Mars la Rouge

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Note : 5 etoiles
Auteur :
Kim Stanley Robinson
Editeur
:
Presses de la Cité (*)
Parution : 1993 (1994 pour cette édition)
Epaisseur : 548 pages

Mars la Rouge de Kim Stanley Robinson Le lecteur qui entame Mars la rouge met le pied dans une fresque immense, que l'on a souvent comparé au cycle de Dune de Frank Herbert, ou encore au cycle d'Helliconia de Brian Aldiss. Sur plus de 2000 pages, Kim Stanley Robinson relate l'incroyable aventure de la colonisation de Mars, depuis l'arrivée du premier contingent d'ingénieurs et de scientifiques jusqu'à la terraformation complète de la planète deux siècles plus tard.

Le premier tome de cette impressionnante trilogie, Mars la rouge, s'ouvre sur l'assassinat du premier homme à avoir jamais posé le pied sur Mars, John Boone. Le lecteur est ainsi prévenu d'emblée : quoi qu'il puisse se passer, cela se terminera mal. Rien ne permet pourtant de deviner, à la lecture de ce chapitre initial, la démesure de la mission qui s'apprête à atterrir sur les traces de Boone, et dont l'histoire va former le coeur de Mars la Rouge.

Après la première expédition menée par John Boone, et dont on ne saura pratiquement rien, la Terre se décide à effectuer un retour en force sur la planète rouge. Un équipage de 100 personnes, composé de 50 femmes et de 50 hommes, et réunissant quelques-uns des esprits les plus brillants de la planète, est envoyé sur Mars à bord d'un vaisseau spatial gigantesque, l'Arès. Ce dernier ressemble plus à un hôtel trois étoiles qu'aux coquilles de noix auxquelles la plupart des romans de science-fiction nous ont habitué, et donne une première idée du gigantisme de l'entreprise. La folie des grandeurs n'a pas seulement affecté les machines, mais semble aussi avoir touché les passagers, puisque certains n'hésitent bientôt plus à clamer haut et fort leurs ambitions : bâtir un monde neuf, et recommencer l'Histoire !

Si la description du vol vers Mars donne l'occasion de faire connaissance avec les principaux protagonistes, les principales facettes de leur personnalité n'apparaîtront cependant clairement que plus tard. La plupart des membres d'équipage avoueront d'ailleurs assez rapidement avoir triché aux tests de sélection, et Kim Stanley Robinson a manifestement un compte à régler avec les psychologues, puisque même le psychiatre de l'équipe, incapable de se soigner lui-même, tombera en dépression ...

Une fois la délicate manoeuvre de mise en orbite réussie, la plupart des colons débarquent en masse sur la planète rouge, à l'exception d'une petite poignée qui s'est portée volontaire pour construire une base sur Phobos, la principale lune de Mars. Au sol, l'équipage tombe sur une quantité invraisemblable de modules déposés par des missions automatiques précédentes, et qui vont leur permettre d'ériger non pas un camp de base, mais une véritable ville, UnderHill. Les réacteurs nucléaires sont bientôt activés, les usines chimiques se mettent à tourner à plein régime en crachant des engrais, des briques et de l'acier, tandis que des habitats modulables poussent comme des champignons. La logistique imaginée par Kim Stanley Robinson n'a donc encore une fois rien à voir avec les timides expéditions décrites dans d'autres romans narrant l'arrivée de l'homme sur Mars, comme ceux écrits par Ben Bova, Gregory Benford ou Stephen Baxter.

Autre différence, le contrôle de mission n'intervient que rarement, et les colons sont les principaux responsables de la planification des opérations. Ainsi, la base martienne n'est pas encore terminée que certains groupes se lancent déjà dans l'exploration de la planète. Une première expédition est rapidement mise sur pied pour étudier la calotte polaire nord et tracer une route, qui permettra à des patrouilleurs automatiques de ravitailler UnderHill en glace. Lors d'un passage particulièrement poétique, les astronautes assisteront à un coucher de soleil sur la mer pétrifiée de dunes de sable noir de Vastitas Borealis. La poésie est très présente dans Mars la rouge, et malgré un style souvent descriptif et froid, Kim Stanley Robinson parvient à de nombreuses reprises à faire ressentir au lecteur la beauté étrange de Mars. Le roman offre ainsi des tableaux inoubliables, comme le vol d'une montgolfière ballottée par le ciel ocre de Mars, la lente avancée d'une caravane de bédouins sur des dunes de sable millénaires, ou l'inondation cataclysmique des canyons de Valles Marineris par des flots bouillonnant d'eau, de glace et de roc.

