. Parce qu'il en est fondamentalement un reflet, un éclat, un fragment. Une porte, inquiétante parce qu'elle donne sur l'ombre, mais que la curiosité insatiable nichée au cœur de l'homme nous pousse néanmoins, un jour ou l'autre, à franchir.

Bibliographie

. Dernière mise à jour : 29 avril 2012. Des commentaires, corrections ou remarques ? N'hésitez pas, écrivez-moi!