Mars, planète dynamique !

Mars Global Surveyor


L'image typique que l'on avait jusqu'à présent de la planète Mars est celle d'un monde froid et mort, complètement figé depuis des millions d'années dans une immobilité glacé. Une image, comme bien d'autres, qui a fait son temps. Les clichés les plus récents de la sonde Mars Global Surveyor viennent effectivement de montrer que la planète rouge est bien plus dynamique et active que ce que l'on croyait précédemment. Des dunes de sable qui rampent lentement, d'énormes tourbillons poussiéreux qui balayent à leur gré la surface martienne, ou encore le lent retrait, haut en couleur, de la calotte saisonnière sud sont autant d'évènements qui prouvent que la planète Mars est encore exposé aux forces de la nature.

L'un des principaux objectifs de Mars Global Surveyor (ainsi que de la sonde Mars Climate Orbiter, qui a échoué dans sa mission) est de caractériser le climat de la planète Mars et d'étudier l'interaction de l'atmosphère avec la surface de la planète. Pour cela, la sonde utilise ses deux caméras pour observer la météorologie martienne et les changements saisonniers qui ont lieu à la surface et qui modifient les paysages. Certaines régions ont changé considérablement d'aspect depuis que la sonde s'est placé en orbite, il y a maintenant 2 ans et les premières images obtenues pendant la longue période d'aérofreinage peuvent être comparées avec bonheur avec des images beaucoup plus récentes, accumulés depuis le début de la phase de cartographie.

L'évidence de la bonne santé de la planète se manifeste ici sous deux formes, les changements météorologiques (tempêtes, nuages, tourbillons de poussière) et les changements de surface (en particulier les fameuses dunes mouchetées). Toutes ses manifestations sont en fait reliées au passage des saisons martiennes. Dans l'hémisphère nord, c'est actuellement l'automne et la calotte polaire se met à grossir (l'équinoxe d'automne a eu lieu le 2 août 1999). Dans l'hémisphère sud, c'est au contraire le début du printemps et la calotte polaire qui s'était formé pendant les longs mois d'hiver commence à se retirer.


Carnaval sur la planète rouge

Chaque année, on peut assister sur Mars à la croissance de deux larges calottes polaires saisonnière pendant la période hivernale (une dans chaque hémisphère). Chaque calotte saisonnière se forme au détriment du CO2 atmosphérique. Celui ci passe directement de l'état gazeux à l'état solide, et la surface martienne se recouvre progressivement d'une fine couche de glace sèche, mélangé à de la glace d'eau. L'accumulation de CO2 sur la calotte saisonnière se traduit par une baisse sensible de la pression atmosphérique, l'atmosphère de Mars étant constituée principalement de dioxyde de carbone. A la fin de l'hiver et au début du printemps, le cycle inverse se produit. Après une longue période d'obscurité, les rayons solaires reviennent lécher la calotte saisonnière, qui va commencer à dégeler. La glace sèche fond, et le CO2 qui était prisonnier sous forme solide peut retourner dans l'atmosphère. La calotte saisonnière commence à se rétracter lentement vers le pôle. Le cycle de croissance et de retrait des calottes polaires est l'un des éléments fondamentaux du climat martien. On ne sait pas beaucoup de choses à propos de ce cycle, mais les images les plus récentes de Global Surveyor viennent de nous fournir de nouvelles informations. Il faut préciser ici que l'orbite polaire suivie par la sonde lui permet de survoler fréquemment les régions polaires, ce qui permet d'obtenir des photographies à des dates différentes et d'apprécier l'évolution de certains phénomènes (comme les dunes mouchetées). Ce n'est pas le cas pour d'autres régions, et les champs de dune équatoriaux ne seront sans doute pas survolé plus d'une fois au cours de la mission.

Des observations menées en août et en septembre 1998 à la fin de l'hiver boréal avaient déjà montré (et ceci pour la première fois) que des points noirs apparaissaient sur les dunes recouvertes de givre, alors que la calotte saisonnière commençait sont retrait (l'une des photos est accessible en cliquant ici). En 1999, le même phénomène s'est produit avec les dunes entourant la calotte polaire sud.

On pense avoir compris l'origine et la nature de ces points noirs. Avec les premiers rayons du soleil, la surface glacée des dunes commence lentement à dégeler au niveau de régions localisées et éparses. Le dégel se traduit par la disparition de la fine couche de givre blanc, qui laisse alors apparaître en dessous le matériau beaucoup plus sombre qui constitue la dune (du sable noir par exemple). Une fois que le matériau sombre de la dune est exposé à l'air libre, il peut absorber une plus grande quantité de rayons solaires, ce qui contribue à accélérer la sublimation de la couche de givre (comme la température est d'environ -150°C, la majeure partie du givre qui recouvre les dunes doit être formé de CO2 solide).

Les premiers points noirs fleurissent donc ici et là sur chaque dune (ils apparaissent en général dans la partie basse de l'édifice dunaire). La zone de dégel progresse de manière radiale autour de chaque point et s'étend progressivement. Les points noirs se mettent donc à grossir, tandis que de nouveaux apparaissent. Ce phénomène est illustré sur l'image C, qui montre la même dune à deux dates différentes (19 juin 1999 et 15 juillet 1999). A bout d'un moment, les zones de dégel finissent par se rencontrer et fusionnent ensembles.

