Chroniques martiennes

Mars Express, satellite martien de l'Europe

Jeudi 1er janvier 2004
Mars Express lors d'une manoeuvre de correction orbitale (Crédit photo : ESA)

C'est probablement le plus beau cadeau de Noël que l'agence spatiale européenne ne recevra jamais. Le 25 décembre 2003, sa première sonde d'exploration planétaire, Mars Express, s'est placée avec une précision redoutable autour de la planète rouge.

Lancée le 2 juin 2003 depuis le cosmodrome de Baïkonour au Kazakhstan, Mars Express est arrivée sur Mars la nuit du réveillon de Noël. Après un paisible périple de six mois et demi dans le système solaire, Mars Express devait exécuter l'une des manoeuvres les plus critiques depuis son décollage à bord d'une fusée Soyouz. Arrivant à très grande vitesse, la sonde devait impérativement freiner des quatre fers si elle ne voulait pas dépasser la planète rouge et se perdre dans l'espace interplanétaire. Le 25 décembre 2003 à 03:47, Mars Express a fait rugir son moteur principal pendant 36 minutes, de manière à décélérer suffisamment pour être happé par le champ de gravité martien. Au terme de cette manoeuvre propulsive, qui l’a amené à frôler la surface martienne à 414 km de distance, l'orbiteur européen s’est retrouvé sur une orbite très elliptique (400 kilomètres sur 188 000 kilomètres) recoupant l'équateur.

Peu après la reprise des communications avec l'orbiteur, les navigateurs de l'ESA ont appris avec un vif soulagement que l'orbite atteinte était très exactement celle souhaitée. Même si la première mise en orbite d'une sonde autour de Mars a eu lieu il y a déjà plus de 30 ans (Mariner 9), c'est un véritable exploit pour l'agence spatiale européenne, qui n'avait encore jamais fait tourner de satellites autour d'une autre planète que la Terre.

La vaste boucle que décrivait Mars Express autour du globe rouge de Mars n’était cependant pas idéale pour les observations scientifiques proprement dites, et les navigateurs, une fois l'euphorie de l'insertion orbitale passée, ont du immédiatement se concentrer sur la prochaine étape, à savoir la modification des paramètres de l'orbite de capture. Contrairement aux derniers orbiteurs de la NASA, comme Mars Global Surveyor et Mars Odyssey, Mars Express n'aura pas recourt à l’aérofreinage pour rejoindre son orbite finale de travail.

La technique de l’aérofreinage consiste à plonger à de multiples reprises dans les hautes couches de l’atmosphère martienne pour profiter du frottement de l’air, qui freine la sonde et modifie en retour les paramètres orbitaux. Si cette technique permet de faire des économies substantielles de carburant, elle demande du temps (plusieurs mois) et elle n’est pas sans risque, comme l’a appris à ses dépends Mars Global Surveyor. A cause d'un panneau solaire endommagé, cet orbiteur a effectivement mis une année et demi avant d'atteindre son orbite de cartographie !

Pour rejoindre son orbite de travail, plutôt que de surfer sur l'atmosphère martienne, Mars Express va de nouveau mettre à contribution son moteur fusée, qui sera mis à feu à des instants très précis. Si ces manoeuvres propulsives vont consommer du précieux carburant, elles permettront à la sonde d’être très rapidement à pied d’œuvre. La manoeuvre la plus délicate a eu lieu le 30 décembre 2003 à 09:00, alors que la sonde passait à l'apoapse, le point de l'orbite le plus éloigné de la surface martienne. En allumant son moteur pendant quatre minutes, Mars Express a fait basculer son plan orbital, pour passer d'une orbite quasiment équatoriale à une orbite passant presque directement au-dessus des pôles de la planète.

Il ne reste désormais plus aux navigateurs de l'ESA qu'à d'effectuer quelques ajustements de dernières minutes pour que Mars Express rallie sur son orbite de cartographie, une ellipse passant presque à l'aplomb des pôles (inclinaison de 86°) et caractérisée par un périapse (point le plus rapproché de la surface martienne) de 260 km et un apoapse (point le plus éloigné de Mars) à 11 560 km de distance. Le 13 janvier 2004, soit moins de 3 semaines après l'insertion orbitale, Mars Express sera à son poste pour sonder le moindre recoin de la planète rouge.

