Atacama, eXtrême limite

Cette page relate un voyage effectué dans le désert d'Atacama chilien et bolivien, du 31 janvier au 19 février 2010, par le biais de l'agence Terres d'Aventure. Intitulé "Ojos del Salado (6934 m), Licancabur (5916 m)", ce circuit de 20 jours proposait de découvrir à pied le désert le plus aride de la planète, l'Atacama, et de gravir deux des volcans les plus mythiques de la cordillère des Andes. Pour chaque journée, vous trouverez un petit récit qui s'attache à présenter les points que j'ai estimé marquants. Quelques photographies, prises dans leur grande majorité avec un appareil numérique Sony DSC-HX1, illustrent l'ensemble.

Particularité intéressante si vous désirez replacer ce voyage dans son contexte spatial, j'ai enregistré pratiquement quotidiennement nos déplacements à l'aide d'un GPS Garmin Oregon 400T. Les traces ont été converties pour être exploitables par le fabuleux logiciel Google Earth. Lorsque vous ouvrirez un itinéraire sous ce dernier, vous serez automatiquement positionné au point de départ, à une altitude variant entre 3 et 537 kilomètres, le parcours suivi apparaissant sous la forme d'un ruban rouge (déplacement à pied) ou violet (déplacement motorisé). De nombreux points remarquables (zone de bivouac, refuges, volcans, sources chaudes, etc.) sont indiqués par de petites icônes. La plupart d'entre-elles sont cliquables, ce qui provoquera l'affichage d'une fenêtre comportant souvent une photographie, ainsi qu'une courte description de l'endroit.

Une petite échelle fera son apparition en haut à droite, ce qui vous permettra de rejouer le circuit dans le temps. La position sera alors marquée par une icône verte, qui signalera également le mode de déplacement (à pied ou en 4x4). Il est possible d'ouvrir les traces les unes après les autres, de manière à suivre l'enchaînement des différentes randonnées jour après jour. Cependant, le curseur risque de se déplacer de plus en plus rapidement, et c'est pourquoi je vous recommande de fermer Google Earth avant d'ouvrir une nouvelle trace. Si la petite icône qui marque le déplacement apparaît et disparaît trop rapidement, il vous suffit d'augmenter l'intervalle de temps pendant lequel elle est affichée en écartant les deux petits curseurs. L'échelle indique toujours l'heure locale (le décalage horaire était de quatre heures entre la France et le Chili, et de cinq heures lors de notre passage en Bolivie). Ces traces GPS constituent une excellente alternative aux photographies pour découvrir et suivre notre cheminement dans le désert de l'Atacama.

Jour 1 et jour 17 (lundi 1er février et mercredi 17 février 2010) : Santiago du Chili Beau temps (soleil)


Le funiculaire qui s'agrippe à la colline San Cristóbal offre une montée très raide (260 mètres de dénivelé pour 485 mètres de longueur, soit une inclinaison moyenne de 45°), tout à fait à l'image des pentes des volcans que nous allons bientôt avoir à gravir ! Depuis la gare de départ, le Château Pio Nono, il donne accès au sanctuaire de la Vierge. Cliquez pour agrandir la photo

Habillé de mes chauds vêtements d'hiver, adaptés au climat rigoureux de l'Europe en ce début de mois de février, j'ai débarqué un peu assommé dans la capitale du Chili, encore sous le coup des 13 heures de vol passés entre Madrid et Santiago. La bouffée de chaleur qui m'a saisie à la sortie de l'aéroport, et la hauteur des buildings de cette ville de plus de 6 millions d'habitants n'ont rien arrangé à l'affaire.

Après avoir gagné notre hôtel situé en plein cœur de la mégapole pour déposer nos volumineux bagages et nous être un peu reposé, nous sommes partis vers midi pour une première visite de la ville. Idéalement située au milieu des 4300 kilomètres que compte le Chili dans sa longueur (la carte de ce pays ressemble grosso modo à la lame d'un poignard effilé et incurvé, les chiliens préférant sans doute y voir un délicieux piment !), au niveau de la Vallée Centrale (Valle Central), à une altitude de 500 mètres environ, Santiago est niché entre la cordillère des Andes à l'est, et la cordillère de la côté à l'ouest, qui la sépare de l'océan pacifique. Désireux de progresser à pied, nous avons commencé notre modeste promenade en prenant la direction du palais présidentiel de la Moneda, puis de la Place des Armes. Nous avons ensuite fait connaissance avec la gastronomie chilienne dans l'un des nombreux et agréables restaurants qui s'abritent sous les élégantes structures métalliques du Mercado Central (au menu pour moi : paella marine et gâteau fourré à la crème caramel). Inauguré en 1872, l'endroit avait d'abord été destiné à accueillir de grandes expositions, désormais remplacées par les picadas (bons petits restaurants) et marisquerías (restaurants de fruits de mer et de poissons).

Vers 15h00, nous nous sommes dirigés vers la colline San Cristóbal, un havre de verdure sortant du sol comme s'il venait d'éclore au travers des constructions de verre et de béton. Couronnée par la statue d'une vierge d'un blanc immaculé, les bras grand ouvert vers la ville, elle est équipée d'un petit funiculaire, qui permet d'accéder à son sommet. Ce dernier était hélas fermé pour cause de panne électrique lors de notre premier passage, et il nous a fallu attendre notre retour, deux semaines plus tard, pour pouvoir bénéficier du formidable panorama qu'offre San Cristóbal sur Santiago du Chili.

Cette deuxième visite de Santiago a été plus complète que la première. Après avoir attendu en vain que le courant électrique daigne revenir alimenter les deux wagons du funiculaire, confortablement installés à la terrasse d'une brasserie, nous avions effectivement regagné notre hôtel à pied pour nous reposer encore un peu avant de nous envoler le lendemain pour Calama. Lors de notre retour, notre guide, Alexandre, nous a fait découvrir le métro de Santiago, qui nous a conduits dans le quartier florissant des affaires. De là, nous avons gagné les rues calmes et agréables de BellaVista, ou se serrent les boutiques des vendeurs de lapis-lazuli. Après avoir emprunté le funiculaire, cette fois ci avec succès, pour gagner le sommet de la colline San Cristóbal et être redescendu à pied par un joli sentier ombragé, croisant marcheurs et amateurs de VTT, nous avons continué notre route en direction d'un quartier particulièrement touristique et coloré. Là, sous avons paresseusement déambulé parmi les échoppes des vendeurs, avant de rentrer dans un restaurant ou nous nous sommes attablés devant des plateaux débordants de viandes grillés. C'est rassasiés, et quelque peu fatigués, que nous avons regagné notre hôtel en taxi.

Entre ces deux journées à Santiago, un voyage inoubliable au sein des terres brûlées d'Atacama, à gravir des volcans ocres et à marcher sur les rivages désolées de lagunes multicolores, dans des paysages tellement étranges et envoûtants qu'ils en paraissent irréels et insensés. Même après avoir lu leur description dans quantités d'ouvrages, même après les avoir admiré au travers d'innombrables photographies, je sais désormais qu'il est impossible de saisir leur beauté réelle sans les avoir vu par soi-même. C'est néanmoins eux que je vous propose de découvrir par procuration, au travers de textes et d'images digitales. Quant aux traces GPS, elles vont vous permettre, grâce au logiciel Google Earth, de vous positionner au-dessus de tous les endroits fascinants que nous avons traversés. J'espère pouvoir prochainement mettre en ligne des vidéos de survols virtuels, qui, accompagnés de commentaires audio, de musique et de photographies panoramiques, rendront sans doute le meilleur hommage à la magnificence du désert d'Atacama.


Le palais présidentiel de la Moneda (photographié ici depuis la plaza de la Constitución), tout de blanc vêtu, a d'abord servi à frapper la monnaie, avant de devenir le siège de la présidence de la République et de trois ministères. C'est entre ses murs que le président Salvador Allende s'est donné la mort lors du coup d'état du 11 septembre 1973 lancé par Augusto Pinochet. Une statue d'Allende est d'ailleurs située tout à côté. Cliquez pour agrandir la photo


La Place des Armes (Plaza de Armas) accueille la cathédrale Metropolitan (à gauche), la poste centrale (Correo Central, installée dans le premier théâtre de la ville) et l'Hôtel de ville. La cathédrale, édifiée par Pedro de Valvidia (le fondateur de Santiago) a connu une histoire mouvementée, puisque après avoir été incendiée par les indiens, elle fut détruite à trois reprises par des tremblements de terre. Cette place est un bel exemple de l'aspect hétéroclite de certains quartiers de Santiago, ou de vieux monuments côtoient des édifices modernes de verre et d'acier. Cliquez pour agrandir la photo


Dans le quartier des affaires, une église rénovée jouxte un building des plus modernes, de façon plus harmonieuse que sur la photographie précédente. Cliquez pour agrandir la photo


Plantée au sommet de la colline San Cristóbal, la Vierge de l'Immaculée Conception protège la cité de Santiago. C'est à cet endroit que le Pape Jean-Paul II s'est adressé au peuple chilien en 1987, réussissant à apaiser des tensions très vives avec l'Argentine, qui auraient pu conduire au pire. Cliquez pour agrandir la photo


La colline San Cristóbal offre un panorama à couper le souffle sur l'immense cité de Santiago. Verdoyante et ombragée, c'est également un lieu de repos particulièrement prisé par les habitants de la capitale du Chili.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Trajet depuis l'aéroport, puis première visite de Santiago. Début de la trace depuis l'aéroport : 10:07:24. Fin de la trace depuis l'aéroport : 10:29:20. Temps écoulé : 0h22. Longueur : 16,5 km. Vitesse moyenne : 45 km/h. Début de la trace "première visite de Santiago" : 11:35:59. Fin de la trace "première visite de Santiago" : 18:02:40. Temps écoulé : 6h27. Longueur : 9,1 km. Vitesse moyenne : 1,4 km/h.

Jour 2 (mardi 2 février 2010) : Calama, Chiu-Chiu et Ayquina Beau temps (soleil)Beau temps (soleil et nuages)


L'airbus A318 de la compagnie LAN Chile sur la piste de l'aéroport El Loa de Calama. Il est 10h00 du matin et le soleil tape déjà comme jamais. Cliquez pour agrandir la photo


Dénivelé de la randonnée : 10 kilomètres à parcourir sur un terrain relativement plat, avec moins de 100 mètres de dénivelé (altitude corrigée).

Le soleil a sans doute commencé à nous brûler dès la sortie de l'airbus A318 de la compagnie LAN, posé sur le tarmac du petit aéroport de Calama, mais nous n'en savions encore rien. Nous voici arrivés dans la deuxième région d'Antofagasta de ce vaste pays qu'est le Chili. Après avoir traîné nos lourds bagages à côté d'un petit bus fatigué, nous avons farfouillé dedans avec énergie, de façon à nous changer et à assembler le contenu d'un petit sac à dos en vue de notre première balade dans le désert d'Atacama.

Le véhicule s'est ébroué, laissant derrière lui le tarmac surchauffé d'El Loa, pour longer des habitations basses et cubiques alignées le long de la bordure est de Calama, l'une des villes les plus arides du monde. Dépassant les 140 000 âmes, Calama accueille de nombreux mineurs, dont ceux de Chuquicamata, l'une des plus grandes mines de cuivre à ciel ouvert du monde, après que la ville ou ils vivaient ait été démantelée. Une fois Calama dépassé, notre bus a obliqué plein est, en direction du charmant village de Chiu-Chiu, célèbre pour sa superbe église du 17ème siècle. Une fois cette dernière visitée, nous avons pris un déjeuner léger dans l'ombre rafraîchissante d'un petit restaurant, avant de nous remettre en route.

Peu après, notre bus a marqué un arrêt au bord d'une étonnante lagune, Inca Coya, presque parfaitement circulaire et perdue en plein désert. La présence de ce lac d'un bleu profond au beau milieu d'une terre claire et desséchée avait quelque chose d'étrange et d'incongru, mais la journée allait nous réserver bien d'autres surprises du même genre. Nous avons ensuite repris la route sur quelques kilomètres environ, avant de descendre du bus pour entreprendre notre première randonnée d'acclimatation. Celle-ci consistait à suivre sur environ 10 kilomètre le canyon encaissé creusé par le Rio Salado, sur un terrain très plat (moins de 100 mètres de dénivelé).

Autour de nous, tout n'est désormais plus que poussière et désolation. Un sol gris et caillouteux s'étendait jusqu'à un horizon brumeux, ou transparaissaient parfois, comme sorties d'un songe, les silhouettes coniques de lointaines montagnes aux sommets encapuchonnées de neige. Par endroit, des petites collines aux pentes adoucies venaient rompre la monotonie du paysage, certaines ressemblant à s'y méprendre aux collines Columbia du site d'atterrissage du robot Spirit sur Mars. C'est sans doute par contraste avec ce décor âpre et stérile que la végétation occupant la gorge du Rio Salado excitait autant le regard, dans une explosion de vert humide et de bleu profond.

D'une longueur de 80 kilomètres, le Rio Salado prend sa source dans le secteur d'El Tatio, grâce à la confluence d'une trentaine de sources chaudes. Son flot est ensuite grossi par les eaux des rivières Toconce et Caspana, avant que ce dernier ne fasse son lit dans une plaine d'inondation qui sert de pâturages à différents villages, dont Caspana et Ayquina. A partir de là, le Rio Salado découpe des coulées volcaniques en y creusant un étroit canyon, avant de finir sa source dans la rivière Loa (la plus longue du Chili) à quelques kilomètres au sud de Chiu-Chiu.

La chaleur qui baignait les terres rudes donnait irrésistiblement envie de descendre dans le canyon, pour se fondre dans les frondes vertes des plantes, ou s'immerger dans les eaux fraîches et bleutées de la rivière. Les animaux n'avaient d'ailleurs pas attendu pour le faire, et au niveau d'une grande anse, nous découvrons un petit troupeau de lamas domestiques et de moutons en train de paître paisiblement. Notre parcours a pris fin au lieu dit du "pont du diable" (Puente del Diablo), sorte de dolmen lancé au-dessus du Rio Salado, qui découpe ici sur plus de cinq mètres de largueur d'épaisses strates de rhyolite. Le petit bus, conduit par notre chauffeur, nous attendait de l'autre côté, fin près pour nous amener vers l'étonnant village d'Ayquina, situé plus à l'est.

Adossé à une superbe vallée encaissée (Quebrada) creusée par le Rio Salado, Ayquina est architecturé autour d'un axe central, marqué par la place carrée de l'église, à partir duquel s'étage de chaque côté, en marche d'escalier, des terrasses sur lesquelles s'amoncellement de petites habitations serrées les unes contre les autres. La grande majorité du temps, ces dernières sont désertes, et Ayquina n'est alors qu'un village fantôme, chauffé par l'œil aveugle du soleil d'Atacama. A l'exception des indiens qui nous accueillent pour la nuit et de quelques autochtones croisés dans les rues, nous n'y rencontrons pratiquement personne. Ayquina n'existe pratiquement que quelques jours par an, quand des milliers de personnes venues des communautés voisines y accourent pour la fête de la Vierge de Guadalupe. La ville devient alors sacrée, et entre en ébullition.

Nous dînons dans l'obscurité bienvenue d'une petite bâtisse, dans une pièce dénudée, avec pour seule compagnie quelques masques festifs représentant des démons accrochés aux murs. Une à une, les étoiles se mettent à briller sur la voûte céleste, illuminant d'un éclat froid ce village du bout du monde, perché à 3000 mètres d'altitude sur le flanc nord du canyon du Rio Salado.


La superbe église San Francisco, datant du 17
ème siècle (1675), constitue l'attraction n°1 du village de Chiu-Chiu, situé à une altitude de 2500 mètres au confluent de deux rivières. Les murs, très épais, soutiennent une charpente de cactus séchés maintenue en place par des liens de cuir. Cliquez pour agrandir la photo


Le Rio Salado a entaillé les coulées basaltiques en formant une gorge encaissée. Le fond de cette dernière est couvert d'une végétation qui apparaît luxuriante par rapport aux paysages environnants, rudes et asséchés.Cliquez pour agrandir la photo


Une vue des terres désertiques dans le secteur du Rio Salado. A l'horizon, au travers d'une atmosphère surchauffée et poussiéreuse, on devine les sommets enneigés de la cordillère des Andes. Certains dépassent les 6000 mètres d'altitude. Cliquez pour agrandir la photo


Un lama blanc déambule paisiblement sur une terrasse du village d'Ayquina, presque entièrement désert à cette époque de l'année. En arrière plan, le volcan Paniri, qui joue un rôle important dans la culture populaire et les croyances religieuses. Cliquez pour agrandir la photo


Accueillant quelques 70 âmes, Ayquina est en première approximation un village fantôme, qui ne s'éveille qu'en période de fête religieuse (les festivités démarrant le 8 octobre). Des milliers d'indiens (certains venants de Bolivie) y trouvent alors de quoi se loger pendant quelques jours, avant que les portes des habitations ne se referment pour une année. Le village d'Ayquina a été inscrit au patrimoine de l'UNESCO.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Calama, Chiu-Chiu et Ayquina, et détail de la randonnée au bord du Rio Salado. Début de la trace depuis l'aéroport de Calama : 10:59:03. Fin de la trace à Ayquina: 18:43:38. Temps écoulé : 7h45. Longueur : 85,1 km. Vitesse moyenne : 11 km/h. Début de la trace "randonnée au bord du Rio Salado" : 14:46:26. Fin de la trace "randonnée au bord du Rio Salado" : 18:09:36. Temps écoulé : 3h23. Longueur : 10,0 km. Vitesse moyenne : 3 km/h.

Jour 3 (mercredi 3 février 2010) : Caspana en fête Beau temps (soleil)


La jolie place de l'église d'Ayquina, autour de laquelle le village est bâti. Claire, propre et calme, elle est une véritable invitation au repos et à la méditation. Cliquez pour agrandir la photo


Dénivelé de la randonnée : 20 kilomètres à parcourir sur un terrain relativement plat, environ 200 mètres de dénivelé (altitude corrigée).


Marche sur l'unique étendue de sable que nous rencontrerons lors de notre séjour dans le désert d'Atacama (Crédit photo : Alexandre Joly). Cliquez pour agrandir la photo

Sac à dos chargé, nous avons quitté nos hôtes pour descendre dans les rues en pente d'Ayquina. Après avoir rapidement admiré la place de l'église, nous avons quitté le village en suivant un agréable sentier. Nos pas nous ont menés plein est, le long de la crête nord d'une très jolie Quebrada (vallée encaissée), dont les versants orange contrastaient fortement avec le vert des cultures en terrasses qui occupaient son plancher.

Au bout d'un moment, le sentier a fini par rejoindre une piste poussiéreuse, dont le talus abritait à demi enseveli un pipeline transportant de l'eau à usage minier. Le désert Atacama accueille en effet de nombreuses mines, d'ou les chiliens extraient des nitrates et des métaux (cuivre, or, argent). Bien que notre cheminement en hauteur nous permette d'admirer les volcans alentours, et de bénéficier d'un point de vue avantageux sur l'ensemble du canyon, nous sommes bientôt forcés, par une série de lacets, de descendre dans la gorge à un endroit ou celle-ci se scinde en deux. Après être remontés sur la crête séparant les deux branches, nous avons suivi celle disséquant le socle rocheux en direction du sud-est, avant de descendre pour rejoindre le fond herbeux et pouvoir déjeuner à l'ombre d'un abri rocheux. Il est déjà midi, et le soleil de plomb inonde le paysage de chaleur.

Le fond du canyon est occupé par un bras d'eau suffisamment profond et étendu pour nous empêcher de l'enjamber d'un bond, ou en sautillant sur des rochers émergés. Aussi insolite que cela puisse paraître, au beau milieu du désert le plus aride du monde, nous sommes obligés d'enlever nos chaussures, de retrousser nos pantalons, et de traverser à gué. Cette activité est cependant plus réjouissante qu'en Islande et pour cause. Patauger pied nu dans une vase brunâtre, au milieu de plantes aquatiques, de l'eau glacée jusqu'au genou, a effectivement quelque chose d'infiniment rafraîchissant, lorsque l'on cuit sous les rayons implacables du soleil.

Une fois sur l'autre versant, nous suivons à nouveau les lacets du canyon qui serpente vers le sud, en croisant régulièrement des habitations en ruine, dont les murets de pierre se confondent avec les roches rouge des collines. Les flancs du canyon s'abaissent au fil du sentier, et nous passons à nouveau de l'autre côté. Nous finissons par rejoindre une large piste qui dessert les excavations grises d'une ancienne mine de cuivre désormais abandonnée. De larges saignées ont été creusées dans le substratum rocheux pour dégager des veines verdâtres, probablement de malachite (un carbonate de cuivre hydraté). Certaines branches de ce mini-labyrinthe conduisent à des grottes obscures, oasis d'ombre dans ces paysages dévastées par les radiations solaires.

Durant mon enfance, je m'étais passionné de minéralogie, et c'est avec émerveillement que j'admirais, sur les pages en papier glacée de livres et d'encyclopédies, les photos de minéraux existant sur Terre. Parmi ceux-ci figuraient en bonne place les minerais de cuivre, qu'ils soient natifs, sulfures, oxydes ou carbonates ... Résidant dans les Vosges, et disposant de moyens réduits, j'avais bien peu de chance d'en ramasser par moi-même, et je rêvais de pays lointains ou il suffisait de se baisser pour ramasser de l'azurite, de la chalcopyrite et du chrysolite. Lorsque Alexandre, notre guide, qui n'avait pas manqué de remarquer mon intérêt pour la géologie, s'est penché pour récolter un petit fragment de roche verte pour me le montrer, c'est avec des yeux d'enfant que je l'ai regardé. De la malachite et de l'azurite, partout, en fragments épars sur le sol, en veines colorées affleurant le long des strates rocheuses, en tas près des secteurs excavés ... Une mine au trésor, au sens propre comme au sens figuré, comme il devait en exister tant d'autres dans ce désert qui regorge de ressources minérales, et qui a tant excité la convoitise des hommes que ces derniers se sont battus pour lui.

