Chroniques martiennes

COSPAR 2004 : derniers résultats de l'exploration martienne

Mercredi 28 juillet 2004
Les vallées de Louros, situées au sud d'Ius Chasma dans Valles Marineris, photographiées par la caméra HRSC de la sonde européenne Mars Express (crédit photo : ESA/DLR/FU Berlin G. Neukum)
Le vendredi 23 juillet, le Comité de la Recherche Spatiale (COSPAR) et l'Académie Internationale d'Astronautique (IAA) avaient organisé une table ronde consacrée aux récents résultats des missions martiennes et à l'avenir de l'exploration de la planète rouge. Cette table ronde réunissait des personnalités prestigieuses, qui représentaient tous les pays impliqués dans l'exploration martienne.

C'est au japonais Ichiro Nakatani qu'est revenu l'honneur d'ouvrir la table ronde. Le japon s'était joint à l'exploration martienne en lançant en 1998 une petite sonde, Nozomi. Malheureusement, victime d'un dysfonctionnement critique et frappée ensuite de plein fouet par une tempête solaire, l'engin n'a pas se mettre en orbite autour de Mars, malgré les efforts acharnés des ingénieurs et navigateurs japonais. Avec une humilité caractéristique des japonais, Ichiro Nakatani s'est publiquement excusé de la perte de la sonde auprès de ses partenaires internationaux, plusieurs pays (dont la France) ayant effectivement embarqués des instruments sur l'orbiteur.

Agustin Chicarro est ensuite intervenu pour présenter les récentes découvertes de la sonde Mars Express, qui est bien partie pour inscrire son nom en lettres d'or dans le grand livre de l'exploration martienne. Peu après sa mise en orbite en décembre 2003, l'orbiteur a commencé à engranger d'impressionnantes découvertes, comme la détection de glace d'eau au niveau de la calotte polaire sud, ainsi que la découverte de traces de méthane dans l'atmosphère martienne. La caméra HRSC a également mis en évidence des terrains volcaniques et glaciaires extrêmement jeunes, bien plus jeunes que tout ce que l'on connaissait auparavant. Capable de photographier de larges bandes de la surface martienne à chaque orbite, la caméra HRSC se prête particulièrement au comptage des cratères d'impact, et donc à la datation des terrains. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard, son responsable, Gerhard Neukum, étant un expert de la chronologie martienne. Tous les instruments de la sonde fonctionnent de manière optimale, à l'exception du radar MARSIS dont le déploiement, qui inquiète les ingénieurs, a été reporté par mesure de sûreté en octobre 2004.

Au cas ou le premier interlocuteur n'aurait pas réussi à convaincre l'audience des difficultés inhérentes à l'exploration spatiale (difficultés qu'il est parfois facile d'oublier devant l'incroyable succès des robots Spirit ou Opportunity), Colin Pillinger, le père du petit atterrisseur britannique Beagle 2, s'est chargé d'enfoncer le clou. Mr Pillinger a évoqué l'histoire de cette petite sonde bourrée d'instruments, depuis sa naissance en 1997 jusqu'au 25 décembre 2003 fatidique ou l'atterrisseur s'est évanoui sans laisser de traces durant son atterrissage. Mr Pillinger a rappelé sa volonté de renvoyer une nouvelle sonde vers Mars, et a profité de l'occasion pour suggérer à son homologue américain, Steve Squyres, que ce Beagle 3 pourrait tout à fait trouver une place à bord de la mission américaine MSL prévue pour 2009.

Contrairement au représentant de l'ESA, Steve Squyres n'a pas jugé nécessaire de dévoiler des images obtenues par Spirit ou Opportunity (ce qui n'est guère regrettable : contrairement à l'ESA, qui publie les images de Mars Express au compte goutte, les sites de la NASA offrent les images acquises par les rovers pratiquement en temps réel). Steve Squyres s'est contenté de rappeler le principal résultat engrangé par les rovers, à savoir la découverte de roches sédimentaires très riches en sulfates par Opportunity au niveau de Terra Meridiani.

Contrairement aux avis formulés après la découverte de ces roches dans le petit cratère Eagle ou Opportunity a atterri (avec, il faut l'avouer, une chance insolente), les géologues de la NASA semblent avoir abandonné l'idée qu'une mer ait un jour recouvert la région de Terra Meridiani. Ils penchent désormais vers l'existence d'un aquifère. De l'eau liquide riche en acide sulfurique se serait frayée un chemin dans des roches volcaniques (basaltes, cendres) et l'acide aurait alors lessivé les roches, en produisant des sulfates ainsi qu'un oxyde de fer hydraté, la goethite, qui aurait ensuite perdu son eau pour donner de l'hématite grise. Le vent aurait alors redistribué, d'une manière plus ou moins importante, les roches altérées par l'acide. Mr Squyres a d'ailleurs indiqué que des affleurements particulièrement étendus de sulfates avaient été détectés par le spectromètre Omega de la sonde Mars Express au niveau de Valles Marineris, une découverte importante, mais qui a été largement passée sous silence dans la presse. La sonde européenne a ainsi confirmé que les sulfates, étudiés au niveau local par les rovers américains, sont largement représentés à la surface de Mars, et pourraient donc avoir joué un rôle non négligeable dans l'histoire géologique martienne. Les dépôts salés de Terra Meridiani offrent également le premier exemple de roches au sein desquels il serait possible de rechercher d'éventuels microfossiles. Jusqu'à présent, les seules roches identifiées sur Mars étaient des laves volcaniques (basaltes et andésites), impropres a la préservation de traces de vie.

Steve Squyres, manifestement galvanisé par les exploits de ses robots, a également pointé du doigt l'importance cruciale de la mobilité pour le succès des futures missions d'exploration martienne, une remarque qui a aussitôt fait réagir Colin Pillinger. Si Beagle 2 était par définition immobile, le petit atterrisseur disposait cependant d'un outil capable de s'enfoncer dans le sol. Pour Mr Pillinger, il ne s'agit donc pas seulement de pouvoir se déplacer horizontalement à la surface de Mars, mais également de pouvoir pénétrer verticalement dans la croûte. Les rovers Spirit et Opportunity, qui ne disposent pas de systèmes de forages, utilisent avec plus ou moins de succès les cratères d'impact pour accéder aux roches situées sous la surface.

La table ronde s'est terminé avec l'intervention d'un scientifique russe, qui, tout en rappelant les déboires qu'à connu son pays avec la planète Mars (les russes ayant été bien plus chanceux avec Vénus), s'est félicité de la réussite de la mission Mars Express (qui embarque certains instruments de la malheureuse sonde russe Mars 96). Bien qu'exsangue financièrement parlant, la Russie semble toujours avoir la volonté de participer à l'exploration martienne. L'agence spatiale russe planche aujourd'hui sur une mission destinée à ramener des échantillons non pas de Mars, mais de la plus grosse de ses deux lunes, Phobos. La mission Phobos Grunt n'existe cependant que sur le papier, et ne verra sans doute pas le jour sans un important financement international.

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