Cependant, le rythme du dégel de la surface dunaire, ainsi que l'apparence un peu floue des bords de chaque point noir indique que le givre doit se sublimer (passage direct de l'état solide à l'état gazeux) et de re déposer de manière périodique. A chaque période de dégel, les points noirs grossissent ou apparaissent. Puis, quand le givre se re dépose, la taille des points noirs diminuent à nouveau. La couche glacée doit se reformer la nuit, hors de vue des caméras de Global Surveyor qui sont alors aveugles. Impossible donc de savoir si le givre réapparaît directement sur le sol gelé ou s'il neige du dioxyde de carbone solide ! Ce cycle gel/dégel doit agir en modérant ou en ralentissant le retrait de la calotte saisonnière. Bien sûr, le combat est perdu d'avance et chaque dune finira par se débarrasser entièrement de son habit de glace.

La plupart des points noirs que l'on observe exhibent des traits très fins disposés autour d'eux de manière radiale ou semi-radiale. La première chose à laquelle on a pensé, c'est que le processus de dégel des dunes était de type explosif. Les points noirs ressemblaient effectivement à des petits cratères, la cavité centrale étant entourée d'éjecta radiaux. Il était possible que la glace sèche, emprisonnée sous une couche de glace d'eau, commence à se réchauffer et se sublime pour donner du gaz carbonique. Celui ci pouvait s'accumuler dans un premier temps pour former une petite poche gazeuse, puis, quand la pression devenait trop forte, la mince couche de glace d'eau se soulevait et éclatait finalement en donnant naissance à un petit cratère (un peu comme l'air qui s'échapperait de la croûte d'un soufflé percé par la lame d'un couteau).

Mais cette première hypothèse de l'explosion, même si elle était séduisante et excitante, n'a pas tenu. Les fines lignes noires qui entourent parfois les points noirs ont une autre origine. C'est tout simplement le vent qui, en soufflant, décolle le matériau noir exposé à l'air libre par le dégel et le re-dépose un peu plus loin, sur une surface blanche qui n'a pas encore dégelé. Comme le sable noir se dépose sur du givre blanc, les lignes sombres sont particulièrement bien visibles. Chaque ligne indique le sens du vent dominant, et on retrouve d'ailleurs une orientation identique des différentes lignes pour chaque point noir.

L'extension et l'apparition de points sombres sur des dunes blanches donnent naissance à des motifs particulièrement remarquables. Sur certaines clichés (comme l'image A), les points noirs ressemblent à des petits sapins qui percent un manteau neigeux ou à des buissons qui profitent de la fin de l'hiver pour commencer à se développer. L'image A a été acquise le 21 juillet 1999. Les dunes de cette image sont situées à proximité du pôle sud martien et elles se seront sans doute pas dégelées complètement avant le mois de novembre ou de décembre 1999. Les barres blanches indiquent l'échelle. L'image B est encore plus belle et plus étrange. Ce champ de dune (61.5° de latitude sud, 18.9° de longitude ouest) photographié par Global Surveyor le 1er juillet semble littéralement recouvert d'une peau de léopard. Certains points semblent aussi alignés et tracent des lignes en pointillé sur la surface dunaire.

Comme nous l'avons vu précédemment, les dunes mouchetées n'avaient encore jamais été observées avant Global Surveyor et de nombreux points demeurent encore flous. Nous ne savons pas par exemple pourquoi les dunes dégèlent de cette façon. Nous ne sommes pas sur que l'apparence diffuse des points noirs s'explique par un processus de sublimation et de re-précipitation du givre. Nous ne savons par non plus pourquoi certains points semblent alignés les uns avec les autres (l'alignement est bien visible sur l'image B). 

 Dunes mouchetees
A

Dunes mouchetees
B

Dunes mouchetees
C
Malin Space Science Systems/NASA


Avalanches de sable

L'observation de dunes en activité, que ce soit le mouvement global d'un champ de dune ou le déplacement des sédiments d'une dune bien précise peut aider à déterminer la vitesse à laquelle le vent est capable de transporter des sédiments ainsi que le temps nécessaire à l'érosion de surfaces rocheuses sous l'effet de la corrasion (capacité d'abrasion de grains de sable transportés à haute vitesse par le vent).

L'un des premiers champs de dunes martien a été mis en évidence par la sonde Mariner 9 au fond du cratère d'impact Proctor (nommé ainsi en l'honneur de Richard Anthony Proctor), il y a plus de 27 ans. La vignette qui montre ce champ de dune en haut à droite de l'image principale a été réalisée en assemblant des photographies obtenues par cette vénérable sonde pendant le mois de février et le mois de mars de l'année 1972. Le rectangle blanc indique la zone photographiée par la caméra de Mars Global Surveyor. Les dunes que l'on voit ici ont une taille comparable à celle des dunes terrestres (bien que Mars possède également des dunes géantes bien plus grandes que nos propres dunes).