Laissant la mine de cuivre et ses éclats bleu-vert derrière nous, nous franchissons une derrière fois l'obstacle que constitue la tranchée creusée par la rivière Caspana avant de progresser sur son flanc sud, en direction du village du même nom. Niché tout autour d'une vallée en Y, avec ses 500 habitants, Caspana est l'exemple type du village Andin, avec son église centrale, ses habitations typiques et ses cultures en terrasses qui se déploient en arrangement géométrique sur les versants.

Nous avons la chance de rentrer dans le village le 3 février, soit le dernier des trois jours d'une fête religieuse. De nombreux membres des communautés Atacameños alentours ont effectivement élu domicile à Caspana, logeant dans des maisons ou des tentes dressées pour l'occasion. En remontant vers l'église, située sur une petite butte, nous croisons sur la route un groupe de danseurs et de musiciens en train de tenir conciliabule. La place carrée de l'église est occupée par une troupe parée de magnifiques costumes jaune et blanc, en train de danser sous les yeux de nombreux spectateurs massés le long des murs. Nous nous installons parmi eux alors que le spectacle prend fin, et tandis que les danseurs et musiciens s'avancent à l'intérieur de l'église pour y célébrer leur vierge. Après un long moment, ils ressortent en procession en transportant une petite statue, dans une ambiance festive. J'ai confusément conscience d'assister en étranger à un spectacle à la fois énigmatique et intime qui ne m'est pas destiné, et je préfère admirer la cérémonie de mes propres yeux, sans sortir mon appareil photo de sa housse.

Alors que je m'interrogeais sur le cérémonial auquel je venais d'assister, un autre groupe, différent de celui aperçu en contrebas, prend place de façon désordonnée sur la place de l'église. Moins nombreux, et apparemment plus désordonnés que le groupe précédent, ils sont habillés de rouge et de blanc, les hommes portant des masques de diable. Notre guide nous explique que les vierges qui sont célébrées sont d'abord portées en haut d'une montagne, avant d'être redescendues dans l'église. La vierge de ce groupe était-elle aussi dans l'église ? Et qu'est devenue celle transportée par le groupe précédent ? A y réfléchir, le cérémonial suivi me paraît nébuleux. L'astre solaire étant désormais couché, nous rejoignons la maison d'hôte ou nous allons passer la nuit, jusque après que les danseurs se soient pressées à leur tour dans la petite église. Les vivats et les bruits de la fête résonnent dans la nuit, mais fatigué par les événements de cette journée unique (elles le seront toutes) je m'endors aussitôt, persuadés que mes rêves seront remplis de masques démoniaques en tissu multicolore, vibrants et oscillants sur les rythmes d'une musique lancinante ...


La somptueuse Quebrada (vallée encaissée) d'Ayquina est une vraie oasis. La vision de ces falaises de roc orange, entre lesquelles pousse une végétation d'un vert éclatant, à quelque chose de fascinant. Les forces vitales ne sont jamais aussi évidentes et spectaculaires que lorsqu'elles sont saisies en plein désert. Cliquez pour agrandir la photo


Le Vizcacha est un petit rongeur de la famille des Chinchillidae que l'on peut rencontrer dans le désert d'Atacama. Il passe la plupart de son temps à somnoler de longues heures au soleil sous la surveillance d'un chef, qui alerte sa troupe d'un sifflement strident au moindre danger. Cliquez pour agrandir la photo


Un bloc massif de minerai de cuivre (probablement malachite et azurite) sur une mine abandonnée de l'Atacama. Un endroit de rêve pour tout passionné de minéralogie. Cliquez pour agrandir la photo


Une troupe de danseurs sur la place de l'église de Caspana, le 3 février 2010. La danse, préparée longtemps à l'avance, dure au moins une bonne demi-heure. Les danseurs et musiciens se rassemblent ensuite dans la petite église pour continuer la cérémonie. Cliquez pour agrandir la photo


Une vue du désert d'Atacama à quelques kilomètres de Caspana. Dominée par des volcans que l'on aperçoit à l'horizon s'étale une plaine mouchetée de petites touffes de brindilles jaunâtres. Le premier plan est occupé par un terrain plus accidenté correspondant aux abords du canyon que nous suivons pas à pas. L'air est trouble et bourdonne de chaleur.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Caspana. Début de la trace depuis Ayquina : 09:13:48. Fin de la trace à Caspana: 17:09:34. Temps écoulé : 7h56. Longueur : 21,2 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Jour 4 (jeudi 4 février 2010) : La traversée du désert Beau temps (soleil)


Notre campement dans une petite cuvette poussiéreuse de la Cuesta de Chita, au couchant. Malgré l'obscurité grandissante, on distingue le rectangle bleu de la tente mess à gauche et les dômes orange de nos quatre petites tentes individuelles. Cliquez pour agrandir la photo


Dénivelé de la randonnée : 17 kilomètres à parcourir sur un terrain en pente, environ 500 mètres de dénivelé (altitude corrigée).

Au petit matin, nous quittons Caspana à pied en traversant la vallée autour de laquelle s'étalent les habitations, pour remonter sur l'autre versant le long d'un sentier raide et rocailleux. Nous débouchons alors sur un vaste plateau désertique, disséqué par le ruissellement de torrents qui ne sont plus depuis longtemps qu'un lointain souvenir. Sous un soleil qui cogne de plus en plus fort, nous parvenons rapidement à proximité d'un petit ensemble de maisons de pierre en ruine. L'endroit semble totalement abandonné, mais des signes d'occupation subsistent dans les petites huttes : matelas défoncé et poussiéreux, théière noircie par la fumée à proximité du reste d'un feu de camp, pièce de viande desséchée par le soleil et suspendue à un plafond troué.

Après s'être reposé quelques instants à l'ombre des toits percés et délabrés, nous ressortons en pleine lumière pour longer le bord sud d'un vaste canyon, dont les falaises plongent plusieurs centaines de mètre en contrebas, vers des taches de verdure attirantes. Dans un ciel turquoise, le soleil continue sa progression vers le zénith, en dardant avec toujours plus de force ses rayons d'énergie. J'ai la gorge sèche. Quand la sensation de soif devient trop prononcée, je m'arrête quelques instants pour poser mon sac à dos et sortir ma gourde, avant de rejoindre le groupe.

Nous marchons depuis déjà 3 heures quand nous parvenons à proximité des ruines d'une petite habitation. Le soleil est pratiquement à la verticale, et l'ombre portée sur ce qui reste du bâtiment se réduit à une mince tranche sombre d'une vingtaine de centimètres de largeur, et qui va en s'amenuisant. Vacillant sous la chaleur, je prends brutalement conscience que je suis en train de marcher dans le désert le plus aride du monde, en plein été, alors que les déserts chauds, comme celui du Sahara, se visitent habituellement en hiver. Me reviennent en mémoire les paroles d'un touareg, me demandant qui serait assez fou pour s'aventurer dans les dunes du Sahara en plein mois d'août ? Or nous sommes ici dans l'hémisphère sud, et les saisons étant inversées, nous sommes bel et bien en plein été. Bien entendu, cette date n'a pas été choisie par hasard, et correspond à la période idéale pour les ascensions que nous devons entreprendre, en particulier celle de l'Ojos del Salado, mais il n'en reste pas moins que me voila planté au beau milieu du désert le plus chaud du monde, à une période qui n'est pas sans doute pas la plus propice pour nous autres êtres humains.

Obnubilé par les conditions très froides qui nous attendent en haut des sommets, et par l'équipement d'expédition à acquérir, depuis la veste en duvet jusqu'aux chaussures thermiques d'alpinisme hivernal, en passant par un sac de couchage offrant une température de confort de -24°C et les cinq paires de gants, j'ai quelque peu oublié de m'équiper aussi pour le désert. Certes, j'avais profité de notre visite de Chiu-Chiu pour acquérir pour une poignée de pesos un bob à large bord aux couleurs du village, en remplacement de ma simple casquette. Barbouillé intégralement de crème solaire, je m'étais aussi emmaillotée la tête dans un t-shirt respirant, peut-être un peu trop tard. Comme je m'en rendrais compte le jour suivant en regardant avec effarement mes mains, dans le désert d'Atacama, le soleil cogne vraiment très fort ...

Pour l'heure, allongé le long du muret, le dos plaqué sur les pierres anguleuses, j'avale difficilement un sandwich. La luminosité est intense. Dans le ciel d'un bleu parfait, le soleil se réduit à une tête d'épingle chauffée à blanc, menaçante et agressive. Depuis un moment, mon crâne me fait mal, et une douleur diffuse est apparue au niveau d'une molaire. Mes pieds ne sont pas épargnés, et j'ai l'impression que plusieurs ampoules se sont formées au niveau du pied droit. Pourtant, une fois ma chaussure enlevée, je ne vois rien de particulier. Par précaution, je pose un morceau d'élastoplaste à l'endroit de la douleur, sur un fragment de peau sans aucune rougeur ni irritation visible. Est-ce là les effets de l'altitude ? Nous progressons désormais à plus de 3000 mètres, et cette dernière est peut-être en train de m'affecter ?

Quand l'ombre portée par le muret est réduite à sa plus simple expression, nous nous remettons en route. Je marche avec une sensation de malaise. Nous finissons par rejoindre une piste en assez bon état, qui conduit à une petite mine de cuivre abandonnée. Adorant ce genre d'endroit, et ayant encore à l'esprit celle visitée le jour précédent, j'aurais du sauter de joie. Mais l'endroit semble inquiétant. Des cavités creusées dans la roche à coup de dynamite ou de barre à mines semblent recéler des dangers cachés. L'une d'elle, située presque à la verticale, et fermée par une grille rouillée, semble attendre qu'un imprudent n'y glisse. Le sol est totalement desséché, et tout n'est que poussière. Pour la première fois, je ressens cruellement le manque d'eau et d'humidité.

J'espère arriver au campement rapidement, et pouvoir y trouver de quoi me reposer. Je vais vite déchanter. La piste nous conduit à proximité d'un bofedal desséché, dans un secteur grisâtre et austère, une sorte de cuvette emplie d'une matière minérale grise et pulvérulente. Les tentes, qui sont amenées par 4x4 depuis San Pedro de Atacama, ne sont pas encore arrivées. Une fatigue tintée d'une pincée de désespoir est en train de se frayer un chemin dans mon esprit. Pour patienter, Alexandre nous propose de gravir une petite colline dominant le campement à l'ouest, de l'autre côté d'un lit de rivière asséché. Personne ne conteste, mais je ne ressens pas un grand enthousiasme parmi le groupe. C'est pourtant le premier petit dénivelé du séjour, et vu ce qui nous attend, impossible d'y couper. Avec pour seul équipement ma gourde et mon GPS, je m'engage sur le petit sentier. Au sommet, le panorama révèle un désert minéral et poussiéreux d'un brun-orange sale et poussiéreux, parsemé par des milliers de touffes d'une herbe rachitique.

Lorsque nous regagnons le campement, la tente mess est déjà montée, le véhicule que nous attendions étant arrivée entre temps. Il nous faut cependant apprendre à assembler nos propres abris de toile. Une fois cette corvée terminée, je profite de la banquette arrière d'un 4x4 pour me reposer un peu. Le repas me semble un peu fade, et j'ai du mal à le finir. Une partie de mon esprit a déjà repéré quelques-uns des signes annonçant un mal des montagnes : maux de tête, perte d'appétit, nausée. La nuit va m'en faire découvrir une autre : l'insomnie. Les douleurs fantômes aux dents et aux pieds ne correspondent cependant pas au tableau clinique. Sont-elles dues à une insolation ? Avant de me contorsionner dans la tente et de m'enfiler dans mon sac de couchage, j'avale un diamox (le seul que je prendrais), au lieu de prendre l'unique médicament qui à mon humble avis est utile là haut : de l'aspirine ou du paracétamol, additionnée d'un peu de codéine pour la douleur. La nuit sera dure, le réveil encore plus. On ne traverse pas impunément le désert.


Sous une lumière très pure, nous atteignons le versant opposé de la vallée de Caspana. Les habitations du village sont visibles en bas à gauche sous la petite croix. Cliquez pour agrandir la photo


Des bâtiments en ruine, occupés jadis par des bergers, sont disséminés un peu partout sur le plateau désertique. Les premiers que nous rencontrons forment un ensemble imposant, constitué de nombreuses habitations. Avec circonspection, nous poussons les portes qui donnent sur des intérieurs laissés à l'abandon. Cliquez pour agrandir la photo


Appartenant aux camélidés, les guanacos sont en quelque sort l'équivalent sauvage du lama. Curieux, ils peuvent fixer longtemps un élément ayant retenu leur attention. Les quatre de la photographie ci-dessus semblent en tout cas être particulièrement attentifs à notre progression. Cliquez pour agrandir la photo


Une vue des reliefs du site de notre campement, depuis la petite colline gravie en attendant l'arrivée des tentes par 4x4. Les tons gris brun du paysage, l'aspect brûlé de la végétation et la poussière du sol font de la Cuesta Chita un endroit particulièrement austère et déprimant. Cliquez pour agrandir la photo


Panorama du paysage à proximité du campement, à 10 kilomètres au sud de Caspana. Sous la chaleur intense de ce début février, des collines dénudées s'étalent sur une plaine poussiéreuse, mouchetée par des milliers de touffes d'une herbe jaunie.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : La traversée du désert. Début de la trace depuis Caspana : 09:01:20. Fin de la trace au campement de la Cuesta Chita: 17:59:46. Temps écoulé : 8h58. Longueur : 17,1 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Jour 5 (vendredi 5 février 2010) : Les brochettes de lamas de Machuca Beau temps (soleil)Nuages


Le petit campement à Machuca, sous les couleurs éclatantes du couchant. Que ce soit les tentes, la terre ou le ciel, tout fut nimbé d'orange pour quelques minutes, offrant un spectacle à se décrocher la mâchoire. Impossible cependant de saisir cette vision à l'objectif : seul mon esprit se rappelle encore du flamboiement de la terre et du ciel. Etait-ce une hallucination ? Cliquez pour agrandir la photo


Dénivelé de la randonnée : 13,5 kilomètres, environ 800 mètres de dénivelé, dont 400 pour l'ascension du Mirador (altitude corrigée).

Avec un mal de crâne lancinant, je range tant bien que mal mes affaires, avant de participer de loin au démontage de la tente. Notre journée débute par un court transfert en minibus, ce qui m'arrange secrètement. Nous empruntons une piste relativement bien entretenue qui surplombe la cuvette ou notre campement était installé. Notre chauffeur s'arrête au bord d'une falaise, pour nous permettre d'immortaliser le panorama, assez spectaculaire, sur les reliefs environnants. Nous réaliserons ainsi plusieurs arrêts avant le début de notre randonnée, qui seront autant d'occasion d'observer la faune, bien plus abondante que ce à quoi je m'attendais.

Ainsi, à proximité de la lagune du Rio Putana, nous aurons l'occasion d'admirer, outre différentes espèces d'oiseaux, des lamas, des vigognes (dont une mère et son petit), et même, au zoom, une autruche nandou. La plupart des animaux observés n'étaient pas farouches. Le nandou, qui détale d'habitude à toute vitesse (sa course étant parait-il spectaculaire) dès la moindre présence humaine a continué à fouiller dans le sol sableux comme si de rien n'était. Quand aux vigognes, qui étaient auparavant très sérieusement menacées par la prédation humaine (pour leur chair et leur peau), elles sont désormais protégées, ce qui a eu pour effet de diminuer leur méfiance. Il y a quelques années, les touristes étaient invités à demeurer dans les véhicules et à baisser les vitres pour les photographier. Désormais, on peut non seulement descendre des minibus, mais également s'approcher quelque peu pour saisir un meilleur cliché, avant d'actionner avec précaution et lenteur le zoom.

Nous avons ensuite effectué un autre arrêt plus long à proximité d'une zone marécageuse (bofedal) ou paîtraient de nombreux animaux, dont des lamas blancs qui arboraient au niveau de leur oreilles des bandelettes vivement colorées du plus bel effet. Ces étendues végétales qui ressemblent à des tourbières sont des oasis d'altitude qui servent de refuge à de nombreuses espèces, et qui sont donc particulièrement intéressantes pour ceux qui s'intéressent à la faune et à la flore d'Atacama. L'eau est indispensable à leur formation, et il est toujours étonnant de découvrir au détour d'un virage un bofedal au beau milieu d'un paysage par ailleurs totalement aride et désolé.

Notre véhicule s'est finalement arrêté une dernière fois vers 11h00 pour nous permettre de commencer une petite randonnée à destination de Machuca. Sous un ciel bleu parsemé de nuages, dans un paysage moutonnée de collines aux pentes douces piquetées par les épis dorés de paja brava, nous avons lentement cheminé sur six kilomètres, avant d'apercevoir les habitations traditionnelles du petit village, dont la superbe église isolée sur les hauteurs.

Machuca est un village à l'abandon, qui revit littéralement grâce au tourisme. Idéalement située sur la route vers les geysers d'El Tatio, il est aujourd'hui un lieu de passage très apprécié. Les villageois ont commencé à servir à quelques visiteurs de passage des brochettes de lamas, et à vendre de l'artisanat local, comme des écharpes, bonnets ou petits lamas décoratifs en alpaga. Aujourd'hui, ce sont des dizaines de bus qui s'arrêtent quotidiennement à Machuca, déversant sur le village andin des touristes salivant à l'idée de déguster les délicieuses brochettes ...

Etant arrivé vers deux heures de l'après midi à Machuca, après la foule venant d'El Tatio, nous avons avalé nos brochettes, préparées spécialement pour nous, en toute tranquillité. Un moment plus tard, un véhicule transportant quelques personnes s'est garé à proximité de la rue principale, et son équipage, nous voyant attablé, a sans doute eu quelques espoirs d'en faire de même, avant d'être débouté par les indiens. On peut dire ce que l'on veut des voyages organisés, le service que l'on paie vaut parfois (souvent) son prix ! A table, les indiens m'ont proposé une plante locale pour lutter contre le mal de tête. Quelques brins dans de l'eau chaude pour donner une infusion jaunâtre au gout désagréable, que je me suis néanmoins empressé d'avaler. A l'heure ou j'écris ses lignes, et bien que je sois guère porté sur l'herboristerie et les médecines alternatives, je regrette vraiment de n'en avoir pas ramené un sachet avec moi !

En marchant vers Machuca, Alexandre s'était renseigné sur mon état physique. Etant donné qu'il nous avait demandé d'être honnête et sincère, je n'ai pas caché grand chose de ma fatigue et des symptômes qui l'accompagnaient. Comme nous le verrons plus loin, personne n'est immunisé contre le mal des montagnes, qui peut frapper tout un chacun. L'important est d'en repérer les signes et de pouvoir récupérer le cas échéant, de manière à éviter que la fatigue ne s'accumule au fil des jours, anéantissant au final toute énergie. J'ai donc accepté avec soulagement sa proposition de passer la nuit dans un lit confortable, et non dans les tentes, que mes compagnons ont assemblé en plein village, tout à côté de la rue principale. J'ai cependant choisi de participer à la randonnée de l'après-midi, ne pouvant décemment pas passer à côté de notre premier petit sommet. Situé à environ 4200 mètres, ce dernier se trouvait à une altitude équivalente à la plus haute montagne que j'avais gravi jusqu'à présent, il y a plus de 15 ans, le mont-blanc du Tacul dans les Alpes françaises (4248 mètres).

La montée de 400 mètres, bien que constante, ne présentait pas réellement de difficulté et s'est sans trop de fatigue que je suis arrivé au sommet, ou une surprise nous attendait. D'apparence anonyme, le sommet était en fait coiffé par un petit mirador en bois, relié par une étrange passerelle à une plateforme donnant sur une falaise. Après avoir admiré le panorama, abrité des vents par la petite structure, nous sommes redescendu vers Machuca. J'ai pris mes quartiers dans une petite chambre simple mais propre, située dans une annexe de pierre, et j'ai somnolé quelques instants sur mon lit. Lorsque je me suis redressé, ma fenêtre donnait sur un monde orange : le ciel au couchant, la terre et les montagnes volcaniques, la toile des tentes, tout se confondait et se mariait dans cette teinte martienne. Un spectacle superbe, que mes minces connaissances en photographie ne m'ont pas permis de saisir. Une fois le repas avalé, je suis rentré me coucher aussitôt. Ma chambre bénéficiant du courant électrique, je n'ai cependant pas résisté à allumer mon netbook pour regarder un épisode de la série du moment, the Mentalist. Pouvoir suivre les pitreries de Patrick Jane en lisant un fichier divX au beau milieu d'un petit village perdu dans le désert d'Atacama à quelque chose de furieusement jubilatoire quand on aime le high-tech. A 4015 mètres d'altitude, entre quatre murs de pierre, j'ai dormi comme une masse, d'un sommeil calme et réparateur. Tel un ennemi embusqué battant en retraite pour mieux frapper à nouveau, mon mal des montagnes s'était mis en sourdine.


Une vigogne en train d'évoluer à proximité de la piste suivie par notre minibus, et photographiée lors d'un arrêt. Désormais protégées, les vigognes sont de moins en moins farouches, et se laissent de plus en plus facilement approcher. Cliquez pour agrandir la photo


Sous un ciel nuageux, nous marchons parmi les touffes de paja brava, sur le dos d'une large colline qui barre l'accès à Machuca. Le village lui-même, situé dans une petite dépression, n'est pas encore visible à l'horizon. Cliquez pour agrandir la photo


La superbe église de Machuca, édifiée sur le versant d'une colline, domine ce petit village qui revit grâce au tourisme. De très nombreuses personnes y viennent se restaurer après avoir admiré à l'aube les geysers d'el Tatio. Cliquez pour agrandir la photo


Situé à 4400 mètres d'altitude, le mirador de Machuca offre un abri efficace contre les vents qui balayent le sommet. Il dispose d'une étrange passerelle de bois posée à même le sol, qui conduit à un petit belvédère. Cliquez pour agrandir la photo


Un panorama des paysages du secteur de Machuca. L'aspect doré du sol est du à la présence de milliers de houppes de paja brava, l'une des très rares espèces à pouvoir survivre dans cet environnement extrême.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Machuca. Début de la trace depuis le campement de la Cuesta Chita : 08:42:52. Fin de la trace à Machuca: 19:53:58. Temps écoulé : 11h11. Longueur : 48,5 km. Vitesse moyenne : 4 km/h. Début de la trace rouge correspondant à la randonnée autour de Machuca : 11:20:11. Fin de la trace rouge correspondant à la randonnée autour de Machuca : 18:53:58. Temps écoulé : 8h34. Longueur : 13,5 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Jour 6 (samedi 6 février 2010) : El Tatio Beau temps (soleil)Nuages


Le petit refuge d'El Tatio au crépuscule. Notre groupe est en train d'y souper, tout en se préparant à une courte nuit. Les infrastructures d'El Tatio sont curieusement très réduites, quand on les compare à l'intérêt que le site suscite d'un point de vue touristique. Cliquez pour agrandir la photo


Dénivelé de la randonnée : 8,5 kilomètres, un peu moins de 600 mètres de dénivelé pour l'ascension du petit sommet sans nom situé près de Machuca (altitude corrigée).

