Chroniques martiennes

Des bactéries de 250 millions d'années (2ème partie)

Mercredi 25 octobre 2000
Microfossiles précambriens (Crédit photo : droits réservés)
Dans un précédent article, nous évoquions le retour à la vie d’une bactérie vieille de 250 millions d’années, emprisonnée dans un cristal de sel provenant du Nouveau-Mexique. En réalisant cette prouesse, les microbiologistes ont donné une nouvelle preuve des possibilités stupéfiantes des microorganismes. Cette découverte aux implications fascinantes offre par ailleurs de nouveaux espoirs pour la quête d’une vie dans le système solaire en général, et sur la planète Mars en particulier.

Une grande partie de la communauté scientifique s’accorde à reconnaître que Mars a probablement connu, il y a des milliards d’années, des conditions plus clémentes que celles qui règnent actuellement sur la planète rouge. Une atmosphère plus dense et un climat plus humide aurait permis à l’eau d’exister à l’état liquide. Des rivières, des lacs et des fleuves ont donc peut-être existé à la surface de Mars. Selon certains géologues, les basses plaines nordiques auraient même été le berceau d’un vaste océan.

A l’instar de la jeune Terre, Mars était peut-être un véritable paradis, propice à l’apparition et à l’émancipation de la vie. Mais si cette dernière s’est effectivement développée sur Mars, elle a ensuite dû faire face à des changements climatiques dramatiques, qui ont transformé l’accueillante planète en un globe froid et inhospitalier. Il n’est pas certain que la vie ait pu résister à ces modifications radicales, mais les microorganismes sont réputés pour leur ténacité, et ils ont très bien pu trouver refuge dans des sanctuaires géologiques.

Sur Terre, les frontières du monde vivant ne cessent d’être repoussées. En découvrant des bactéries au niveau des dorsales océaniques, dans des lacs de l’Antarctique ou au sein de la croûte terrestre, les microbiologistes ont appris que les microorganismes étaient capables de se nicher partout, même dans les endroits les plus improbables. Cette prise de conscience a constitué une petite révolution en biologie.

La vie sur Mars ne manque pas de sel

En juin dernier, la NASA a semé la zizanie dans les rédactions du monde entier en publiant des images stupéfiantes de la surface de Mars, acquises par la sonde Mars Global Surveyor. Sur les flancs de cratères d’impact, sur les versants de vallées ou sur les parois de dépressions, les clichés à haute résolution montrent des dizaines de chenaux qui semblent avoir été creusés par de l’eau liquide. Personne ne s’attendait à pareille découverte : les conditions physiques qui règnent à la surface de Mars interdisent à l’eau d’exister à l’état liquide. Comment ces ravines, qui sont bien réelles, se sont-elles formées malgré tout ?

Pour expliquer ce paradoxe, les scientifiques invoquent aujourd’hui de brusques libérations, non pas d’eau, mais d’eau salée . La nuance est importante : le sel est connu pour abaisser le point de congélation, et sa présence permet à l’eau d’exister sous forme liquide en dessous du fatidique 0°C.

L’eau salée dissuade en général de nombreux microorganismes. Il existe toutefois une famille de bactéries qui adorent s’y prélasser. Pour ces microorganismes que l’on qualifie d’halophiles, une forte salinité est non seulement bienvenue mais quelquefois indispensable. Nos bactéries ancestrales vieilles de 250 millions d’années appartiennent justement à la famille des halophiles. Rien d’étonnant pour des microorganismes qui ont été dégagés d’une gangue de chlorure de sodium pratiquement pur.

De là à penser que les torrents martiens saturés en sels pourraient encore contenir des bactéries halophiles partageant avec leurs analogues terrestres le même goût pour la longévité, il n’y a qu’un pas, qu’il est assez tentant de franchir. Les accumulations de sels qui doivent tapisser le fond d’anciennes étendues d’eau martiennes aujourd’hui asséchées, risquent de devenir rapidement une cible de choix pour les astrobiologistes. Ces derniers devront malgré tout attendre une mission de retour d’échantillons afin d’espérer dénicher des microorganismes dans les roches salines de la planète Mars. Les techniques d’isolement décrites dans l’article de la revue Nature du 19 octobre sont en effet d’une telle complexité qu’elles sont virtuellement hors de portée des sondes automatiques.

La panspermie désormais possible

L’incroyable résistance au temps de certains microorganismes relance également le débat de la panspermie. Au mois d’août 1996, la NASA – encore elle - avait défrayé la chronique en annonçant la possible découverte de fossiles dans une météorite provenant de Mars (ALH84001). L’affaire, qui avait fait grand bruit à l’époque et qui est toujours aussi controversée quatre années plus tard, nous rappelle que les planètes du système solaire ne sont pas des systèmes isolés. Par le biais des météorites, elles échangent en permanence des matériaux. Aujourd’hui timide, le bombardement était extrêmement intense peu après la formation du système solaire, et les météorites devaient pleuvoir par milliers à la surface des planètes.

En embarquant comme passagers clandestins sur des météorites, les bactéries peuvent s’offrir à moindre coût un voyage vers d’autres planètes. Cette théorie - les météorites porteuses de germes ensemenceraient les planètes - porte le nom de panspermie. Le transit dans l’espace n’a cependant rien d’une croisière de plaisance, car les cellules doivent faire face à des conditions particulièrement hostiles. Les températures glaciales, le vide et les radiations se liguent pour leur rendre la vie impossible. Cela n’empêche pas certaines bactéries d’avoir déjà relevé le défi.

En ramenant avec eux un morceau de la caméra de la sonde de reconnaissance Surveyor 3, les astronautes de la mission Apollo 12 ont découvert avec surprise que des microorganismes importés de la Terre avaient résisté au climat lunaire. Sur notre planète, la bactérie Deinococcus Radiodurans adore se loger dans les endroits chauds et humides des centrales nucléaires et à l’insigne honneur de figurer dans le Guinness des Records pour sa grande résistance aux radiations (des doses létales pour l’homme, restent absolument sans aucun effet sur elle).

Des bactéries combinent à la fois longévité et résistance : voilà d’excellents astronautes. Protégées sous la forme de spores, enfouies dans le cœur rocheux des météorites, elles abordent effectivement sans crainte les longs trajets dans l’espace et l’enfer de la rentrée atmosphérique (dont la chaleur vitrifie et vaporise les couches superficielles des météorites). Le caillou martien ALH84001 a dérivé pendant 15 millions d’années dans le système solaire avant de s’abîmer sur les étendues glacées de l’Antarctique. L’article de Nature, s’il est confirmé, place la barre de la survie à 250 millions d’années. Or, avec une durée de vie aussi importante, ce n’est pas seulement les planètes du système solaire qui sont à portée des bactéries : celles-ci peuvent également lorgner sans honte du côté des étoiles proches…

Geoman Cet article a été publié pour la première fois sur le site Geoman.Net.

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