Les dunes sombres situées à l'intérieur de cratères d'impact sont intéressantes, car leur couleur indique qu'elles ne sont pas encore recouvertes par la fine couche de poussière claire qui n'a de cesse de se déposer sur la totalité de la planète. Si la poussière n'arrive pas à s'accumuler sur les pentes sableuses, ce que ces dernières sont encore actives.

Sur l'image, les dunes sont encore recouvertes par endroit d'un fin manteau de givre blanc, déposé suite à leur séjour dans le froid nocturne de l'hiver austral. On peut facilement apercevoir (à gauche ou au centre de l'image) des traînées sombres sur les surfaces blanches encore glacées. Ces traînées ne sont rien d'autres que des petites avalanches de sable qui ont pris naissance au niveau des crêtes dunaires pour dévaler les pentes fortes (supérieur à 35 °) jusqu'en bas. Comme les avalanches sableuses sont noires, elles ressortent particulièrement bien quand elles atteignent la blancheur du givre. Point encore plus intéressant, cette observation permet aussi de déduire que les avalanches ne peuvent pas être plus vieilles que le dépôt du givre sur lequel elles se sont développées. Le manteau givré ne doit pas être âgé de plus de 11 mois et il ne date probablement que de quelques mois. Ces traînées montrent ainsi que le champ dunaire est encore actif et que les dunes continuent de progresser lentement mais sûrement sur le fond du cratère !

L'emplacement du champ de dune sur les images de Global Surveyor a aussi été comparé à sa position sur les clichés de Mariner 9. Apparemment le champ est immobile depuis le mois de mars 1972. Pendant 27 années terrestres (soit 14 années martiennes), il ne semble pas avoir bougé d'un pouce. Cependant, il faut se rappeler que la résolution des images de Mariner 9 n'était que de 62 mètres par pixel (à comparer à la résolution bien supérieure de la caméra de Global Surveyor, 1,5 mètres/pixel). Il faut qu'un objet parcourt une distance supérieure à 62 mètres avant que son mouvement soit repérable sur les clichés. On peut juste conclure que bien que les magnifiques dunes de sable noir du cratère Proctor soient encore actives aujourd'hui, le champ dunaire ne s'est sans doute pas déplacé de plus de 62 mètres sur 14 années martiennes !

Dunes en activite 
Malin Space Science Systems/NASA

Derviches tourneurs

Les tourbillons de poussière (dust devils en anglais) sont comparables à des petites tornades terrestres (même si le mécanisme qui est à l'origine des tornades terrestres est différent). Ces tourbillons ne sont rien d'autre qu'une colonne d'air en mouvement qui se déplace sur la surface martienne en soulevant la poussière déposée au sol. La poussière est aspirée et se retrouve dans l'air, rendant ainsi le tourbillon visible sur les images des sondes spatiales (même si l'on repère surtout l'ombre que le tourbillon projette au sol sur les clichés, plutôt que le tourbillon lui même).

Les tourbillons de l'image ci-contre ont été saisis sur le vif par la caméra de Mars Global Surveyor au milieu du mois de mai 1998, sur les terrains plats et poussiéreux d'Amazonis Planitia. Les tourbillons de ce type sont communs dans cette région et ils avaient déjà été mis en évidence par les orbiteurs des sondes Viking. La hauteur du tourbillon peut être estimée grâce à la longueur de son ombre sur le sol. Sur cette image, les ombres pointent vers le nord-est, et l'extrémité du tourbillon le plus important se déplace à 8 kilomètres au dessus de la surface martienne. Le tourbillon moyen mesure en général 2 kilomètres de haut, se déplace relativement lentement et peut transporter plusieurs tonnes de poussière. Ces derviches tourneurs apparaissent généralement pendant les heures les plus chaudes du jour martien (milieu et fin d'après midi) et ne vivent que quelques heures.

Les petits dessins en dessous de l'image permettent de se faire une idée de la hauteur des tourbillons de poussière martiens par rapport à des références terrestres. De gauche à droite, on trouve : un tourbillon de poussière terrestre, une tornade terrestre, un tourbillon de poussière martien et enfin la plus haute chaîne de montagnes terrestre, l'Himalaya. Les tourbillons de poussière existent aussi sur Terre. Ils sont en général beaucoup plus petits que leur homologue martien. Comme eux, on peut les rencontrer en été au dessus de déserts chauds et secs.

Sur Mars, on commence à penser que les tourbillons sont peut être une des sources majeures de la poussière très fine que l'on retrouve partout dans l'atmosphère martienne et qui donne au ciel sa couleur brunâtre caractéristique. Il est même probable que les tourbillons puissent être les initiateurs des formidables tempêtes de poussière qui balayent régulièrement le globe martien. Phénomène météorologique spectaculaire et majeur, les tourbillons constituent en tout cas la preuve la plus vivante que la planète est encore active aujourd'hui !

Dust devils
Malin Space Science Systems/NASA

Comparaison des dust devils avec les tornades terrestres
Malin Space Science Systems/NASA


 

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