La journée précédente avait été l'occasion de réaliser une première montée, timide, de 400 mètres, vers le Mirador de Machuca (4400 mètres), et ce après plusieurs jours passés à progresser sur un terrain relativement plat, à des altitudes toujours plus élevées (environ 500 mètres de plus par jour). De manière à continuer notre acclimatation et à augmenter d'un cran le niveau d'effort fourni, nous sommes partis en début de matinée vers un sommet légèrement plus haut (4600 mètres), situé à l'exact opposée du Mirador par rapport au village de Machuca.

Partant plein est, nous avons rapidement pris de l'altitude en cheminant sur le flanc d'une imposante masse montagneuse, pour arriver, deux heures plus tard, au sommet. Contrairement au Mirador, que l'on pouvait admirer au loin, cette cime sans nom était totalement nue, sans structure d'accueil, ni même un simple cairn ou petite croix pour marquer le point sommital. Après avoir profité de la vue, nous sommes rapidement redescendus côté nord en direction d'une vaste plaine sillonnée de pistes. Sur l'une d'elles, un point noir mobile est apparu, soulevant derrière lui un nuage de poussière. Venant manifestement dans notre direction, il n'a cessé de grossir, jusqu'à ce que l'on puisse enfin le résoudre en une figure familière, celle de notre minibus.

Une fois les sacs à dos rangés à l'intérieur, nous sommes partis plein nord, en direction du célèbre site d'El Tatio, situé à une trentaine de kilomètres de distance environ. Le trajet nous donna l'occasion de repasser à proximité de la lagune du Rio Putana, au niveau de laquelle nous avons cette fois-ci marqué un arrêt.

Marchant le long de la piste, nous avons assisté à un face à face étonnant avec une vigogne particulièrement décidée. Le sentier que nous suivions coupait la route à l'animal, apparemment désireux de rejoindre, depuis la plaine marécageuse ou il se tenait, le haut d'une colline rocailleuse. Voulant sans doute retrouver un congénère évoluant sur cette dernière, ou se mettre en sécurité sur les hauteurs, la vigogne a commencé à montrer des signes de nervosité à notre arrivée. Plutôt que d'attendre la fin de notre passage, n'y tenant plus, elle s'est avancée vers nous, partant à gauche, jaugeant nos positions respectives et les faiblesses de la barrière que nous constituions alors, avant de faire quelques pas vers la droite, puis à nouveau vers la gauche, tout en avançant imperceptiblement. A quelques mètres de nous, elle a alors foncé dans la trouée la plus importante, située entre moi et le dernier membre de notre groupe. L'animal est passé en flèche à un mètre de moi, et je l'ai suivi à l'œil nu en pivotant sur moi même (j'avais décidé qu'il fallait mieux profiter du spectacle en direct plutôt qu'au travers de l'objectif d'un appareil photo). Une fois sur la crête de la colline, la vigogne s'est arrêtée pour nous dévisager d'un air fier et satisfait, puis, après quelques instants, elle s'est éloignée d'un pas tranquille, disparaissant de notre champ de vision. Pour tout dire, cette journée m'a fait l'effet de participer à un safari, et durant notre séjour, nous observerons quantité d'animaux, dont seul un petit nombre sont illustrés sur cette page.

Après avoir cahoté sur une piste bien mal entretenue au vu du trafic qui l'emprunte quotidiennement, nous sommes arrivés en milieu d'après midi sur le site d'El Tatio, alors presque complètement désert. Destination extrêmement prisée par les chiliens et les touristes étrangers, El Tatio se visite à l'aube, quand le soleil n'est pas encore levé. Crachées par les nombreuses bouches hydrothermales, les panaches de vapeur se déploient alors majestueusement dans une atmosphère froide et calme. Partout, des colonnes blanches s'élèvent vers le ciel, donnant l'impression que le sol s'est craquelé de toutes parts, cédant enfin sous la pression d'une chaleur interne qui ne demande qu'à s'épancher librement en surface.

La visite d'El Tatio correspond à un rituel bien établi, et tandis que nous plantions nos toiles de tente un peu à l'écart du refuge principal, Alexandre nous a expliqué ce à quoi nous devions nous attendre au petit matin. Les premières voitures arrivent très tôt, vers 6h00, tous phares allumés, et elles sont bientôt rejointes par de nombreux bus qui déversent les visiteurs au niveau du bâtiment principal pour une courte pause. Ceux-ci remontent alors dans les véhicules pour être conduit au beau milieu du site proprement dit, le long de pistes qui desservent toutes les zones intéressantes. Avec une eau qui peut jaillir à 85°c et un sol qui n'est par endroit constitué que d'une croûte minérale mince et cassante, El Tatio recèle son lot de pièges et il convient d'être prudent, de respecter les consignes et de ne pas s'écarter des sentiers de visite. Après un parcours de deux heures environ (sans doute plus pour ceux qui décident d'aller se tremper à la piscine), les visiteurs repartent généralement vers Machuca ou San Pedro de Atacama, et le site retrouve progressivement sa tranquillité.

Avec 100 000 visiteurs par an, le site d'El Tatio est le second site le plus touristique du Chili, juste après les magnifiques cathédrales de pierre du massif du Torres del Paine en Patagonie. On comprend donc son importance, à la fois pour le pays et pour les populations locales. Pourtant, les geysers d'El Tatio ont été récemment menacés par un projet d'exploitation autorisé par les autorités chiliennes. En 2009, un forage entrepris par le consortium GDN (Geotermica del Norte), désireux d'installer à proximité du site une usine géothermique de 40 Mégawatts, a provoqué une fuite d'eau bouillante, de vapeur et de gaz. Un panache de 60 mètres de haut s'est déversé pendant presque un mois sur le sol, dans un vacarme de fin du monde, avant que la société ne puisse stopper le flux surchauffé. Le secteur dénaturé est parfaitement visible à l'entrée du site, et forme une tache blanchâtre de dépôts minéraux qui recouvrent les versants. Les géologues pensent qu'un incident de ce type pourrait déstabiliser l'équilibre naturel du site et conduire à l'extinction des geysers naturels par abaissement de la pression hydrostatique. Les opposants au projet, très nombreux, ne contestent pas l'intérêt de la géothermie, mais estiment que le site d'El Tatio, de part sa richesse et son importance économique ne se prête absolument pas à l'installation de centrales électriques.

Une fois notre repas pris dans le petit refuge de pierre, nous avons regagné nos tentes pour passer une courte nuit à 4300 mètres d'altitude. La perspective d'être réveillé par les phares et klaxons des véhicules tout-terrain le lendemain n'avait que peu d'importance, puisque nous devions de toute façon nous lever tôt pour réaliser notre première véritable ascension, celle du Cerro Soquete, dont le sommet biscornu s'élève au-dessus des geysers d'El Tatio à 5400 mètres d'altitude.


Une jolie vue du Mirador de Machuca, prise depuis l'autre côté du village. Le zoom optique 20x de mon appareil photo permet d'apercevoir le petit Mirador et son étrange passerelle de bois au sommet. Cliquez pour agrandir la photo


Un spécimen de Llareta, un végétal qui ressemble à une mousse et dont la croissance est très lente. Les petites feuilles, qui forment une structure extrêmement compacte, exsudent une résine qui durcit encore plus la masse végétale. Cette espèce est un excellent combustible, et a été tellement exploitée par les mineurs qu'elle a été un temps en voie de disparition. Cliquez pour agrandir la photo


Un bofedal à proximité de la lagune du Rio Putana. Cet écosystème est une sorte de marécage d'altitude qui se forme dans les secteurs ou l'eau affleure, permettant le développement d'une végétation rase et d'un sol organique souvent encroûté. De nombreuses espèces de plantes et d'animaux y trouvent des conditions propices pour se développer. Cliquez pour agrandir la photo


Une vigogne peu farouche aux abords de la lagune du Rio Putana. Longtemps chassées pour leur laine, l'une des plus fines du monde, les vigognes sont désormais protégées. Au fond à gauche, on aperçoit la silhouette diffuse et caractéristique d'un tourbillon de poussière, ou queue du diable (dust devil). Cliquez pour agrandir la photo


Un panorama pris à l'entrée du site d'El Tatio. Le Cerro Soquete, qui culmine à 5390 mètres, est visible à l'extrême droite, juste au-dessus du petit bâtiment. Ses flancs clairs et bariolés ne laissent planer aucun doute sur sa nature volcanique. Le secteur blanc visible au centre correspond à la malencontreuse percée d'un geyser "artificiel" lors d'une opération de forage, qui a littéralement dénaturé tout une partie du site. Avec de tels dégâts, on comprend qu'une forte majorité de la population locale soit opposée au nouveau projet d'exploitation du site autorisé par le gouvernement chilien (une première tentative ayant eu lieu dans les années 60 sous l'égide de l'Agence pour le développement économique du Chili, avant d'être abandonnée pour des raisons de rentabilité).

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : El Tatio. Début de la trace depuis Machuca : 09:44:10. Fin de la trace à El Tatio : 16:17:33. Temps écoulé : 6h33. Longueur : 43,1 km. Vitesse moyenne : 7 km/h. Début de la trace rouge correspondant à la randonnée autour de Machuca : 09:44:10. Fin de la trace rouge correspondant à la randonnée autour de Machuca : 14:12:05. Temps écoulé : 4h28. Longueur : 8,5 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Jour 7 (dimanche 7 février 2010) : L'ascension du Cerro Soquete Beau temps (soleil) Ascension d'un volcan


Le site d'El Tatio (4350 mètres) sous les lumières du couchant. L'endroit présente relativement peu d'infrastructures au regard du nombre de visiteurs quotidiens qu'il reçoit. Cliquez pour agrandir la photo


Dénivelé de la randonnée : 19,1 kilomètres, environ 900 mètres de dénivelé pour l'ascension du Cerro Soquete (altitude corrigée).

Les premiers véhicules ont finalement débarqué encore plus tôt que prévu, et c'est sous la lumière des phares perçant la nuit et le brouhaha diffus des discussions que nous nous sommes extirpés, encore un peu endormi, de nos toiles de tente, sous le faisceau de nos lampes frontales. Nul doute que nous avons du apparaître un peu comme des extraterrestres pour les visiteurs, déjà massés en longue file sur la petite place du refuge.

Une fois le petit déjeuner englouti (ce dernier était constitué de café ou de thé, accompagné de toasts grillés ronds servi avec beurre et confiture), nous nous sommes entassés à 8h00 dans le minibus qui s'est élancé en direction du sud est vers le Cerro Soquete. Après vingt minutes et plusieurs barrières franchies (la piste passait en effet dans le secteur d'une usine géothermique interdit au public), nous avons été déposés au pied du volcan à 4500 mètres d'altitude.

Un sentier s'élevait rapidement sur le flanc de la montagne. Nous avons débuté l'ascension tous ensemble, mais rapidement, les différences de rythme de chacun ont scindé notre petite caravane en deux groupes distincts : le premier avec Elvis, le guide local qui nous accompagnait depuis le début du séjour, et qui réalisait ici avec nous sa dernière randonnée, et le second avec Alexandre, le guide français avec lequel nous allons effectuer tout notre périple.

Le premier groupe a fini par disparaître de mon champ de vision, tandis que le sentier se faisait de plus en plus ténu, laissant de plus en plus part à la supposition quand au cheminement à suivre. Arrivés devant une grande barre rocheuse, nous décidons de tirer à droite, sans savoir qu'un itinéraire plus praticable contourne en fait l'obstacle par la gauche. Après bien des efforts, et quelques pas d'escalade, nous finissons par sortir au sommet de la barre, en ayant malheureusement laissé derrière nous l'un de nos compagnons, qui a perdu toute envie de monter. L'altitude vient de faire sa première victime.

Je lève les yeux pour tenter d'apercevoir le sommet du volcan, mais ce dernier n'est pas encore visible, masqué par la pente d'un petit ressaut qui semble ne jamais devoir finir. Je débouche finalement sur une petite crête à 5200 mètres d'altitude, qui offre une vue superbe sur le Cerro Soquete. Son sommet est double, comme si la montagne était coiffée d'une corne. Le petit col qui sépare les deux affleurements rocheux (dont le véritable sommet situé à gauche) n'est cependant accessible qu'au terme d'une longue traversée. Je distingue à peine le liseré du sentier qui s'élance au travers d'une pente très claire. Mes compagnons sont désormais réduits à l'état de petits points, et à en juger par les à-coups de leur progression et les nombreux arrêts qu'ils marquent, la traversée n'a pas l'air d'être une partie de plaisir. Au sommet, j'aperçois les silhouettes du premier groupe, qui se découpent sur un ciel bleu acier.

Pas après pas, je monte lentement mais inéluctablement le long du sentier, essayant de me convaincre que chacun de mes mouvements me rapproche effectivement du sommet. Au terme d'un effort qui me paraît redoutable, je parviens au col ou s'entassent les sacs à dos des premiers arrivants. Je décide de garder le mien, qui pèse de plus en plus lourd, et c'est avec difficulté que je franchis les dernières dizaines de mètres sur un petit pierrier, m'aidant à l'occasion de mes mains pour grimper. En haut, la vue est absolument spectaculaire et le Cerro Soquete offre un magnifique belvédère sur El Tatio et les volcans de la cordillère des Andes. Il faut cependant nous résoudre à redescendre, et nous nous remettons en route en suivant le sentier jusqu'aux barres rocheuses. A partir de là, le terrain nous permet de couper au plus court et c'est en dévalant le versant que nous atteignons le minibus, dont le chauffeur nous attend sagement. En tout, l'ascension nous a demandé presque 6 heures, dont 4 heures pour la montée de 900 mètres et 2 heures pour la descente.

Place au repos du guerrier ! Le site d'El Tatio est équipé d'une piscine artificielle en plein air, composée d'un bassin rectangulaire dans lequel une source chaude vient se déverser, et d'un petit muret de pierre qui permet de s'abriter des éléments et de déposer quelques affaires. Inutile de vous dire qu'il s'agit d'une attraction particulièrement prisée, et au petit matin, bravant les sautes de vent et le froid, des dizaines et des dizaines de personne y plongent avec délice. N'importe quelle petite brochure touristique vous recommandera de vous habiller chaudement pour visiter El Tatio à l'aube, mais de ne pas oublier non plus serviette et maillot de bain !

Il est plus de 16h00 quand nous arrivons à la piscine. Celle-ci est pratiquement déserte, et à l'exception d'un petit groupe de chiliens qui sont d'ailleurs sur le départ, ses eaux troubles sont de nouveau calmes et paisibles. Nous sommes bientôt seuls, baignés par une eau chaude qui remonte des profondeurs de la Terre, entourés de toutes parts par les cimes oranges des volcans de la cordillère des Andes, admirant le sommet du Cerro Soquete qui pointe à l'horizon du haut de ses 5390 mètres, et sur lequel nous nous dressions fièrement il y a tout juste quelques heures. Les panaches de vapeur qui accompagnent le jaillissement de l'eau sous pression ont certes disparu dans l'atmosphère encore chauffée par les rayons du soleil, mais les paysages blancs, beige et ocres d'El Tatio n'en demeurent pas moins envoûtants. Des nuages blancs s'amoncellent dans le ciel, et l'air se rafraîchit autour de nous. Il nous faudra bientôt sortir mais pour l'heure, flottant sur le dos dans l'eau grise, les bras étendus comme des ailes et les yeux rivés vers le ciel azur et les cônes brûlés des volcans, je respire une paix que seule l'altitude peut apporter.


Les bâtiments d’une usine géothermique, devant la vapeur blanche des fumerolles. La reprise d'une activité industrielle dans le secteur d'El Tatio rencontre une vive opposition de la part des communautés locales et de nombreux groupes d'experts en environnement. Cliquez pour agrandir la photo


Le désert d'Atacama, vu depuis les pentes du Cerro Soquete. La montée est régulière jusqu'à 5200 mètres, et ne présente pas de difficultés particulières. Cliquez pour agrandir la photo


Seul le secteur sommital demande un peu plus d'effort. Une grande traversée sur une pente claire permet d'accéder à un petit col, et de là, à un amoncellement de roches qui culmine à 5390 mètres d'altitude. Deux des membres de notre groupe, déjà engagés sur la traversée, donnent l'échelle... (saurez-vous les trouver ?) Cliquez pour agrandir la photo


Le Cerro Soquete représente mon premier 5000. Au sommet, la vue est absolument splendide sur le site d'El Tatio et les cimes colorées de la cordillère des Andes. La photographie ci-dessus montre quelques-uns des sommets visibles au sud/sud ouest. Cliquez pour agrandir la photo


Situé à environ 5400 mètres, le Cerro Soquete est le premier des trois sommets que nous allons gravir. Bien qu'essentiel à notre acclimatation, il ne nécessite pas encore de revêtir des vêtements thermiques particuliers et peut se gravir avec du matériel de montagne classique. Pour ma part, j'ai cependant profité de son ascension pour tester mes chaussures d'alpinisme hivernal que j'utiliserai sur l'Ojos del Salado. L'effet de l'altitude, qui rend chaque pas et geste plus difficile, peut déjà se faire sentir, sans être encore réellement bloquant. Il convient bien entendu d'être attentif à toute apparition de symptôme pouvant signifier un mal des montagnes. Après tout, même s'il n'en a pas l'air, le Cerro Soquete culmine à une altitude bien supérieure à notre Mont Blanc national, qui du coup, perd beaucoup de sa superbe !

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : L'ascension du Cerro Soquete et détail de l'ascension. Début de la trace depuis El Tatio : 07:57:53. Fin de la trace à El Tatio : 15:34:41. Temps écoulé : 7h37. Longueur : 19,1 km. Vitesse moyenne : 3 km/h. Début de la trace rouge correspondant au détail de l'ascension : 09:44:10. Fin de la trace rouge correspondant au détail de l'ascension : 14:12:05. Temps écoulé : 4h28. Longueur : 8,5 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Jour 8 (lundi 8 février 2010) : Les fumées d'El Tatio Beau temps (soleil)


Ces dépôts vivement colorés peuvent avoir une origine minérale (formation d'oxydes) ou biologique (développement microbien). De nombreuses manifestations géothermiques d'El Tatio offrent des couleurs remarquables, qui sont un régal pour les passionnés de photographie. Cliquez pour agrandir la photo


Transfert en bus d'El Tatio au refuge bolivien du Licancabur : 146 kilomètres de parcours, avec un passage à 2500 mètres à San Pedro de Atacama (altitude corrigée).

Comme dans l'excellent film "un jour sans fin" avec Bill Murray et Andie MacDowell, chaque journée à El Tatio ne semble être qu'un éternel recommencement. Comme hier, nous sommes réveillés par la lumière des phares, les discussions et les coups de klaxons. Comme hier, je me frotte les yeux pour apercevoir les files d'attente devant le petit refuge, et le même ballet des 4x4 et des véhicules, certains venant juste d'arriver, d'autres repartant déjà vers le secteur des geysers. La seule différence, c'est que cette fois ci, nous allons prendre part à cette activité aussi débordante que matinale.

Après un rapide café pris à l'intérieur du refuge, nous montons dans notre minibus qui doit nous déposer un peu plus loin au nord. Ayant passé la nuit sur place, nous sommes partis relativement tôt, et la piste est relativement dégagée. Passés quelques minutes, nous sommes cependant forcés de constater qu'El Tatio motive un grand nombre de personnes à se lever aux aurores ! Les parkings aménagés autour du secteur des geysers sont effectivement occupés par des dizaines et des dizaines de véhicules, et un grand nombre de visiteurs déambulent déjà paisiblement par petits groupes autour des colonnes de fumées blanches.

La visite, qui se déroule sur un peu moins de deux heures, se fait à pied, en respectant les consignes de sécurité. La diversité des manifestations géothermiques d'El Tatio est bluffante. Les stars sont bien entendu les nombreux geysers, qui crachent à différentes hauteurs leurs jets d'eau brûlante et de vapeur, qui se condense aussitôt dans l'air glacé. Cependant, on ne tarde pas à découvrir d'autres formations tout aussi fascinantes : dômes étranges édifiés par l'accumulation des minéraux contenus dans l'eau (probablement de la silice en grande majorité), rigoles et filets intensément colorés par des oxydes ou des microorganismes, bassins remplis d'une eau parfaitement transparente, cratères fumants dont le fond est occupé par une boue chaude et clapotante, concrétions minérales en forme de bulbes blanchâtres qu'on pourrait confondre, avec un peu d'imagination (ou un pisco sour ?) avec des œufs pondus par une créature extraterrestre ... Alors que le soleil se lève sur les sommets environnants et que la ligne d'horizon passe du bleu au jaune, l'impression de marcher sur la surface d'une autre planète est particulièrement vivace.

Le spectacle prend fin vers 10h00, quand l'atmosphère commence à se réchauffer, stoppant alors la condensation de la vapeur qui devient progressivement invisible. Ayant rejoint le minibus à l'autre extrémité du champ de geysers, nous retournons au refuge pour prendre un rapide petit-déjeuner, avant de plier nos tentes et d'entasser nos sacs dans notre véhicule. Il est pas loin de 11h00 quand nous quittons définitivement El Tatio pour rejoindre le célèbre village de San Pedro de Atacama, situé à environ 90 kilomètres au sud. Après seulement 4 kilomètres de route, nous dépassons un petit bus apparemment mal en point, rangé sur le bord de la piste poussiéreuse. Très mauvaise, cette dernière met la mécanique des véhicules à rude épreuve, et vient de faire une victime de plus. Le chauffeur a contacté son agence à San Pedro, et un second véhicule est sensé partir rapidement pour rapatrier les infortunés passagers. De notre côté, disposant de deux places libres, nous prenons en charge deux françaises que nous ramenons sur San Pedro, non sans s'être assuré auparavant que le groupe restant sur place dispose d'une réserve d'eau suffisante.