Le lecteur, déjà ébloui par l'ampleur des dispositifs installés sur Mars, va bientôt découvrir une problématique centrale à la trilogie, et qui constitue en quelque sorte sa marque de fabrique : la terraformation de Mars. Ce sujet brûlant divise les cent premiers en deux entités farouchement opposées. Pour les rouges, Mars est un monde vierge qui doit impérativement le rester, et sa nature minérale doit être protégée des actions néfastes de l'homme. Les verts ne l'entendent pas de cette façon, et rêvent de transformer ce monde mort en une nouvelle Terre, où l'humanité pourrait connaître un nouveau départ.

Malgré des arguments convaincants, les rouges perdent bientôt du terrain. Ses membres les plus extrêmes sont poussés au sabotage, tandis que les verts multiplient les projets pour changer le climat de Mars. Tous les moyens sont bons pour réchauffer la planète : éoliennes, immenses puits de forage dans la croûte martienne (moholes), miroirs orbitaux (soletta). Des microorganismes génétiquement améliorés sortent bientôt des laboratoires de biotechnologies et sont disséminés sur la planète.

A ce stade, Mars la rouge change de registre, et sans abandonner les destins individuels, l'histoire embrasse désormais une planète entière. Année après année, la situation se complexifie sur Mars, tandis que les guerres, la surpopulation et les catastrophes climatiques meurtrissent la planète mère. Devant l'effroyable dégradation des conditions de vie sur Terre et l'utopie d'une vie martienne, les immigrants sont de plus en plus nombreux à se presser aux portes des astroports martiens. Ce flux continu apparaît bientôt comme une menace pour les martiens, d'autant que les nouveaux arrivants ne sont plus animés par les mêmes motivations que les cent premiers. Comme ci cela ne suffisait pas, les ressources minières de la planète attisent la convoitise des transnationales (des sociétés immenses qui remplacent les états dans l'exercice du pouvoir), malgré le fait que leur valorisation reste dépendante d'un projet pharaonique : la construction d'un ascenseur spatial.

En évidant un astéroïde, des gigantesques usines robotiques vont effectivement tisser un câble de carbone de dix mètres de diamètre et pesant quelques six milliards de tonnes. Ancré sur le volcan Pavonis Mons et terminé par l'astéroïde de lest, il servira de support à des centaines de cabines qui monteront vers l'orbite des matériaux et des hommes, qui pourront ensuite être envoyé vers la Terre à moindre coût par effet de fronde. L'ascenseur spatial décrit dans Mars la rouge donne encore une fois une idée de la démesure qui habite ce roman. Grâce à une technologie débridée, les hommes deviennent capables de construire des systèmes aux proportions inhumaines, de façonner une planète entière, ou d'étirer à l'infini la longévité humaine. Dans une course en avant que rien ne semble devoir freiner, ils deviennent ainsi l'égaux des dieux. Sous la plume de Kim Stanley Robinson, l'ivresse de cette surenchère technologie et scientifique devient palpable, tout comme le sentiment imminent de catastrophe qui l'accompagne ...

Si l'orientation hard-science revendiquée par l'auteur peut effrayer, et si certaines descriptions longues et ardues demanderont un effort de lecture, passer à côté de Mars la rouge serait impardonnable. Ce roman d'une force incroyable, écrase sans aucune difficulté tous les autres livres d'anticipation jamais écrit sur l'exploration humaine et la colonisation de Mars. En s'intéressant à tous les aspects de cette aventure humaine sans pareille, Kim Stanley Robinson a réalisé un travail époustouflant. Science, technologie, politique, écologie, psychologie, sociologie, économie, aucun domaine n'est laissé de côté, et la planète Mars rêvé par Robinson devient un univers à part entière, dense et crédible. De part sa richesse et son ampleur, Mars la rouge est une oeuvre magistrale que tous les férus de science-fiction et les passionnés de Mars se doivent d'avoir lu au moins une fois. Et sitôt la dernière page tournée, les plus motivés pourront se lancer avec avidité dans la lecture de sa suite, Mars la verte ...

(*) Ce roman est aussi disponible en poche.

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