Du côté américain, la dernière sonde sensée employer des manoeuvres propulsives pour gagner l’orbite de cartographie n’était autre que Mars Observer. Ce monstre de technologie, dont le coût avoisinait un milliard de dollars, a disparu sans laisser de traces le 21 août 1993, trois jours avant sa mise en orbite. Depuis cette tragédie, et principalement pour des raisons de coût, tous les orbiteurs américains utilisent désormais le freinage atmosphérique pour se caler sur leur orbite de travail.

L'ESA n'a cependant pas été épargnée par les contraintes budgétaires, qui marquent de leurs empreintes la moindre des missions spatiales. Ainsi, Mars Express n'embarque pas la quantité de carburant qui lui aurait permis de rejoindre l'orbite optimale pour la cartographie de Mars, c'est à dire une orbite circulaire (type d'orbite sur laquelle circulent les orbiteurs américains Mars Global Surveyor et Mars Odyssey). En ce qui concerne sa forme, l'orbite suivie par Mars Express ressemble donc plus à celles des vénérables orbiteurs Viking qu'à celles des tout derniers orbiteurs américains.

Par rapport à l'orbite elliptique, l'orbite circulaire présente plusieurs avantages indéniables. L'altitude de survol étant constante, toutes les images obtenues possèdent la même échelle, ce qui facilite grandement leur comparaison. Si Mars Express pourra observer la planète Mars depuis une large gamme de distance, et enregistrer ainsi des images à différentes résolutions, il ne sera pas évident de comparer entre eux les différents jeux de données (la gamme d'images ainsi collectées devrait cependant nous offrir une vision globale de la planète, impossible à obtenir avec un orbiteur évoluant toujours à la même altitude sur une orbite circulaire).

De plus, à partir d'une orbite circulaire, les instruments scientifiques peuvent théoriquement fonctionner en permanence. Sur une orbite elliptique, les portions de l'orbite les plus éloignées de la planète Mars deviennent impropres (sauf exception) à l'acquisition de données (la planète étant alors trop éloignée). Ainsi, sur les 7,5 heures que mettra Mars Express pour parcourir une révolution autour de Mars, seul 1,5 heures pourra être consacrée à l'acquisition de données. Le reste de l'orbite (6 heures) sera mis à profit par la sonde pour transmettre les données recueillies vers la Terre.

L'orbite elliptique n'étant pas optimale pour les opérations de cartographie, Mars Express ne pourra donc pas engranger autant d'informations que les orbiteurs américains, d'autant plus qu'un problème de connectique avec un panneau solaire lui a fait perdre 30 % de sa puissance, ce qui va d'une manière ou d'une autre bousculer le planning d'utilisation des instruments scientifiques. Cependant, grâce à sa charge scientifique hors du commun, Mars Express devrait nous permettre de réaliser des percées majeures de la connaissance de la planète Mars. Que ce soit la caméra HRSC, capables d'obtenir des images couleurs et en trois dimensions de la surface martienne, le radar Marsis, qui sondera le sous-sol sur plusieurs kilomètres pour tenter de détecter des poches de glace ou d'eau, ou encore les spectromètres qui mesureront précisément la composition chimique de l'atmosphère, ainsi que la minéralogie de la surface, les instruments de Mars Express vont vraisemblablement contribuer à réécrire le grand livre de Mars.

Certes, il y a de fortes chances désormais que Mars Express ne communique plus jamais avec son module Beagle 2, mais la perte de l'atterrisseur britannique ne doit pas ternir l'incontestable succès de l'agence spatiale européenne. Nul doute que pour Mars Express, qui a brillamment survécu aux deux grandes épreuves imposées à chaque mission spatiale, le lancement et la mise en orbite (du moins pour les orbiteurs), la nouvelle année qui commence s'annonce pleines de promesses ...

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