Nous découvrons San Pedro de Atacama sous le soleil d'un chaud début d'après midi. Nous ne pouvons guère nous attarder, et après avoir déjeuné dans un restaurant, nous reprenons la route en direction de la Bolivie. Un premier contrôle de douane a lieu à San Pedro même, puis nous mettons le cap plein est, en gagnant progressivement en altitude. Partant de 2500 mètres, nous allons effectivement devoir franchir un col à 4500 mètres, avant de nous retrouver sur l'altiplano bolivien. Le paysage qui défile derrière les vitres est superbe, et offre une vue magnifique sur le cône parfait du volcan Licancabur, que nous allons gravir le lendemain. Nous passons de surcroît à proximité du site du projet ALMA, un observatoire radio-astronomique ultramoderne dont les 66 antennes de 12 mètres de diamètre ont été érigées au pied du Cerro Toco à 5000 mètres d'altitude. Malheureusement pour moi, une visite n'est pas prévue au programme, et je ne peux que soupirer en pensant à tous les observatoires célestes que l'homme a installé sous le ciel pur du désert d'Atacama : le VLT du Cerro Paranal, La Silla, Gemini Sur, Cerro Tololo, Las Campanas ...

Après un nouvel arrêt à un poste frontière, situé sur la ligne de démarcation qui sépare le Chili de la Bolivie, nous arrivons rapidement à un petit refuge isolé, bâti à 1 kilomètre environ au sud de la Laguna Blanca. C'est la fin de l'après midi et un fort vent d'origine thermique souffle en brusques rafales sur les paysages désolés de l'altiplano. Dans le refuge, le confort est sommaire mais les lits sont confortables. Un point qui n'est pas sans présenter une certaine importance, car l'ascension de demain promet d'être sérieuse. Culminant à presque 6000 mètres d'altitude, le Licancabur ne se gagne pas sans efforts. Nous nous affairons tous bientôt sur nos sacs, sortant les grosses paires de gants, sous-vêtements thermiques légers et cagoule en fourrure polaire. La nuit va être courte : le lever est effectivement prévu à 05h00 du matin heure chilienne, soit 4h00 heures pour ceux qui sont passés à l'heure locale. Demain à un goût d'inconnu ...


La bouche d'un geyser crache un jet d'eau brûlante, dont la vapeur se condense aussitôt dans l'air froid. A l'horizon, le soleil ne va pas tarder à illuminer les sommets, dont le Cerro Soquete, que l'on distingue à gauche. Cliquez pour agrandir la photo


Si les geysers, très nombreux, constituent l'attraction n°1 d'El Tatio, d'autres formations sont tout aussi étonnante, comme ce petit cratère fumant. Ce qui s'agite au fond demeure un mystère, étant donné qu'il vaut mieux garder ses distances. Le sous-sol cache d'innombrables chausse-trappes, et un pas de trop peut conduire droit dans une flaque de boue fumante ou un bassin d'eau surchauffée. Cliquez pour agrandir la photo


Un bassin rempli d'eau claire et chaude, dont les parois en entonnoir sont revêtues par un tapis microbien bleu-vert du plus bel effet. La coloration des biofilms constitue un excellent indicateur de la température de l'eau. Cliquez pour agrandir la photo


Le sommet du volcan Licancabur se découpe dans le ciel, au-dessus des maisons basses de San Pedro de Atacama. Difficile d'être insensible à la vue qu'offre ce village de 2000 habitants, situé à l'extrémité nord du Salar d'Atacama, en plein milieu du désert du même nom. Cliquez pour agrandir la photo


Panorama du site d'El Tatio pris au couchant. Ce site unique comprend 40 geysers, 60 bassins thermaux et 70 fumerolles, concentrés sur une zone d'environ 3 km
2.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Les fumées d'El Tatio. Début de la trace depuis El Tatio : 07:01:42. Fin de la trace au refuge bolivien du Licancabur : 17:34:45. Temps écoulé : 10h33. Longueur : 146 km. Vitesse moyenne : 14 km/h. Début de la trace rouge correspondant au circuit à pied: 07:13:40. Fin de la trace rouge correspondant au circuit à pied : 8:44:31. Temps écoulé : 1h31. Longueur : 3,0 km. Vitesse moyenne : 2 km/h.

Jour 9 (mardi 9 février 2010) : Le grand Licancabur Beau temps (soleil) Ascension d'un volcan


Il est 05h45, et l'horizon commence à s'illuminer, dévoilant les cimes des volcans de la cordillère des Andes, ainsi que les eaux opalines des lagunes Verde et Blanca en contrebas. Cliquez pour agrandir la photo


Dénivelé de l'ascension : 7,7 kilomètres et une montée sur une pente pratiquement constante de 1300 mètres (altitude corrigée).


Le versant chilien du volcan Licancabur, tel qu'il apparaît depuis la route menant en Bolivie. Bien qu'il soit possible de l'attaquer par ce côté, la grande majorité des ascensions se font sur le versant bolivien. C'est sans doute plus prudent : pour protéger leur partie du volcan, les chiliens n'ont pas hésités à le miner !Cliquez pour agrandir la photo


Une petite sieste au sommet du Licancabur. Accélérer dans les 50 derniers mètres n'est pas une bonne idée ! (Crédit photo : Alexandre Joly). Cliquez pour agrandir la photo

Lorsque la porte s'est ouverte sur l'extérieur, à 4h40 du matin, mon esprit a immédiatement enregistré deux choses : le froid extrême de la nuit andine, et l'incroyable splendeur du ciel étoilé austral. Emmitouflés dans plusieurs couches de vêtements, avec l'impression d'être un bibendum, encore un peu endormi malgré l'action rafraîchissante de l'air glacé, nous nous sommes maladroitement rassemblés autour du véhicule 4x4, frontales allumées. Sept petits points lumineux perdus dans l'obscurité du désert, répondant en une sorte d'écho aux milliards de soleils suspendus au-dessus de nos têtes. Malgré l'étroit faisceau de nos lampes et les phares du véhicule, le spectacle de la voûte céleste était étourdissant. La voie lactée barrait de sa traînée laiteuse le ciel noir, entourée par quelques-unes des plus belles constellations de l'hémisphère sud : le Lion, Hercules, la Vierge, le Bouvier, Ophiucus, la Croix du Sud, la Chevelure de Bérénice, le Scorpion... Et comme pour parfaire cette vision merveilleuse, la planète Mars, en pleine période d'opposition (cette dernière a eu lieu le 29 janvier), brillait tel un œil rouge à 35° au-dessus de l'horizon, comme pour nous rappeler la force des liens que le désert d'Atacama en général, et le Licancabur en particulier, possèdent avec elle.

La lune étant encore couchée pour quelques heures, le 4x4 progressait lentement le long de la Laguna Blanca sur une piste bosselée et poussiéreuse, à la seule lueur des phares. Le visage collé à la vitre froide, je savais que l'étendue d'eau était toute proche, sans pouvoir malgré tout la voir. Une fois l'étendue hypersaline dépassée, nous avons continué un peu à proximité du rivage de la seconde lagune, la Laguna Verde, avant de virer au sud pour nous éloigner de quelques kilomètres, afin de parvenir au pied du volcan. A peine sorti de la jeep, Mars attire de nouveau instantanément le regard. Une bonne partie du ciel étoilé est cependant désormais masquée par les pentes totalement obscures du Juriques et du Licancabur.

Notre guide nous donne les dernières instructions : nous allons tous progresser groupés, les uns derrière les autres, en file indienne, à un rythme très lent, dans lequel il faudra néanmoins se caler. Toutes les heures, si besoin, nous ferons une petite pause de 5 minutes pour boire et souffler un peu. Dans la nuit, les points brillants de nos frontales ont commencé à s'aligner, et telle une chenille lumineuse se tortillant sur elle-même, nous avons commencé à attaquer la pente du Licancabur.

Après environ une heure et quart, un mince ruban pâle est apparu à l'horizon, dévoilant petit à petit les formes agressives des cimes de la cordillère des Andes. En contrebas, les deux lagunes sont sorties de la nuit, tels des miroirs opalescents. Très rapidement, le liséré laiteux s'est teinté de jaune, et le ciel à l'horizon est passé du pourpre à un bleu très foncé. Puis le soleil est apparu, et tout s'est brusquement éclairé : la pente rocailleuse et très prononcée sur laquelle nous progressons, les dizaines de cônes des volcans alentours, le relief formidable du volcan Juriques tout proche, et les eaux verdâtres de la Laguna Verde, avec, plus à l'est, la tache blanchâtre de sa compagne. Seul le sommet du Licancabur, masqué par sa propre masse, demeurait invariablement invisible.

Avec une pente inclinée en moyenne de 30°, un terrain scabreux et l'augmentation rapide de l'altitude, la montée demande un effort constant, qui finit par faire sa première victime. L'un d'entre nous, ayant de plus en plus de difficulté à progresser, et après une série de petits arrêts de plus en plus longs et fréquents, décide d'entamer la redescente. Nous sommes encore assez bas pour que celle-ci ne présente pas de risques importants, et notre compagnon peut donc l'entreprendre seul, le guide local, Pedro, se chargeant de suivre sa progression aux jumelles, pour s'assurer que tout va bien.

Sous un ciel de plus en plus bleu, nous continuons à monter. Nous évoluons désormais dans un chaos de roches, et un coup d'œil vers le haut ne laisse rien présager de mieux pour les heures qui suivent. Il n'y a désormais plus l'ombre d'un sentier. Seule la présence du guide nous assure que chacun de nos pas n'est pas fait en vain et que, lentement mais sûrement, le long d'une trajectoire idéale, nous nous rapprochons d'un sommet qui est toujours hors de vue. Un membre de notre groupe commence à s'essouffler sérieusement, et tandis que le terrain devient de plus en plus exigeant, notre guide décide de ralentir encore le rythme, en s'arrêtant plus souvent pour permettre à tous d'être au même niveau, avant de repartir à nouveau pour une petite montée.

Je rêve depuis des années de gravir le Licancabur, sans doute depuis la première fois ou j'ai écarquillé les yeux, stupéfait, devant la photographie de ce cône orange parfait, planté tel un défi sur le plateau désertique de l'Atacama. Si j'ai été le dernier à mettre les pieds sur le sommet du Cerro Soquete, une étrange énergie m'anime depuis le début de l'ascension. Je parviens à mettre mes pas dans ceux du guide, sans me laisser distancer. Un part de moi désire ardemment arriver en haut, et sans doute arriver en premier. Tandis que notre petite procession est de nouveau en train de s'allonger, la distance entre les marcheurs ne cessant d'augmenter comme un élastique sur lequel on tirerait, Pedro s'arrête sur un petit replat rocheux, fait quelques pas sur la gauche, et bras tendu, me désigne une petite crête dont la pente, plus claire que les gros blocs de lave anguleux qui nous entourent, semble conduire droit vers le ciel cobalt. Le sommet du Licancabur se tient devant moi.

D'un geste, Pedro m'invite à continuer seul, alors qu'il s'arrête de son côté pour attendre le reste du groupe, qui chemine encore dans les derniers mètres du pierrier. Un peu intimidé de devoir trouver par moi-même mon chemin vers le sommet tout proche, je me remets en marche, étudiant avec attention le terrain devant moi pour m'assurer que je ne m'écarte pas de la bonne direction. Progressant désormais seul, je ressens soudain l'envie impérieuse d'accélérer le pas et de franchir au plus vite les dernières dizaines de mètres qui me séparent encore de l'objectif, pris par le besoin égoïste d'arriver en haut du volcan avant quiconque, pour n'enivrer de la formidable solitude aérienne qui ne peut qu'exister à son sommet. Alors je fais ce qu'il ne faut absolument pas faire lorsque l'on évolue à haute altitude. Lentement mais sûrement, j'accélère la cadence. Mes pas commencent à se faire plus rapides, ma foulée s'allonge, et ma vitesse grimpe imperceptiblement. Au détriment de mon énergie, ma vitesse ascensionnelle se met à augmenter. Je me surprends à jeter quelques coups d'œil en arrière, pour m'assurer que personne derrière n'a réagi au brusque changement de mon rythme de montée. Comportement parfaitement irrationnel, mais les raisons qui nous poussent à gravir les sommets sont souvent profondément intimes, et tandis que je franchissais les derniers mètres dans ce qui me semblait être un pas de course, j'ai compris que les miennes m'ordonnaient d'atteindre le sommet en premier, pour que ce volcan, pendant les 5 minutes que j'ai passé seul sur sa cime, soit le mien.

Je savais que le cratère du Licancabur était occupé par un lac, pour l'avoir lu de nombreuses fois dans les livres ou les publications scientifiques, pour l'avoir admiré sur les images satellites. Rien, néanmoins, ne peut préparer à la vision que j'ai eu lorsque, presque chancelant, je me suis approché de la lèvre du cratère et que mon regard a plongé en contrebas. C'est une petite étendue d'eau verte comme les émeraudes, et aussi transparente que le plus pur des cristaux. Nichée entre les contreforts du cratère, et protégée des vents, elle repose là, dans une solitude qui semble infinie, offrant la vie à des organismes qui sont trop petits pour être entrevu à l'œil nu. Qu'on ne s'y trompe pas, malgré les conditions extrêmes qui règnent en haut du Licancabur, le vivant a décidé de les braver, et le lac accueille bactéries, algues et diatomées qui s'y trouvent tout à leur aise. Pourtant, ces eaux alcalines vert sombre semblent déjà appartenir au monde minéral, et dès que l'on s'écarte des rives pour remonter le long des versants ocres et rocailleux du cratère, on sent bien que l'on contemple ici l'une des limites fondamentales de notre planète. Celle ou la vie ne peut plus faire autrement que de reculer, pour laisser la place au néant, à l'abîme, qui, bien loin d'être noir, se décline jusqu'à l'horizon dans une variété infinie de tons et de couleurs. Le sommet du Licancabur est un vibrant témoignage de ces terres du ciel qui ne peuvent manquer d'exister par millions dans notre Galaxie, et dont la beauté insoutenable des paysages ne sera jamais contemplée par quiconque dans l'Univers.

En 2002, la NASA a initié une série d'expéditions pour étudier le biotope du lac du Licancabur, l'objectif étant de pouvoir ouvrir une fenêtre sur les conditions qui ont peut-être existé il y a plusieurs milliards d'années sur Mars à l'époque du Noachien. Au sommet de ce volcan, les conditions sont effectivement extrêmes : température très basse, pression atmosphérique faible (480 mbars), absence presque totale de précipitation, et enfin rayonnement ultraviolet important, que les eaux cristallines du lac ne bloquent pas comme c'est le cas pour les eaux plus troubles des lacs situés à basse altitude. Recroquevillé au fond du cratère de 200 mètres de diamètre qui occupe le sommet du Licancabur, ce lac s'étend sur environ 100 mètres de large, pour une profondeur d'environ 4 mètres. Bien que la température moyenne de l'air soit de -12°C et que l'isotherme 0°C se situe à 4400 mètres, ce lac est recouvert par de la glace une partie seulement de l'année, la température de l'eau étant de +6°C au fond et de +5°C en surface. L'hypothèse la plus vraisemblable pour expliquer son existence est de considérer qu'il est alimenté et/ou réchauffé par un système hydrothermal maintenu en activité par une poche de magma située sous le cratère. Bien qu'aucune éruption n'ait été observée au cours des temps historiques (600 à 1000 ans), le Licancabur est effectivement considéré par les volcanologues comme un volcan endormi. Les eaux du lac renferment en effet une forte proportion d'éléments provenant de la dissolution de verres volcaniques ou de fluides magmatiques. Elles sont cependant pauvres en phosphore et en azote, et sont donc oligotrophique (c'est à dire peu propice à la prolifération d'organismes). L'eau ne renferme que 15 cellules de phytoplancton par millilitre, ces dernières étant en grande majorité des diatomées. Le sulfate de calcium est la principale espèce minérale, et l'eau gèle à 0°C.

Les deux lagunes situées au pied du volcan sont également intéressantes, bien que sensiblement différentes du lac trônant au sommet du Licancabur. La Laguna Blanca est très peu profonde (moins d'un mètre) et contient une grande quantité de sels, dont du chlorure de sodium, mais aussi des sulfates et des hydrogénocarbonates. Le point de congélation de cette saumure est donc abaissé à -5°C. L'azote et le phosphore sont abondants, et elle constitue un milieu hypertrophique (pouvant permettre le développement massif d'organismes vivants, les diatomées ne se privant d'ailleurs pas). Les vents thermiques qui déferlent sur l'altiplano contribuent à agiter les eaux, qui sont alors troubles (la plus grande partie des particules maintenues en suspension sont des frustules de diatomées, c'est à dire le squelette externe de silice que ces algues se fabriquent). L'intense rayonnement ultraviolet induit des mutations, et il n'est pas rare d'observer au microscope des diatomées présentant des déformations (qui peuvent être ou non létales).

De son côté, la Laguna Verde atteint une profondeur de 40 mètres. Comme le lac du Licancabur, ses eaux sont oligotrophiques (peu d'azote et de phosphore). Sa richesse considérable en éléments minéraux dissous (trois fois la salinité de l'eau de mer) fait qu'elle ne peut geler qu'à -25°C. Au petit matin, lorsque les vents sont faibles, la lagune est verdâtre. Quand ces derniers forcissent au milieu de l'après midi, l'agitation provoque une mise en suspension de nombreuses particules, ce qui diminue la transparence de l'eau dont la surface se pare alors d'une superbe teinte turquoise. De part sa couleur, la Laguna Verde donne irrésistiblement envie de s'y baigner, d'autant plus que l'augmentation de la densité due à la teneur en minéraux permettrait d'y flotter sans le même effort. Il faut pourtant s'abstenir, car les eaux qui l'alimentent (sources hydrothermales) sont chargées en éléments toxiques comme l'arsenic.

Hypnotisé par les teintes surréalistes des lagunes et le panorama qui m'entoure, je n'arrive pas à détacher les yeux du paysage. Pourtant, l'effort consenti pour me hisser sur la dernière pente m'oblige finalement à m'asseoir contre le petit cairn qui marque l'emplacement du sommet et c'est dans cette position, affalé sur le sol, peu digne il est vrai d'un andiniste accompli, que me trouve le reste du groupe. Nous sommes bientôt réunis au sommet, et le drapeau breton, amené par l'un d'entre nous, flotte fièrement dans l'air ténu. Pedro farfouille dans les pierres qui constituent le petit cairn pour y extraire un sac de plastique noir, qui renferme un petit cahier ou chacun est invité à laisser un souvenir sous forme d'un court message manuscrit. L'heure tourne néanmoins, et si nous voulons éviter les vents thermiques qui vont bientôt descendre en bourrasque des sommets, il faut nous attaquer à la descente. Nous sommes bientôt jetés malgré nous dans la pente, qui semble ne former qu'un immense entonnoir vers l'étendue horizontale de l'altiplano 1400 mètres en contrebas. Le terrain n'est qu'un pierrier instable, et il faut prendre garde à ne pas déchausser trop de roches de nos gestes maladroits. Au bout d'un moment, j'ai cessé de compter le nombre de fois ou, prenant appui sur une jambe, le sol s'est dérobé, et ou je me suis retrouvé, après avoir décrit une courbe que j'imagine peu élégante, les quatre fers en l'air, couvert de poussière, le sac à dos de guingois, tentant maladroitement de me redresser le plus dignement possible.

Ayant décidé que la meilleure manière d'abréger cette pénible épreuve que représente toute descente étant de diminuer le nombre de petits arrêts propices au repos, j'ai fini par me retrouver en tête, avec, devant moi, le spectacle hallucinant des volcans ocres de la cordillère des Andes. Un sentiment d'irréalité m'a alors envahi, celui de vivre un moment totalement inattendu. En 1984, David Lynch a sorti le film Dune, adapté du roman éponyme de Frank Herbert, qui constitue pour moi le plus grand livre de science-fiction jamais écrit. Sur l'affiche du film, au-dessus d'une dune de sable surmontée par deux lunes, il y avait cette simple phrase : "Un monde au-delà de vos rêves, un film au-delà de votre imagination". Et bien l'Atacama c'est ça. Sauf que ce n'est pas un rêve. Sauf que ce n'est pas un film. Mais quelque chose de bien réel, et de totalement fou, que l'enfant que j'étais, descendant d'un pas vif les sentiers ombragés des forets vosgiennes lors de randonnées en compagnie de mon père, n'avait jamais même osé espérer un jour voir.


Il est presque 7 heures du matin, et le soleil éclaire désormais majestueusement l'altiplano bolivien. Au pied du volcan s'étendent les eaux verdâtres de la Laguna Verde, reliée par une petite parcelle de terre à la Laguna Blanca. Ces deux lacs hypersalins n'en formaient initialement qu'un. Elles constituent depuis des environnements radicalement différents en termes de pH, température, profondeur et salinité. Cliquez pour agrandir la photo


Le cratère de 200 mètres de diamètre du Licancabur accueille un petit lac aux eaux claires comme du cristal. D'une profondeur de 4 mètres et mesurant environ 100 mètres de large, ce dernier ne doit son existence qu'à la chaleur résiduelle que le Licancabur garde en son sein. D'anciennes lignes de rivage sont visibles sur son pourtour, et il est possible que le lac ait initialement comblé le cratère (sur 200 mètres de diamètre et 65 mètres de profondeur). Cliquez pour agrandir la photo


Le volcan Juriques, vu depuis le sommet du Licancabur. Son cratère, presque parfaitement circulaire, mesure 1,5 kilomètres dans sa plus grande largueur. Avec le Sairecabur (5970 mètres), il constitue un bel exemple des volcans que l'ascension du Licancabur donne soudain envie de grimper. Cliquez pour agrandir la photo


Le sommet du Licancabur est un milieu extrême. Baigné par les ultraviolets, soumis à des vents violents, les températures y sont très froides, l'atmosphère étant trop ténue (480 mbars) pour retenir la chaleur du soleil. L'équipement est donc important et ne doit pas être négligé, même si vous n'êtes pas obligés de vous accoutrer comme un cosmonaute (ce à quoi j'espère ressembler sur cette photographie, inutile de le cacher !). Cliquez pour agrandir la photo


Une fois gravi, le Licancabur offre une vision étourdissante sur l'altiplano et la cordillère des Andes. La pureté du ciel, le cuivre des volcans et les couleurs irréelles des lagunes constitue un spectacle d'une intensité peu commune, et l'espace d'un instant, on se croirait devenu un aigle survolant les terres inconnues d'une lointaine planète, perdue dans l'immensité de l'espace et du temps.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : L'ascension du Licancabur et détail de l'ascension. Début de la trace depuis le refuge bolivien : 04:40:32. Fin de la trace au parking : 15:19:07. Temps écoulé : 10h39. Longueur : 19,3 km. Vitesse moyenne : 2 km/h. Début de la trace rouge correspondant au détail de l'ascension : 04:23:31 (heure bolivienne). Fin de la trace rouge correspondant au détail de l'ascension : 14:19:07 (heure bolivienne). Temps écoulé : 9h53. Longueur : 7,7 km. Vitesse moyenne : 0,8 km/h.

