Chroniques martiennes

Le feu et la glace d'Olympus Mons

Dimanche 9 janvier 2005
Les calderas emboîtées d'Olympus Mons (crédit photo : ESA/DLR/FU Berlin G. Neukum)
Les images obtenues par la caméra HRSC de la sonde européenne Mars Express, couplées quand cela était nécessaire avec les clichés de la caméra MOC de la sonde américaine Mars Global Surveyor, ont permis de dater avec une bonne précision quelques-uns des plus grands volcans martiens. Les résultats, publiés dans l'édition du 23 décembre 2004 de la revue Nature, sont fascinants ...

L'oeil électronique de Mars Express ne se distingue pas seulement par sa capacité à produire de somptueuses images en couleurs et en 3D de la surface martienne. Contrairement aux caméras embarquées sur les orbiteurs américains (comme Mars Global Surveyor et Mars Odyssey), la caméra HRSC permet également de couvrir des superficies très importantes de la planète Mars. Sa fauchée (c'est à dire la bande de terrain imagé par l'instrument) est effectivement très large : elle peut mesurer entre 60 et 100 km de largueur pour plusieurs milliers de kilomètres de longueur). La caméra HRSC se prête donc particulièrement bien au comptage des cratères d'impact, et donc à la datation des terrains.

Pour déterminer l'âge des terrains martiens, les planétologues utilisent les cicatrices laissées par les impacts d'astéroïdes et de comètes. En règle générale, plus les impacts sont nombreux (et plus le diamètre des cratères est élevé), plus le terrain est vieux. Cette technique ne permet cependant d'obtenir qu'un âge relatif : un terrain donné sera plus ancien ou plus récent que les régions avoisinantes, sans que l'on soit capable de donner une valeur chiffrée pour l'âge. Heureusement, les géologues peuvent utiliser notre satellite pour affecter à une surface donnée un age absolu. Effectivement, grâce aux retours d'échantillon lunaires effectués lors des missions Apollo américaines (et, dans une moindre mesure, par les missions robotiques soviétiques), on connaît l'age réel de la surface lunaire, tout comme son taux de cratérisation. Il est donc possible, moyennant quelques ajustements mathématiques, d'utiliser les données lunaires pour déduire l'age absolu des terrains martiens. La première étape consiste à dénombrer le nombre de cratères d'impact d'une zone de la surface martienne, et de reporter cette valeur sur la courbe donnant l'age d'une surface lunaire en fonction de son taux de cratérisation. On obtient alors l'age de la surface martienne avec une incertitude de quelques dizaines de %.

Les précédentes tentatives pour déterminer l'age de reliefs comme les volcans martiens étaient limitées par la faible résolution des images (les petits cratères d'impact qu'il est important de dénombrer n'étaient pas visibles), ou par la petitesse de la surface couverte (le comptage n'était pas effectué sur une surface suffisamment grande de la planète rouge, ce qui posait des problèmes statistiques). La caméra HRSC, qui ne souffre pas de ces deux inconvénients, permis de déterminer l'age des reliefs martiens avec une bien meilleure précision ...

Très rapidement après la mise en orbite de Mars Express autour de Mars, les géologues ont jeté leur dévolu sur quelques-uns des plus grands volcans martiens, appartenant aux deux plus grandes provinces volcaniques de la planète rouge : le dôme de Tharsis et le secteur d'Elysium. Cinq volcans ont été attentivement scrutés entre janvier et juillet 2004: le seigneur Olympus Mons, les volcans géants d'Arsia Mons et d'Ascraeus Mons, ainsi que les dômes d'Albor Tholus et d'Hecathes Tholus.

Les comptages ont permis de confirmer que les laves émises par Olympus Mons et Hecathes Tholus ont un age compris entre 3,8 milliards d'années et 100 millions d'années. Cela signifie que ces deux édifices ont été actifs durant un intervalle de temps considérable, 80 % de l'histoire géologique martienne. Olympus Mons a ainsi commencé à cracher ses laves alors que l'intense bombardement météoritique prenait fin sur Terre (un événement qui coïncide avec l'apparition de la vie sur notre planète), pour se taire au moment où les dinosaures régnaient en maître au jurassique. Aucun volcan terrestre n'a jamais été actif aussi longtemps, et les géologues s'interrogent désormais sur les causes de l'exceptionnelle longévité d'Olympus Mons. Est-ce du à l'absence de tectonique de plaques sur Mars, ou à une longue durée de vie des points chauds (ces panaches de matière en fusion qui naissent dans le manteau et qui percent tel un chalumeau la croûte pour donner des volcans de type Olympus Mons) ?