Jour 10 (mercredi 10 février 2010) : Vers Caldera Beau temps (soleil)


Après 9 jours passés sur les terres écrasés de chaleur, la vision de l'océan pacifique procure un sentiment d'étrangeté. Pourtant nous sommes bel et bien encore en Atacama. Autour de nous, la région de la côte est marquée par une grande désolation, que ce soit les rivages ou les sommets de la cordillère côtière, noyés une bonne partie de la journée dans les brumes blanches de la camanchaca. Cliquez pour agrandir la photo


Transfert en bus vers Caldera : 834 kilomètres de parcouru, avec un passage de 2500 mètres (San Pedro de Atacama) au niveau zéro à Caldera (altitude corrigée).

La nuit à San Pedro de Atacama fut très agréable, après la fatigue de la journée et comparé à la nuit très écourtée de la veille. J'ai tout de suite aimé la chambre, toute simple, avec un lit douillet et des petites fenêtres équipées de moustiquaires. Ouvertes, elles donnaient sur un joli petit muret d'adobe orange qui faisait le tour de l'hôtel et sur le bleu infini du ciel. L'air était brûlant à notre arrivée, la pièce ayant été écrasée de chaleur, comme tout le village d'ailleurs, durant toute la journée, mais l'air frais de la nuit, que j'imaginais pénétrer lentement en vagues froides et délicieuses dans la chambre, a fini par avoir raison d'elle.

La journée promettait également d'être reposante. Notre séjour dans la deuxième région d'Antofagasta était terminé, et nous devions maintenant descendre de 800 kilomètres au sud, en direction de la troisième région d'Atacama, pour entreprendre une expédition de cinq jours, devant nous conduire au sommet du plus haut volcan actif de la planète, le Nevado Ojos del Salado. Pilier de lave et de glace dressé vers le ciel, ce dernier marque la limite australe du désert d'Atacama.

Notre trajet s'est effectué en bus, un moyen de transport très usité dans certains pays d'Amérique du sud. La perspective de parcourir presque mille kilomètres par ce biais pourrait au premier abord susciter de l'appréhension, mais le Chili s'est doté d'une infrastructure adaptée à sa géographie tout en longueur. Nous avons embarqué dans un bus à deux étage de la compagnie Tur Bus au terminal de San Pedro, qui après une heure de route nous a déposé à Calama. De là, nous avons pris place à bord d'un bus de la catégorie cama que nous avons gardé jusqu'à Caldera, et dont le confort n'est battu que par la catégorie premium (il est également possible de voyager de façon plus économique en empruntant les catégories economico et semi cama). Les bus cama disposent de sièges inclinables de grande taille, similaires à ceux que l'on trouve en classes business sur les avions, et voyager dans ces conditions est un véritable plaisir. J'avoue que le niveau de confort était encore supérieur à celui du bus de ligne que j'avais utilisé deux années auparavant en Patagonie, pour relier Punta Arenas (Chili) à Ushuaïa en Terre de feu (Argentine).

Sur des centaines et des centaines de kilomètre, le désert d'Atacama a défilé derrière les vitres, et malgré l'animation offerte à l'intérieur du bus (depuis Hulk à Star Trek en passant par des sketchs hilarants de Mr Bean), j'avais souvent bien du mal à garder les yeux sur le petit écran de télévision. A proximité de San Pedro, il était possible d'apercevoir depuis la route les contreforts de la cordillère de sel. Dans ce secteur, des roches et sédiments âgés de 23 millions d'années ont été redressés (parfois à la verticale) et plissés par les forces tectoniques qui sont à l'origine de la surrection des Andes. Les forces érosives de l'eau et du vent ont alors vigoureusement sculpté les massifs de sels, de gypse, d'argiles et de calcaires pour façonner des reliefs d'une beauté surréaliste. C'est au niveau de cette cordillère, qui s'élève en moyenne à 2300 mètres d'altitude, que se trouve la vallée de la mort ainsi que la célèbre vallée de la Lune, dont les paysages insolites évoquent ceux d'une lointaine planète.

Pendant plusieurs heures, le bitume de la panaméricaine n'a cessé de traverser des étendues brûlées et monotones. Seuls les petits autels dressés au bord de la route en souvenirs de personnes disparues dans un accident, et les quelques bâtiments éparses de villages, attestaient d'une présence humaine. Puis, surgissant brusquement derrière les derniers reliefs de la cordillère de la côte, au détour d'un virage, la masse grise de la ville d'Antofagasta est apparue devant notre véhicule. Cinquième ville du Chili en termes de densité de population et capitale du désert d'Atacama, Antofagasta a été fondée en 1850. Appartenant initialement à la Bolivie, elle a été occupée puis annexée par le Chili durant la guerre du pacifique. Les conséquences de la prise d'Antofagasta furent dramatiques pour les boliviens, puisque ceux-ci y perdirent leur seul accès à l'océan. Nous n'aurons pas le temps de visiter Antofagasta, puisque après une pause de 30 minutes dans un vaste terminal, nous reprenons la route en direction du sud.

Comme le montre le profil d'altitude enregistré par le GPS, notre trajet nous a fait traverser deux cordillères. Une coupe transversale au travers du désert d'Atacama montre que ce dernier est cerné, à l'ouest, par la cordillère de la côte et à l'est, par la formidable muraille de la cordillère des Andes. Ces deux chaînes de montagne font barrage aux précipitations, qui n'ont pratiquement aucune chance d'atteindre le désert. Dans certains secteurs de l'Atacama, il ne pleut qu'une fois tous les dix ans. Une petite chaîne de montagne, qui résulte comme les deux premières du plissement du continent sud américain sous la poussée continuelle de la plaque de Nazca, ceinture également à l'ouest le salar d'Atacama. S'étirant du nord au sud sur 600 kilomètres, parallèlement à la chaîne des Andes, la précordillère de Domeyko coupe en quelque sorte le désert en deux du haut de ses 3000 mètres, séparant les plaines désertiques à l'ouest des hauts plateaux à l'est. Partant de San Pedro de Atacama, notre bus a grimpé sur la cordillère de sel et la cordillère de Domeyko, avant de franchir la cordillère de la côte pour parvenir à Antofagasta. De là, nous sommes repassés derrière la cordillère de la côté pour longer son flanc oriental, avant de franchir à nouveau ses reliefs beaucoup plus au sud, au niveau de Chañaral. A 22h15, après un voyage d'environ 13 heures, nous sommes finalement arrivés au bord du Pacifique, dont les eaux baignent le rivage de la petite ville de Caldera. Après avoir déposé les affaires à l'hôtel, nous sommes partis en hâte en quête d'un restaurant encore ouvert à cette heure tardive. Nous avons finalement jeté notre dévolu sur le premier établissement qui a bien voulu nous accueillir. N'ayant plus de pain, ce dernier ne pouvait me servir l'un des fameux "completo" dont on ne cessait de me vanter les mérites, et je me suis donc rabattu sur un hamburger chilien constitué de plusieurs fines tranches de bœuf grillé et servi dans un plat (churrascos). Malgré le fait que je sois revenu au niveau zéro, et bien qu'ayant passé la journée confortablement affalé dans le fauteuil d'un bus, je n'en ai fait qu'une bouchée.


Au travers des vitres du bus, les paysages torturés de la cordillère de sel défilent. C'est dans ce secteur que s'ouvre la fameuse vallée de la Lune. Mon guide touristique indique que lorsque la lueur de notre satellite se reflète sur les millions de cristaux de gypse déposés au sol, on se croirait sur une autre planète ! Rien à faire, il faut impérativement que je revienne ici ! Cliquez pour agrandir la photo


Sur le bord de la panaméricaine, entre Calama et Antofagasta, un superbe exemple d'art rupestre. Ce géoglyphe est probablement très récent, mais un grand nombre de dessins géants, animaux, figures géométriques ou signes abstraits, ont été gravés sur les collines du désert d'Atacama. Souvent énigmatiques, la signification exacte de ces géoglyphes qui peuvent être
visibles à des kilomètres à la ronde se perd dans la nuit des temps. Cliquez pour agrandir la photo


Le voyage en bus n'étant pas propice aux prises de vue, voici quelques images que je n'ai pas pu placer ailleurs. Ci-dessus, une sterne surprise à El Tatio. Cliquez pour agrandir la photo


Un lézard, dont la peau est en parfaire harmonie avec les roches environnantes, sur le sentier menant au petit village andin de Machuca. Cliquez pour agrandir la photo


Plus de 800 kilomètres au sud du Licancabur se trouve notre prochain et dernier objectif : le volcan Nevado Ojos del Salado, le plus haut volcan actif du monde (visible au centre, juste sous l'extrémité droite de la masse nuageuse). Dans ce secteur de la cordillère des Andes, les montagnes retrouvent un aspect alpin ou himalayen plus "classique" que les sommets fauves et vierges de glace du Norte Grande.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Vers Caldera. Début de la trace depuis San Pedro de Atacama : 08:52:38. Fin de la trace à Caldera : 22:30:03. Temps écoulé : 13h37. Longueur : 834 km. Vitesse moyenne : 61 km/h.

Jour 11 (jeudi 11 février 2010) : Laguna Verde Beau temps (soleil)


Située à 4300 mètres, la Laguna Verde constitue le premier site d'acclimatation pour l'ascension de l'Ojos del Salado. Il est équipé de deux vastes tentes dôme, qui servent surtout de cantine, tout en permettant de stocker du matériel. Nous avons pour notre part dormi dans des tentes North Face, plantées (qui a dit avec difficulté ?) sur la berge sud de cette superbe lagune.  Cliquez pour agrandir la photo


Transfert en bus vers la Laguna Verde : 344 kilomètres de parcouru, avec un passage du niveau zéro à une altitude de 4300 mètres (altitude corrigée).

Nous entamons une nouvelle journée de transfert, qui va nous faire repasser, en l'espace de quelques heures, du niveau zéro à plus de 4000 mètres d'altitude. Nous laissons derrière nous la petite station balnéaire de Caldera et la plage Bahia Inglesa (ou nous nous prélasserons au retour) pour partir en direction de Copiapo, située à environ une heure de route. Fondée au 18ème siècle, cette ville de mineurs a tiré sa prospérité des mines d'argent découvertes aux alentours. Elle possèderait un musée minéralogique qui, d'après mon guide, est présenté comme le plus intéressant de tout le Chili ! J'ai de plus en plus l'impression que l'Atacama regorge de trésors, et après la cordillère de sel, entraperçue derrière les vitres d'un bus fonçant vers Calama, voici que je place une nouvelle croix sur la carte de ce désert. Au fur et à mesure de mes lectures, une fois rentré, j'en ajouterai d'autres, sur le sommet du Cerro Paranal, site d'installation du VLT (Very Large Telescope), sur les villages fantômes abandonnés après la ruée vers l'or blanc du désert (nitrates). Ou encore sur les nombreux volcans à escalader, les ruines d'une forteresse Inca, les étendues aveuglantes des salars, les eaux couleur de sang d'une lagune perdue en plein désert. L'Atacama est en train de m'attirer comme un aimant.

Pour l'heure, nous avons rendez-vous à Copiapo avec l'équipe de guides et d'assistants d'Aventurismo (au 240, rue d'Atacama !), une agence de voyage qui a obtenu la concession pour l'Ojos del Salado, et qui est donc en charge des infrastructures et de la sécurité pour ce sommet (ce qui inclus différents camps de base ainsi que le secteur de la Laguna Verde). Un droit d'entrée de 116 euros est demandé à toute personne désireuse d'effectuer l'ascension de l'Ojos del Salado, qui reçoit en échange une autorisation d'entrer dans le secteur sous concession, pour y mener quelques activités que ce soit.

Comme je l'ai découvert avec surprise (et avec un certain amusement aussi, la symbolique de ces sommets-frontières ne me laissant pas indifférent), l'Ojos del Salado partage un point commun avec le Licancabur. Ces deux sommets sont effectivement situés de part et d'autre d'une frontière entre deux pays : Chili et Bolivie pour le Licancabur, et Chili et Argentine pour l'Ojos del Salado. Pour grimper sur ce dernier, il faut également obtenir l'autorisation DIFROL, qui peut être demandée et vérifiée par les carabineros présents dans le secteur. Effectivement, en cas d'incident au cours de l'ascension, il peut être plus aisé de dégager côté argentin que côté chilien, d'ou la nécessité d'être en règle avec les autorités chiliennes si un passage inopiné de frontière doit avoir lieu dans l'urgence.

Une fois les formalités réglées, et après un passage dans un supermarché Jumbo pour effectuer des courses de dernières minutes, nous quittons vers midi la civilisation à bord de deux véhicules 4x4 pour nous enfoncer à nouveau dans les terres désolées et brûlantes du désert d'Atacama. Les dernières traces de verdure et d'habitations disparaissent bientôt pour laisser place à un paysage aride, constitué de petites collines beige et grise. La route, qui devient chaque kilomètre plus mauvaise, s'encaisse de plus en plus, tandis que nous prenons de l'altitude. Par endroit, tout n'est que poussière et rocaille déprimante. Puis, presque sans aucune transition, le désert se déploie dans une explosion de couleurs : des falaises rougeâtres laissent la place à des collines gris de fer, qui disparaissent à leur tour pour donner naissance à des crêtes dont les versants sont bariolés façon arc en ciel en rouge, vert et jaune. La richesse en minerais devient ici évidente, et les hommes, qui n'ont cessé d'y creuser à coup de pioches ou de bulldozers, ne s'y sont pas trompés.

Alors que nous abordons un massif de collines aux versants jaune pâle et blanc, la route commence à dessiner des lacets. De nombreux tracés de piste sont visibles sur les pentes et nous doublons bientôt des camions cahotant de façon balourde, engourdis par de lourds chargements de pierres. Au détour d'un virage, dépassant à peine du remblai qui borde la route, le museau pointu d'un renard famélique, poil en bataille, nous dévisage. Ces grands yeux noirs ne nous quitteront pas pendant de longues secondes, avant qu'il ne se détourne définitivement, pour disparaître dans la chaleur et la poussière grise. Difficile de croire qu'un canidé comme le renard puisse trouver de quoi s'alimenter dans un milieu aussi hostile et extrême, mais malgré sa maigreur, l'animal était bel et bien loin d'être mort.

Le secteur vers lequel nous nous dirigeons étant situé à proximité de la frontière avec l'Argentine, il n'est pas étonnant d'y rencontrer des postes de contrôle, comme celui du salar de Maricunga. Nous nous y arrêtons quelques instants pour signaler notre présence, et bien qu'il faille presque aussitôt repartir, je ne peux m'empêcher de faire quelques pas pour me rapprocher de l'immense étendue de sel qui brille telle de la neige sous le soleil de plomb. Au-dessus du sol, l'air vibre comme s'il était chauffé par un brasero géant, et je ne peux qu'imaginer la fournaise qui doit régner à cet endroit. Les salars ont cela de fascinant que bien qu'ayant été d'anciens lacs ou mers intérieurs, ils n'ont plus rien en commun avec ces milieux, étant devenus des enfers chauffés à blanc.

Après avoir longé la bordure est du salar, la route passe à proximité d'un cours d'eau, le Rio Lamas, dont le lit, véritable fleuve végétal, serpente dans une petite gorge, vision tellement incongrue qu'on pourrait aisément la prendre pour le résultat d'une hallucination. Il faut pourtant se faire une raison, l'eau continue d'être présente sur cette terre de désolation. L'incroyable spectacle des eaux turquoises de la Laguna Verde, située à 50 kilomètres de là, en est la parfaite démonstration. Ce lac hypersalin constitue un véritable joyau serti entre les cimes éthérées de nombreux volcans, comme El Muerto, l'Incahuasi ou encore l'Ojos del Salado. Ses rives sont recouvertes d'un dallage de plaques de sel, et si l'eau est aussi glacée que sa couleur le laisse supposer, il est possible de se réchauffer dans quelques-uns des bassins thermaux naturels présents sur ses rives et alimentés par des sources chaudes.

Notre campement est installé juste sur la berge sud, et si le confort offert par nos nouvelles tentes North Face de compétition sera forcément sommaire, personne ne peut se plaindre de la vue ! Deux grands dômes permanents ont été érigés, qui servent principalement de tente mess. La nuit arrive vite, et avec elle, un froid acéré. Après un rapide repas, tout le monde repart bien vite vers son sac de couchage sans se faire prier. Malgré la température, le vent et l'altitude, la Laguna Verde est un petit paradis par rapport à ce qui nous attend plus haut. Pour l'instant, la hauteur est comparable à celle d'El Tatio, et si la température a quelque peu baissée, nos tentes sont désormais des modèles de haute montage. Demain, notre arrivée à Atacama I va changer la donne. Il faudra essayer de dormir à plus de 5000 mètres, et, lorsque le soleil sera couché, il ne faudra pas espérer avoir très chaud. C'est la première fois que je suis amené à me rendre sur un camp de base, et, il faut l'avouer, à bien y penser, le nom même de cet endroit ne laisse rien présager de bon.


Depuis la ville de Copiapo, sur des centaines de kilomètres, la piste serpente sur des étendues désertiques mornes et désolées d'une étrange beauté. Le nez collé à la vitre, il est facile d'être hypnotisé par tant de vide. Cliquez pour agrandir la photo


La traversée de ces régions demande cependant un certain sérieux : il faut impérativement partir avec des réserves d'eau suffisantes, et être équipé de radios ou de téléphones portables. Il est recommandé de voyager avec un convoi de deux 4x4, au cas où l'un d'entre eux viendrait à flancher. Cliquez pour agrandir la photo


Un peu avant le salar de Maricunga, en sortant d'un lacet, nous sommes tombés nez à nez avec un renard. Avec curiosité, celui-ci nous a longuement dévisagé, avant de reprendre son chemin, convaincu de n'avoir rien de comestible devant lui. D'aspect famélique, le pelage en bataille, il n'avait pas l'air de manger à sa faim dans le désert d'Atacama. Cliquez pour agrandir la photo


Le secteur de l'Ojos del Salado étant situé près de la frontière avec l'Argentine, nous nous arrêtons à un poste de contrôle, situé près de l'extrémité nord du salar de Maricunga. Sur l'étendue de sel, qui scintille au soleil, la chaleur doit être insoutenable, et on aperçoit distinctement d'incessantes vagues de chaleur qui montent de ce four solaire en faisant vibrer l'atmosphère. Cliquez pour agrandir la photo


A l'instar de la Laguna Verde située au pied du volcan Licancabur, celle de l'Ojos del Salado est absolument splendide. Photographié ici en fin d'après midi, l'eau apparaît clairement verte. La berge ou nous avons situé notre campement est constellée de blocs durcis de sels, et l'ensemble évoque quelques mers primitives à l'origine du monde.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Laguna Verde. Début de la trace depuis Caldera : 08:54:05. Fin de la trace à Laguna Verde : 16:35:07. Temps écoulé : 7h41. Longueur : 344 km. Vitesse moyenne : 45 km/h.

Jour 12 (vendredi 12 février 2010) : Camp de base Atacama I Beau temps (soleil)


Le camp de base Atacama I, vu depuis les hauteurs. On distingue à gauche un container métallique (devant lequel se garent les 4x4), les deux dômes permanents rouge et blanc, et un ensemble de tentes, dont une North Face jaune à l'extrême droite qui appartient à notre groupe. Cliquez pour agrandir la photo


Trajet vers le camp de base Atacama I : le premier segment plat correspond à la petite randonnée autour de la Laguna Verde. L'autre tronçon a été parcouru en 4x4 jusqu'à Atacama I à 5280 mètres (altitude corrigée).

Notre première véritable journée en altitude, depuis l'ascension du Licancabur trois jours auparavant, va se dérouler tranquillement, sans nous demander trop d'efforts, acclimatation progressive oblige. Il est de toute façon inutile de trépigner d'impatience devant les pentes magnifiques et souvent enneigées des volcans qui nous entourent de toute part et qui culminent à plus de 6000 mètres. Dans quelques jours, l'Ojos del Salado va mettre tout le monde d'accord, en nous offrant une montée ultime, que tout ceux qui l'ont tenté ne devrait pas oublier de sitôt.

En milieu de matinée, nous partons pour une petite randonnée de quelques heures autour de la Laguna Verde. L'objectif est d'atteindre le corps fossilisé d'un puma, parfaitement conservé par la grande sécheresse de l'air et le sel que les eaux de la lagune déposent en s'évaporant. Dans les tombes de certains cimetières d'anciennes mines de salpêtre (oficinas salitreras) désormais abandonnées, il est parfois possible de trouver des momies de mineurs. Le puma de la Laguna Verde offre heureusement un spectacle moins macabre. Partiellement recouvert d'une croûte de sel qui brille au soleil d'un blanc immaculé, l'animal git sur le sol, couché comme s'il venait de s'endormir, les yeux ouvert sur le vague, avec, sur son visage, une sorte de tristesse résignée. Les conditions de son trépas ne sont pas connues : est-il venu mourir là de vieillesse, à proximité des eaux de la lagune, après s'être traîné sur des kilomètres ? A-t-il été attaqué et mortellement blessé, surpris alors qu'il se désaltérait ? A moins qu'il n'ait été asphyxié par des gaz volcaniques, craché par un volcan brutalement réveillé ? Ce superbe prédateur, vénéré comme un dieu par les Indiens d'Atacama, garde avec lui ses secrets.

Sur le chemin du retour, notre guide local, Daniel, qui va nous conduire, assisté d'Alexandre, sur les pentes de l'Ojos del Salado, accélère légèrement le rythme, et nous voila bientôt en train de sautiller sur les dalles de sel qui bordent les eaux de la lagune, comme les fragments d'une vitre dépolie qu'un géant aurait brisé de ses mains. Lors de notre arrivée hier, le vent soufflait en rafales sur la lagune, soulevant de petits vagues. Celles-ci, en mettant en suspension un grand nombre de particules, coloraient les eaux en vert. Au petit matin, le vent n'était plus qu'un murmure, et la lagune s'étendait devant nous, parée d'un bleu profond. Lorsque l'air est totalement calme et le vent absent, il paraît que les eaux peuvent aussi devenir blanches comme du lait.

Il est environ 17h00 lorsque, après avoir profité pleinement de la beauté du site, nous quittons les berges de la Laguna Verde pour partir en direction d'Atacama I, situé à une altitude de 5200 mètres. Ce dernier est facilement accessible en 4x4, et c'est donc avec ce moyen que nous franchissons, en une heure et demi environ, les mille mètres de dénivelé qui nous séparent du camp d'altitude. Le site est très plat et offre un superbe panorama sur les chaînes volcaniques alentours. Le campement lui-même est composé d'un container métallique, qui sert également de zone de parking pour les 4x4, et qui semble réservé aux guides et leurs assistants. Deux dômes permanents, l'un rouge et l'autre blanc, sont mis à la disposition des visiteurs, qui peuvent s'en servir comme tente mess ou abri. Enfin, de nombreuses petites tentes sont alignées à côté des dômes, protégées du vent par un petit muret de pierre circulaire.

Lorsque nous arrivons à Atacama I, plusieurs groupes de différentes nationalités y sont déjà installés. La plupart des emplacements pour les tentes sont déjà occupés, et, comme c'est apparemment le cas lorsque la fréquentation est importante, nous jetons notre dévolu sur le dôme rouge, qui va alors nous servir à la fois de mess et de dortoir. Après avoir posés nos sacs à l'intérieur et dépliés nos sacs de couchage, nous découvrons qu'un petit groupe avait eu l'intention de s'approprier l'espace du dôme, et, quelque peu dépité et fâché, ils doivent se résoudre à changer leur plan (peut-être avaient-ils eu l'espoir de s'éviter le plantage de leur tente ?). Un camp de base doit donc faire face aux mêmes problèmes logistiques qu'un simple camping de plaine, et malgré l'hostilité de l'environnement, le froid, le vent et l'altitude, les susceptibilités humaines restent bien les mêmes ! Peut-être même sont-elles exacerbées ?

Contrairement à ce que je pensais au début, dormir à l'intérieur d'un grand dôme, qui se transforme d'ailleurs bien vite en tente de cirque, ne présente pas que des avantages par rapport à une petite tente de deux ou trois places. Le sol est nu, et tout ce qui est posé par terre se couvre très vite d'une couche de poussière salissante. Le nombre de personnes étant plus important, le risque de tomber sur un ronfleur d'altitude augmente, bien que je doive concéder qu'aucun d'entre nous ne dormait en barrissant comme un éléphant. Enfin, le volume d'air étant bien plus conséquent que celui d'une tente classique, l'air demeure plus froid, d'autant plus que la porte de notre dôme, équipée uniquement d'une bande de velcro en guise de fermeture, ne jouait absolument pas son office. A pouvoir choisir, avec le recul, je pense qu'il aurait été plus bénéfique pour moi que je plante une petite tente dehors. Mon sommeil a été lourd, ponctué de nombreux réveils, et au petit matin, je n'avais pas l'impression d'avoir pu fermer l'œil. Seul point positif, je n'ai aucun souvenir d'avoir eu froid. Pourtant, au réveil, le volet de toile qui était sensé faire office de porte flottait librement dans le vent. Avec consternation, j'ai vu l'un de mes compagnons soulever un verre en tirant sur la petite ficelle accroché à un sachet de thé. Les restes des boissons consommées la veille et abandonnées sur la grande table avaient totalement gelé durant la nuit ! Mais quoi de plus naturel pour un camp de base n'est ce pas ?


L'un des thermes situés sur le site de la Laguna Verde. La source chaude naturelle a été entourée d'un petit muret de pierres, bien pratique pour s'abriter du vent. Notez la couleur bleu des eaux de la Lagune (due à l'absence de vents), comparé au panorama précédent (ou les eaux étaient turquoise). Cliquez pour agrandir la photo


Trois espèces de flamants nichent dans les lagunes chiliennes : le flamant des Andes, le flamant du Chili et, plus rare, le flamant de James. Ci-dessus, un flamant des Andes, dérangé par notre approche, et photographié en plein décollage. Cliquez pour agrandir la photo


En Atacama, la sécheresse de l'air et le sel permettent une momification naturelle des cadavres. Sur les rives de la Laguna Verde, on peut admirer les restes d'un puma, venu mourir ici. L'animal pétrifié est parfaitement préservé, et si ce n'était l'aspect minéral de son pelage, on pourrait presque le croire endormi. Cliquez pour agrandir la photo


Emergeant des nuages, devant le versant couleur gris acier d'une colline, l'imposante masse de l'Ojos del Salado semble lancer un défi silencieux aux hommes.  Cliquez pour agrandir la photo


Il est 20 heures passés, et le soleil s'est couché sur le camp de base Atacama I. Seul les nuages renvoient encore ses rayons, tandis que les sommets des volcans alentours sont déjà presque tous plongés dans l'ombre.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Camp de base Atacama I. Début de la trace depuis la Laguna Verde : 11:27:51. Fin de la trace à Atacama I : 18:39:56. Temps écoulé : 7h12. Longueur : 42,5 km. Vitesse moyenne : 6 km/h. Début de la trace rouge correspondant à la randonnée jusqu'au Puma : 11:27:51. Fin de la trace rouge correspondant à la randonnée jusqu'au Puma : 13:15:35. Temps écoulé : 1h48. Longueur : 11,2 km. Vitesse moyenne : 6 km/h.

Jour 13 et 14 (samedi 13 février et dimanche 14 février 2010) : Camp de base Tejos (Atacama II) Beau temps (soleil)Nuages


Le camp de base Tejos, ou Atacama II, est situé à 5800 mètres d'altitude environ. La photographie ci-dessus montre les deux containers orange, autour desquels sont installés les éventuelles tentes (ici nos deux North Face jaunes), ainsi que les nombreuses traces laissées par les 4x4. Tejos a effectivement cette particularité de pouvoir être atteint par des engins motorisés. Encore faut-il être un excellent conducteur pour pouvoir les monter jusqu'ici. Cliquez pour agrandir la photo


Montée vers le camp de base Tejos (Atacama II). Le dénivelé est d'environ 570 mètres, pour une altitude d'arrivée de 5800 mètres environ (altitude corrigée).

A 600 mètres d'altitude par rapport au camp de base Atacama I se trouvent deux petits containers métalliques emboîtés, qui constituent le dernier refuge avant les pentes du seigneur des lieux, le volcan Ojos del Salado. Bien qu'une piste permettent de les rejoindre en 4x4, rare sont les conducteurs à faire preuve d'une maîtrise suffisante pour mener un engin là haut. Bien que cette facilité d'accès offre une certaine sécurité, il ne faut pas espérer y compter : la montée vers Tejos à pied fait partie intégrante de la phase d'acclimatation, à tel point que nous l'effectuerons non pas une fois, mais deux.

S'il n'y avait que le dénivelé, peu important si l'on prend en compte l'inclinaison de la pente, et la piste, large sentier bien tracé et offrant une progression aisée, la montée vers Tejos ne présenterait pas la moindre difficulté. Mais il y a l'altitude, et cette dernière change tout. Notre première nuit passé à plus de 5000 mètres n'a pas été agréable pour beaucoup d'entre nous, et, lentement mais sûrement, sous la conduite de Daniel, nous sommes en train de remonter à une altitude similaire à celle du Licancabur. Peu après notre départ, l'un de nous, le visage blanc, déclare définitivement forfait et redescend vers Atacama I, ou il sera encore malheureusement ballotté par une altitude déjà trop importante.

L'exercice est encore rendu plus ardu par le fait qu'il nous faut monter nous-mêmes toutes les affaires que nous devrons utiliser pour l'Ojos del Salado. Si le gros sac de couchage et le matelas autogonflant sont pour l'instant restés en bas dans le dôme (ou nous passerons une nouvelle nuit), et si mes lourdes chaussures adaptées aux conditions hivernales sont désormais à mes pieds, mon sac à dos est néanmoins chargé à bloc : j'ai entassé dedans tout ce que je ne pourrai pas transporter le lendemain, lors de notre seconde montée : de la veste en duvet aux sous-vêtements thermiques -15°c en passant par le pantalon imperméable en goretex, je me fais l'effet d'être un sherpa, condamné chaque jour tel Sisyphe a recommencer la même montée. C'est effectivement la première fois que je vais refaire le même trajet à un jour d'affilé, non pas pour pouvoir profiter une nouvelle fois d'un paysage unique (ce qui est néanmoins le cas), mais d'abord et surtout pour transporter de l'équipement.

Après environ 4 heures d'une douloureuse progression (nous serons un peu plus rapide le jour suivant), l'altitude a fait une nouvelle victime, et l'un des membres de notre groupe est désormais assez mal en point. La mort dans l'âme, il attendra avec impatience la descente vers le dôme d'Atacama I, ou il choisira de rester. Le lendemain, nous ne serons donc plus que trois à remonter une nouvelle fois vers Tejos, avec le reste de notre équipement, en vue d'y passer la nuit avant d'attaquer le sommet.

Les deux containers de Tejos offrent un certain confort, si l'on considère l'endroit ou ils ont été déposés. Derrière les lourdes parois métalliques qui font barrière aux vents, on trouve une petite chambre commune dotée de lits superposés, une cuisine assez vaste pour que l'on puisse aussi y dormir, et enfin un petit coin repas. Hélas, l'endroit reste étroit, et quand la fréquentation est importante, plusieurs personnes sont obligées de dormir sous tente à l'extérieur. On l'imagine, la répartition des places fait l'objet de débats passionnés, et la plupart du temps, les guides décident de les attribuer équitablement entre les différents groupes. En ce qui nous concerne, j'aurai la chance de pouvoir dormir dans la cuisine avec un autre membre de notre groupe, les autres devant affronter le monde extérieur.

Une fois notre équipement entassé dans un coin, nous reprenons le chemin vers le camp de base inférieur, que nous atteignons après environ 40 minutes plein nord. La nuit sous le dôme rouge ne sera pas plus agréable que la précédente, et, bien qu'ayant la certitude de pouvoir dormir à l'abri, je commence à m'inquiéter sérieusement de la suivante, que nous allons passer à 5800 mètres. Jusqu'à ce que j'apprenne qu'à cette altitude, il n'est pas vraiment question de dormir, juste de se reposer un peu en étant allongé dans l'obscurité. Voila qui me rassure. Si l'on n'est pas sensé dormir, alors tout va bien. Il suffit juste de le savoir, non ?

L'Ojos del Salado se dresse désormais devant nous de toute sa masse. Culminant à une altitude de 6891 mètres, c'est le volcan le plus haut de notre planète, si l'on met de côté le Mauna Loa situé dans l'archipel d'Hawaï. Le Mauna Loa n'atteint que 4170 mètres d'altitude, mais si l'on mesure sa hauteur depuis sa base, ancrée sur le plancher océanique, on parvient à une hauteur record ! Le doute demeure sur l'état de l'Ojos del Salado, mais il est probable que ce strato-volcan soit encore actif, du moins endormi. Des fumerolles sont parfois visibles dans sa partie haute, et il aurait émis des cendres en 1993. A une altitude de 6390 mètres sur son flanc est, se trouve également un lac qui est vraisemblablement le plus haut du monde. A l'instar du lac de cratère du Licancabur, il est possible que les eaux soient chauffées par la proximité d'une poche de magma, et alimentées par des sources hydrothermales.

L'Ojos del Salado possède trois sommets. Le premier, c'est le cratère sommital, qui constitue l'objectif de l'ascension pour les personnes qui pratiquent d'abord et avant tout la randonnée, le trekking : des marcheurs plus que des grimpeurs. Les deux autres constituent les véritables sommets, ceux des alpinistes (il faudrait plutôt dire andinistes). Comme nous l'avons vu, le volcan est situé à cheval sur la frontière avec le Chili et l'Argentine, et selon que l'ascension est entreprise d'un côté ou de l'autre, les grimpeurs ne parviennent pas au même point. Le sommet chilien est légèrement plus haut (moins d'un mètre) que le sommet argentin, plus massif. Les deux sommets sont situés à proximité l'un de l'autre, mais séparés par une faille abrupte qui empêche généralement les grimpeurs d'atteindre les deux. L'altitude du sommet de l'Ojos del Salado a fait l'objet de controverses, et il y a quelques années, certains n'ont pas hésité à le placer à une centaine de mètres au-dessus de l'Aconcagua (6959 mètres), le plus haut sommet d'Amérique du sud (Argentine).

Il faut noter qu'une certaine incertitude demeure sur l'altitude exacte du sommet, et les chiffres publiées sur Internet ou dans les ouvrages ne concordent pas entre eux. La même imprécision subsiste pour le Licancabur : de nombreuses brochures ou documents donnent 5916 mètres pour son sommet, alors que les mesures effectuées par la NASA en 2002 et 2003 placent en fait le lac du cratère à cette altitude, le sommet atteignant 6014 mètres. Ces différences sont probablement à mettre sur le compte du système GPS, qui ne brille pas en termes de précision pour ce qui est des mesures verticales. En ce qui concerne le mien, je n'ai pas tardé à me rendre compte qu'il fournissait des valeurs bien différentes de celles données par les altimètres barométriques de mes compagnons. Ayant désactivé la calibration automatique de manière à obtenir des hauteurs non corrigées par rapport à l'ellipsoïde de révolution du système géodésique WGS 84, je ne me suis pas trop inquiété. C'est seulement au retour, une fois les corrections apportées, que j'ai découvert des erreurs importantes (et toujours inexpliquées pour l'instant) dès que l'on dépassait les 3000 mètres. J'avoue que je ne m'étais jamais intéressé auparavant à la problématique de la mesure d'altitude par GPS. Ayant contemplé la pente de l'Ojos del Salado depuis le point de vue avantageux du refuge Tejos, à 5800 mètres d'altitude, c'est un point que je ne peux désormais plus me permettre d'ignorer. Il n'y a pas à dire, évoluer dans l'axe vertical change tout !


A l'intérieur du dôme. J'ai pris l'image ci-dessus, installée confortablement dans mon sac de couchage, après avoir suivi les aventures de Roland lancé dans sa quête vers la Tour Sombre (merci Stephen King, pour vos livres passionnants et volumineux). Sous la structure métallique arachnéenne du dôme, mes compagnons prennent un thé à la lueur des frontales. L'une des principales activités sur un camp de base consiste à ... ne rien faire (ou presque) et se reposer, pour laisser le corps s'acclimater à l'altitude. Cliquez pour agrandir la photo


L'Ojos del Salado, vu depuis la piste menant au camp de base Tejos. Le volcan donne ici l'impression de n'être qu'une banale colline aux flancs surbaissés, sur laquelle il serait facile de monter en deux temps trois mouvements. En Atacama, à cause de la grande pureté de l'atmosphère, l'œil n'est plus capable de jauger correctement les distances et dimensions. Les reliefs qui paraissent proches sont en fait très éloignés, et une petite crête anodine peut cacher un volcan massif. Trompé, dupé, le regard ne comprend plus ce qu'il voit. Cliquez pour agrandir la photo


Sur une pente couleur de limaille de fer saupoudrée de neige, un petit groupe de marcheurs progresse vers le camp Tejos. Les paysages qui entourent l'Ojos del Salado offrent un contraste stupéfiant avec la région plus au nord au sein de laquelle nous avons évolué. Plus d'ocre ni d'orange ou de jaune, ici la terre semble être un métal froid et glacé, un paysage lunaire sans aucune chaleur, qui s'étend à perte de vue sous un ciel qui tire de plus en plus vers le bleu profond. Cliquez pour agrandir la photo


Les deux containers du camp Tejos offrent un confort tout relatif au voyageur. A l'intérieur se trouve un petit dortoir avec quelques lits, ainsi qu'une petite pièce permettant de prendre les repas et un coin cuisine, suffisamment grand pour que l'on puisse aussi y dormir à même le sol. Bien que ses solides parois métalliques protègent des vents, la température peut y descendre en flèche une fois le soleil couché. Cliquez pour agrandir la photo


Dans un ciel d'une pureté indicible, une armée de nuages déferle, projetant des ombres sur les cimes grises d'une multitude de volcans, qui, telles des sentinelles de lave, montent la garde sur un paysage immuable, si dénué que le temps lui-même semble l'avoir déserté. Seule une piste et un petit panneau attestent que des hommes viennent parfois ici, portés par une quête dont ils ignorent souvent tout du sens. Ils repartiront bien vite, fuyant sans s'en rendre compte cet air appauvri et glacé. Les éclats de rire et les soupirs s'évanouissent bientôt dans les hurlements du vent, replongeant l'endroit dans sa longue nuit.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Camp de base Tejos (Atacama II). Début de la trace depuis le camp Atacama I : 16:18:28. Fin de la trace au camp Tejos : 20:18:20. Temps écoulé : 4h00. Longueur : 4,4 km. Vitesse moyenne : 1,1 km/h.

Jour 15 (lundi 15 février 2010) : Vertical LimitBeau temps (soleil)


Le sommet final de l'Ojos del Salado, vu depuis la cuvette du cratère, se situe à une altitude de 6891 mètres. Il s'agit du plus haut sommet du Chili, et du second plus haut sommet du continent sud-américain. Signifiant littéralement "l'œil de la rivière salée", il tire son nom d'énormes dépôts de sels qui, tels des yeux, apparaissent sur ses glaciers. Des fumerolles situées à proximité du sommet laissent penser que le volcan serait encore actif. A une altitude de 6390 mètres, sur le flanc est, se trouve un lac d'un diamètre de 100 mètres, ce qui en fait vraisemblablement le plus haut du monde. Cliquez pour agrandir la photo


Montée depuis le camp de base Tejos vers le cratère sommital de l'Ojos del Salado. Le dénivelé enregistré par le GPS est d'environ 625 mètres avant l'arrêt (#%$*@# !) de l'appareil (altitude corrigée).

Une main gantée posée sur la poignée, je me tiens devant la lourde porte de métal du container, sans pouvoir encore me décider à l'ouvrir. Il est environ 5 heures moins le quart du matin, et dehors doit régner un froid que je ne peux qu'imaginer, et que je ne suis pas sur de pouvoir affronter. La veille, le mal de tête a refait son apparition, et avec lui, la perte d'appétit. Je me suis forcé à avaler un bol de soupe, plus pour m'hydrater qu'autre chose, et c'est à peine si j'ai touché au reste. Au cours de la nuit, il a bien fallu se rendre à l'évidence : la douleur qui logeait dans mon crâne n'avait pas l'intention de céder à la codéine, et je n'ai guère fermé l'œil, me tournant et me retournant sans cesse dans mon sac, sans trop vouloir penser aux conséquences qu'un manque de sommeil pourrait avoir sur la suite des opérations...

En plus de notre groupe, le container était également occupé par un groupe d'allemands, qui devait lever le camp vers 4h00, nous permettant ensuite de partir à leur suite, après avoir été réveillé par l'activité. Tiré d'un demi-sommeil par le ballet des lampes frontales, je me suis finalement extirpé de mon sac de couchage, avec un mal de tête atroce et une sensation diffuse de nausée. Je me suis habillé comme un robot, chaque vêtement enfilé, chaque vérification demandant un effort anormal, et, une fois parvenu au coin cuisine, je me suis rendu compte que le groupe d'allemands avait pris un certain retard. L'un d'entre eux, trop mal en point pour marcher, était encore étendu sur son matelas, et ceux qui s'étaient décidés à partir semblaient pris dans une espèce d'engourdissement. Puis, un par un, ils se sont engouffrés dans le petit sas et ont franchi la porte extérieure du refuge, tandis que sans presque aucune parole, nous avalions un rapide petit déjeuner. Le dernier allemand à partir portait un petit sac à dos bleu, sur lequel était fixé, de chaque côté, deux petites thermos métalliques. L'air pâle, une drôle d'expression sur son visage, il est sorti rejoindre ses compagnons. Le calme est revenu dans le container, et après quelques minutes ou rien n'a semblé devoir bouger, la porte du refuge s'est à nouveau ouverte sur l'homme au sac à dos bleu. Sans un mot, il s'est dirigé vers le dortoir et a refermé la porte derrière lui, et nous ne l'avons plus revu.

Que pouvait t-il bien y avoir dehors, pour qu'un individu décide d'en finir avec l'Ojos del Salado, quelques minutes après avoir quitté le refuge ? Nauséeux et affaibli par les coups de butoirs qui me martèlent le crâne, sentant confusément que mon état ne se prête pas à une activité physique intense, j'appuie finalement sur la poignée. La lourde porte en fer pivote sur ses gonds, et tel un cosmonaute sortant d'un module spatial, je m'engouffre dans la nuit glacée.