Les mesures de Mars Express ont surtout été effectuées au niveau des calderas, ces cratères qui se forment lors de l'effondrement du sommet du volcan suite à la vidange de la chambre magmatique située en dessous. La caldera des grands volcans martiens atteste souvent d'une histoire complexe. En général, le sommet des volcans est occupé par plusieurs calderas imbriquées les unes dans les autres, qui témoignent d'effondrements successifs dans le temps. Ainsi, le sommet d'Ascraeus Mons a été actif entre 100 et 800 millions d'années, contre 500 millions d'années à 2,2 milliards d'années pour Albor Tholus. Contrairement à ses camarades, les différentes calderas emboîtées d'Olympus Mons semblent s'être toutes formées dans un passé relativement proche, entre 100 et 200 millions d'années. Ces résultats montrent que l'activité des volcans martiens a été périodique, et que les éruptions ont été entrecoupées par des périodes de refroidissement caractérisées par une solidification du magma de la chambre magmatique. Arsia Mons fait cependant exception à la règle, puisque ce volcan ne possède qu'une unique caldera, qui est il est vrai immense.

En observant dans le détail certains secteurs des volcans martiens, la caméra HRSC a également découvert des terrains d'une jeunesse extrême. Ainsi, des coulées de lave sur les flancs d'Olympus Mons semblent n'avoir que 2 millions d'années, un age insignifiant à l'égard des temps géologiques. Pour certains volcanologues, il est donc tout à fait possible que des volcans comme Olympus Mons soient encore actifs, et que des éruptions puissent se produire de nos jours. Pour l'instant, aucun des spectromètres infrarouges (TES, THEMIS, OMEGA) embarqués sur les orbiteurs martiens (et qui peuvent jouer le rôle de capteur de chaleur) n'a observé de coulées de laves, mais la détection d'un flot rougeoyant de lave sur Mars n'est pas une impossibilité théorique.

L'équipe responsable de la caméra HRSC a également observé sur certains volcans des traces d'une activité géologique récente, cette fois ci non pas due au feu, mais à la glace. Comme la Terre, Mars peut connaître des périodes de glaciation, et un léger changement de l'axe de rotation de la planète (ou une modification de l'excentricité de son orbite) peut provoquer la migration des glaces des pôles vers les régions tropicales. Mars Express a ainsi repéré des traces glaciaires récentes (5 millions d'années) sur les versants du volcan Hecathes Tholus. Durant les périodes d'activité, la chaleur dégagé par le volcan a pu induire la fonte des glaces, et donner naissance à des sources hydrothermales (circulation d'eau chaude dans les fractures de la croûte) ou des chenaux fluviaux, creusés par le déferlement d'eau en furie sur les pentes du volcan.

Des traces glaciaires encore plus jeunes (4 millions d'années) ont également été mises en évidence sur l'escarpement qui borde le côté ouest d'Olympus Mons. Des images publiées dans la revue Nature montrent ainsi des structures en forme de langues que les chercheurs ont identifié comme étant des glaciers rocheux. Ces derniers ont cessé d'être actifs, mais l'absence de cratères d'impact à leur surface prouve qu'ils sont très jeunes. Les auteurs estiment même que de la glace pourrait encore être présente sur les flancs d'Olympus Mons, protégée de la sublimation (c'est à dire de sa transformation directe en vapeur d'eau) par une chape de poussière imperméable. Si les planétologues sont désormais pratiquement certains que le sol des hautes latitudes martiennes renferme de formidables quantités de glace, l'existence d'eau gelé perchée sur certains les volcans martiens ouvre d'intéressantes perspectives du point de vue de l'exobiologie (même si ce résultat n'est pas une surprise en soi : la sonde russe Phobos 2 avait par exemple déjà montré que les flancs du volcan Pavonis Mons étaient anormalement hydratés). La confirmation pourrait venir du radar MARSIS de la sonde Mars Express, si ce dernier est enfin déployé au mois de mars prochain.

Les résultats de la caméra HRSC sont fondamentaux dans la recherche de zones d'habitabilité, et les pentes des volcans comme Olympus Mons pourraient devenir des régions privilégiés pour la recherche d'une vie martienne. A la lumière des résultats publiés dans Nature, la détection de méthane dans l'atmosphère martienne par Mars Express (ainsi que par des télescopes terrestres), prend également une nouvelle signification. D'après les scientifiques, ce méthane pourrait être émis par des volcans en activité, ou, plus fascinant encore, provenir de bactéries méthanogènes qui vivraient dans les anfractuosités de la croûte martienne, dans des régions riches en glace et chauffées par des poches magmatiques. Les microorganismes martiens auraient ainsi tous les ingrédients nécessaires à leur survie : de l'eau liquide, du dioxyde de carbone (tiré de l'atmosphère) et de l'hydrogène (produit naturellement par l'altération de laves volcaniques de type basalte en présence d'eau).

Il est finalement assez ironique de penser que les flancs d'Olympus Mons pourrait fort bien abriter un écosystème martien. Depuis qu'il a porté son regard vers la planète Mars, l'homme n'a jamais cessé d'y chercher des traces de vie. Or Olympus Mons est un relief tellement gigantesque qu'il est parfaitement visible depuis la Terre, même au travers d'un petit télescope. Mars nous aurait-elle montré le chemin depuis le début ?

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