Mes compagnons sont là, immobiles dans l'obscurité, et seul le cône de lumière de leur lampe frontale vient trahir leur présence. Notre petit groupe de cinq personnes se resserre, et Daniel nous donne les dernières instructions pour la montée. Nous allons progresser très lentement les uns derrières les autres, sans nous séparer, avec une pause toutes les heures environ. Sous un ciel étoilé d'une pureté parfaite, dans une atmosphère de cristal, notre petite chenille lumineuse commence à gravir la pente noire de l'Ojos del Salado. Je n'ai fait que quelques pas quand je remarque qu'une des bretelles de mon sac à dos est mal ajustée. Mes yeux se ferment parfois tout seul, et je dois faire un effort pour me sortir de ces micro-sommeils hypnotiques, rageant contre la lourde masse de mon sac qui penche à gauche, sans trouver aucune motivation pour m'arrêter et jouer avec les différents points du système de réglage, que je sais complexe. Je crois n'avoir jamais entrepris une montée dans de pareilles conditions, et pourtant, comme un automate, pas après pas, je continue de progresser. Nous finissons par apercevoir devant nous les lumières du groupe d'allemands, qui comme des lucioles scintillent dans la nuit. Notre guide nous fait prendre une ravine qui semble monter tout droit dans la pente plutôt que d'évoluer en lacet, et bientôt, les allemands se retrouvent 200 mètres en dessous de nous.

Après un long moment, une ligne de lumière apparaît à l'horizon, et semblant venir de très loin, les premiers rayons du soleil percent la nuit. Lentement mais sûrement, la lumière gagne sur l'obscurité, et l'un après l'autre, les sommets et les pentes s'éclairent, dévoilant un panorama somptueux et violent, tout en gris et blanc. Loin en dessous de nous, petit éclat orange perdu sur les pentes cendreuses, il est possible d'apercevoir le container métallique de Tejos. La veille, Daniel nous avait expliqué que l'arrivée du soleil, offrant une vue dégagée sur les versants alentours, marquait le moment ou il était encore possible de redescendre seul vers le camp de base. A ce stade, la descente ne présentait encore pas de difficultés, et consistait à tracer tout droit vers Tejos, bien visible au bas de la pente. Un membre de l'équipe logistique d'Aventurismo pouvait de plus partir depuis Tejos à la rencontre de ceux qui avaient choisi de renoncer, pour plus de sécurité (sur demande transmise par radio ou par observation de la progression des groupes aux jumelles).

Rompant le silence d'une façon qui m'a semblé brutale, l'un de mes compagnons, pourtant habitué à la haute altitude, qu'il a eu l'occasion de côtoyer dans le massif de l'Himalaya, annonce qu'il en reste là, et qu'il va entreprendre la descente. Comme il nous l'expliquera plus tard, pour lui le soleil a mis bien longtemps à se lever, et c'est avec soulagement qu'il a vu le paysage s'éclairer. Voir quelqu'un rester au refuge et décider de ne pas partir, c'est une chose. Assister au renoncement de quelqu'un en pleine pente, c'en est une autre. Un tel départ vous fait inévitablement vous interroger sur votre propre motivation à continuer, et sur vos capacités à être capable d'atteindre l'objectif que vous vous êtes fixés.

Nous ne sommes plus que quatre à marcher désormais, deux âmes et leurs guides, tandis que le soleil se lève sur un ciel sans nuage, vers lequel s'élancent des dizaines de cimes volcaniques. Le spectacle est magnifique, et devant pareille beauté, le premier réflexe est généralement de sortir au plus vite son appareil photo pour l'immortaliser. Pourtant, je ne peux trouver l'énergie de le faire. Outre les photographies, l'une de mes principales préoccupations est de m'assurer que le GPS que j'emporte toujours avec moi enregistre bien continuellement ma position, et qu'il lui reste assez d'énergie pour le reste de ma journée. Conscient que le froid prélève un lourd tribu sur la charge des piles alcalines que j'utilise pour l'alimenter, j'ai rechargé l'appareil avec une paire de piles neuves. Cependant, et bien que m'étant mentalement obligé à vérifier très souvent le niveau de charge, je n'arrive plus à trouver la motivation pour aller chercher l'appareil dans la petite poche de ma micro-polaire. A 10h00, sans que j'en sois conscient (je ne le vérifierai qu'en fin d'après midi), le GPS cesse d'enregistrer mes coordonnées spatiales, les piles étant mortes. Nous sommes alors presque arrivés au sommet d'un étroit névé, qu'il va nous falloir traverser. L'arrêt de mon GPS, qui est pour moi un événement particulier désagréable, étant donné que cela m'empêche non seulement de géolocaliser les photos, mais aussi et surtout de jouer avec Google Earth, va en fait symboliquement en annoncer un autre.

Au beau milieu de l'été, le névé de l'Ojos del Salado n'est pas trop menaçant, et nous le traversons sans crampons, en nous contentant de placer prudemment nos pieds dans les marches taillées par les pas de notre guide. Parvenu à l'autre extrémité, nous nous engageons dans une pente très forte et rocailleuse, ou la progression est fatigante et malaisée. J'ai de plus en plus de mal à grimper, et je ne peux m'empêcher, de plus en plus souvent, de m'arrêter quelques instants pour souffler, plié en deux, les mains sur mes deux jambes, qui sont de plus en plus douloureuses. Daniel est désormais loin devant avec Michel, et Alexandre, qui chemine avec moi, me propose de faire une petite pause de 10 minutes, histoire de souffler un peu. Quelques minutes après cette dernière, j'ai de nouveau envie de m'arrêter, tout en sachant parfaitement comment se finit une montée quand elle devient aussi saccadée. Mes jambes me font l'impression d'être deux piquets de bois. Je fais encore quelques pas, m'arrête, repart, monte d'un mètre, stoppe à nouveau, recommence à marcher, puis dans un cri de frustration, j'annonce que je n'en peux plus, et m'assoie sur une pierre plate, tourné vers la vallée, défait.

Je sais pertinemment qu'il m'est désormais impossible de redescendre seul et que si jamais j'abandonne maintenant, j'entraîne Alexandre avec moi. Il va de soi que les guides sont habitués à stopper une ascension sans aller au sommet, cela fait partie intégrante de leur métier, mais je ne peux me cacher à moi même que bien souvent, ils en ressentent une profonde frustration. D'autant qu'Alexandre, malgré son expérience en Amérique du sud, n'a encore jamais eu l'occasion de gravir l'Ojos del Salado. Mes jambes deviennent aussi lourdes que des tuyaux de plomb, tandis que je prends conscience de la situation dans laquelle je me suis mis. Me voila devant l'une de ses fameuses limites, de celles que l'on rêve de dépasser sans avoir toutefois vraiment envie d'y être un jour confronté. Le regard perdu dans la pente infinie du volcan, je suis en train de céder à la panique, partagé entre tristesse et colère, submergé par la déception de devoir abandonner tout en entraînant quelqu'un avec moi, contemplant avec angoisse la perspective de continuer malgré tout et de brûler mes dernières réserves d'énergie dans la montée, condamnant du même coup toute redescente. Car, tel un avion qui doit immédiatement faire demi tour quand s'allume le signal "bingo fuel", qui indique au pilote qu'il reste juste assez de carburant pour regagner la piste d'atterrissage la plus proche, en montagne la décision de retour doit être prise au moment ou la descente va finir par devenir trop dangereuse, voire impossible.

Intérieurement, je maudis Daniel de nous avoir annoncé que cette foutue pente dure encore pendant presque une heure, avant de faire place au replat du cratère sommital. Encore une heure de cette satanée montée ! Pourtant je ne peux me résoudre à lâcher prise. Sans trop savoir comment je pourrais continuer, j'indique à Alexandre que je souhaite reprendre la montée. Il me répond que nous allons progresser très lentement, avec, après chaque pas, une respiration, et c'est sur ce rythme que mes jambes me portent sur le versant gris acier du volcan. Après un petit moment, j'aperçois le groupe d'allemands derrière nous, en file indienne. La vision de cette petite caravane humaine, qui avance tellement lentement qu'on la dirait immobile, me redonne pendant quelques instants l'espoir d'y parvenir. Si eux aussi montent avec une telle lenteur, c'est qu'il doit vraiment être possible d'avancer quand même à cette vitesse.

Bientôt, je cesse de lancer des regards vers le haut pour tenter d'y apercevoir une pente moins incisive, un ressaut plus plat. Chaque crête laisse entrevoir une nouvelle crête, qui n'offre de passage que sur une autre crête, plus haute encore. Alexandre est passé derrière moi, et si je ne peux encore le savoir, lui aussi souffre le calvaire. Et puis, trop fatigué pour en être soulagé, j'aperçois une vaste cuvette recouverte de neige, cernée par un rempart de pierre que je sais appartenir au sommet, pour l'avoir vu maintes fois en photo. Au loin, Michel et Daniel nous attendent, sur le rebord du cratère sommital.

Je n'ai plus d'énergie pour les congratulations d'usage, et je m'effondre par terre. Tandis qu'Alexandre nous rejoint, il me faut faire un effort pour sortir mon appareil photo. Dans un état second, je tente de prendre quelques panoramiques de la barrière qui nous fait face, avant de m'affaler à nouveau sur le sol, le dos contre mon sac, près à m'endormir d'une seconde à l'autre. Au retour, le cadrage quelconque des clichés, la surexposition liée à la neige, me sauteront immédiatement aux yeux. Tandis que Michel et Daniel s'éloignent sur le petit sentier qui fait le tour du cratère pour conduire au pied d'une butte rocheuse qui marque l'emplacement du sommet (ils n'auront hélas pas le temps de se hisser en haut), nous décidons avec Alexandre de reprendre le chemin de la descente. La pente rocailleuse qui nous faisait face à la montée laisse désormais la place à un panorama absolument magnifique, et notre hauteur est telle que la ligne d'horizon semble incurvée, soulignant ainsi la rotondité de la Terre. La perte rapide d'altitude me redonne un peu d'énergie, mais l'instabilité du terrain et la fatigue rendent mes pas maladroits. Les chutes sont inévitables et effectivement, me voilà soudain les quatre fers en l'air. J'atterri lourdement sur le sol, alors que de petites pierres dégringolent de quelques mètres en s'entrechoquant dans un bruit caractéristique. Assis par terre, sous les rayons du soleil, je me sens étrangement bien. Une seconde après, je suis en train de dormir, et Alexandre, qui chemine derrière moi, est obligé de me réveiller quand il parvient à ma hauteur. Je me remets en marche, mais le même scénario va encore se répéter deux ou trois fois durant la descente vers Tejos. A chaque fois, un pas malhabile m'entraîne au sol, ou, trouvant la situation confortable et propice à un petit arrêt, je m'endors presque instantanément.

Lors de mon dernier arrêt, et après avoir du à nouveau me secouer pour me tirer de ma sieste aussi soudaine qu'improvisée, Alexandre me fait remarquer que nous sommes à proximité d'un champ de pénitents. Stupéfait, je me rends compte que je n'avais même pas remarqué ces formations extraordinaires, qui n'existent qu'en de très rares endroits de la planète, principalement les glaciers tropicaux de la cordillère des Andes, ou ceux du Népal. Pourtant, je n'avais pas pu ne pas les voir. A l'aller d'accord mais au retour ? Les avais-je pris pour une hallucination ? L'altitude a d'étranges effets sur le cerveau, et sur de très hauts sommets des alpinistes ont déjà témoigné d'hallucinations psychosensorielles (animaux mythologiques, dragons et autres chimères aperçus au détour d'une crête, objets étranges dans le ciel, paysages bizarrement colorés) ou psychiques (compagnon fantôme avec lequel on se retrouve soudainement encordé).

Formant des pics ou des lames qui semblent posés à même le sol, alignés les uns derrière les autres comme s'ils formaient une procession (d'ou leur nom), les pénitents sont le résultat d'une ablation très particulière d'un névé ou d'un glacier. A cause des températures très basses et de la grande sécheresse de l'air, sous l'effet du soleil, la glace des pénitents située au niveau des crêtes passe directement de l'état solide à l'état gazeux (processus de sublimation), ce qui leur permet de se maintenir en dessous de zéro degrés tout au long de la journée. Par contre, au niveau des "couloirs", c'est à dire des espaces entre les pénitents, ou la vapeur d'eau s'élimine plus difficilement et que les rayons solaires chauffent plus efficacement, le point de fusion peut être atteint. Pouvant substituer sur un sol désertique dégagé de toute glace, telles des sentinelles abandonnées par quelque armée, les pénitents offrent un spectacle tout à fait atypique. Leurs champs peuvent représenter des obstacles sérieux, en formant un véritable labyrinthe ou la progression devient vite malaisée sinon impossible.

Mille mètres de descente et Tejos, enfin. Sans que je sache comment il a bien pu s'y prendre, Daniel est déjà là, en train de s'affairer avec énergie autour d'un véhicule 4x4 qui a apparemment subi quelques dégâts lors de sa dernière montée à 5800 mètres. Je me sens sale et fatigué, harassé par le soleil et la sécheresse de l'air. Mes vêtements sont couverts de poussière, et mes gants de soie sont déchirés. Las, je laisse tomber mon sac au sol, et m'éloigne de quelques pas, la tête vide de pensées.

Gaby est arrivée. Je l'ai regardé en souriant, et comme dans un rêve, elle s'est approchée lentement. Dans un geste d'une étonnante simplicité, elle m'a embrassé sur une joue, avant de faire demi-tour pour rentrer sans mot dire dans le petit refuge. Je ne vous ai pas encore parlé de Gaby ? Vraiment ? Et bien, comment dire ... Gaby c'est une jeune femme en train de danser sur une terre étrangère, vêtue d'un poncho multicolore, sous un ciel bleu roi. C'est la femme qui est présente en chaque sommet, qui se cache derrière chaque montagne. Ce n'est pas facile à expliquer. Gaby c'est ... Ecoutez, si jamais un jour vous allez là haut, parmi les volcans et l'air rare d'Atacama, il vous suffira de regarder. Et si par chance elle croise votre chemin, vous ne pourrez pas la manquer ni même l'oublier. Il vous suffira d'ouvrir les yeux. Et de regarder.


Il est 7h45, et le soleil commence à éclairer la pente nord de l'Ojos del Salado. Un petit groupe de marcheurs a fait halte juste entre l'ombre et la lumière. Bien qu'ils soient partis avant nous de Tejos, nous les avons dépassés en coupant au plus court dans la face. Cliquez pour agrandir la photo


La première partie de l'ascension a lieu sur une pente régulière, sillonnée par de nombreux sentiers. Une fois le soleil levé, il est possible d'admirer le chemin parcouru de nuit à la frontale. Le container orange de Tejos est visible, minuscule, au centre de l'image. Cliquez pour agrandir la photo


Vers le haut, le ciel ne cesse de virer au bleu nuit. Sur la gauche se trouve un vaste névé, strié de pénitents de glace. Une fois parvenu à sa hauteur, il faut le traverser, avant de se retrouver devant une pente très forte qui conduit au cratère. L'altitude dépasse alors les 6500 mètres, rendant la progression difficile. Cliquez pour agrandir la photo


Un champ de pénitents, une centaine de mètres au-dessus de Tejos. Ces étranges dents de glace, qui semblent délicatement posées à même le sol désertique, sont le résultat d'une ablation inhabituelle d'un névé, sous des conditions atmosphériques très particulières. Ici, comme sur Mars d'ailleurs, la glace des crêtes passe directement de l'état solide à l'état gazeux, sans jamais fondre (Crédit photo : Alexandre Joly). Cliquez pour agrandir la photo


A plus de 6500 mètres, le panorama devient fantastique, et l'on croit deviner la rotondité de notre planète (la courbure marquée de l'horizon n'étant sans doute qu'une illusion due à la distorsion de l'objectif de l'appareil photo). Le champ de vision s'étend ici sur plus de 300 kilomètres, et la transparence absolue de l'atmosphère permet au regard de porter très loin. Les eaux turquoises de la Laguna Verde sont visibles au centre en haut. Au premier plan à droite se trouve l'imposante masse du volcan El Muerto (6789 mètres). A l'arrière blanc, entouré de nuage, on distingue également le sommet enneigé et aplati du Cerro Incahuasi (6621 mètres).


Prise depuis la cuvette éclatante de neige du cratère de l'Ojos del Salado, cette image montre le sommet (la butte rocheuse à droite), que l'on rejoint par un petit sentier sous la neige (deux membres de notre groupe sont engagés sur le segment final, mais ils vont hélas manquer de temps). Le sommet peut sembler à portée de main, mais étant donné l'altitude (nous sommes ici presque à 6800 mètres), il est en fait loin de l'être. Une fois parvenu au pied de la butte, des cordes permettent de franchir les 50 derniers mètres, qui nécessitent d'effectuer quelques pas d'escalade. Comme nulle autre pareille, cette photographie ne cesse de faire naître en moi ce mélange confus de frustration et de fierté. Je suis dans le cratère le plus haut du monde, mais devant moi se dresse encore quelque chose que je n'ai pas atteint. Au moment où j'écris ces lignes, confortablement installé devant l'écran de mon ordinateur, le sommet me semble si proche. Tellement proche ! Et puis je me rappelle combien l'image ci-dessus était mal cadrée et surexposée, et l'effort que m'a coûté l'appui sur le déclencheur. La fatigue, l'essoufflement, les maux de crâne et les nausées, les jambes qui refusent d'avancer, tout déferle à nouveau, et je comprends qu'il m'aurait été impossible de gravir cette dernière petite butte de pierre, qui incarne désormais pour moi tout ce qui infiniment lointain et inaccessible. Pourtant, je suis presque content qu'il existe encore, au-delà du cratère de l'Ojos del Salado, 100 mètres qui sont encore à franchir. Car que me resterait-il pour rêver, si j'avais totalement gravi le volcan le plus haut de notre planète ? N'est-ce pas le manque qui fait naître le désir, quant le manque de manque conduit à l'angoisse ? Loin de n'être que de la neige et de la rocaille perchés dans une atmosphère raréfiée, ce lieu dénué de sens cher aux "conquérants de l'inutile", le sommet de l'Ojos del Salado est un creuset qui semble n'avoir été forgé par la nature que pour attirer magnétiquement les hommes. Et, si ces derniers sont bien attentifs, leur fournir quelques éléments de réponse sur ce qu'ils sont et ce qu'ils veulent.

Google Earth GPS trace Ouvrir l'itinéraire sous Google Earth : Vertical Limit. Début de la trace depuis Tejos : 04:57:02. Fin de la trace sur le volcan Ojos del Salado : 09:58:01. Temps écoulé : 5h01. Longueur : 2 km. Vitesse moyenne : 0,4 km/h.

Atacama


Carte satellitaire de l'Amérique du sud montrant la zone couverte durant le séjour (traces GPS mises bout à bout depuis Calama à l'Ojos del Salado, à l'exception de l'aller/retour à Santiago). Nous avons visité la 2éme région (Antofagasta) et 3éme région (Atacama) de ce pays tout en longueur.

Désert des superlatifs par excellence, le plus aride, le plus haut et le plus ancien, l'Atacama est néanmoins relativement jeune au regard de l'immensité des temps géologiques. Il est effectivement née il y a 15 millions d'années, sous l'influence de deux facteurs : à l'ouest, la mise en place du courant de Humboldt et à l'est, la présence de la cordillère des Andes. Il est également certain qu'il connaîtra une vie brève et qu'un jour pas si lointain, ses splendeurs finiront broyées dans le creuset du temps.

Baptisé en l'honneur du naturaliste Alexandre de Humboldt, le courant de Humboldt prend naissance à proximité de l'Antarctique. Cette eau froide, d'une température de 8°c inférieure à la température moyenne, finit par longer les côtes du Chili, ou elle provoque alors des changements climatiques significatifs. Le refroidissement qu'elle induit provoque des précipitations importantes, et lorsque l'air parvient à passer au-dessus de la barrière de la cordillère de la côte, il est déjà très sec. Lorsqu'elles remontent des profondeurs de l'océan (phénomène d'upwelling), les eaux froides de Humboldt sont également chargées en nutriments, qui permettent un développement massif du plancton. Elles sont donc très poissonneuses, et jouent un rôle considérable dans l'économie chilienne.

A l'est, c'est la formidable chaîne montagneuse de la cordillère des Andes qui fait obstacle aux masses d'air humides, qui déversent leur eau sur l'ouest de l'Amérique du sud avant de glisser, chaudes et sèches, sur le désert d'Atacama. Longeant l'océan pacifique du nord au sud, sur 7000 kilomètres environ, la cordillère des Andes constitue l'un des deux plus grands systèmes montagneux au monde, et n'est dépassée en ampleur que par l'arc Himalayen. Cette chaîne est une chaîne de subduction, qui résulte du passage de la plaque océanique géante de Nazca (qui supporte une bonne partie de l'océan Pacifique) sous la plaque continentale sud américaine (qui comme son nom l'indique, englobe la plus grande partie du contient sud américain).

La surface de la Terre est effectivement composée d'une mosaïque de plaques qui se déplacent au-dessus des roches chaudes et plastiques du manteau. Ces plaques de différentes tailles peuvent s'écarter l'une de l'autre (comme c'est le cas au niveau des dorsales océaniques, voir l'exemple de l'Islande), glisser plus ou moins (plutôt moins que plus) en douceur l'une contre l'autre, ou au contraire rentrer en collision. Le comportement de deux plaques qui s'affrontent dépend de leur nature, sachant que les plaques océaniques sont toujours plus lourdes et denses que les plaques continentales plus "légères". Lorsqu'une plaque océanique (comme la plaque de Nazca) butte contre une plaque continentale (comme la plaque sud-américaine), son destin est invariablement de baisser les bras et de passer sous le continent, en plongeant dans le manteau ou elle finira par disparaître en fondant.

Des phénomènes géologiques très complexes ont lieu dans les zones de subduction. La plaque océanique, composée principalement de basaltes émis lors de sa naissance au niveau d'une dorsale, s'est effectivement couverte au fil du temps de sédiments marins, argiles et calcaires, qui sont gorgés d'eau (cette dernière ayant également altéré le socle basaltique). Lors de leur descente vers les profondeurs de la Terre, portées sur la plaque plongeante, ces roches vont être soumises à une température de plus en plus élevée, et vont libérer leur contenu en eau. Celle-ci va alors provoquer une fusion partielle du matériel mantellique, et des poches de magma finissent par se former. Le liquide magmatique, plus léger, va alors tenter de se frayer un passage vers la surface, et donnera naissance aux magnifiques stratovolcans andésitiques de la cordillère des Andes. Rien qu'au Chili, on compte 2085 édifices volcaniques, dont 55 sont classés comme actifs.

L'orogénèse, c'est à dire la naissance des premiers reliefs volcaniques de la cordillère des Andes, a débuté il y a environ 100 millions d'années. A ce moment, les sommets ont du commencer à bloquer les masses d'air humides venant de l'ouest, mais il a fallu attendre la mise en place du courant froid de Humboldt il y a 15 millions d'années, pour que l'étau climatique se resserre et donne naissance au désert l'Atacama que nous connaissons aujourd'hui.

L'Atacama ne se contente pas d'être le plus vieux et le plus aride de la planète (moins de 0,6 mm de précipitation par an en moyenne, sachant qu'il ne pleut qu'une fois tous les dix ans dans certains secteurs). C'est aussi le plus haut, et il offre des contrastes étonnants. Sur un peu moins de 300 kilomètres, on passe ainsi d'une fosse de subduction d'une profondeur de -7500 mètres à des sommets qui culminent à plus de 6500 mètres d'altitude, soit un dénivelé total de 14 000 mètres !

L'activité volcanique exacerbée de cette région a favorisé le dépôt de nombreux espèces métalliques, dont les minerais ont été (et sont toujours) exploités avec avidité. Le cuivre représente ainsi la principale exportation du Chili, et des mines à ciel ouvert comme Chuquicamata symbolisent parfaitement le niveau de richesse du sous-sol. L'or et l'argent ont également attiré les convoitises, tout comme le charbon et le soufre. Enfin, comme si cela ne suffisait pas, le désert d'Atacama recèle aussi de formidables gisements de nitrates, qui, quand ils ont été mis à jour, ont précipité toute l'Amérique du sud dans une guerre dont les blessures, même encore aujourd'hui, continuent de saigner.


Un pélican thage au niveau du désert côtier, dans le secteur de Caldera. Cliquez pour agrandir la photo

Pendant des décennies, le désert d'Atacama n'a été qu'une région poussiéreuse, oubliée des gouvernements en place, et partagée entre le Chili, la Bolivie et le Pérou dans la plus parfaite indifférence. Jusqu'à ce que, en 1850, d'importants gisements de nitrates naturels commencent à y être découverts. Extraits du guano (le Chili possède également de vastes gisements de nitrate de sodium déposés dans le lit d'anciennes mers asséchées), les nitrates sont utilisés comme engrais, ou interviennent dans la fabrication d'explosifs. L'exploitation du guano commença à générer d'importants revenus pour le Pérou, et devint une source de désaccord entre le Chili et la Bolivie. En 1874, les trois protagonistes parviennent temporairement à trouver un terrain d'entente, mais les différents resurgissent quatre années plus tard, quand la Bolivie décide de façon brutale de commencer à taxer les mines chiliennes situées sur son territoire, alors qu'elle s'était engagée à ne pas le faire avant encore au moins 20 ans. Sans le savoir, elle vient de déclencher la guerre du Pacifique (1879-1883), qui va embraser toute la région et dont elle ressortira appauvrie et humiliée.

Déjà agacée par la décision bolivienne de taxer ses activités minières, le Chili apprend l'existence d'un accord de défense mutuel entre ce pays et le Pérou, et sans plus de tergiversations, leur déclare la guerre. Antofagasta, seul port offrant à la Bolivie un accès à la mer, est occupé en 1879, tandis que Lima tombe en 1881. Deux années plus tard, au terme d'un véritable massacre, le Chili vainqueur signe le traité d'Ancón, grâce auquel il reçoit les provinces de Tarapacá et d'Antofagasta. Si le Pérou parvient à récupérer Tacna en 1929, la moindre carte montre qu'Arica et Antofagasta sont toujours sous contrôle chilien. Le Pérou sortira ruiné de cette terrible guerre, et la Bolivie, enclavée, n'a toujours pas digéré d'y avoir perdu sa seule ouverture sur l'océan Pacifique.

Les nitrates d'Atacama feront pendant 40 ans la fortune du pays (les plus grands gagnants seront cependant des investisseurs anglais), avant que la surproduction et l'invention des engrais synthétiques, moins coûteux à produire, ne signe le glas de l'activité minière, qui va décliner jusqu'en 1930. Laissées à l'abandon en plein désert, les mines (oficinas salitreras) sont devenues aujourd'hui des villages fantômes, qu'on dirait tout droit sorti d'un décor de cinéma. Des trains rouillés attendent sur des voies de chemin de fer un chargement qui ne viendra jamais, et tous les bâtiments, depuis les quartiers d'habitation jusqu'aux magasins en passant par un théâtre et l'inévitable cimetière, sont encore debout, sous l'éclat aveugle du soleil. Ces lieux font, parait-il, forte impression sur ceux qui les visitent, et d'aucun prétendent qu'ils sont encore hantés par les âmes de ceux qui n'y ont connu que le désespoir et la souffrance, pour le compte de riches spéculateurs assis dans leur fauteuil à l'autre bout du monde.

En Atacama, les mines de nitrate ne sont pas les seuls endroits à avoir été désertés, et de nombreux villages andins continuent de subir le même sort, les indiens étant de plus en plus nombreux à fuir des conditions de vie très difficiles pour le confort (relatif) des villes. L'activité minière reste très importante, et c'est ainsi que Pedro, le guide qui nous a conduit au sommet du Licancabur, extrait des sels minéraux à coup de pioche avec nombre de ses compatriotes, quand il n'a pas de clients. La demande en iode a permis au marché des nitrates de connaître un second souffle, et les opportunités offertes par les salars continuent d'exciter l'imagination. Formées par le ruissellement des eaux de fonte descendant de la cordillère des Andes et qui, une fois bloquées dans leur course vers le Pacifique par des reliefs, stagnent dans des cuvettes et s'évaporent au soleil, ces lagunes hyper salées sont de véritables mines à ciel ouvert. Elles renferment effectivement d'importantes quantités de bore, potassium et lithium, le Chili concentrant à lui seul 40 % des réserves mondiales de ce métal alcalin. Niché entre la cordillère des Andes et la précordillère de Domeyko, à deux pas du village de San Pedro, la plus grande saline du Chili, le salar d'Atacama, brille ainsi comme de l'or blanc, sous les feux d'un soleil implacable.

Le mal des montagnes

J’ai souvent conduit des paysans, d’ailleurs très robustes, qui, à une certaine hauteur, se trouvaient tout d’un coup incommodés, au point de ne pouvoir absolument monter plus haut ; et ni le repos, ni les cordiaux, ni le désir le plus vif d’atteindre la cime de la montagne ne pouvaient leur faire passer la cime de la montagne, ne pouvaient leur faire passer cette limite. Ils étaient saisis, les uns de palpitations, d’autres de vomissements, d’autres de défaillances, d’autres d’une violente fièvre et tous ces accidents disparaissaient au moment où ils respiraient un air plus dense.
Horace Benédict de Saussure (1740-1799).


Mine de cuivre abandonnée à proximité de Caspana. Le bruit des pioches s'est évanoui pour faire place au silence, et seuls les fantômes des mineurs vrillés de souffrance hantent encore les lieux. Cliquez pour agrandir la photo

A partir de 3000 mètres d'altitude, l'être humain rencontre quelque chose de nouveau, auquel il n'est pas habitué. Dès que l'on s'élève, la pression atmosphérique diminue (à 5500 mètres, elle a déjà faibli de moitié, et la décroissance est presque exponentielle), et si le pourcentage d'oxygène ne varie pas (il est toujours de 21 %), l'air que l'on respire, plus ténu, en transporte moins. Soumis à une situation d'hypoxie (diminution de la quantité d'oxygène amené aux tissus par le sang), l'organisme va réagir de manière complexe pour s'adapter à cette contrainte de l'environnement, de manière plus ou moins efficace et douloureuse.

Quand il est confronté à une situation d'hypoxie, la première réaction du corps humain est d'augmenter immédiatement le rythme respiratoire (hyperventilation) et le rythme cardiaque (tachycardie), de manière à composer la baise de la pression partielle en oxygène. Cependant, cet emballement n'est que de courte durée, car cette phase, dite d'accommodation, place de lourdes contraintes sur des organes vitaux (cœur en particulier) qui doivent impérativement être préservés. C'est pourquoi, au bout de quelques jours, la respiration et la circulation sanguine retrouvent leur niveau normal, tandis que l'organisme rentre dans la phase dite d'acclimatation. De l'efficacité de cette période, incompressible, au cours de laquelle le corps humain va mettre en place plusieurs stratégies plus ou moins efficace pour lutter contre le manque d'oxygène, découlera bien souvent le succès ou l'échec d'une ascension.

Les modifications physiologiques et métaboliques que l'organisme subi durant une acclimatation sont nombreuses et complexes, d'autant plus qu'elles sont souvent intimement intriquées. La plus marquante, et vraisemblablement la plus parlante, est une augmentation du nombre de globules rouges dans le sang (l'hématocrite, qui mesure le pourcentage en volume des cellules sanguines par rapport au volume total du sang, peut ainsi grimper de 10 à 20 %). Cette polyglobulie est liée à l'émission d'une hormone, l'érythropoïétine (EPO), qui va ordonner à la moelle osseuse d'intensifier sa production de globules, et qui est utilisée aujourd'hui comme agent dopant dans le monde sportif. Contenant un nombre d'hématies plus grand, le sang peut donc transporter plus d'oxygène aux différents tissus. Cette adaptation n'est cependant pas entièrement bénéfique (et illustre bien la grande complexité des interactions qui ont lieu au niveau du corps humain). Ainsi, si le volume sanguin n'augmente pas, les cellules prenant la place du plasma dont le volume baisse, la viscosité du sang augmente, ce qui diminue l'efficacité de sa circulation (maux de têtes) et augmente le risque de gelures, de thromboses, etc ...

La phase d'acclimatation va se caractériser par différents symptômes, dont le plus courant est le mal de crâne, qui doit cependant céder à l'aspirine (un mal de tête persistant est le signe d'un mal des montagnes aggravé). A cet élément déjà fort peu agréable s'ajoutent d'autres causes d'inconfort : nausées, perte d'appétit, perturbation du sommeil (difficulté à l'endormissement, nombreux réveils), fatigue générale, sensation de vertiges, lassitude et fatigue anormale. Bien que le moral et la fierté puissent en prendre un grand coup, aucun de ces symptômes ne doit être ignoré, ou pris à la légère. Car si l'organisme ne parvient pas à s'acclimater correctement, ou si la montée est effectuée trop rapidement, le mal des montagnes peut s'aggraver, pour déboucher au final sur deux formes très sévères, l'œdème cérébral et l'œdème pulmonaire, dont l'issue, si rien n'est entrepris, n'est autre que la mort.

L'une des caractéristiques principales de notre séjour en Atacama a été d'offrir les conditions les plus propices à une bonne acclimatation. Comme on peut le constater en étudiant l'évolution de l'altitude, notre montée est restée très progressive, que ce soit durant la première partie, ou lors des cinq jours nécessaires à l'ascension de l'Ojos del Salado. Ainsi, nous avons successivement dormi à 3000 mètres (Ayquina), 3250 mètres (Caspana), 3750 mètres (Cuesta Chita), 4000 mètres (Machuca), et enfin 4300 mètres (El Tatio et refuge bolivien du Licancabur). L'effort a également été dosé, avec des randonnées assez courtes et sur terrain plat les premiers jours, qui ont laissé place à des randonnées un peu plus longues avec un dénivelé plus important (jusqu'à 750 mètres), pour finir par l'ascension du Cerro Soquete à 5400 mètres et du Licancabur à 5900 mètres. Cette première partie, sublime en elle-même, n'était néanmoins qu'une préparation à l'objectif final, l'Ojos del Salado. Après être redescendu au niveau de la mer (le volcan étant situé plus de 800 kilomètres au sud), nous avons perfectionné l'acclimatation au cours des étapes qui conduisent au cratère sommital : Laguna verde (4300 mètres), montée au camp de base Atacama I (5200 mètres), montée au camp de base Atacama II (Tejos) à 5800 mètres et redescente au camp de base inférieur pour la nuit, remontée à Tejos et nuit à 5800 mètres, et enfin ascension proprement dite (soit pratiquement 6800 mètres).


Au sommet du Cerro Soquete, à presque 5400 mètres de hauteur, nous approchons de la frontière de la très haute altitude, qui commence à 5500 mètres. Cliquez pour agrandir la photo

Notre guide nous avait demandé d'être particulièrement attentif à tous les symptômes liés au mal des montagnes, et d'être honnête envers nous mêmes comme envers les autres. Pour ma part, j'ai été sévèrement affaibli lors de la quatrième journée, qui s'est déroulée à une altitude comprise entre 3200 et 3750 mètres : mal de tête, sensation de vertige, apparition de douleurs "fantômes" aux extrémités des pieds ainsi qu'au niveau des dents. Bien qu'il ne soit jamais vraiment possible de le savoir, il s'agissait très probablement d'une infortunée combinaison entre d'une part une acclimatation en cours et d'autre part une insolation carabinée. Le réveil au cinquième jour fut très difficile, avec un violent mal de crâne, et la journée n'a pas été particulièrement agréable. L'inconfort a disparu avec du repos, largement favorisé par une nuit passée dans un lit douillet en lieu et place du sac de couchage sous la tente à Machuca.

Au niveau de l'Ojos del Salado, nous nous soumettions chaque jour à des mesures non invasives de la saturation d'oxygène du sang, effectuée par notre guide local, Daniel, par l'intermédiaire d'un oxymètre portable. L'appareil, petite pince électronique dont les mâchoires se refermaient sur l'index, indiquait à la fois la fréquence cardiaque, et le niveau d'oxygénation pulsée de l'hémoglobine du sang artériel. La mesure est basée sur la différence d'absorption de deux rayonnements (rouge, 600 nm et infrarouge, 925 nm) de l'hémoglobine, selon qu'elle transporte (oxyhémoglobine) ou non (désoxyhémoglobine) de l'oxygène. La mesure du taux de saturation en oxygène de l'hémoglobine permet de déterminer indirectement la quantité d'oxygène contenu dans le sang, qui dépend de la teneur en oxygène du sang (la quantité d'oxygène directement dissous étant négligée devant celle transportée par l'hémoglobine) et du débit cardiaque. Elle est exprimée en %, le niveau de saturation nominale étant de 95 à 100 %.

Mon score, d'abord assez bas (70%, sachant qu'à ce niveau de désaturation la mesure est en train de perdre sa fiabilité), a progressivement remonté pour dépasser les 80 %. En dessous d'une certaine valeur, nous n'étions plus autorisés à continuer à grimper. Cependant, malgré une saturation acceptable du sang, les symptômes du mal des montagnes n'ont sont pas moins revenus, ce dernier ayant été probablement favorisé par la fatigue accumulée depuis deux semaines, et un sommeil agité dès 5200 mètres. La nuit passée à Tejos à 5800 mètres a été pénible, avec des maux de tête à répétition (malgré la prise de paracétamol codeiné), une perte très nette d'appétit, et des nausées au petit matin (qui ne sont pas des plus agréables quand il s'agit de se mettre en route). Je suis monté avec une impression de grande fatigue (mes yeux se fermaient tout seul) et un essoufflement de plus en plus important. C'est dans un état de délabrement général que je suis parvenu à me hisser sur les bords du cratère à plus de 6700 mètres, et je me suis endormi à plusieurs reprises lors de la redescente, quelques secondes après m'être retrouvé par terre après une chute (mes pas étaient effectivement mal assurés, et il devenait évident que ma coordination musculaire était affectée par l'altitude). Mon état s'est amélioré tout seul lors de la descente, et après un peu de repos à Tejos, c'est avec plaisir que je suis redescendu à pied vers Atacama I, alors qu'un 4x4 était disponible pour le retour.

A partir de 5500 mètres, l'homme rentre dans le domaine de la très haute altitude, un milieu extrême ou il n'a clairement pas sa place. Si une acclimatation douce et progressive permet à un alpiniste, parti du niveau de la mer, de se hisser à 6000 mètres, une personne qui effectuerait cette montée à toute vitesse (dans un ballon, ou lors d'expérience en caisson) tomberait au sol, inconsciente. L'acclimatation, même quand elle est efficace, a cependant ses limites, et après quelques semaines en haute altitude, on observe une phase très nette de dégradation de l'état général de l'organisme. Il faut alors redescendre, la réussite de l'expédition, si l'on n'a pas encore atteint le sommet, étant de toute façon presque entièrement compromise.

La capacité à s'acclimater correctement ou non à l'altitude semble être principalement génétique, et il semble que la condition physique n'entre pas en ligne de compte (un entraînement intensif ne permettrait donc pas de prévenir le mal des montagnes). Elle est liée au nombre et à la sensibilité de chémorécepteurs carotidiens qui détectent les premiers les signaux de l'appauvrissement du sang en oxygène, et qui vont ensuite mettre en branle toute une série de réactions physiologiques et métaboliques. Tout le monde n'est pas égal face à l'altitude, et certaines personnes peuvent se montrer incapables de s'adapter convenablement à la baisse de la pression partielle en oxygène, et de réagir en conséquence. Elles vont alors cruellement ressentir les effets du mal des montagnes. Si, par fierté ou désespoir, elles s'entêtent à vouloir continuer à progresser, elles peuvent s'exposer, comme nous l'avons vu plus haut, à deux phénomènes très graves : l'œdème cérébral et/ou pulmonaire.


Auto-portrait au sommet du Licancabur, à 5900 mètres d'altitude. Le mot extraordinaire prend ici tout son sens pour décrire ce que l'on peut ressentir là haut. Cliquez pour agrandir la photo

En altitude, le métabolisme hydrique est sévèrement perturbé, et l'eau a tendance à quitter les tissus (il est d'ailleurs impératif de boire beaucoup). L'œdème cérébral est du à une accumulation de liquide au niveau du cerveau. La personne est alors dans un état critique : maux de tête effroyables et persistants, vomissements, trouble du comportement, de la coordination des mouvements et de la vue. Le seul remède est d'effectuer une redescente immédiate, ou, si cette dernière n'est pas possible dans l'instant, de placer la victime en caisson hyperbare. Outre des bouteilles d'oxygène (notre guide local, Pedro, en possédait ainsi une lors de l'ascension du Licancabur), nous transportions avec nous un caisson hyperbare gonflable, que nous n'avons heureusement pas eu l'occasion d'utiliser. Ce dernier se présente sous la forme d'un sarcophage souple, munis de fermetures éclairs étanches, dans lequel la victime du mal des montagnes doit prendre place (le caisson ressemble étrangement à une sorte de cercueil, mais je doute que toute personne placée dedans en urgence soit encore en état de s'en faire la remarque). Une fois refermé, un individu doit pressuriser le caisson en actionnant régulièrement une petite pompe, jusqu'à atteindre la pression adéquate. Il doit ensuite continuer de pomper l'air, étant donné qu'il s'agit du seul moyen de le renouveler. Enfin, une seconde personne doit impérativement établir et garder un contact visuel avec la personne emprisonnée dans le caisson par l'intermédiaire d'un petit hublot transparent, non seulement pour surveiller l'évolution de son état, mais également pour rassurer cette dernière et empêcher toute panique (imaginez-vous enfermé dans un tel caisson sans n'avoir plus aucun contact avec vos compagnons : ce n'est pas du Stephen King, mais on s'en approche vraiment !). Après une petite heure passée à une altitude de 1000 à 2000 mètres inférieure à l'altitude réelle, l'état de la victime s'améliore en général nettement.

Le second œdème, l'œdème pulmonaire, est lui aussi dû à une accumulation de liquide, cette fois-ci au niveau des poumons. La victime présente des signes marqués d'essoufflement, même au repos, et expectore des crachats mêlées de sang. Elle présente parfois une forte rétention urinaire. Là encore, comme dans le cas de l'œdème cérébral, il faut immédiatement entamer une descente en altitude, sous peine de décès.

Lorsqu'il est face à l'altitude, l'homme ne peut manquer de se poser la question de sa propre limite, et de celle, plus générale, du genre humain. En 1924, les alpinistes Norton et Somervell atteignent l'altitude de 8500 mètres sans oxygène sur le mont Everest. Un exploit considérable, surtout quand l'on considère qu'il faudra plus de cinquante ans pour que l'homme parvienne à franchir les 350 derniers mètres qui le séparent encore du sommet. C'est effectivement en 1978 que Reinhold Messner et Peter Habeler parviennent à se hisser en haut de ce sommet mythique, sans respirer autre chose que l'oxygène de l'air. Il est tout à fait possible que l'Everest représente l'altitude maximale à laquelle seule une poignée d'individus peuvent encore, sur des périodes très brèves, survivre.

Bien entendant, l'altitude n'est pas le seul danger auquel s'expose un randonneur ou un alpiniste. De ce point de vue, l'Atacama est encore bien plus extrême que les Alpes françaises voire même une haute vallée himalayenne. Outre des éléments communs à tous les milieux montagnards, comme la violence du vent, le froid intense, l'engagement (les secours peuvent être très éloignés), le désert d'Atacama se caractérise aussi par des contrastes thermiques importants entre le jour et la nuit, une aridité extrême (l'aspect minéral des paysages renforce encore la sensation d'isolement), et surtout un rayonnement solaire aussi formidable que terrifiant (même en plein désert, porter des gants est une bonne idée si vous ne voulez pas finir avec les mains brûlées).

Au final, nous retrouvons cette notion de limite, qui semble être le trait fondamental de toute activité liée à l'altitude. Sans savoir à quel moment il va devoir baisser les bras et abandonner définitivement toute velléité de monter, tout en sachant que cette limite existe, qu'elle est aussi réelle que l'air ou la pierre, l'homme avance dans l'inconnu, entreprend un périple à l'issue incertaine. Pas après pas, nous gagnons mètre après mètre, établissant en permanence un nouveau record, tout en ayant conscience qu'il peut à tout moment s'agir du dernier, et redoutant, à chaque instant, les signes avant coureur des maux de tête ou des nausées. Derrière nous, certains ont déjà renoncé et redescendent, courbés vers le sol. Devant nous, d'autres marchent d'un pas puissant et vigoureux, plein d'énergie. Engoncés dans nos habits de couleur, la tête pleine de pensées contradictoires, le corps résistant à ce que l'esprit commande, nous continuons pourtant d'avancer dans l'air rare, pas après pas.

Bibliographie

. Dernière mise à jour : 03 octobre 2013. Des commentaires, corrections ou remarques ? N'hésitez pas, écrivez-moi!